Le Conseil de sécurité se penche sur la coopération militaire entre la Fédération de Russie et la RPDC, sur fond d’expansion de son arsenal par Pyongyang
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
La coopération militaire présumée entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et la Fédération de Russie, et tout particulièrement en Ukraine, a été au cœur, cet après-midi, des débats du Conseil de sécurité réuni pour examiner l’expansion du programme militaire de Pyongyang et de son arsenal, qui comprend notamment des missiles balistiques intercontinentaux de dernière génération.
À l’invitation du Conseil, la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques, Mme Rosemary DiCarlo, a confirmé que la RPDC s’emploie activement à acquérir de nouvelles capacités militaires, conformément au plan de développement militaire quinquennal dévoilé par Pyongyang en janvier 2021. De plus, certains éléments indiquent que la RPDC poursuit son programme nucléaire, les médias d’État de ce pays ayant fait état de l’inspection, en septembre, d’une « base d’enrichissement d’uranium » par le dirigeant national. Cela semble corroborer les informations antérieures sur l’existence d’une deuxième usine d’enrichissement d’uranium, qui n’a pas encore été déclarée, à Kangson, outre celle de Yongbyon, a-t-elle indiqué. Et en novembre dernier, la RPDC a également exposé ouvertement ses systèmes de lancement d’armes lors d’une exposition à Pyongyang, dont le dernier missile balistique intercontinental à combustible solide Hwasong-19, lancé pour la première fois le 31 octobre, avec un nouveau record de vol et d’altitude, a relevé la haute fonctionnaire.
Si la plupart des membres du Conseil ont condamné ces violations répétées, par la RPDC, de ses résolutions pertinentes et du régime de sanctions qui lui est imposé, ils ont surtout pointé du doigt le soutien militaire tout aussi illégal en armes, équipements et soldats apporté par ce pays à la Fédération de Russie dans le cadre de « sa guerre d’agression contre l’Ukraine ». Pour l’Union européenne, pas de doute: la violation continue par Pyongyang de ses obligations en matière de non-prolifération et sa coopération militaire croissante avec Moscou sont « dangereusement » liées.
Le Directeur exécutif de Conflict Armament Research (CAR)* a d’ailleurs signalé que son équipe en Ukraine a documenté cet été des restes de quatre missiles attribués à la RPDC, dont l’un portait des marques indiquant une production datant de 2024. C’est là, la première preuve publique que des missiles ont été produits en RPDC puis utilisés en Ukraine en l’espace de quelques mois, a-t-il indiqué.
En outre, a-t-il signalé, la présence de composants non nationaux récemment produits parmi les restes de missiles illustre le solide réseau d’acquisition de la RPDC pour son programme de missiles balistiques, malgré les sanctions de l’ONU interdisant le transfert de ce matériel à des fins militaires.
« À compter du 14 décembre au moins, les forces russes ont intégré des unités en provenance de RPDC dans leurs formations conjointes, les utilisant contre les forces ukrainiennes dans la région de Koursk », a de son côté affirmé la délégation ukrainienne, pour laquelle la sécurité en Europe et dans la région Indopacifique sont désormais étroitement liées.
« En plus de fournir à Moscou une énorme quantité de munitions, de missiles balistiques et de munitions d’artillerie en violation des résolutions pertinentes du Conseil, la Corée du Nord a déployé plus de 11 000 soldats auprès de la Russie, devenant ainsi partie belligérante à la guerre illégale que celle-ci mène contre l’Ukraine », s’est indignée la République de Corée. « Ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que personne ne sait jusqu’où ira cette coopération militaire et où elle pourrait aboutir », a prévenu cette délégation.
Autre source de préoccupation pour Séoul, mais aussi pour la France: la description par le Ministre russe des affaires étrangères de la dénucléarisation de la RPDC comme étant une « question close », ce qui porterait gravement atteinte au régime mondial de non-prolifération. C’est également la conviction du Japon, pour qui « tout soutien ou avantage accordé à la Corée du Nord en lien avec ses développements nucléaires et balistiques constitue une menace pour le régime de non-prolifération ». À cet égard, le Royaume-Uni a fait état d’informations selon lesquelles la Russie aurait l’intention de transférer des avions de combat MiG-29 et Su-27 à la RPDC, attestant de la volonté de Moscou d’accroître les tensions dans la péninsule coréenne et de saper la stabilité régionale dans la région Indopacifique, « tout cela au service de sa guerre contre l’Ukraine ».
« Plus la Russie dépendra de la RPDC, plus la RPDC représentera une menace en Europe et dans la région Indopacifique », a martelé la délégation des États-Unis. Après avoir accusé le Kremlin de continuer à fournir à la RPDC du pétrole gratuit et subventionné, au-delà du plafond fixé par l’ONU, elle s’est déclarée inquiète de l’intention de Moscou de partager une technologie spatiale avec Pyongyang pour améliorer la communication de ses armées et leurs capacités de renseignement. Elle s’est aussi alarmée de l’obstruction russe contre les sanctions ciblant Pyongyang et des informations selon lesquelles la Russie serait prête à accepter le programme nucléaire de la RPDC, en violation des engagements pris depuis des décennies.
La Fédération de Russie a dénoncé l’hypocrisie des réunions du Conseil sur la situation dans la péninsule coréenne convoquées à l’initiative des États-Unis. Ces séances ont lieu chaque fois que la RPDC prend des mesures pour renforcer sa propre sécurité nationale en réponse aux provocations militaires de Washington, Séoul et Tokyo, a-t-elle constaté, estimant que l’objectif de ces capitales est de tenir Pyongyang entièrement responsable de la détérioration de la situation dans la péninsule coréenne et de se présenter comme les principaux « artisans de la paix » dans la région. « Or, c’est l’inverse qui se produit », a analysé la délégation russe, puisque les États-Unis et leurs alliés renforcent à toute vitesse leur présence militaire dans la Région Asie-Pacifique, détruisant systématiquement les perspectives de construction d’une architecture de sécurité collective non alignée dans cette région.
S’agissant de la coopération entre Moscou et Pyongyang, la délégation russe a assuré que son pays est dans son bon droit: « notre coopération dans le domaine militaire et autres est conforme au droit international », a-t-elle soutenu. En effet, cette coopération n’est pas dirigée contre des pays tiers et ne constitue pas une menace pour les États de la région ou la communauté internationale, a fait valoir le représentant russe, précisant que le partenariat stratégique global ratifié par les deux pays a un « caractère non conflictuel et défensif » et vise à maintenir la stabilité en Asie du Nord-Est.
Qualifiant d’« illégale » cette séance, la RPDC a quant à elle accusé les États-Unis, qui ont fourni une aide militaire de plus de 60 milliards de dollars à la « clique de Zelenskyy », d’être le principal responsable de l’aggravation de la crise en Ukraine et dans la région. Pour cette délégation, le partenariat stratégique global, entré en vigueur il y a quelques semaines, est « un mécanisme sécuritaire en vue d’atténuer les tensions dans la région et de garantir la stabilité mondiale ». La RPDC, a averti son représentant, ne tolèrera jamais les pratiques arbitraires et autoritaires des États-Unis.
Jouant la carte de l’apaisement, la Chine a toutefois fustigé « certains pays obsédés par la mentalité de la guerre froide et par les jeux à somme nulle », dont un en particulier, qui instrumentalise, selon elle, la situation dans la péninsule coréenne et saisit toutes les occasions d’accélérer sa stratégie indopacifique et de renforcer ses alliances militaires, mettant à mal les intérêts sécuritaires des pays de la région, y compris la Chine. Les États-Unis lui ont rétorqué que Beijing avait trop longtemps offert une couverture politique aux violations de la Russie et de la RPDC, avant de lui rappeler le dialogue sans condition préalable proposé par Washington à la RPDC. « Mais à chacun de nos efforts de communication, la réponse a été un poing fermé », a regretté la délégation américaine.
Après avoir souligné l’importance de maintenir la capacité à assumer ses fonctions au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1718 (2006), chargé de surveiller l’application des mesures imposées par le Conseil de sécurité à la RPDC, l’Algérie a insisté sur l’importance de l’évaluation technique de la mise en œuvre des sanctions, du renforcement de l’aide humanitaire, et des mesures de confiance mutuelles progressives.
*La participation à cette séance du Directeur exécutif du CAR a été vivement contestée par la Fédération de Russie qui a pointé les méthodes de travail « primitives » de cette organisation.
Les États-Unis, la République de Corée et le Japon ont jugé au contraire que sa présence était justifiée. Étant donné que la Russie a posé son veto au renouvellement du mandat du Groupe d’experts assistant le Comité des sanctions contre la RPDC, nous devons obtenir des informations ailleurs, a fait observer le Royaume-Uni.
NON-PROLIFÉRATION: RÉPUBLIQUE POPULAIRE DÉMOCRATIQUE DE CORÉE
Exposés
Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques, a déclaré que la République populaire démocratique de Corée (RPDC) s’emploie activement à acquérir de nouvelles capacités militaires, conformément au plan de développement militaire quinquennal qu’elle a dévoilé en janvier 2021. En 2024, ce pays a lancé un missile balistique intercontinental, 4 missiles balistiques à portée intermédiaire et plusieurs missiles balistiques à courte portée. Il a également tenté de lancer un satellite de reconnaissance militaire. De plus, certains éléments indiquent que la RPDC continue de poursuivre activement son programme nucléaire, s’est alarmée Mme DiCarlo. En septembre, les médias d’État de la RPDC ont fait état de l’inspection d’une « base d’enrichissement d’uranium » par le dirigeant du pays. Cela semble corroborer les informations antérieures sur l’existence d’une deuxième usine d’enrichissement d’uranium, qui n’a pas encore été déclarée, à Kangson, en plus de celle de Yongbyon.
En outre, le 20 novembre, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a indiqué avoir constaté que le réacteur de cinq mégawatts de Yongbyon n’était pas en service entre mi-août et mi-octobre. Selon les experts de l’AIEA, cet intervalle aurait permis de recharger le réacteur et de démarrer son septième cycle opérationnel. En novembre de cette année, la RPDC a également exposé ouvertement ses systèmes de lancement d’armes lors d’une exposition à Pyongyang, dont le dernier missile balistique intercontinental à combustible solide « Hwasong-19 », lancé pour la première fois le 31 octobre. « Ce missile a établi de nouveaux records de longueur de vol et d’altitude pour le lancement d’un missile balistique intercontinental de la RPDC », a précisé la haute fonctionnaire, en expliquant que leur fabrication viole les résolutions pertinentes du Conseil. Leur exposition ouverte démontre que la RPDC est loin de ralentir son programme de missiles balistiques. Alors que nous approchons de 2025, dernière année du plan militaire quinquennal actuel de la RPDC, la Secrétaire générale adjointe a réitéré ses appels pour que la RPDC se conforme pleinement à ses obligations internationales en vertu du régime de non-prolifération.
Mme DiCarlo s’est ensuite penchée sur le renforcement de la coopération militaire de Pyongyang avec la Fédération de Russie. Elle a indiqué que selon les médias, depuis 2023, la RPDC lui a transféré plus de 13 000 conteneurs de munitions, de missiles et d’artillerie. Ces derniers comprennent des canons automoteurs de 170 mm et des systèmes de roquettes multiples de 240 mm. Les forces russes auraient également utilisé des missiles balistiques à courte portée de la RPDC pour frapper l’Ukraine, a relaté Mme Di Carlo. En outre, « et toujours selon les médias », plus de 10 000 soldats en provenance de la RPDC ont été envoyés en Fédération de Russie depuis octobre, où ils ont reçu une formation et des équipements. D’après des responsables américains et ukrainiens, ils sont actuellement déployés dans la région de Koursk en Russie, où ils combattent aux côtés des forces russes. Bien que l’ONU n’ait pas été en mesure de vérifier ces allégations, elles sont préoccupantes, a signalé la haute fonctionnaire qui a appelé tous les acteurs concernés à s’abstenir de toute mesure susceptible de conduire à une propagation et à une intensification de la guerre en Ukraine.
Bien que le Conseil de sécurité n’ait pas renouvelé le mandat du Groupe d’experts du Comité créé en vertu de la résolution 1718 (2006) , le régime de sanctions contre la RPDC et le Comité restent en place, a rappelé Mme DiCarlo. Conformément aux resolutions du Conseil, ce pays doit cesser d’exporter des armes et du matériel connexe, et tous les États Membres interdire à leurs ressortissants de se les procurer.
Enfin, la Secrétaire générale adjointe s’est déclarée profondément préoccupée par les tensions croissantes dans la péninsule coréenne, aux ramifications de plus en plus mondiales. Il est impératif que le Conseil agisse de manière décisive pour faire respecter le régime de non-prolifération et les normes internationales. À cet égard, elle a salué la volonté et les offres d’engager un dialogue avec la RPDC sans conditions préalables. Enfin, le Conseil doit également rester attentif à la situation humanitaire en RPDC. Nous réitérons l’appel lancé à la RPDC pour qu’elle accélère le retour de l’équipe de pays des Nations Unies et à la communauté internationale pour renforcer le soutien à sa population et faire progresser le Programme 2030.
M. JONAH LEFF, Directeur exécutif de Conflict Armament Research (CAR), a indiqué que son organisation documente et trace les armes et leurs composants utilisés dans les conflits à travers le monde afin d’aider les États à lutter contre le détournement et la prolifération. En janvier dernier, une équipe d’enquête sur le terrain de CAR a ainsi physiquement documenté les restes d’un missile balistique qui avait frappé Kharkiv, notamment son moteur-fusée, sa queue et près de 300 composants internes, fabriqués par 26 entreprises de huit pays et territoires. Sur la base de ces observations, CAR a déterminé que ce missile était de la famille Hwasong-11, fabriquée en RPDC en 2023, a précisé l’intervenant, ajoutant que, les jours suivants, ses équipes ont inspecté trois autres missiles identiques de la RPDC qui ont frappé Kyïv et Zaporizhzhia.
Après avoir rappelé que les résolutions 1718 (2006), 1874 (2009) et 2270 (2016) du Conseil interdisent aux États Membres de l’ONU de se procurer des armes ou du matériel connexe auprès de la RPDC et interdisent à la RPDC d’exporter ce matériel, M. Leff a souligné que les conclusions de son organisation sur l’origine des missiles inspectés ont été confirmées par le Groupe d’experts dont le mandat n’a pas été renouvelé en raison d’un veto de la Russie. Il a ajouté que, deux mois après son exposé au Conseil en juin, l’équipe de CAR en Ukraine a documenté des restes supplémentaires de quatre missiles qu’elle a également attribués à la RPDC. Notant que l’un de ces missiles portait des marques indiquant une production de missiles en 2024, il y a vu la première preuve publique que des missiles ont été produits en RPDC puis utilisés en Ukraine en l’espace de quelques mois.
Selon l’expert, ces dernières analyses de terrain de CAR confirment l’utilisation continue en Ukraine de missiles balistiques nord-coréens fraîchement fabriqués. De plus, la découverte d’une marque de production de 2024 sur l’un des missiles révèle une très courte période entre la production de ces missiles balistiques, leur transfert et leur utilisation éventuelle en Ukraine, a-t-il poursuivi. Enfin, la présence de composants non nationaux récemment produits parmi les restes de missiles illustre le solide réseau d’acquisition de la RPDC pour son programme de missiles balistiques, malgré les sanctions de l’ONU interdisant le transfert de ce matériel à des fins militaires. Sur ce dernier point, M. Leff a relevé qu’aucun de ces composants n’a été fabriqué en RPDC. D’après lui, cela met en évidence la dépendance de la RPDC à l’égard des composants fabriqués à l’étranger pour soutenir son programme de missiles national.
CAR a également recensé environ 200 drones et missiles non nord-coréens qui ont été utilisés contre l’Ukraine, constitués de milliers de composants. Parmi ces composants, a expliqué l’intervenant, la grande majorité portent des marques d’entreprises basées en Europe, au Japon ou aux États-Unis. CAR a pu établir que ces composants trouvés dans les restes de systèmes d’armes utilisés contre l’Ukraine proviennent de fournitures de distributeurs tiers principalement basés en Asie de l’Est. Qualifiant ces informations de cruciales pour les États Membres et l’industrie, M. Leff a constaté que la prolifération et l’utilisation de missiles de la RPDC conduisent à une nouvelle érosion des régimes mondiaux de non-prolifération, et ce, malgré près de deux décennies de sanctions contre ce pays.
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