En cours au Siège de l'ONU

9792e séance - après-midi
CS/15908

Haïti: dissensions concernant la possibilité de transformer l’actuelle Mission multinationale d’appui en opération de maintien de la paix

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies et des contraintes horaires qui en résultent, l’intégralité du communiqué sera publiée ultérieurement.)

Le Conseil de sécurité s’est réuni cet après-midi, à la demande de la Chine et de la Fédération de Russie, pour débattre d’une proposition de l’Équateur et des États-Unis visant à transformer la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en Haïti en opération de maintien de la paix de l’ONU.  Plusieurs dirigeants haïtiens ont demandé cette transformation récemment et leur proposition a reçu l’appui de l’Organisation des États américains (OEA). Russie et Chine s’y sont montrées clairement opposées.

Le Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques aux Départements des affaires politiques et de la consolidation de la paix et des opérations de paix, M. Miroslav Jenča, a décrit l’aggravation de la violence dans le pays.  Il a estimé que les récents événements, notamment l’attaque des gangs sur l’aéroport de Port-au-Prince, ne relèvent pas d’une nouvelle vague d’insécurité comme les autres, mais d’une « spectaculaire escalade » aux graves conséquences humanitaires.  Ces dernières ont également été illustrées par un exposé d’un médecin haïtien, le docteur Pape, en tant que représentant de la société civile. 

C’est dans ce contexte que M. Jenča a fait remarquer que seules 400 personnes ont été déployées sur les 2 500 prévues au titre de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) autorisée en 2023 par le Conseil.  Un déploiement insuffisant qu’a aussi regretté Mme Monica Juma, Conseillère à la sécurité nationale auprès du Président du Kenya, le pays qui a pris la tête de la MMAS.  Il est urgent d’envoyer davantage d’effectifs sur le terrain, a-t-elle exhorté, appelant aussi les donateurs à financer ce déploiement.

Tant M. Jenča que Mme Juma ont donc appuyé la proposition des États-Unis et de l’Équateur de transformer la MMAS en opération de maintien de la paix des Nations Unies, comme l’ont demandé l’ancien Président du Conseil présidentiel de transition à l’Assemblée générale en septembre, puis son successeur dans une lettre au Secrétaire général.

Les États-Unis ont dit avoir entendu les dirigeants de la MMAS et du pays hôte, ajoutant qu’il était temps pour le Conseil d’agir dans l’intérêt des Haïtiens.  C’est pourquoi les États-Unis et l’Équateur sont prêts à demander au Secrétaire général des recommandations permettant au Conseil de sécurité de se pencher sur la question de cette transformation.  Le Secrétaire général de l’ONU a souhaité une redynamisation du système multilatéral des Nations Unies; Haïti est un test pour voir si le Conseil de sécurité peut répondre à cet appel à l’action, a fait valoir la représentante américaine. 

Pour les États-Unis, une opération de maintien de la paix permettrait d’obtenir des financements prévisibles et durables.  C’est pourquoi ils ont demandé aux autres membres du Conseil de ne pas bloquer une demande de rapport sur la question au Secrétaire général, même s’ils sont conscients qu’il existe des divergences profondes sur cette question.

En revanche, la Chine et la Fédération de Russie ont manifesté leur opposition.  Le représentant chinois a rappelé que son pays avait appelé le Conseil à prendre ses responsabilités en 2022 en décidant de sanctions ciblées à l’encontre des gangs.  Et le mois dernier, la Chine a soutenu la prorogation de la MMAS décidée par le Conseil de sécurité.  Or, à peine un mois après la prorogation de cette mission, certaines délégations viennent demander de la transformer en opération de maintien de la paix de l’ONU, s’est étonné le représentant qui s’est demandé si la résolution adoptée « ne valait rien » et pouvait « être modifiée d’un claquement de doigt ».  Pour la Chine, les travaux du Conseil mettent actuellement l’accent sur la promotion du déploiement rapide de la MMAS et toute discussion sur sa transformation en opération de maintien de la paix « ne ferait qu’interférer avec sa capacité à s’acquitter de son mandat et rendrait son déploiement encore plus difficile ». 

 

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LA QUESTION CONCERNANT HAÏTI

Exposés

M. MIROSLAV JENČA, Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques aux Départements des affaires politiques et de consolidation de la paix et des opérations de paix, a souligné la situation de violence extrême dans laquelle se trouve aujourd’hui Haïti.  Il a rappelé que le 11 novembre, alors qu’était élu un nouveau premier ministre –le quatrième en trois ans de transition politique, suite à l’assassinat en 2021 du Président Jovenel Moïse– des gangs armés ont attaqué l’aéroport international de Port-au-Prince.  Depuis, de nombreux transporteurs internationaux ont suspendu leurs vols.  Une situation qui limite notamment l’accès du personnel international à la capitale, a-t-il déploré. 

C’est la deuxième fois que des groupes armés tirent parti de l’instabilité politique et s’attaquent à l’aéroport pour renforcer leur emprise sur Port-au-Prince, a-t-il relevé, s’alarmant des récentes avancées stratégiques des gangs qui contrôleraient désormais 85% du territoire de la capitale.  Il a rappelé que, le 18 novembre dernier, des coalitions de gangs armés ont lancé l’assaut sur Pétion-Ville, où se trouve notamment le personnel international, onusien et diplomatique.  Plusieurs douzaines de personnes seraient mortes dans les affrontements.

Selon M. Jenča, il ne s’agit pas d’une vague d’insécurité comme les autres, mais d’une spectaculaire escalade.  Dans ce cadre, il a fait part de ses préoccupations concernant les graves conséquences humanitaires de la crise, et notamment les violations des droits humains.  Les groupes armés usent de violences extrêmes contre les populations, dont des violences sexuelles, s’est-il ému.  En outre, environ 20 000 personnes auraient été déplacées en quatre jours seulement ce mois de novembre, lesquelles s’ajoutent au total de 700 000 déplacés comptabilisés en septembre.

Le Sous-Secrétaire général a relevé que les Nations Unies ont besoin de davantage de ressources en Haïti.  Seuls 43% des 674 millions de dollars requis sont assurés, s’est-il inquiété.  S’il a salué le Conseil de sécurité pour avoir autorisé le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) et l’engagement de nombreux pays pour venir en aide à Haïti, il a fait remarquer que seules 400 personnes ont été déployées sur les 2 500 prévues.  À ce titre, il a lancé un appel aux donateurs internationaux et privés, estimant leurs contributions indispensables pour soutenir le travail de la Police nationale d’Haïti.  Toute lacune opérationnelle et tout retard supplémentaire risque d’entraîner un effondrement des institutions chargées de la sécurité et, partant, de l’autorité de l’État, a-t-il averti.

Enfin, il a appuyé la requête de transformer la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en opération de maintien de la paix de l’ONU, rappelant que l’ancien président du Conseil présidentiel de transition en a fait la demande à l’Assemblée générale en septembre, tandis que son successeur l’a réitérée auprès du Secrétaire général en octobre.  De même, il a tenu à souligner que le Conseil permanent de l’Organisation des États américains a prié le Conseil de sécurité de donner suite à ces demandes en novembre.

Mme MONICA JUMA, Conseillère à la sécurité nationale auprès du Président du Kenya, a estimé que les défis interconnectés auxquels Haïti fait face requièrent une approche multiple qui s’attaque aux causes profondes de la prolifération des gangs et de la criminalité. 

Mme Juma a salué les efforts menés par la CARICOM, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) et les partenaires locaux afin d’apporter un soutien sous forme d’aide humanitaire et au développement.  Elle a également salué les efforts du Conseil de sécurité à trouver des solutions novatrices, telles que le régime de sanctions établi par la résolution 2653 (2022), et s’est réjouie de la récente décision d’étendre ces sanctions. 

Mme Juma a également félicité pour son courage la Police nationale d’Haïti, qui a participé aux opérations conjointes de lutte antigang avec la MMAS.  Ces opérations ont permis de récupérer des infrastructures cruciales et d’acheminer l’aide humanitaire, a-t-elle souligné.  Ces succès « si fragiles » montrent toutefois que la MMAS fonctionne, a-t-elle assuré. 

Mme Juma a néanmoins regretté que le déploiement de la MMAS n’atteigne que 16%, ce qui est « trop peu ».  Il est urgent d’envoyer davantage d’effectifs sur le terrain, a-t-elle exhorté, saluant la volonté de certains pays de participer à la Mission et espérant voir les contributions arriver au plus tôt.

Le risque de l’extension des gangs est bien présent, a poursuivi la Conseillère à la sécurité nationale du Kenya.  Transformer la MMAS en opération de maintien de la paix est donc un appel d’Haïti que le Kenya soutient.  Elle a estimé que cette transformation était tout à fait possible « puisque le Conseil a adopté trois résolutions sur Haïti en trois mois », même si la transition devra se faire progressivement. 

Le Kenya est prêt à faire part de ses perspectives sur la transformation de la MMAS en mission de la paix, a assuré Mme Juma, qui a aussi lancé un appel aux contributions afin que la MNAS puisse s’acquitter de sa mission avant sa transformation en opération de paix. 

M. JEAN WILLIAMS (BILL) PAPE, Directeur du Centre Gheskio à Port-au-Prince et professeur de médecine à Weill Cornell Medical College à New York, a expliqué ses travaux en Haïti depuis la fin des années 1970 et les succès qui en ont découlé, avant de décrire la situation actuelle sur place dans son domaine de compétence.

Dans les années 1970, le médecin avait pu réduire drastiquement et en moins d’un an la mortalité infantile dans l’hôpital où il travaillait.  Le programme a ensuite été élargi au niveau national, réduisant la mortalité infantile de 50%.  Le docteur Pape a expliqué avoir également traité les premiers cas de sida en Haïti dans les années 1980.  Le sida, qui était la première cause de mortalité en Haïti, est maintenant la septième. Il a également contribué à faire diminuer les maladies cardiovasculaires.  En 2010, il a vacciné de nombreuses personnes lors de l’épidémie de choléra, ce qui a donné lieu à la modification des directives de l’Organisation mondiale de la Santé concernant l’utilisation de la vaccination contre le choléra pendant une épidémie.

« Maintenant que la capitale est entièrement coupée du pays, elle fait face à une fuite des cerveaux sans précédent et une fermeture des hôpitaux », s’est alarmé le médecin.  Il a dit avoir vu 70% du personnel de son hôpital démissionner.  « Certains ont dû quitter leur maison dans l’urgence, d’autres ont été kidnappés, y compris mon fils pendant trois mois et demi », s’est-il ému.  Il a également déploré les viols collectifs et les meurtres.  Toutefois, son équipe a mis en place un plan d’urgence qu’elle peaufine petit à petit au moyen de formations et de renforcement des liens avec la population locale. 

« Combien de temps pouvons-nous encore continuer à travailler dans ces conditions? » s’est toutefois demandé le médecin, estimant que, sans le soutien international, les progrès médicaux réalisés en Haïti seront réduits à néant. 

« Je suis là pour vous dire que la MMAS ne fonctionne pas », a finalement lancé le docteur Pape, expliquant qu’il y a trop peu d’effectifs et que la situation est différente du passé.  C’est une « tâche difficile pour les Haïtiens de demander des troupes étrangères sur leur territoire », a-t-il affirmé, mais c’est « la seule solution ».  Si rien n’est fait, nous serons face à un « génocide massif », a-t-il conclu. 

M. DAN COHEN, journaliste d’investigation, a tiré un sombre bilan de la présence des forces des Nations Unies en Haïti ces trois dernières décennies.  Il les a notamment accusées d’avoir, sous couvert de lutte contre les gangs, tué les résidents d’un bidonville, introduit le choléra ou s’être rendues responsables de viols d’enfants. 

Le journaliste a accusé les États-Unis de chercher à imposer leur volonté à Haïti en cherchant une fois de plus à laisser l’ONU « occuper » le pays. 

Évoquant le vote de la Chine et de la Fédération de Russie pour limiter à neuf mois –au lieu de 12– le mandat du Conseil de sécurité pour les formateurs de la Police nationale d’Haïti, il a estimé que la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) n’était qu’un moyen pour les États-Unis de contourner le Conseil de sécurité, lequel aurait entravé leurs objectifs interventionnistes. 

M. Cohen a également rappelé la promulgation du Global Fragility Act par l’Administration Trump en 2019, laquelle chercherait essentiellement à contenir l’influence croissante de la Chine et de la Russie dans des États dits « fragiles ».  Cette intervention suppose que le peuple haïtien est incapable de résoudre ses propres problèmes, s’est-il insurgé, dénonçant « une notion insultante ». À ses yeux, cette loi représenterait avant tout une violation de la souveraineté haïtienne en plus que de perpétuer les violences. 

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