En cours au Siège de l'ONU

CS/15919

Au Conseil de sécurité, les délégations se rejettent la responsabilité de la récente escalade des hostilités dans le nord-est de la Syrie

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

La situation en Syrie, qui fait chaque mois l’objet de deux séances distinctes au Conseil de sécurité, a donné lieu cet après-midi à une réunion d’urgence tumultueuse, après les récents développements survenus ce week-end dans le nord-est du pays, où la ville d’Alep, la deuxième plus importante du pays, a été reprise par une coalition regroupant l’organisation terroriste Hay’at Tahrir el-Cham ou Organisation de libération du Levant (HTS) et des groupes d’opposition armés, dont l’Armée nationale syrienne. 

À la suite de leur contre-offensive, ces groupes contrôlent désormais de facto un territoire comptant environ 7 millions de personnes, a expliqué l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, M. Geir Otto Pedersen, lors de cette séance demandée par la Fédération de Russie, la Chine et les A3+ -Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyane.  Si entre-temps, a précisé le haut fonctionnaire, les forces gouvernementales syriennes se sont regroupées et ont établi des lignes défensives, « au moment où je vous parle, celles-ci sont mises à rude épreuve ».  HTS et les groupes d’opposition armés gagnent du terrain, avancent au plus près de Hama, une grande ville d’environ un million d’habitants, a mis en garde le haut fonctionnaire. 

Parallèlement, a poursuivi M. Pedersen, la violence a éclaté sur un deuxième front, avec le lancement par l’Armée nationale syrienne d’une opération le 30 novembre sur Tell Rifaat, une poche au nord d’Alep placée sous le contrôle de facto des forces affiliées aux Forces démocratiques syriennes (FDS).  En réponse, les FDS déployées dans le nord-est de la Syrie se sont rapidement déplacées pour se connecter à ces poches. L’Armée nationale syrienne a désormais largement vaincu ces forces dans ces zones, avec une évacuation à grande échelle de combattants et de dizaines de milliers de civils vers le nord-est de la Syrie, a indiqué M. Pedersen. 

Pour le délégué syrien, l’ampleur et la portée de l’attaque menée par ces organisations terroristes démontrent sans équivoque l’étendue du soutien qui leur est apporté par des acteurs régionaux et internationaux, qui ont instrumentalisé le terrorisme comme un outil de leur politique étrangère contre Damas.  « Elle n’aurait pu être menée sans le feu vert conjoint turco-israélien », a-t-il accusé.  De son côté, la Fédération de Russie, qui a reconnu prêter à la Syrie un renfort aérien, a largement imputé la responsabilité de l’escalade récente aux États-Unis et à leurs alliés, qui soutiendraient les terroristes, suivie sur ce point par la République islamique d’Iran.  Une allégation balayée par la délégation américaine, qui a rappelé que Washington considère HTS comme une organisation terroriste. 

En début de séance, la délégation russe, scandalisée par l’invitation faite à une « ONG odieuse », a demandé que la participation du Directeur des Casques blancs à cette séance soit mise aux voix.  Grâce à 11 voix pour, 2 contre (Chine et Fédération de Russie) et 2 abstentions (Algérie et Mozambique), M. Raed Al Saleh a pu s’exprimer au cours de cette séance, revêtu de l’uniforme permettant d’identifier sur le terrain les membres de cette organisation humanitaire de protection civile.  Depuis six jours, a affirmé M. Saleh, « alors que la carte du contrôle militaire a changé », les attaques brutales lancées par le régime syrien, la Russie et les milices iraniennes transfrontalières contre les civils syriens se sont intensifiées, en particulier dans les zones qui échappent à leur contrôle dans le nord-ouest de la Syrie.  « Qui pourrait penser qu’un État Membre de l’ONU et membre permanent du Conseil de sécurité participe à ce crime odieux et franchisse des milliers de kilomètres à bord de ses avions pour lancer des attaques meurtrières contre la population et détruire des hôpitaux et des installations vitales? » a dénoncé cet intervenant, en faisant référence à la Russie. 

La Türkiye a pour sa part blâmé la « réticence de Damas » à s’engager dans un processus politique avec l’opposition comme la cause première de la crise actuelle. Pour cette délégation, l’erreur consistant à sous-traiter la lutte contre l’État islamique à une autre organisation terroriste, « les prétendues Forces démocratiques syriennes », doit cesser.  « Cette entité séparatiste n’est ni syrienne, ni démocratique; ce n’est rien d’autre que le PKK/YPG lui-même, soit une organisation terroriste séparatiste », contre laquelle la Türkiye n’hésitera pas à prendre les mesures qui s’imposent pour se protéger, a-t-elle dit. 

Pour l’Envoyé spécial, la crainte principale porte sur les conséquences que pourrait avoir sur la prestation de services à Alep le fait que des « entités désignées » administrent désormais une ville de 2 millions d’habitants.  Un fait particulièrement préoccupant qui rend donc d’autant plus crucial selon lui le renouvellement, par le Conseil de sécurité, de l’exception humanitaire prévue par sa résolution 2664 (2022).  Devant l’« énorme incertitude » qui pèse sur la situation actuelle sur le terrain, M. Pedersen a considéré que le chemin de la désescalade doit s’orienter vers un horizon politique crédible pour le peuple syrien, car le « patchwork d’accords de cessez-le-feu » convenus en 2019 et 2020 ne relève jamais que d’une gestion insuffisante du conflit.  Statu quo intenable pour l’Algérie, qui, s’exprimant au nom des A3+, a plaidé pour que la recherche d’une solution durable aille de pair avec une coordination renforcée de la lutte contre le terrorisme. 

Les affrontements actuels nous rappellent brutalement qu’un « conflit gelé » n’est pas la paix, a argué le Royaume-Uni, et que seul un règlement politique mené et contrôlé par les Syriens eux-mêmes permettra d’y mettre fin. Pour la délégation britannique, ce sont le « régime d’Assad » et ses soutiens russes et iraniens qui ont créé les conditions de l’escalade actuelle par leur refus persistant de s’engager dans le processus politique.  « Tous les acteurs du conflit doivent soutenir et participer de manière constructive aux négociations, comme l’exige la résolution 2664 (2022) », a-t-elle tranché. 

Quant à la République islamique d’Iran, elle a demandé la tenue d’une séance d’urgence des Ministres des affaires étrangères participant au processus d’Astana afin d’élaborer une stratégie unifiée pour mettre un terme aux activités terroristes dans le pays.  Le Liban, qui a pris la parole au nom du Groupe des États arabes, a exprimé son soutien à la Syrie face à l’État islamique, au Front el-Nosra et aux entités et groupes qui leur sont affiliés, condamnant les actes d’agression répétés d’Israël à son encontre et l’occupation israélienne continue du Golan syrien. 

LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT

Déclarations

M. GEIR PEDERSEN, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, a déclaré que, la semaine dernière, des changements spectaculaires s’étaient produits sur les lignes de front en Syrie, modifiant radicalement le statu quo en place depuis plus de quatre ans.  Une vaste portion du territoire est passée sous le contrôle d’acteurs non étatiques, notamment l’organisation terroriste Hay’at Tahrir el-Cham ou Organisation de libération du Levant (HTS), inscrite sur la liste des sanctions du Conseil de sécurité, et des groupes d’opposition armés, dont l’Armée nationale syrienne.  Ces groupes contrôlent désormais de facto un territoire comptant environ 7 millions de personnes, dont Alep –la deuxième plus grande ville de Syrie.

Ainsi, le 27 novembre, la « salle d’opérations conjointes Al-Fatah al-Mubin » –une coalition regroupant à la fois HTS et des groupes d’opposition armés– a lancé une opération terrestre, soutenue par des drones, à travers les lignes de désescalade convenues, prenant de facto le contrôle de la quasi-totalité des provinces d’Alep et d’Edleb.  Les forces gouvernementales syriennes se sont depuis regroupées et ont établi des lignes défensives à Hama, repoussant certains combattants, a précisé le haut fonctionnaire.  « Mais au moment où je vous parle, ces lignes sont mises à rude épreuve, HTS et les groupes d’opposition armés gagnant du terrain, avançant au plus près de Hama, une grande ville d’environ un million d’habitants. » 

Les frappes aériennes progouvernementales se sont intensifiées ces derniers jours, sur des cibles militaires et civiles, y compris des infrastructures civiles telles que des hôpitaux, causant des victimes civiles, a poursuivi l’Envoyé spécial.  Et au fur et à mesure de leur progression, HTS et les groupes d’opposition armés tiraient des barrages de drones et de roquettes, provoquant des victimes civiles à Alep et également à Hama. 

Entre-temps, a poursuivi M. Pedersen, la violence a éclaté sur un deuxième axe, avec le lancement par l’Armée nationale syrienne (ANS) d’une opération le 30 novembre sur Tell Rifaat, une poche au nord d’Alep placée sous le contrôle de facto des forces affiliées aux Forces démocratiques syriennes (FDS). En réponse, les FDS déployées dans le nord-est de la Syrie se sont rapidement déplacées pour se connecter à ces poches.  L’ANS a désormais largement vaincu ces forces dans ces zones, avec une évacuation à grande échelle de combattants et de dizaines de milliers de civils vers le nord-est de la Syrie, a expliqué M. Pedersen.

Ce matin, les FDS ont repris aux forces gouvernementales le contrôle de sept villages à Deïr el-Zor, invoquant une menace imminente de l’État islamique, avec apparemment le soutien militaire de la coalition internationale dirigée par les États-Unis.  Les hostilités entre l’ANS et les FDS se sont intensifiées sur la ligne de front du nord-est, des informations faisant état d’une escalade des tensions près de Manbej aujourd’hui.  Des frappes aériennes israéliennes ont touché la frontière syro-libanaise cette semaine, ainsi que Damas aujourd’hui. 

Le Gouvernement syrien a déclaré son intention de rétablir son contrôle sur l’ensemble des territoires syriens, avec le soutien de la Russie et de l’Iran, qui ont affirmé que ces attaques constituaient une violation des accords d’Astana et accusant également les forces extérieures.  De leur côté, l’opposition syrienne et les institutions affiliées ont initialement présenté l’opération comme un moyen de dissuader ce qu’elles ont qualifié d’« escalade » de la part des forces gouvernementales syriennes contre les civils et de permettre le retour des personnes déplacées.  Depuis, elles ont affirmé que l’opération se poursuivrait jusqu’à ce que le gouvernement s’engage dans un processus politique pour mettre en œuvre la résolution 2254, a noté M. Pedersen. Pour la Türkiye, qui a qualifié les événements de « réponse aux violations répétées des accords d’Astana », et qui nie toute implication, Damas doit se réconcilier à la fois avec son peuple et avec l’opposition politique légitime de la Syrie, a relevé l’Envoyé spécial. 

« Vous devez être conscient que ces développements ont provoqué des réactions différentes au sein du peuple syrien –une grave menace pour certains, un signal d’espoir pour d’autres », a déclaré le haut fonctionnaire à l’adresse des membres du Conseil.  Sa crainte principale porte sur les conséquences que pourrait avoir sur la prestation de services le fait que des « entités désignées » administrent une ville de 2 millions d’habitants.  Un fait particulièrement préoccupant qui rend donc d’autant plus crucial selon lui le renouvellement, par le Conseil de sécurité, de l’exception humanitaire prévue par la résolution 2664 (2022) du Conseil de sécurité. 

La situation actuelle, marquée par des témoignages contradictoires, est sous-tendue par une énorme incertitude quant à l’avenir immédiat et par le danger d’une nouvelle effusion de sang.  Après avoir plaidé en faveur d’une désescalade et d’un retour au calme, M. Pedersen a appelé toutes les parties à respecter leurs obligations en vertu du droit international pour protéger les civils et les infrastructures civiles et permettre un passage sûr aux Syriens fuyant la violence. 

Mais la désescalade doit s’accompagner d’un horizon politique crédible pour le peuple syrien, a analysé l’Envoyé spécial, car le « patchwork d’accords de cessez-le-feu » convenus en 2019 et 2020 ne constitue qu’une « gestion du conflit », tant qu’il ne sera pas lié à un processus politique pour résoudre la crise.  Il s’agit donc d’une situation intenable pour l’Envoyé spécial, qui a mis en garde contre le fait que de nouveaux développements dans le nord-est du pays menacent également de défaire d’autres accords de cessez-le-feu en place depuis 2019.  Si nous ne voyons pas de désescalade et une évolution rapide vers un processus politique sérieux, impliquant les parties syriennes et les principaux acteurs internationaux, » alors je crains que nous assistions à une aggravation de la crise ». 

M. RAED AL SALEH, Directeur des Casques blancs, a adressé une demande claire aux membres du Conseil de sécurité: mettre fin aux crimes infligés au peuple syrien, y compris les disparitions et déplacements forcés, les bombardements et le siège des villes.  Depuis six jours, alors que la carte du contrôle militaire a changé, les attaques brutales lancées par le régime syrien, la Russie et les milices iraniennes transfrontalières contre les Syriens se sont intensifiées, en particulier dans les zones qui échappent à leur contrôle dans le nord-ouest de la Syrie, a-t-il affirmé. 

Les Casques blancs ont répondu à 275 attaques qui ont tué 100 civils, en ont blessé 360, et déplacé des dizaines de milliers de résidents, dont la plupart sont des femmes et des enfants.  Les attaques ont délibérément visé des civils et des infrastructures vitales, des écoles, des hôpitaux et des camps de personnes déplacées, s’est indigné M. Al Saleh.  « Qui pourrait penser qu’un État Membre de l’ONU et membre permanent du Conseil de sécurité participe à ce crime odieux et franchit des milliers de kilomètres à bord de ses avions pour lancer des attaques meurtrières contre la population et détruire des hôpitaux et des installations vitales? » 

Le Directeur des Casques blancs a accusé la Russie d’avoir orchestré des attaques aériennes qui ont mis hors service quatre hôpitaux de la ville d’Edleb hier, en violation flagrante du droit international.  Il a dit avoir des preuves de cette journée barbare « qu’il n’oubliera jamais », cette journée qui a été l’une des plus sanglantes de ces dernières années.  Le régime syrien et la Russie ont tué 25 civils, dont la plupart étaient des enfants, et en ont blessé 66 autres ».   

Après le changement de l’équilibre des forces sur le terrain, les habitants de la ville d’Alep et de ses environs paient à nouveau le prix de la politique de la terre brûlée du régime et de ses alliés, qui pratiquent la punition collective au lieu de chercher une solution politique.  S’adressant aux habitants d’Alep, M. Al Saleh leur a dit: « Sachez que nous sommes à vos côtés.  Nous partageons vos craintes d’une nouvelle escalade militaire et nous cherchons à vous soutenir et à panser vos plaies. »  Il a rappelé que depuis leur création, les Casques blancs n’ont eu de cesse de soutenir le peuple syrien dans toute sa diversité.  « Nous sommes issus du peuple, pour le peuple », mais, a-t-il déploré, il nous est devenu impossible de continuer à fournir nos services dans les zones qui sont passées sous le contrôle du régime.  Au fil des ans, les Casques blancs ont perdu 313 volontaires, la majorité d’entre eux ayant été pris pour cible par le régime syrien et ses alliés, a-t-il relevé. 

Face à l’ampleur de cette crise, le Directeur a appelé le Conseil de sécurité à agir immédiatement et de manière décisive, à prendre des mesures concrètes pour protéger les civils et mettre fin aux attaques contre les installations vitales, les travailleurs humanitaires et les premiers intervenants. Les violations continues du droit international humanitaire, y compris la menace imminente d’attaques chimiques, doivent cesser maintenant, a-t-il martelé.  Pointant que l’escalade actuelle survient à un moment où seulement 30% du plan de réponse humanitaire pour la Syrie a été atteint, soit le niveau le plus bas depuis le début de la crise humanitaire en Syrie, M. Al Saleh a salué les ONG syriennes qui, malgré les circonstances difficiles, sont à la tête de la réponse humanitaire.  Un financement et une aide immédiats sont nécessaires pour les millions de civils touchés et le Conseil doit préserver l’accès transfrontalier afin que l’aide continue d’arriver à ceux qui en ont le plus besoin.

Le peuple syrien vous a demandé de prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux atrocités et garantir la paix, a-t-il rappelé aux membres du Conseil. Ces dernières années, la communauté internationale a laissé tomber la Syrie sur le plan politique et en termes de réponse humanitaire, a-t-il regretté, notant que les horreurs qui se déroulent aujourd’hui sont la conséquence directe de cette négligence, de l’absence d’action alors qu’elle était désespérément nécessaire.  « La Syrie a été un terrain d’essai pour l’impunité, et l’incapacité à tenir les auteurs pour responsables a eu des répercussions catastrophiques bien au-delà de nos frontières, enhardissant les acteurs en Ukraine, au Soudan et à Gaza », en a conclu le Directeur des Casques blancs. « Depuis plus de 12 ans, ce Conseil a totalement laissé tomber le peuple syrien », a-t-il insisté en exprimant l’espoir que ses paroles, aujourd’hui, ne tomberont pas à nouveau dans l’oreille d’un sourd. 

 

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