En cours au Siège de l'ONU

Onzième session extraordinaire d’urgence (reprise),
20e & 21e séances plénières - matin & après-midi
AG/12675

L’Assemblée générale adopte deux résolutions concurrentes sur l’Ukraine

Trois ans, jour pour jour, après le déclenchement du conflit en Ukraine, l’Assemblée générale a adopté deux résolutions –dont une qui a été amendée- appelant à la paix en Ukraine, l’une présentée par la Vice-Ministre ukrainienne des affaires étrangères et l’autre par les États-Unis.  Les États Membres ont tranché « à la Salomon » en octroyant 93 votes en faveur de chacun des textes, alors que de nombreuses délégations ont affirmé « rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine ».

Au préalable, le Vice-Président de l’Assemblée générale avait ouvert cette onzième session extraordinaire d’urgence en appelant les États à démontrer qu’une paix durable en Ukraine est possible.

Dans le premier texte, intitulé « promotion d’une paix globale, juste et durable en Ukraine » et principalement porté par l’Ukraine et les États membres de l’Union européenne, l’Assemblée générale réaffirme son attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et demande que, conformément à la Charte des Nations Unies et au droit international, l’on œuvre à la désescalade du conflit, qu’il soit rapidement mis fin aux hostilités et qu’une solution pacifique soit trouvée à la guerre contre l’Ukraine.  Elle rappelle également qu’il convient d’appliquer pleinement les résolutions qu’elle a adoptées en réponse à « l’agression contre l’Ukraine ».

Au cours du vote sur ce texte, 65 délégations ont préféré s’abstenir tandis que 18 ont marqué leur opposition, y compris la Fédération de Russie et les États-Unis. 

« La manière dont nous répondons aujourd’hui à l’agression russe définira l’avenir de l’Ukraine, de l’Europe et de notre avenir commun », a souligné la Vice-Ministre des affaires étrangères ukrainienne selon qui « l’avenir d’une nation ne doit pas être déterminé par une nouvelle conférence de Yalta ». 

Intitulé « le chemin vers la paix », le texte américain a, quant à lui, été adopté dans une version amendée par 93 voix pour, 8 contre (Bélarus, Burkina Faso, Fédération de Russie, Mali, Nicaragua, Niger, République populaire démocratique de Corée et Soudan), et 73 abstentions, dont celle des États-Unis qui marquaient ainsi leur opposition aux trois projets d’amendement présentés par la France au nom de l’Union européenne.  La délégation russe a également présenté un projet d’amendement, mais celui-ci a été rejeté.

Aux termes de cette résolution très brève, l’Assemblée demande instamment qu’il soit mis fin au conflit dans les plus brefs délais et plaide pour une paix durable entre l’Ukraine et la Fédération de Russie.

Avant le vote, la délégation américaine avait vainement appelé l’Ukraine à retirer son texte et à faire bloc derrière sa propre initiative, « une déclaration simple et tournée vers l’avenir » qui « n’est pas un accord de paix, mais un chemin menant à la paix ». 

« Le pas des États-Unis est un pas dans la bonne direction », a salué de son côté la Fédération de Russie qui a vu dans le texte américain des mesures concrètes et réalistes pour mener à la paix.  « Trump et son équipe ont enfin vu le véritable visage de Zelenskyy, prêt à sacrifier toute la population et les richesses naturelles de l’Ukraine pour son pouvoir ».

Amendements au texte américain 

Avant le vote sur la résolution des États-Unis, la France a présenté trois amendements au projet américain au nom de 23 États membres de l’Union européenne et du Royaume-Uni.  Le premier amendement (A/ES-11/L.13 ) prévoit de remplacer les mots « conflit russo-ukrainien » par « invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie » et a été adopté par 60 voix en sa faveur, 18 contre et 81 abstentions.  Le deuxième amendement (A/ES-11/L.14) « réaffirme notre engagement pour la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, dans ses frontières internationalement reconnues », a expliqué la France.  Cette modification du texte américain a aussi été entérinée par 79 votes pour, 16 contre et 67 abstentions.

Le troisième amendement (A/ES-11/L.15) appelle à une paix juste, durable et globale en Ukraine, qui respecte la Charte des Nations Unies et les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale.  Il a été soutenu par 83 États, tandis que 16 s’y sont opposés et 61 ont préféré s’abstenir.

« Ces amendements rappellent qu’il y a dans ce conflit un État agresseur et un État agressé et marquent notre attachement à la paix, une paix juste et durable, qui doit avoir pour fondement la Charte des Nations Unies et le droit international », a indiqué la France.    

A contrario, l’amendement proposé au texte américain par la Fédération de Russie (A/ES-11/L.12) n’a pas reçu le soutien escompté et a été rejeté par 71 États.  Il a recueilli 31 voix pour alors que 59 délégations ont opté pour l’abstention. Cette proposition visait à insérer dans le dispositif le libellé « notamment en s’attaquant à ses causes profondes » après « qu’il soit mis fin au conflit dans les plus brefs délais ».

Explications de vote

Les délégations ont également entendu d’autres déclarations avant le vote.

« Tout le monde veut la paix, mais de quelle paix parle-t-on, si elle ne s’accompagne pas de justice? » s’est indigné le représentant du Canada dont la déclaration a été accueillie par des applaudissements nourris.  Il a également fait part de son ferme appui au texte porté par l’Ukraine « qui se bat non seulement pour son propre pays, mais pour des principes consacrés par le droit international ».  Après avoir rejeté les visées « impérialistes » de Vladimir Putin, il a affirmé que le Canada et son peuple souhaitent être à la hauteur du courage de l’Ukraine.

Jugeant que la résolution présentée par l’Ukraine n’est « pas suffisamment inclusive », l’Afrique du Sud a réitéré l’importance de progresser vers la paix plutôt que de contribuer à la polarisation.  Selon le Paraguay, la proposition des États-Unis offre une nouvelle approche pour la paix et la compréhension, alors que la Chine a estimé qu’une « fenêtre de tir » s’ouvre aujourd’hui avec l’accord entre les États-Unis et la Russie pour l’ouverture de pourparlers de paix. Elle a émis l’espoir que l’Europe y contribuera et que la communauté internationale parviendra à s’attaquer aux causes sous-jacentes du conflit. 

L’Indonésie a estimé que l’Assemblée générale doit envoyer un message d’unité en faveur du règlement du conflit.  Elle a aussi appelé, comme maintes délégations, à faire respecter les principes de la Charte des Nations Unies, les droits humains et la souveraineté de l’Ukraine. 

S’exprimant au nom des pays nordiques, qui se sont portés coauteurs du projet de résolution ukrainien, le Vice-Ministre des affaires étrangères de la Suède a plaidé pour une paix qui s’inscrit dans le droit international et la Charte des Nations Unies, appelant à ce que les violations aient des conséquences, « faute de quoi on peut craindre pour la sécurité internationale ».  Il a estimé que l’Ukraine et l’Europe doivent impérativement participer aux négociations en vue d’un règlement du conflit, a-t-il souligné.

« La cause de l’Ukraine c’est la cause du bien contre le mal », a déclaré le Ministre de la justice, des affaires intérieures et de la migration de l’Irlande selon qui « l’avenir crédible du multilatéralisme en dépend ».  Le Ministre des affaires étrangères de la Pologne a averti pour sa part que les pays tentés par une normalisation de leurs relations avec Moscou « confieraient leur sécurité et leur stabilité économique à un autocrate et à un criminel de guerre ».  Pour le Ministre, « si l’Ukraine est abandonnée, ce pourrait être ensuite le tour d’un autre pays d’Europe de l’Est, et pourquoi pas d’un État du Moyen-Orient ou d’Afrique, ciblé pour servir de base militaire russe, en remplacement de la Syrie où un régime soutenu par le Kremlin s’est récemment effondré ».

La Tunisie a dit avoir voté pour les deux projets de résolution, tandis que la République arabe syrienne a dit s’être abstenue sur les projets de résolution pour « ne pas contribuer à la polarisation ».  Le Brésil a pour sa part estimé qu’aucun des deux textes n’avait la maturité nécessaire pour obtenir un vote favorable de sa part. Il a toutefois jugé qu’il reste possible de trouver un « juste milieu » entre les deux résolutions. 

La République islamique d’Iran a répété que tout différend doit être réglé par des moyens pacifiques et par le dialogue, soulignant que la « provocation de l’OTAN » à l’égard de la Russie a mené à la situation actuelle en Ukraine.  La Ministre des affaires étrangères de la Lettonie a réfuté au contraire toute implication de l’OTAN.  Elle a ajouté que cette guerre d’agression n’a rien à voir non plus avec un prétendu fascisme en Ukraine ou avec la protection des droits des russophones. « Les causes profondes de la guerre sont les ambitions impérialistes et coloniales de la Russie », a-t-elle accusé.

Reprise du débat relatif à la onzième session extraordinaire d’urgence 

Après les explications de vote, de nombreux intervenants, dont l’Envoyée spéciale pour l’Ukraine des Pays-Bas ont insisté sur la nécessité pour l’Ukraine de siéger à la table des négociations.  Un simulacre de paix imposé au peuple ukrainien contre sa volonté ne servira à rien, a mis en garde la délégation d’Allemagne, appuyée par la Suisse.  Dans cette veine, le Portugal a dit être « pour la paix mais pas n’importe quelle paix », appelant à une paix juste et globale, dans le respect des principes de la Charte et de l’indépendance de l’Ukraine.  L’Italie a aussi argué que seule la pleine participation de l’Ukraine et de l’Europe aux pourparlers permettra de garantir une paix durable. 

« Toute paix qui risque de récompenser l’agression accroît le risque pour n’importe quel pays, où qu’il soit dans le monde, d’être confronté à une agression similaire », a mis en garde l’Union européenne.  Un avis partagé par le Royaume-Uni, l’Autriche faisant valoir que « l’agression russe n’est pas un problème européen mais un motif de préoccupation mondiale ».  Le Ministre des affaires étrangères de la Grèce a appelé à la conclusion « d’un accord qui garantisse et agisse de manière dissuasive et préventive dans les années à venir ». 

La Slovaquie a dit espérer que des progrès significatifs impliquant toutes les parties, y compris l’Ukraine et l’Union européenne, seront bientôt réalisés, conduisant à une paix juste et durable, et permettant à l’Ukraine d’obtenir des garanties sur sa sécurité future.  Un règlement pacifique de la crise ukrainienne, fondé sur la Charte permettra d’éviter de nouvelles escalades, a renchéri le Vice-Ministre des affaires étrangères de la Géorgie

Le Vice-Ministre des affaires étrangères de la République tchèque a exigé pour sa part que le crime d’agression commis par la Russie ne reste pas impuni et que les responsables de crimes de guerre et d’autres atrocités soient traduits en justice.  Dans la même lignée, la Bulgarie a estimé que toute négociation doit inclure la responsabilisation pour les crimes commis.  La création d’un tribunal international spécial pour les crimes commis au cours du conflit en Ukraine a été appuyée par le Luxembourg et la Roumanie, la Lituanie appelant aussi à établir les responsabilités du « régime de Loukachenko » du Bélarus s’agissant de ses violations des droits des Ukrainiens comme des droits de son peuple. 

Le Japon a condamné l’engagement de troupes de la République populaire démocratique de Corée dans les combats contre l’Ukraine, et a réitéré sa profonde préoccupation concernant la coopération militaire entre l’Iran et la Russie.  L’Australie a dénoncé les menaces à la sûreté nucléaire, tandis que le Brésil a estimé qu’il est temps d’écouter la voix des pays du Sud. 

La République populaire démocratique de Corée a condamné pour sa part la tenue de cette réunion destinée à « falsifier la réalité ». Selon elle, l’Occident est responsable d’avoir déversé des montants d’aide militaire faramineux, obsédé qu’il est par « le rêve irréaliste de vaincre la Russie par tous les moyens possibles ». Même son de cloche pour le Venezuela qui a dénoncé les pays qui fournissent les armes en Ukraine et font peser un risque d’embrasement. 

L’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA) a estimé qu’« il ne peut y avoir d’élections libres sans sécurité, il ne peut y avoir de démocratie sans souveraineté, et il ne peut y avoir de paix durable sans justice ».  Citant le pape François, le Saint-Siège a rappelé que « la guerre est toujours un échec ».

En fin de séance, le droit de réponse a été exercé par l’Inde, le Pakistan, la République populaire démocratique de Corée par deux fois, la République islamique d’Iran, la République de Corée et le Japon.

Avant l’examen des textes, l’Assemblée générale a pris note du fait que l’Afghanistan, la Bolivie, le Cabo Verde, la République du Congo, l’Équateur, Grenade, la Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe et le Venezuela (A/ES-11/116) sont en retard dans le paiement de leurs contributions au sens de l’Article 19 de la Charte des Nations Unies. 

En vertu de sa résolution 79/3, elle a néanmoins décidé que Sao Tomé-et-Principe serait autorisée à participer aux votes organisés dans le cadre de sa onzième session extraordinaire d’urgence, laquelle a été ajournée en fin de séance à titre provisoire.

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