Conseil de sécurité: après la chute du régime Assad, l’Envoyé spécial Pedersen dit entendre « des espoirs » et « craintes »
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Lors de la première séance du Conseil de sécurité se tenant après la chute du régime d’Assad, il y a seulement 11 jours, l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie a fait un premier bilan après avoir rencontré des acteurs syriens sur le terrain. Ceux-ci expriment « des espoirs et des craintes », a noté M. Geir Pedersen tout en voyant « un grand espoir que la Syrie ait maintenant une réelle chance d’avancer vers la paix, la stabilité économique et la croissance ». Toutefois, « ce qui n’a pas changé, c’est l’ampleur de la crise humanitaire », a relevé le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, M. Thomas Fletcher, intervenant également en direct de Damas.
« Après la chute du régime Assad qui régnait sur la Syrie depuis 54 ans, la Syrie est confrontée à une toute nouvelle réalité », a reconnu M. Pedersen en prévenant que si la situation n’est pas gérée correctement -tant par les Syriens que par la communauté internationale-, un nouveau tournant vers le pire est possible. L’Envoyé spécial a fait le point sur les autorités maintenant en charge du pays, tant sur le plan politique que militaire, avant de signaler que des hostilités importantes ont eu lieu au cours des deux dernières semaines, avant un cessez-le-feu négocié entre la Türkiye et les États-Unis le long de l’Euphrate.
« Israël doit cesser toute activité de colonisation dans le Golan syrien occupé, et les attaques contre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie doivent cesser », a notamment plaidé le haut fonctionnaire pour qui « le conflit n’est pas encore terminé ». D’où son appel à se focaliser sur la protection des civils, la désescalade vers un cessez-le-feu national et des efforts renforcés pour résoudre les tensions entre les factions militaires.
Inclusivité et justice transitionnelle: des conditions sine qua non
La transition politique nécessite un processus intrasyrien inclusif, a-t-il été noté de façon unanime, avec une nouvelle constitution et la tenue d’élections libres et équitables, ouvertes à tous les Syriens, comme le prévoit la résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité. L’Envoyé spécial a attiré l’attention sur les femmes syriennes, qui « doivent faire partie de la transition, faute de quoi celle-ci ne pourra être considérée comme inclusive ».
Au vu de la réalité des prisons syriennes, dont M. Pedersen a été témoin, beaucoup ont rappelé le rôle central de la justice transitionnelle, qui est la meilleure garantie contre les actes de vengeance. « La justice transitionnelle et la justice tout court sont aujourd’hui un impératif pour s’assurer que les crimes du régime ne restent pas impunis », a plaidé pour sa part le Président de la Commission syrienne de négociation, M. Bader Jamous, qui a appelé à établir une assemblée constituante pour élaborer une nouvelle constitution, avant d’organiser un référendum pour adopter la constitution et d’organiser des élections générales.
M. Jamous a aussi recommandé la mise en place d’un fonds de soutien afin d’accompagner les anciens détenus et les familles des martyrs de la révolution, ainsi que les réfugiés et les déplacés voulant rentrer chez eux.
La crise humanitaire, un défi urgent
L’autre défi majeur en Syrie est l’ampleur des besoins en Syrie, sachant que l’économie syrienne est ravagée, que ses infrastructures sont détruites et que 90% des Syriens vivent dans la pauvreté, a encore noté M. Pedersen, un constat fait par M. Fletcher, qui est Coordonnateur des secours d’urgence, et les autres intervenants. En plus de l’aide humanitaire, des appels ont été lancés à la communauté internationale pour qu’elle soutienne le développement économique et la reconstruction du pays, ce qui passe par la levée des sanctions.
La première étape à laquelle s’attelle le Coordonnateur des secours d’urgence est la publication d’un document sur les besoins critiques de financement dans le secteur humanitaire pour les trois prochains mois. C’est pour adapter la réponse humanitaire aux nouvelles conditions que M. Fletcher s’est lui-même rendu en Syrie où près de 13 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Il a noté que plus d’un million de personnes ont été déplacées en moins de deux semaines, alors même que la Syrie était déjà l’une des plus grandes crises humanitaires au monde, avec 17 millions de personnes dans le besoin, soit plus de 70% de la population.
M. Fletcher a expliqué s’être rendu sur le terrain également afin de veiller à ce que la communauté humanitaire ait les meilleures conditions possibles pour travailler. L’ONU a ainsi reçu l’assurance des autorités qu’elles faciliteront la circulation du personnel et des fournitures humanitaires en provenance des pays voisins, notamment de Türkiye, du Liban, de Jordanie et d’Iraq, ce qui inclut les voies d’accès aux zones contrôlées par d’autres parties dans le nord-est.
Au Conseil de sécurité, M. Fletcher a demandé « un message fort selon lequel le droit international humanitaire doit être respecté, y compris pendant les hostilités ». Il a aussi réclamé « plus d’argent », expliquant que l’appel humanitaire 2024 pour la Syrie –le plus grand appel national au monde– est aussi l’un des moins soutenus: il est financé à moins du tiers.
Une occasion unique de corriger les erreurs du passé
« L’histoire se répète, mais elle nous donne rarement l’occasion de corriger nos erreurs […], alors saisissez cette chance qui vous est offerte », a lancé aux membres du Conseil de sécurité la cinéaste Waad al-Kateab, une militante qui a réchappé au régime Assad. Devenue réalisatrice de films et cofondatrice de la fondation Action for Sama, elle a dit avoir parcouru le monde avec son film For Sama pour faire connaître l’histoire des Syriens. Selon elle, la chute du régime Assad ne marque pas la fin de leur lutte, mais plutôt le début d’un nouveau chapitre. C’est pour cela qu’elle a demandé au Conseil d’agir conformément à la résolution 2254 et d’aider les Syriens à réaliser une véritable transition politique inclusive. « Le temps des excuses est révolu, le temps de l’action est venu. »
Pour la France, c’est aussi le temps de la réconciliation et de la reconstruction après des années de répression brutale, de souffrances et de fracturations profondes en Syrie. La délégation a appelé à la plus grande vigilance s’agissant de la dissémination des armes, en particulier celles issues du programme chimique syrien. La chute du régime de Bashar Al-Assad offre l’opportunité historique de détruire ces armes chimiques, a-t-elle plaidé, avant d’interpeller les nouvelles autorités de facto pour qu’elles coopèrent avec l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).
Une transition à mener par les Syriens, mais avec l’aide de tous
Suivant la tendance générale observée au cours de la séance, les États-Unis ont affirmé que « c’est aux Syriens d’écrire ce nouveau chapitre », dans l’esprit de la résolution 2254. La délégation américaine a appelé à un soutien financier supplémentaire pour les instances onusiennes et les organisations d’aide, notamment au Fonds d’affectation pour le relèvement de la Syrie. La Suisse a promis qu’elle allait continuer à mettre Genève à disposition pour les pourparlers ou initiatives de paix sous l’égide de l’ONU et de son Envoyé spécial.
Pour la délégation du Royaume-Uni, comme pour moult intervenants ce matin, la chute d’Assad ne signifie pas que la situation sécuritaire en Syrie va automatiquement s’améliorer. Il faut donc rester attentif à la menace d’une résurgence de Daech.
Prudence donc, face aux différentes menaces à gérer
Autre menace, le projet d’Israël d’étendre ses colonies sur les hauteurs du Golan occupé, contrairement à ses obligations en vertu des Conventions de Genève et de la résolution 497 (1981) du Conseil de sécurité, a inquiété la République de Corée. Dans la même veine, la délégation russe a accusé Israël qui, sous le prétexte de légitime défense et de maintien de la sécurité, mène une opération à grande échelle pour détruire la défense syrienne. La Fédération de Russie a en effet évoqué pas moins de 500 raids aériens depuis le 8 décembre, dénonçant aussi l’invasion terrestre du Golan syrien occupé par les troupes israéliennes, qui constitue selon elle une attaque ouverte contre la souveraineté et l’intégrité du territoire syrien.
Face aux changements dramatiques en Syrie, nous pensons qu’il est prématuré de faire des prévisions optimistes ou de parler sérieusement de l’amélioration de la situation humanitaire des populations, a tempéré la Russie en ironisant sur ceux qu’on appelle les « donateurs traditionnels »: vont-ils maintenant être guidés par les principes d’humanité et d’impartialité concernant le dossier syrien, ou alors continuer comme avant la pratique de sanctions étranglant la population syrienne?
Le groupe des A3+ (Algérie, Guyana, Mozambique et Sierra Léone) a aussi interpellé les donateurs qui doivent mobiliser un financement adéquat pour le Plan de réponse humanitaire en Syrie. Pour sortir de son histoire marquée par la violence, la Syrie ne doit pas être le théâtre de rivalités entre puissances extérieures, ont averti les A3+ qui ont aussi insisté sur le fait que le retour des Syriens dans leurs foyers doit être volontaire, sûr et digne. La Chine, qui s’est également insurgée contre les frappes aériennes en Syrie et les incursions israéliennes dans le Golan syrien, a souligné que les pays de la région doivent jouer un rôle constructif pour la stabilisation de la situation en Syrie.
La stabilité de la région en cause
À cet effet, les plus proches voisins de la Syrie ont également transmis un message d’espoir au Conseil. L’Iraq a ainsi appelé à construire un État stable et prospère, plaidant pour l’élaboration d’une feuille de route claire. Celle-ci doit encadrer un processus politique pacifique garantissant la participation effective de toutes les forces syriennes. Pour la délégation iraquienne, la stabilité de la Syrie fait partie intégrante de celle de la région, ce qui exige que la communauté internationale soutienne plus fortement le peuple syrien. La délégation a appelé la communauté internationale à agir de manière ferme en condamnant les violations israéliennes de la souveraineté syrienne. Elle a souligné la nécessité de respecter l’accord de désengagement de 1974 et d’assurer la pérennité de la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement (FNUOD) pour son rôle vital.
Selon la Türkiye, l’essor de la Syrie passe par un plan de redressement global, soutenu par l’aide et les ressources internationales, afin d’atténuer les souffrances, de reconstruire les infrastructures et de créer les conditions d’un retour sûr, volontaire et digne des millions de Syriens déplacés. La Türkiye a déjà réactivé son ambassade à Damas et estime que la Syrie ne doit pas devenir un refuge pour les groupes terroristes en cette période de transition. Pour la délégation, en particulier le PKK/YPG, les soi-disant « FDS » et leurs affiliés, restent une grave menace, non seulement pour l’unité et la sécurité de la Syrie, mais aussi pour la sécurité de la Türkiye et de la région. Selon elle, si le processus de transition doit être dirigé et contrôlé par les Syriens, il ne peut en aucun cas inclure ces groupes dont les actions sapent l’intégrité territoriale et la stabilité de la Syrie.
L’avenir de la Syrie doit être décidé uniquement par son peuple, sans ingérence ni imposition extérieure, a aussi martelé la République islamique d’Iran. Elle a jugé essentiel que le processus politique soit inclusif, dirigé et contrôlé par les Syriens, facilité par l’ONU et fondé sur le cadre de la résolution 2254 (2015). Selon elle, le maintien des institutions gouvernementales syriennes est donc essentiel à la stabilité et à la fondation d’une solution politique inclusive.
A contrario, a-t-elle dit, l’effondrement des institutions risque d’entraîner une fragmentation supplémentaire, des souffrances humanitaires et une exploitation par les extrémistes. Sans les efforts et les sacrifices décisifs de l’Iran et du Hezbollah, la Syrie aurait pu tomber entièrement sous le contrôle de Daech et de ses groupes terroristes affiliés, leur influence pouvant même s’étendre au Liban, a argué l’Iran. La délégation a condamné fermement les violations continues par Israël de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Syrie. La délégation a accusé « le régime d’occupation israélien » d’exploiter la situation actuelle en Syrie pour poursuivre ses objectifs politiques et détruire l’infrastructure syrienne. L’aide immédiate doit être priorisée et les sanctions unilatérales contre la Syrie doivent être levées, a-t-elle encore demandé.
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LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Exposés
M. GEIR PEDERSEN, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, qui intervenait par visioconférence de Damas pour la première fois depuis sa prise de fonctions, a noté d’emblée qu’« après la chute, en l’espace de deux semaines, du régime Assad qui régnait sur la Syrie depuis 54 ans, la Syrie est confrontée à une toute nouvelle réalité ». Après avoir réitéré ses sincères condoléances aux centaines de milliers de Syriens qui ont perdu des êtres chers au cours du conflit, et sa solidarité avec les millions de personnes qui ont été déplacées, exilées, détruites, détenues, victimes d’abus, de souffrances et de pertes au cours du conflit, mais aussi pendant des décennies sous l’ancien régime, M. Pedersen a également exprimé sa solidarité avec les familles ayant des proches disparus.
À peine 11 jours depuis la chute de l’ancien régime, l’Envoyé spécial a déjà rencontré tout un éventail d’acteurs syriens qui expriment des espoirs et des craintes. Il y a un grand espoir que la Syrie ait maintenant une chance réelle d’avancer vers la paix, la stabilité économique et la croissance, l’inclusion de tous les Syriens, la responsabilité et la justice, a-t-il relevé. Toutefois, nombreux sont ceux qui appréhendent l’avenir car les défis à relever sont énormes, a concédé M. Pedersen, craignant que, si la situation n’est pas gérée correctement -tant par les Syriens que par la communauté internationale-, un nouveau tournant vers le pire soit possible.
À Damas, une autorité intérimaire a pris le pouvoir, installée par la direction du Commandement des opérations militaires -la coalition armée dominante en Syrie, qui est dirigée par Hay’at Tahrir el-Cham (HTS) et son commandant Ahmed al-Sharaa-, a rappelé le haut fonctionnaire. Jusqu’à présent, ce gouvernement intérimaire est composé de ministres du Gouvernement de salut syrien, qui a été l’autorité dirigeante de facto à Edleb pendant quelques années, sous la direction du Premier Ministre Mohammed al-Bashir. Parallèlement, des groupes d’opposition armés opèrent en dehors du Commandement des opérations militaires - par exemple, certaines parties de l’Armée nationale syrienne, dont la plupart agissent sous les auspices de la Coalition nationale syrienne, un parti d’opposition. En outre, le nord-est, ainsi que certains quartiers de la ville d’Alep, reste sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les États-Unis.
M. Pedersen a aussi relaté que des hostilités importantes ont eu lieu au cours des deux dernières semaines, avant qu’un cessez-le-feu ne soit négocié entre la Türkiye et les États-Unis le long de l’Euphrate. Le cessez-le-feu de cinq jours ayant expiré, l’Envoyé spécial s’est dit préoccupé par les rapports d’escalade militaire « qui pourrait être catastrophique ». De plus, dans le sud-ouest, la Force des Nations Unies chargée d'observer le désengagement (FNUOD) continue d’observer le déploiement des Forces de défense israéliennes à plusieurs endroits, y compris à proximité de la ligne Bravo. « Israël doit cesser toute activité de colonisation dans le Golan syrien occupé, qui est illégale, et les attaques contre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie doivent cesser. »
Le conflit n’est pas encore terminé, a rappelé M. Pedersen en exhortant à la protection des civils, à une désescalade vers un cessez-le-feu national, et à plus d’efforts pour résoudre les tensions entre les factions militaires. Un autre défi majeur est l’ampleur des besoins en Syrie, sachant que l’économie syrienne est ravagée, que ses infrastructures sont détruites et que 90% des Syriens vivent dans la pauvreté. Ces défis titanesques nécessiteront le soutien de tous, au-delà de l’aide l’humanitaire: une aide en termes de développement économique et de reconstruction, et un processus visant à aborder les sanctions et à y mettre un terme. Le troisième défi identifié par M. Pedersen est d’ordre politique. « Le peuple syrien a fait tant de sacrifices pour pouvoir déterminer son propre avenir et réaliser ses aspirations légitimes », qu’il faut veiller à ce que le processus politique reste sur les rails, au risque d’une nouvelle instabilité.
L’Envoyé spécial a dit avoir rejoint, avant de se rendre à Damas, des représentants du Groupe de contact arabe sur la Syrie, ainsi que des ministres et des représentants de Bahreïn, de la France, de l’Allemagne, du Qatar, de la Türkiye, des Émirats arabes unis, du Royaume-Uni, des États-Unis et de l’Union européenne. Les participants à cette réunion ont exprimé leur conviction que le processus politique de transition doit être mené par les Syriens et leur appartenir, et qu’il doit déboucher sur un gouvernement inclusif, non sectaire et représentatif, formé dans le cadre d’un processus transparent fondé sur les principes énoncés dans la résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité. D’après M. Pedersen, s’il est largement admis que cette résolution ne peut pas, dans les nouvelles circonstances, être appliquée de manière mécanique, ses principes fondamentaux font l’objet d’un large consensus syrien. La résolution 2254 identifie deux parties, dont l’une a été renversée et ne peut plus participer au processus, mais la transition politique nécessite un processus intrasyrien inclusif.
M. Pedersen a pris note des efforts déjà déployés en faveur d’une transition ordonnée permettant de préserver les institutions de l’État qui servent leurs intérêts et leur fournissent des services essentiels: des ministres de l’ancien gouvernement ont été maintenus pour transférer le pouvoir et les employés de l’État ont été invités à poursuivre leur travail. « Il s’agit là d’une première base solide », mais ce n’est pas suffisant en soi, selon lui. La transition doit également être crédible et inclusive, en incluant le plus large spectre de la société syrienne et des partis syriens, afin d’inspirer la confiance de l’opinion publique. Il faut une nouvelle constitution et il faut organiser des élections libres et équitables, ouvertes à tous les Syriens, comme le prévoit la résolution 2254, conformément aux normes internationales, a énuméré l’Envoyé spécial.
Il a dit avoir pu discuter en profondeur de tous ces éléments à Damas où il a rencontré le commandant de la nouvelle administration, M. Ahmed al-Sharaa, et le Premier Ministre des autorités intérimaires, M. Mohammed al-Bashir, ainsi que des représentants de la Commission syrienne de négociation, y compris des groupes armés, et des représentants de la société civile syrienne et des femmes. M. Pedersen a insisté sur le fait que les femmes syriennes veulent obtenir l’assurance que leur statut et leurs droits seront respectés et renforcés dans le cadre de tout accord transitoire. « Elles doivent faire partie de la transition elle-même, faute de quoi celle-ci ne peut être considérée comme inclusive. »
En outre, après avoir vu de ses propres yeux la réalité des prisons syriennes, il a rappelé le rôle central de la justice transitionnelle, y voyant la meilleure garantie contre les actes de vengeance. « Sans cela, la Syrie et les Syriens ne pourront pas guérir », et pour cela, la première étape urgente est la protection des preuves et du matériel, ainsi que des sites de fosses communes, a-t-il recommandé.
M. THOMAS FLETCHER, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, lui aussi en visioconférence depuis Damas, a affirmé qu’en dépit des développements spectaculaires en Syrie au cours des trois dernières semaines, « ce qui n’a pas changé, c’est l’ampleur de la crise humanitaire ». La Syrie était déjà l’une des plus grandes crises humanitaires au monde, avec 17 millions de personnes dans le besoin, soit plus de 70% de la population; plus de 7 millions de personnes ont été déplacées à travers le pays et des millions d’autres Syriens vivent comme réfugiés, a-t-il dit. Il a précisé que près de 13 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, la récente escalade ne faisant qu’accroître ces besoins. En effet, plus d’un million de personnes ont été déplacées en moins de deux semaines, a signalé le Coordonnateur en informant que des centaines de civils ont été tués ou blessés, dont au moins 80 enfants.
Or, le flux de l’aide humanitaire a été gravement perturbé et la plupart des organisations humanitaires ont suspendu temporairement leurs opérations, a expliqué M. Fletcher. La situation a commencé à se stabiliser, s’est-il réjoui, témoignant avoir vu des marchés, des routes et des centres de santé rouvrir. Les enfants sont retournés à l’école et les opérations d’aide reprennent progressivement dans la plupart des centres mis en place par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), notamment à Alep, Homs et Damas. C’est pour adapter la réponse humanitaire aux nouvelles conditions qu’il s’est lui-même rendu en Syrie, a-t-il indiqué avant de promettre la publication d’un document sur les besoins critiques de financement pour les trois prochains mois.
La deuxième raison de sa visite est de veiller à ce que la communauté humanitaire ait les meilleures conditions possibles pour travailler, a-t-il encore expliqué. C’est pourquoi il a rencontré des représentants du nouveau gouvernement intérimaire, notamment le commandant de la nouvelle administration, M. Ahmed al-Sharaa, et le Premier Ministre, M. Mohammed al-Bashir, qui se sont engagés à intensifier de manière ambitieuse l’aide humanitaire vitale. L’ONU a ainsi reçu l’assurance que ces autorités faciliteront la circulation du personnel et des fournitures humanitaires en provenance des pays voisins, notamment de Türkiye, du Liban, de Jordanie et d’Iraq, aussi longtemps que les opérations humanitaires seront nécessaires. Cela inclut les voies d’accès aux zones contrôlées par d’autres parties dans le nord-est, a précisé le Coordonnateur.
Justement, l’intensification du conflit entre les acteurs du nord-est de la Syrie et ses éventuelles répercussions humanitaires sont préoccupantes et doivent entraîner des efforts urgents pour désamorcer la situation, a plaidé M. Fletcher. Il a indiqué avoir reçu des engagements concernant la délivrance de visas, de permis de travail pour les travailleurs humanitaires et les exigences d’enregistrement des ONG.
À l’endroit du Conseil de sécurité, M. Fletcher a dit attendre « un message fort selon lequel le droit international humanitaire doit être respecté, y compris pendant les hostilités ». De même, les civils et les infrastructures civiles doivent être protégés et, comme les autorités l’ont convenu, l’accès humanitaire sans entrave doit être facilité à ceux qui en ont besoin, où qu’ils se trouvent. Nous avons besoin de plus d’argent, a enfin réclamé le Coordonnateur des secours d’urgence qui a expliqué que l’appel humanitaire de cette année –le plus grand appel national au monde– est aussi l’un des moins soutenus. À seulement deux semaines de la fin de 2024, il est financé à moins du tiers, soit le plus grand déficit de financement jamais enregistré pour la réponse humanitaire en Syrie.
Il est également temps pour les États Membres de travailler au relèvement et au soutien au développement pour reconstruire la Syrie, réduire la dépendance à l’aide humanitaire et maintenir les services essentiels, a-t-il lancé. M. Fletcher a en outre appelé à lever les sanctions et les mesures antiterroristes afin qu’elles ne fassent pas obstacle aux opérations humanitaires. Il a dit qu’il se rendra ensuite à Ankara pour discuter de la crise avec le Gouvernement turc. Ensuite, il a prévu de discuter également de la crise avec les autorités du Liban et de la Jordanie qui ont accueilli si généreusement les réfugiés syriens.
Mme WAAD AL-KATEAB, réalisatrice de films et cofondatrice de la fondation Action for Sama, qui a fui la Syrie il y a huit ans avec sa fille, alors enceinte de son deuxième enfant, a dit avoir parcouru le monde avec son film For Sama pour faire connaître l’histoire des Syriens. À maintes reprises, des dirigeants, des hommes politiques et des diplomates lui auraient dit: « nous aurions aimé faire plus, nous aurions dû faire plus »; et Mme al-Kateab est venue ici pour leur dire: « aujourd’hui vous pouvez faire plus ». L’histoire se répète, mais elle nous donne rarement l’occasion de corriger nos erreurs, a-t-elle lancé aux membres du Conseil, « alors saisissez cette chance qui vous est offerte ».
La chute du régime Assad ne s’est pas faite en 11 jours ou au cours d’une bataille récente, a-t-elle affirmé. Elle est le fruit des innombrables sacrifices, luttes et pertes du peuple syrien: 13 millions de Syriens ont été chassés de chez eux, des centaines de milliers se sont noyés en mer et d’innombrables autres sont morts dans des hôpitaux et des écoles bombardés alors que des centaines de milliers ont été détenus, torturés et ont fait l’objet de disparitions forcées. « Cette chute s’est produite lorsque le peuple syrien avait tout perdu, à l’exception de sa voix, de son courage et de son espoir. » Pour Mme al-Kateab, ce moment ne marque pas la fin de leur lutte, mais plutôt le début d’un nouveau chapitre. C’est pour cela qu’elle a demandé au Conseil d’agir conformément à la résolution 2254 et d’aider les Syriens à réaliser une véritable transition politique, qui inclue tous les Syriens, de toutes les régions et de la diaspora. Cette transition doit aboutir à une nouvelle constitution et à des élections libres et équitables. Elle doit respecter les normes internationales en matière de transparence, de justice et de responsabilité, a-t-elle insisté, et cette transition ne peut se faire sans justice.
Elle a donc appelé la communauté internationale à agir, au nom des familles à la recherche de leurs proches qui méritent d’avoir accès à la vérité, à toutes les prisons, à tous les charniers et à la justice. Les bombardements doivent cesser, a-t-elle ajouté. Face aux récentes frappes israéliennes en violation flagrante du droit international, elle a demandé qu’Israël en soit tenu pour responsable. Il faut également protéger les civils, notamment dans le nord-est de la Syrie où la violence et l’instabilité continuent de dévaster des vies. Enfin, l’intervenante a plaidé pour une approche unifiée et coordonnée de toute urgence afin de construire un avenir sûr et stable pour tous les Syriens, y compris les millions de réfugiés syriens dont « l’avenir reste figé et la dignité bafouée ».
Pendant trop longtemps, on a laissé la Syrie saigner pendant que le monde débattait et hésitait, s’est indignée l’intervenante. « Pendant trop longtemps, nous avons attendu que des mesures soient prises. Le temps des excuses est révolu. Le temps de l’action est venu. »
Le Président de la Commission syrienne de négociation, M. BADER JAMOUS, a rappelé que le 8 décembre restera à jamais gravé dans la mémoire des Syriens. Il a souligné que depuis des années, le peuple syrien avait perdu foi en la communauté internationale qui l’avait abandonné. Il s’est souvenu, en tant que Président de la Commission syrienne de négociation, que le régime refusait de négocier et faisait perdurer le processus pour faire durer le statu quo. Selon lui, la justice transitionnelle et la justice tout court sont aujourd’hui un impératif pour s’assurer que les crimes du régime ne restent pas impunis.
La victoire n’aurait pas pu arriver sans le sacrifice de tous les Syriens -réfugiés, déplacés, journalistes, militants, leaders d’opposition, opposition armée, ainsi que les jeunes et les femmes de Syrie–, a-t-il souligné. Il a aussi remercié les pays ayant soutenu le peuple syrien.
Revenant à la situation d’aujourd’hui, M. Jamous a évoqué l’aspect humanitaire (80% de la population vit sous le seuil de pauvreté) pour demander la levée des sanctions afin de permettre la reconstruction du pays. Selon lui, la résolution 2254 (2015) reste le document de base pour envisager l’avenir du pays.
Dans l’immédiat, il a appelé à établir une assemblée constituante qui sera chargée d’élaborer une nouvelle constitution, avant d’organiser un référendum pour adopter la constitution et d’organiser des élections générales. Il a aussi plaidé à la mise en place d’un fonds de soutien afin d’accompagner les anciens détenus et les familles des martyrs de la révolution, ainsi que les réfugiés et les déplacés voulant rentrer chez eux. « Nous sommes déterminés à bâtir une nouvelle Syrie où régneront l’état de droit et la démocratie et où le peuple syrien prendra ses propres décisions. »