SOIXANTE-DEUXIÈME SESSION,
6E ET 7E SÉANCES PLÉNIÈRES, MATIN ET APRÈS-MIDI
SOC/4915

La Commission du développement social s’intéresse au rôle de la famille et de la transformation numérique dans la réalisation du Programme 2030

Au troisième jour des travaux de sa soixante-deuxième session, la Commission du développement social s’est réunie pour la tenue de deux événements interactifs, avant la reprise de sa discussion générale lundi: une réunion-débat de haut niveau sur le trentième anniversaire de l’Année internationale de la famille, suivie d’une table ronde sur l’influence de la transformation numérique sur la croissance et le développement inclusifs, envisagée comme « voie menant à la réalisation de la justice sociale ». 

Observée en matinée, le trentième anniversaire de l’Année internationale de la famille a été l’occasion pour les panélistes de rappeler à quel point la famille peut être agente de développement et contribuer à la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Sous réserve toutefois que les États Membres se dotent de politiques et programmes axés sur son épanouissement et son renforcement, dans le respect de l’égalité entre les sexes en matière d’accès à l’éducation, aux opportunités professionnelles et aux soins de santé, ont noté plusieurs intervenants. 

La table ronde de l’après-midi a permis de faire le point sur les avancées technologiques prodigieuses de nature à accélérer les progrès en vue d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD), même s’il a été souligné, aussi bien par les experts que les délégations, les dangers posés par une facture numérique qui laisse de côté un certain nombre de pays et populations.  Les risques inhérents aux mauvais usages de l’intelligence artificielle ont également été source de préoccupations.

La Commission du développement social poursuivra ses travaux demain, jeudi 8 février, à partir de 10 heures.

 

SUITE DONNÉE AU SOMMET MONDIAL POUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET À LA VINGT-QUATRIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

Réunion-débat de haut niveau sur le trentième anniversaire de l’Année internationale de la famille 

Cette réunion-débat, modérée par M. JOHN WILMOTH, responsable de la Division du développement social inclusif au sein du Département des affaires économiques et sociales (DESA), a été marquée par de nombreux appels à la création de politiques et de programmes axés sur la famille pour appuyer une mise en œuvre holistique du Programme 2030. 

L’allocution d’ouverture a été prononcée par Mme MARIA-FRANCESCA SPATOLISANO, Sous-Secrétaire générale à la coordination des politiques et aux affaires interorganisations, qui a attiré l’attention sur l’impact sur les familles de quatre « mégatendances », à commencer par l’intensification des défis auxquels sont confrontées les familles vulnérables en raison de l’augmentation de la fracture numérique.  Ces lacunes dans l’accès aux connaissances exacerbent les écarts et les disparités existants en matière de revenus, d’éducation, d’emploi et d’accès au logement et aux services de santé, a observé la haute fonctionnaire. 

Par ailleurs, le rapprochement familial étant une composante importante de la migration globale, l’analyse des politiques migratoires doit intégrer une perspective familiale, a poursuivi Mme Spatolisano.  Les familles devraient être considérées comme essentielles à l’intégration des migrants dans les nouvelles sociétés, ce qui rend les politiques visant à faciliter le regroupement familial et la protection sociale des migrants essentielles à une intégration réussie. 

La migration, à son tour, nourrit une urbanisation rapide. Et lorsque les villes sont bien planifiées et gérées de manière compétente, elles peuvent sortir les familles de la pauvreté et contribuer à la cohésion sociale.  Toutes les familles ont besoin d’un logement adéquat et abordable, une aspiration de plus en plus inatteignable pour nombre d’entre elles. 

En outre, à mesure que les sociétés évoluent, les transformations démographiques doivent être reconnues et reflétées par des politiques fondées sur la solidarité et le soutien intergénérationnels, a poursuivi la Sous-Secrétaire générale.  Alors que le vieillissement rapide des populations constitue un défi pour des soins de longue durée équitables, une approche centrée sur l’humain pour la fourniture de soins impliquant les gouvernements, les entreprises, la société civile, les communautés et les ménages est nécessaire et devrait aborder toutes les formes de soins, y compris ceux, informels, fournis par des membres de la famille. 

M. LINTON MCHUNU, Directeur général par intérim du Département du développement social d’Afrique du Sud, a indiqué que la population de son pays a doublé depuis la fin de l’apartheid, malgré une baisse marquée du taux de fécondité et une croissance correspondante du nombre de personnes âgées de 60 ans et plus.  Conséquence des perturbations liées à l’urbanisation lors de la période de l’apartheid, le pays est confronté à la désintégration des familles, notamment en milieu rural, ainsi qu’à des problèmes de communication au sein des familles.  Les migrations internes peuvent cependant mener à un meilleur accès à une éducation de qualité, à des emplois mieux rémunérés ainsi qu’à des soins de santé de qualité. 

L’institution de la famille a donc connu un grand changement dans sa structure et dans la distribution des rôles, a ajouté M. Mchunu, la pauvreté, la criminalité, la violence fondée sur le genre, les grossesses des adolescentes et l’absence répandue des pères venant exacerber les défis déjà présents.  La pauvreté empêche en outre les familles de répondre aux besoins essentiels de leur membres et constitue un fardeau psychologique.  Les femmes s’occupent avant tout de la famille et des enfants, ce qui les empêche de participer pleinement au marché du travail, phénomène exacerbé par les soins à domicile, compte tenu notamment de la prévalence du VIH/sida.  La violence sexuelle demeure également élevée, tout comme la violence familiale. 

Face à ces défis, le Gouvernement sud-africain a accru l’accès des ménages aux services, au logement, à l’eau et à l’électricité, avec l’appui du secteur privé.  Des coopératives ont été installées dans certaines zones rurales pour fournir de la nourriture aux familles, et un système de protection sociale ciblé permet aujourd’hui d’atteindre 7 millions de personnes. 

Mme BAHIRA TRASK, professeure de développement humain et des sciences de la famille à l’Université du Delaware, a rappelé la corrélation entre migration et pauvreté, une situation qui pousse les migrants à s’établir en marge des villes, les excluant de la vie économique sociale et politique. Nous avons besoin de politiques et de stratégies qui reconnaissent le fait que les opportunités auxquelles ont accès les migrants nouvellement arrivés sont très différentes de celles qui s’offrent aux populations déjà établies en milieu urbain. 

En outre, l’accès à un logement accessible abordable est essentiel pour une vie familiale stable et un développement positif des enfants. Or, la construction non autorisée de bidonvilles contribue à marginaliser les migrants dans les zones périphériques, a noté la panéliste.  Près d’un milliard de personnes dans le monde sont touchées par le manque d’accès au logement, et vivent dans des conditions de promiscuité dans des quartiers dangereux avec un impact sur leur santé en particulier pour les enfants.  C’est notamment le cas dans les mégalopoles, qui sont plus à risque d’être touchées par les changements climatiques, a ajouté Mme Trask. 

Mme ZITHA MOKOMANE, Cheffe du Département de sociologie à l’Université de Pretoria, Afrique du Sud, a rappelé qu’en novembre 2022, la population mondiale a atteint 8 milliards d’individus, un « jalon dans le développement humain », conséquence des progrès en matière de santé.  De fait, a-t-elle observé, les tendances en matière de fécondité, de mortalité, mais aussi de migration sont au cœur des politiques liées à la famille.

Elle a noté que les niveaux de fécondité peuvent entraîner des avantages ou des inconvénients pour la société.  Une fécondité élevée peut ainsi avoir un impact négatif sur le budget des familles.  Inversement, les familles ayant peu d’enfants ont plus de ressources pour investir dans le capital humain, permettant aux femmes de participer davantage au marché du travail et sortir de la pauvreté.

Dans les sociétés sans système de protection sociale, une fécondité élevée peut, en revanche, devenir une forme de filet de sécurité sociale, avec pour conséquence déplorable la prise en charge des personnes âgées par les enfants.  En outre, la mort d’un membre de la famille provoque une restructuration des relations et renforce parfois les inégalités de genre, les femmes devant assumer un rôle plus important au sein du ménage, voire se remarier pour retrouver leur statut socioéconomique et protéger leurs enfants. 

La panéliste a ensuite précisé qu’il faut 2,1 enfants par femme en moyenne pour que la population se régénère.  Or, en 2021, trois régions étaient en dessous de ce seuil: l’Asie du Sud-Est, l’Europe et l’Amérique du Nord, a-t-elle noté, appelant à mettre en place des politiques innovantes, telles que des congés parentaux, des subventions pour la garde d’enfants et des programmes d’aide aux familles.  Elle a également invité les États à s’attaquer aux facteurs à l’origine des niveaux élevés de fécondité des adolescentes et à investir dans la recherche pour mieux comprendre l’impact des tendances démographiques actuelles et des changements climatiques sur les familles, entre autres. 

Alors que nous entrons dans la « phase tertiaire de l’ère de l’information », Mme SUSAN WALKER, professeure associée émérite au Département des sciences sociales de la famille de l’Université du Minnesota, a constaté que les technologies de l’information et des communications (TIC) offrent des outils supplémentaires pour la communication et l’apprentissage, favorisant ainsi la vie familiale et le développement humain.  Néanmoins, les recherches actuelles montrent que les TIC peuvent également constituer des atteintes à la sécurité et à la vie privée.  Face à ces menaces, Mme Walker a prôné l’adoption de politiques ciblées permettant d’assurer une utilisation et un accès équitables, sûrs et efficaces aux TIC. 

Dans ce domaine, l’équité est déterminée notamment par l’accès et les habiletés techniques, ainsi que par les différences générationnelles et géographiques, a fait valoir Mme Walker.  Si les jeunes sont nés avec ces technologies, les personnes âgées sont pour leur part des « migrants numériques ». Au sein des familles, les TIC participent au développement humain et cognitif de tous les groupes d’âge. Mme Walker a toutefois exprimé sa préoccupation devant l’impact des TIC sur le sommeil, l’apprentissage, la socialisation et l’obésité.  Elles peuvent en outre être la cause de conflits et affecter la cohésion familiale. Afin d’assurer le bien-être numérique et l’atteinte des ODD, elle a souligné l’importance d’impliquer activement les entreprises technologiques dans la protection des enfants et d’élaborer des cadres réglementaires adéquats.

Dialogue interactif 

La Türkiye a indiqué qu’elle fournit une aide en espèces aux familles et des services d’assistance sociale dans le cadre d’un programme qui a déjà bénéficié à plus de 1,7 million de ménages turcs au cours des trois dernières années.  De son côté, la République islamique d’Iran, suivie sur ce point par l’Iraq, a déclaré que la famille, est le pilier le plus important des sociétés musulmanes.  Nous avons adopté, a indiqué la déléguée iranienne, plusieurs mesures fondamentales pour renforcer cette cellule, notamment une loi pour la protection de la jeunesse et de la famille. 

Pour le Guyana, il est très important de prêter attention à tous les membres de la famille, y compris les personnes âgées de plus de 65 ans, et de prendre en compte la diversité des sensibilités culturelles et de la notion de « famille élargie » dans les programmes spécifiques. Les traditions et cultures de chaque pays doivent être prises en compte dans le cadre des perspectives de développement social, a souligné Cuba

L’Égypte a rappelé elle aussi que la famille est l’unité principale de la société et joue un rôle fondamental dans le développement social des nations, à condition de tenir compte des contextes culturels, nationaux, et religieux spécifiques pour répondre aux besoins réels des familles. Conscient de la nécessité d’offrir un environnement sûr aux enfants, aux jeunes et aux personnes âgées, le Gouvernement égyptien s’est doté d’un plan ambitieux, avec un volet en cours d’élaboration sur la numérisation des données familiales.  Quant à elle, la Malaisie a indiqué avoir mis sur pied une politique nationale pour rassembler les parties prenantes et intégrer une perspective familiale dans toutes les politiques, initiatives et programmes, notamment dans le domaine éducatif. 

De son côté, l’Union européenne a rappelé que la Charte des droits fondamentaux de l’UE stipule que chacun a le droit au respect de sa vie privée et familiale, quelle que soit la forme prise par la famille.

Réunion-débat sur les questions nouvelles: « L’influence de la transformation numérique sur la croissance et le développement inclusifs: une voie menant à la réalisation de la justice sociale » (E/CN.5/2024/4)

À l’occasion de cette discussion modérée par Mme CYNTHIA SAMUEL-OLONJUWON, Représentante spéciale de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et Directrice du Bureau de l’OIT à New York, les intervenants ont unanimement reconnu que la transformation numérique est essentielle pour la justice sociale, dans la mesure où elle offre un cadre pour réduire la fracture numérique et garantir un accès équitable à la technologie.  Ils ont toutefois averti que, pour parvenir à la justice sociale, il convient de garantir que la transition vers une économie numérique soit équitable et inclusive, ce qui implique de créer des voies permettant à tous de s’adapter aux nouvelles technologies, de sauvegarder les droits et d’offrir des opportunités de perfectionnement. 

Premier panéliste à s’exprimer, M. GABRIEL BASTOS, Secrétaire d’État à la sécurité sociale au Ministère du travail, de la solidarité et de la sécurité sociale du Portugal, s’est appuyé sur l’expérience de son pays, lequel considère la transformation numérique comme un outil favorisant l’efficacité de la sécurité sociale et de la protection des plus vulnérables au sein des sociétés.  Élément central de toute stratégie de développement inclusif, la sécurité sociale est un pilier fondamental des politiques publiques destinées à assurer le bien-être des personnes et des communautés, de même que la cohésion sociale.  Et les technologies émergentes constituent, selon lui, un véritable moteur pour le renforcement de la protection sociale.   

Pour illustrer son propos, M. Bastos a pris l’exemple de la pandémie de COVID-19, qui a forcé la sécurité sociale de son pays à s’adapter de façon structurelle à des demandes critiques immédiates.  La numérisation de l’économie s’est alors accélérée, les secteurs privé comme public étant forcés d’en tirer tout le potentiel.  La transformation numérique profonde de la sécurité sociale a ainsi servi de véritable catalyseur pour la prestation des services publics aux citoyens et aux entreprises, a-t-il expliqué.  Le Secrétaire d’État a ajouté que, ces prochains mois, les mécanismes d’allocations aux enfants seront automatisés et les sommes versées immédiatement, de même que les pensions, autant de mesures proactives permettant un meilleur accès des citoyens à la protection sociale.  Si l’avènement de l’État-providence s’est construit au Portugal sur les principes de la solidarité, d’égalité, d’inclusion sociale et de cohésion intergénérationnelle, la volonté d’offrir des services numériques et novateurs en fait aujourd’hui un instrument robuste, avec le potentiel de transformer les vies et d’en finir avec les cycles de pauvreté, a-t-il conclu. 

Mme HEBA HAGRASS, Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, a centré son propos sur la transformation numérique et son potentiel pour les personnes handicapées, à savoir l’innovation et la disponibilité d’appareils d’assistance, l’éducation inclusive, l’accès à l’emploi et aux soins de santé, les systèmes de soutien personnalisé et l’accès à l’information et aux outils de communication.  Pour que ce potentiel devienne réalité, a-t-elle souligné, les décideurs politiques doivent garantir que la transformation numérique inclut le handicap, ce qui suppose en premier lieu des investissements ciblés dans les infrastructures publiques et dans la réduction de la fracture numérique en matière de handicap.  Il faut ensuite que les personnes handicapées, actuellement surreprésentées dans la population hors ligne, soient directement incluses et consultées afin que les effets de la transformation numérique sur leur vie soient bien compris et intégrés lors de la conception des politiques et des réglementations. 

De l’avis de la Rapporteuse spéciale, l’intelligence artificielle change le paysage des personnes handicapées en créant des outils plus adaptés et plus réactifs à leurs besoins, comme par exemple les technologies de sous-titrage automatique, de suivi oculaire et de reconnaissance vocale. Pour qu’elles profitent de ces opportunités et bénéficient d’un accès égal au marché du travail, les personnes handicapées doivent avoir accès à des formations et qualifications pertinentes afin d’être sur un pied d’égalité avec les autres, a fait valoir Mme Hagrass. En revanche, si elles trouvent la technologie numérique inaccessible et inabordable, ou si elles ne possèdent pas les compétences requises, elles seront exclues des opportunités d’emploi et le risque d’être encore plus laissées pour compte augmentera, a-t-elle averti, avant d’alerter sur d’autres risques en lien avec l’intelligence artificielle, notamment les pratiques discriminatoires dans les processus de recrutement. 

La transformation numérique peut accélérer les progrès vers les ODD et permettre une transformation intersectorielle de nos sociétés à condition que soit garantie la connectivité numérique pour tous, a appuyé Mme URSULA WYNHOVEN, Cheffe de la Division des affaires de l’ONU de l’Union internationale des télécommunications (UIT).  En termes de croissance, a-t-elle précisé, de nouvelles études de l’UIT font apparaître qu’une augmentation de 10% de la pénétration du haut débit mobile augmenterait le produit intérieur brut (PIB) d’un peu plus de 2% en moyenne, et de 2,5% pour l’Afrique.  Or, si 5,6 milliards de personnes sont aujourd’hui connectées, 2,6 milliards d’autres personnes n’ont jamais fait l’expérience du monde numérique et bien d’autres encore ne disposent pas d’une connectivité significative pour des raisons matérielles, financières ou culturelles, a constaté Mme Wynhoven. 

Soulignant la relation étroite existant entre la connectivité et le développement humain, elle a assuré que les bénéfices de la connectivité pour la société dépassent les seuls avantages économiques.  Pour les personnes marginalisées et vulnérables, la connectivité peut être une bouée de sauvetage.  Elle permet aussi aux réfugiés de rester en contact avec leur famille et leur communauté et leur fournit des services en ligne, notamment en matière d’éducation, d’emploi et de soutien financier.  Pour les femmes et les filles, elle peut être un puissant moteur d’autonomisation sociale et économique, a-t-elle encore fait valoir. Mais étendre la connectivité ne suffit pas, a prévenu l’intervenante, pour qui chaque personne doit avoir accès aux appareils et aux compétences nécessaires pour utiliser les nouvelles technologies.  Face au creusement de la fracture numérique, qui exacerbe les inégalités sociales et économiques, et face à la prolifération de la désinformation et des cybermenaces, il importe en outre de donner la priorité aux considérations éthiques et aux droits humains afin de garantir un avenir numérique inclusif, juste et respectueux de la dignité de tous, a-t-elle affirmé.

Mme AIDA OPOKU-MENSAH, Directrice générale de Centric Digital Ltd., société privée basée au Ghana qui fournit des services innovants pour promouvoir l’économie numérique du pays, a parlé de « quatrième révolution industrielle » pour caractériser la transformation des sociétés et des industries grâce à l’intelligence artificielle, la robotique, l’Internet des objets, la biotechnologie et l’impression 3D.  Elle s’est intéressée à la situation de l’Afrique, où subsiste une importante fracture numérique malgré les avancées technologiques de ces dernières années.  Des problèmes tels que le manque de compétences, les cadres réglementaires et les lacunes en matière d’infrastructures restent des obstacles majeurs à la réalisation du plein potentiel de ces technologies sur le continent.  Il est essentiel d’y remédier car des technologies telles que les services bancaires mobiles, le commerce électronique et les soins de santé numériques ont le potentiel de dépasser les infrastructures traditionnelles, de stimuler la croissance économique et d’améliorer les moyens de subsistance via la transformation agricole, a-t-elle souligné. 

Si cette révolution peut sortir des millions d’Africains de la pauvreté, elle présente aussi des risques en matière de justice sociale, a relevé Mme Opoku-Mensah.  Ceux qui n’ont pas accès à une connectivité Internet fiable, à des smartphones ou à des compétences numériques peuvent être encore plus marginalisés dans l’économie numérique, élargissant ainsi la fracture numérique et perpétuant les disparités socioéconomiques, a-t-elle expliqué, mettant également en garde contre de possibles suppressions d’emplois dans des secteurs tels que l’industrie manufacturière, l’agriculture et les services, avec à la clef une exacerbation de la pauvreté et de l’instabilité sociale. 

Mme JULIA STOYANOVICH, professeure associée de sciences informatiques et d’ingénierie et Directrice du Center for Responsible AI à la New York University, s’est demandé à quoi peut ressembler une intelligence artificielle responsable.  Elle en a voulu pour exemple l’imagerie médicale, même si les laboratoires radiologiques assument la responsabilité finale des diagnostics et des traitements et que l’intelligence artificielle ne doit être pour eux qu’un auxiliaire.  L’experte a déconseillé le recours à cette technologie pour ce qui est du recrutement, dans la mesure notamment où elle peut conduire à des décisions discriminatoires dans la sélection des candidats à des entretiens d’embauche, en raison notamment du manque de familiarité des personnels avec ce nouvel outil: ils n’ont pas encore la préparation technique ou les moyens d’une évaluation minutieuse, a-t-elle fait observer.  Il en va de même de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la prédiction des crimes, contre laquelle nous avait déjà mis en garde il y a 22 ans le film de Steven Spielberg « Minority Report », a rappelé l’intervenante.  Mme Stoyanovich a également prévenu des risques posés par l’intelligence artificielle dans l’automatisation des véhicules, qui peuvent ne pas détecter la présence d’une personne en chaise roulante traversant un passage piéton par exemple, ou des armes létales autonomes qui ne font aucune distinction entre combattants et non-combattants. 

Dialogue interactif 

Le Ministre adjoint de la famille et des services sociaux de la Türkiye a estimé que l’accélération de la numérisation des services sociaux depuis la pandémie a permis de relever un grand nombre de défis, évoquant notamment les avantages d’une plateforme numérique qui permet de traiter les dossiers sociaux en quelques minutes, contre plusieurs jours auparavant, ce qui favorise selon lui l’État)providence et la justice sociale pour tous. 

Préoccupée par la présence alarmante de la désinformation, la déléguée de la jeunesse de la Suisse a invité les États et les acteurs privés à investir dans des infrastructures numériques permettant de produire des ressources sûres et vérifiées.  La déléguée a également alerté sur la surcharge d’informations qui entraîne chez les jeunes des troubles mentaux voire des suicides.  Face à ces risques, il faut donner la priorité à la protection des jeunes contre de possibles traumatismes directs ou indirects et à garantir un accès sans entrave à des soins de santé mentale, a-t-elle plaidé. 

Compte tenu du rôle prépondérant que jouent les sites Internet, notamment pour le marché du travail, la Pologne a souhaité savoir comment en améliorer l’accès aux groupes vulnérables exposés à l’exclusion numérique dans une optique de justice sociale et de croissance inclusive. 

Au lieu de faire le lien entre la liberté d’expression et les technologies numériques, pourquoi n’en avoir pas plutôt établi un avec le droit au développement, a demandé République islamique d’Iran qui a par ailleurs voulu savoir si le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) s’accompagnera d’une véritable transition vers la justice sociale sur le continent africain.  À sa suite, la Directrice générale de Centric Digital Ltd. a expliqué que la quatrième révolution industrielle doit laisser une grande place à la liberté d’expression afin notamment de permettre aux syndicats de travailleurs de s’exprimer.  Elle a également dénoncé les coupures totales d’Internet qui vont à l’encontre de l’emploi et de l’entrepreneuriat.

De son côté, Cuba a insisté sur l’urgence des transferts de technologie et des financements en direction des pays en développement, avant de faire remarquer que l’imposition de mesures coercitives unilatérales constitue un obstacle pour la transformation numérique des pays. 

Après le Mexique qui s’est préoccupé des dangers liés aux mauvaises utilisations des nouvelles technologies, le Fonds mondial pour les veuves et les veufs a plaidé pour que l’on incorpore davantage de femmes dans toutes les strates de la société afin qu’elles soient mieux formées au numérique, surtout dans le contexte rural.  Notant pour sa part que la technologie crée des emplois mais en vole aussi aux plus pauvres, l’Institut pour la synthèse planétaire a proposé de créer un marché numérique parallèle consacré uniquement aux produits de l’économie informelle. 

Réagissant à ces remarques et questions, la Directrice du Center for Responsible AI à la New York University a estimé que les gouvernements et l’ONU devraient réfléchir à des investissements en matière de sensibilisation à la question de l’accessibilité de l’éducation technologique. À son tour, la Cheffe de la Division des affaires de l’ONU de l’UIT a relevé que la question des normes d’accessibilité peut changer la donne en matière de développement social.  Lorsque les États acquièrent des technologies, ils doivent s’assurer qu’elles respectent les normes destinées à les rendre accessibles, a-t-elle insisté.  Elle a d’autre part applaudi l’initiative Giga, qui vise à connecter toutes les écoles du monde à Internet, alors que plus d’un milliard d’enfants dans le monde n’y ont pas accès actuellement. 

« La question de la transformation numérique est avant tout une question de droits humains », a affirmé la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, suivie du Secrétaire d’État portugais à la sécurité sociale qui a indiqué que son pays accueillera en mai à Porto une réunion de l’Association internationale de sécurité sociale sur la même thématique.

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.