Profondes divergences entre les délégations au coup d’envoi de la session de 2024 du Comité spécial de la Charte des Nations Unies
Le Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation a ouvert, ce matin, les travaux de sa session de 2024, qui se tiendra au Siège de l’ONU jusqu’au 28 février prochain. À l’occasion du débat général, les délégations ont affiché de très profondes divergences sur le thème du règlement pacifique des différends et sur la question des sanctions, dans un contexte international dominé par la situation actuelle « révoltante » à Gaza, selon l’expression du Brésil.
La séance a débuté par l’élection de M. Michael Hasenau, de l’Allemagne, à la présidence du Comité spécial pour cette session. Le Bureau du Comité a été complété avec l’élection des trois Vice-Présidents, M. Nathaniel Khng, de Singapour, M. Matúš Košuth, de la Slovaquie, et M. David Antonio Giret Soto, du Paraguay. Mme Gloria Dakwak, du Nigéria, a été élue au poste de rapporteur. Le Comité spécial a ensuite entamé son débat général, dominé comme d’ordinaire par trois thématiques centrales: le règlement pacifique des différends, les sanctions et la définition de nouveaux sujets.
S’exprimant au nom du Mouvement des pays non alignés, l’Iran a exhorté le Secrétariat de l’ONU à développer sa capacité à évaluer les effets imprévus des sanctions imposées par le Conseil de sécurité, notamment sur le plan humanitaire et pour des pays tiers. Soutenant que ces mesures de dernier recours ne devraient pas servir à « punir » des populations entières, il a plaidé pour que les régimes de sanctions soient clairement définis au départ, puis levés dès que les objectifs sont atteints.
Appuyées par le Venezuela, qui s’exprimait au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, par la République populaire démocratique de Corée, par la Chine, ou bien encore par Cuba, les délégations de l’Iran et de la Fédération de Russie ont fustigé les sanctions unilatérales décidées par certains États Membres. « Une pratique honteuse », pour le délégué russe. Parce que ces sanctions n’ont aucun fondement dans la Charte, les États qui les appliquent placent leur droit interne au-dessus du droit international, a plaidé la Chine, qui a appelé le Conseil de sécurité à faire preuve de « vigilance » sur ses propres sanctions.
En revanche, l’Union européenne, pour qui la Charte doit demeurer « la boussole » dans un monde en pleine mutation, a déclaré que les sanctions unilatérales sont un outil « légitime ». Ces sanctions permettant d’éviter le recours à la force, a argué la délégation. Une position pleinement partagée par les États-Unis, qui ont estimé que la question des sanctions unilatérales ne devrait pas être traitée au sein du Comité spécial. « Les sanctions unilatérales du Royaume-Uni sont ciblées, transparentes et légitimes », a fait valoir pour sa part le représentant de ce pays.
Les délégations se sont également divisées sur les processus de règlement des conflits actuels, en particulier à Gaza. Lors de cette même matinée, le Conseil de sécurité ne parvenait pas, une nouvelle fois, à s’accorder sur un cessez-le-feu humanitaire, comme l’a relevé la Tunisie, au nom du Groupe des États arabes. « Il est impossible d’ignorer que cette réunion du Comité se déroule à un moment où la crédibilité de l’ONU est remise en question, en raison de la guerre génocidaire d’Israël à Gaza », a déclaré le délégué tunisien, appuyé notamment par le Brésil ou bien encore l’Afrique du Sud.
Il a également dénoncé l’échec du Conseil de sécurité à imposer un cessez-le-feu dans l’enclave palestinienne, malgré le soutien écrasant des Membres de l’ONU. Cette incapacité, véritable carte blanche donnée à l’agresseur israélien, donne l’impression que la Charte ne s’applique qu’à certains, a tranché le délégué. « Tous les États doivent respecter la Charte et tous les peuples doivent pouvoir en bénéficier. » La Tunisie comme l’Afrique du Sud ont aussi demandé la mise en œuvre des mesures provisoires récemment ordonnées par la Cour internationale de Justice (CIJ) s’agissant de la situation à Gaza.
« Nous regrettons que toutes les délégations n’aient pas condamné les attaques du Hamas du 7 octobre », a rétorqué la déléguée des États-Unis, qui a souligné le droit d’Israël à la légitime défense. De son côté, le représentant d’Israël a rappelé les « horreurs » commises par le Hamas le 7 octobre. « Nous condamnons le Hamas comme tout être humain devrait le faire », a déclaré le délégué, en appelant à ne pas « tomber dans le piège tendu par les terroristes ». Appuyé par le Royaume-Uni, il a demandé la libération des otages aux mains du Hamas.
Le conflit en Ukraine a également donné lieu à des échanges acrimonieux. La déléguée de l’Ukraine, qui s’exprimait également au nom de la République de Moldova et de la Géorgie, a rappelé les violations de la souveraineté de ces trois pays par la Russie. « Le Royaume-Uni condamne l’agression de la Russie en Ukraine », a dit le délégué de ce pays. Son homologue de la Russie a, lui, dénoncé les déclarations des délégations qui essayent de « faire porter le chapeau à son pays », avant de rappeler que le « coup d’État sanglant de 2014 en Ukraine » est à l’origine de la situation actuelle.
La discussion de nouveaux sujets a également donné lieu à certaines divergences. Toujours à l’aune du contexte international actuel, le Mexique a demandé que le Comité se penche sur le principe de légitime défense, consacré à l’Article 51 de la Charte. La déléguée mexicaine a rappelé que la légitime défense a récemment été invoquée s’agissant de navires commerciaux. « Le Comité est un espace idoine pour ces discussions, rien ne justifie que ce point soit exclu », a-t-elle dit, appuyée par la Syrie ou bien encore le Bélarus.
Les États-Unis et Israël notamment ont mis en garde contre l’inclusion de sujets non consensuels, « politiques » ou susceptibles de donner lieu à des doublons. Les États-Unis ont ainsi rejeté la proposition de la Syrie de débattre de l’application de l’Accord de Siège et des privilèges et immunités des représentants. « Ce sujet doit plutôt être débattu au sein du Comité des relations avec le pays hôte », a tranché la représentante des États-Unis.
Les délégations se sont en revanche retrouvées pour souligner l’importance de la Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux de 1982, laquelle avait été élaborée sous les auspices du Comité spécial. « Cela prouve ce que ce Comité peut faire », a dit la déléguée des Philippines, avant d’inviter le Comité à tenir des discussions « non pas académiques, mais concrètes ». Les délégations ont enfin souligné le rôle irremplaçable joué par la CIJ et demandé l’exécution de ses décisions.