Conseil de sécurité: le Soudan du Sud sous le feu des critiques pour le report des élections à la fin 2026
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Ce matin, le Conseil de sécurité a entendu un exposé du Représentant spécial du Secrétaire général pour le Soudan du Sud et Chef de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), M. Nicholas Haysom, sur l’évolution de la situation dans ce pays, marquée par la décision prise le 13 septembre par les parties à l’Accord revitalisé de 2018 sur le règlement du conflit d’allonger de deux ans la période de transition, et de reporter les élections.
« Une décision certes inévitable mais regrettable », selon le Représentant spécial, qui présentait le rapport trimestriel du Secrétaire général. Comme la majorité des délégations, M. Haysom a reconnu la frustration et la lassitude du peuple sud-soudanais face à ce qui s’apparente à une « paralysie politique », après que les élections initialement prévues à la fin de cette année ont été reportées à décembre 2026.
Cette décision était nécessaire en raison de contraintes financières et de problèmes logistiques, s’est défendue la représentante du Soudan du Sud.
C’est un « manque de volonté politique », s’est emportée la délégation du Royaume-Uni, à l’instar de la délégation américaine qui n’a pas eu assez de mots pour faire part de sa « profonde déception ». Les États-Unis ont accusé le Gouvernement provisoire d’union nationale de proroger la période de transition pour « rester au pouvoir » et de maintenir le pouvoir entre les mains d’une élite.
Une élite dirigeante qui se concentre sur l’accumulation de richesses personnelles, a renchéri Mme Merekaje Lorna, une défenseuse des droits humains sud-soudanaise. Après avoir déploré « un grand revers pour l’espoir de démocratisation du pays », elle a pointé les maigres réalisations des dirigeants de son pays qui, en six années de gouvernance, n’ont pu effectuer que 10% des engagements politiques agréés.
Comme d’autres délégations, Mme Lorna a toutefois été d’avis que l’initiative Tumaini demeure la seule voie formelle de paix en cours, et qu’elle doit concorder avec l’Accord revitalisé. Mais pour l’heure, cette initiative semble dans « l’impasse », a constaté le Représentant spécial.
Le Kenya est à la manœuvre, a argué son représentant, louant les progrès enregistrés dans le cadre de cette initiative et informant de la rencontre, hier à Djouba, entre les Présidents kényan et sud-soudanais, avec l’objectif de régler les questions en souffrance dans un délai de deux semaines.
Le Gouvernement sud-soudanais comprend les préoccupations soulevées par les parties prenantes, d’où l’adoption de mesures pour préciser le rôle de l’initiative Tumaini, qui doit être complémentaire de l’Accord et non s’y substituer, a expliqué la représentante.
Cette question relève de la souveraineté du pays, ont fait valoir la Fédération de Russie et la Chine pour qui l’assistance internationale devrait être limitée à un soutien, « sans imposer de solutions extérieures ».
Louant pour leur part une décision consensuelle, les A3+ (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyana) ont insisté sur la nécessité de mettre à profit cette extension pour réaliser un processus électoral acceptable pour satisfaire les aspirations démocratiques du peuple sud-soudanais en 2027.
Le délégué de la Sierra Leone a souligné que le Soudan du Sud continue de faire face à une crise économique importante résultant de la baisse des revenus de l’État due aux perturbations des exportations pétrolières, à une situation humanitaire désastreuse, à l’afflux de réfugiés et de rapatriés et à des inondations. « Tous ces facteurs ont eu un impact négatif sur la mise en œuvre de l’Accord revitalisé. »
Il est donc impératif, selon les A3+, que la communauté internationale, y compris les institutions financières internationales et les partenaires de développement, continue de fournir un soutien logistique et technique essentiel, un renforcement des capacités et une assistance financière au Gouvernement du Soudan du Sud. Un tel soutien est essentiel pour développer un environnement propice à la tenue d’élections crédibles et éviter que le pays ne retombe dans un autre cercle vicieux de violence.
Un appel entendu par la Chine, qui a mis en avant les différents projets d’infrastructures qu’elle a financés et a promis de continuer à prendre des mesures concrètes pour soutenir la MINUSS.
Moins optimiste, le Représentant spécial a constaté que depuis la prorogation de la période de transition, l’application de l’Accord revitalisé et de sa feuille de route est une fois de plus passée au second plan. Mais la MINUSS a été claire, a-t-il poursuivi: le décompte, s’agissant de la quatrième phase de la prorogation par le Soudan du Sud, a d’ores et déjà démarré. Cette extension doit être la dernière avant la tenue d’élections libres, justes et crédibles, a abondé le Japon.
Sur le plan sécuritaire, la situation est restée instable à l’échelon infranational, compliquant encore plus les activités humanitaires, selon le rapport du Secrétaire général. L’afflux de personnes retournées et de réfugiés ajoute à une situation humanitaire déjà difficile et à une économie fragile, a noté à son tour la France, qui a appelé les autorités sud-soudanaises à tout mettre en œuvre pour faciliter la réponse humanitaire internationale. Selon le Représentant spécial, quelque 830 000 réfugiés sont arrivés en provenance du Soudan, soit plus de 7% de la population du pays. Ce dernier s’est de plus inquiété de la famine et des cas de choléra.
Il faut donner les moyens à la MINUSS de mettre en œuvre son mandat, a plaidé le Royaume-Uni, constatant la hausse alarmante d’incidents violents cette année, y compris de violences sexuelles liées au conflit. Le délégué britannique a également pris note du fait que les Casques bleus de la MINUSS font de plus en plus l’objet d’obstructions d’accès de la part du Gouvernement et des Forces sud-soudanaises de défense du peuple du Soudan du Sud.
Qualifiant « d’inestimable » le rôle de la MINUSS, la représentante du Soudan du Sud a assuré que son gouvernement veut continuer de collaborer avec la Mission pour surmonter les difficultés sur le terrain.
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RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD (S/2024/776)
Exposés
M. NICHOLAS HAYSOM, Représentant spécial du Secrétaire général pour le Soudan du Sud et Chef de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), a informé le Conseil de sécurité que depuis son dernier exposé sur la situation dans ce pays, la période de transition a été prorogée jusqu’en février 2027, ce qui signifie un report du calendrier des élections jusqu’en décembre 2026.
C’est, a-t-il déclaré, une décision certes « inévitable » mais néanmoins « regrettable » étant donné la « frustration et la lassitude » que ressent le peuple sud-soudanais face à ce qui s’apparente à une « paralysie politique ».
Le Représentant spécial a indiqué avoir tenu des discussions nourries avec les dirigeants politiques, des représentants de la société civile, des groupes religieux, des jeunes, des coalitions de femmes et les partenaires internationaux. Pour lui, le seul moyen d’aller de l’avant consiste pour les dirigeants à trouver urgemment des compromis et à prendre toutes les mesures décisives qui s’imposent pour réaliser les principaux objectifs de l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit en République du Soudan du Sud.
Depuis la prorogation de la période de transition, l’application de l’Accord revitalisé et de sa feuille de route est une fois de plus passée au second plan, a-t-il regretté, alors que les intérêts politiques sont en jeu au niveau national. « Il semble que l’initiative Tumaini qui vise à ramener des groupes d’opposition réticents dans l’accord de paix soient dans l’impasse. »
À l’invitation du Président du Soudan du Sud, le Président du Kenya s’est rendu hier à Djouba, a informé M. Haysom, et il semble que les deux chefs d’État aient décidé de reconvoquer l’initiative pour régler les questions en souffrance dans un délai de deux semaines et obtenir par la suite une approbation à l’échelle de la région.
La MINUSS a été claire, a poursuivi son Chef: le décompte s’agissant de la quatrième phase de prorogation par le Soudan du Sud a d’ores et déjà démarré. Il n’attendra pas 2025. « Il a commencé à courir dès maintenant », a-t-il martelé, car il faut éviter « de nous retrouver face aux mêmes difficultés » en décembre 2026, a averti M. Haysom.
Pour les parties à l’accord de paix, l’élite politique, les garants de l’accord de paix ou la communauté internationale, « on ne peut pas continuer comme si de rien n’était », a-t-il insisté, invitant à saisir l’occasion offerte pour faire en sorte que cette prorogation soit la dernière. Dès lors, des compromis s’imposent pour que le processus électoral aboutisse. Il a prévenu que de petites actions ne suffiront pas. « Nous avons besoin de décisions fermes et de réalisme associés à un plan de mise en œuvre. »
Il va falloir faire des concessions par rapport à ce qui est réalisable dans les délais nécessaires, a prévenu le Représentant spécial. Certains processus vont devoir être tronqués ou modifiés, pour que l’harmonisation soit possible, a-t-il noté. Pour parvenir à ces résultats, le Gouvernement devrait convoquer l’équipe spéciale conjointe sur les élections et l’élaboration de la Constitution.
À cet égard, la MINUSS a recensé six objectifs auxquels les parties doivent s’atteler immédiatement, a précisé M. Haysom. Ceux-ci concernent: le déploiement des Forces unifiées nécessaires; l’éducation civique; les travaux préparatoires pour assurer l’enregistrement des électeurs; l’élaboration d’un code politique entre les parties politiques; la société civile; et les médias.
Le Représentant spécial a rapporté avoir rencontré le Président Salva Kiir afin de débattre de l’urgente nécessité de parvenir à des progrès. À cette occasion, il l’a informé des contacts productifs avec toutes les parties prenantes et souligné l’importance qu’il reste associé à ces efforts. La communauté internationale doit aussi soutenir ces tâches qui doivent être réalisées immédiatement, a plaidé le haut fonctionnaire.
Il a insisté sur la participation des femmes, indiquant que la MINUSS œuvre notamment pour assurer la prévention des violences fondées sur le genre. Sur le plan humanitaire, il a évoqué l’arrivée de 830 000 réfugiés du Soudan, soit plus de 7% de la population du pays, et mis en garde contre l’augmentation de la famine et des cas de choléra.
Pour finir, le Représentant spécial a exhorté à agir à l’unisson pour appuyer l’achèvement pacifique de la période de transition, se disant convaincu que « ni le pays, ni la région ne peuvent supporter un autre conflit ».
Mme MEREKAJE LORNA, Secrétaire générale du South Sudan Democratic Engagement, Monitoring and Observation Programme (programme d’engagement démocratique, de suivi et d’observation au Soudan du Sud), a critiqué la gestion politique du pays par une élite restreinte qui, selon elle, néglige les intérêts des citoyens, tout en prolongeant indûment la période de transition politique et en reportant les élections prévues de 2024 à 2026.
Elle a déploré que cette élite dirigeante se concentre sur l’accumulation de richesses personnelles plutôt que sur la mise en œuvre des politiques nationales vitales, telles que la réforme du secteur de la sécurité, le processus électoral et la rédaction d’une nouvelle constitution. Après six années de gouvernance, ces dirigeants n’ont réalisé que 10% des engagements politiques prévus dans les accords précédents, ce qui a profondément déçu les citoyens sud-soudanais, a souligné Mme Lorna, avant d’appeler le Conseil de sécurité à exiger du Gouvernement la fourniture d’un programme détaillé pour les deux prochaines années.
La militante a également fait état d’une détérioration alarmante de la situation économique et d’une escalade de la violence, donnant des exemples récents d’atteintes graves aux droits humains, tels que les meurtres de civils dans différentes régions et l’agression d’un avocat des droits humains. Elle a décrié le manque d’accès à l’eau potable et les conditions de vie précaires exacerbées par l’incapacité du Gouvernement à payer régulièrement les salaires des fonctionnaires depuis plus de 10 mois.
Mme Lorna a par ailleurs critiqué la récente modification de la loi sur le Service de sécurité nationale, qui octroie à ce service le pouvoir d’arrêter sans mandat et qui renforce par conséquent la peur parmi les citoyens de revendiquer leurs droits élémentaires, réduisant encore plus un espace civique et politique déjà restreint.
Abordant la participation politique des femmes, l’intervenante a relevé que, malgré les nombreux défis posés, notamment la violence sexuelle et les obstacles à l’émancipation politique, les actions actuelles sont insuffisantes. Elle a déploré l’exclusion des femmes et des organisations féminines dans la mise en œuvre des projets, comparant les ateliers organisés à des rassemblements sociaux sans véritable impact.
Pour remédier à ces problèmes, Mme Lorna a d’abord recommandé de renforcer la collaboration entre la MINUSS et les acteurs civils pour une participation citoyenne effective au Soudan du Sud, qui ne dépende pas seulement des ateliers. Elle a suggéré de continuer à soutenir l’initiative Tumaini, seule initiative formelle de paix en cours. Elle a proposé des interactions régulières entre la MINUSS, le Gouvernement et la société civile pour éviter l’extension perpétuelle de la transition. Enfin, elle a demandé une réévaluation du Fonds pour la consolidation de la paix pour améliorer l’inclusion politique des femmes.