Conseil de sécurité: au Soudan, un « cauchemar » humanitaire sans cessez-le-feu en vue, selon le Secrétaire général de l’ONU
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Un « cauchemar »: c’est le terme employé ce matin par le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, au Conseil de sécurité pour décrire la situation au Soudan, en proie depuis 18 mois à une guerre civile à l’origine de la pire crise humanitaire en cours dans le monde aujourd’hui. Alors que le nombre de personnes déplacées y approche les 10 millions, le conflit, qui oppose les Forces armées soudanaises aux Forces d’appui rapide, a donné lieu à la première famine au monde depuis sept ans.
Le Chef de l’Organisation a rappelé avoir « appelé maintes fois les deux parties à mettre fin aux hostilités et à s’asseoir à la table des négociations ». Au contraire, a-t-il déploré, « à l’heure où nous parlons, nous assistons à une escalade militaire » à El-Fasher assiégée et plus récemment à Khartoum, Sennar et Gezira.
Ces dernières semaines, a résumé le représentant du Soudan, différentes milices lourdement armées s’en sont prises à des dizaines de villages et à la ville de Gezira, employant une force excessive contre des civils innocents. Il a dénoncé des attaques contre des résidences, le pillage des propriétés, l’exécution de 250 civils, les viols de femmes, les disparitions forcées, y compris d’enfants, et le déplacement forcé de milliers de personnes « soumises aux pires formes de tortures ».
Les enfants meurent de malnutrition et de maladie et les femmes, déjà marginalisées par des décennies de violence structurelle, sont désormais confrontées aux abus sexuels, aux mariages forcés et à l’insuffisance des soins médicaux, a déploré Mme Hanna Eltigani, activiste soudanaise et Secrétaire générale adjointe du Réseau des jeunes observateurs citoyens (Youth Citizens Observers Network). Alors qu’elles sont « réduites au silence », Mme Eltigani a appelé à veiller à ce que leurs souffrances ne soient plus occultées par ceux qui privilégient « le pouvoir à la justice ».
Des États-Unis à la Chine, en passant par la Fédération de Russie, les membres du Conseil sont tombés d’accord sur la nécessité de mieux protéger les civils, en créant un mécanisme pour veiller au respect des engagements pris au titre de la Déclaration de Djedda de mai 2023, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent, a constaté le Royaume-Uni. À cet égard, les A3+ -formé de l’Algérie, du Mozambique, de la Sierra Leone et du Guyana– ont appuyé la création d’un comité spécial ad hoc de la présidence du Conseil de veille et de sécurité de l’Union africaine (UA) pour promouvoir les efforts de paix.
Facteur aggravant, « des puissances extérieures jettent de l’huile sur le feu » d’un conflit risquant de déstabiliser l’ensemble de la région, du Sahel à la mer Rouge en passant par la Corne de l’Afrique, a mis en garde M. Guterres. D’où l’appel des A3+ à une « condamnation publique et ferme des ingérences étrangères », et celui de la France aux États Membres pour qu’ils s’abstiennent d’armer, de financer ou d’appuyer les parties au conflit.
Pour le délégué soudanais, c’est la définition même d’un conflit à deux parties qui est à revoir: « nous faisons face à des milices, des mercenaires » venus de pays « malveillants » du Sahel pour tenter d’édifier un état tribal, et qu’il faut « éradiquer », a-t-il dit. Quant aux Forces armées soudanaises, elles « préservent les civils », « évitent de recourir à l’artillerie lourde dans les zones résidentielles » et « de recruter des enfants », contrairement aux milices.
Si la résolution 2736 (2024), qui exige que toutes les parties au conflit assurent la protection des civils, a adressé un « signal fort », M. Guterres a jugé nécessaire d’agir sur le terrain, via un arrêt immédiat des combats, suivi sur ce point par la plupart des membres du Conseil. Pour la Suisse, des cessez-le-feu localisés ou des pauses humanitaires seraient de nature à offrir un répit aux civils et permettraient aussi, selon le Secrétaire général, d’ouvrir de nouvelles pistes pour le dialogue et de jeter les bases d’un cessez-le-feu global.
Simultanément, les efforts diplomatiques doivent être intensifiés –notamment en soutenant la mise en œuvre de la Déclaration de Djedda. À cette fin, l’Envoyé personnel du Secrétaire général pour le Soudan, M. Ramtane Lamamra, a récemment réuni les parties belligérantes à Genève en vue de trouver des moyens d’améliorer l’accès humanitaire et la protection des civils au Soudan. Il a également participé à la coordination des initiatives de médiation avec les partenaires régionaux, en particulier le Groupe de haut niveau de l’UA. Les membres du Conseil ont été encouragés par M. Guterres à œuvrer à un dialogue efficace avec, entre autres, l’Union africaine, l’Autorité intergouvernementale pour le développement et la Ligue des États arabes.
Autre priorité: assurer l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire. Si près de 12 millions de personnes ont reçu une assistance entre janvier et septembre 2024 malgré des difficultés persistantes, une grande partie des populations n’ont pu en bénéficier qu’une fois, et plusieurs régions où les besoins sont considérables restent totalement inaccessibles, en raison d’obstructions dénoncées par les États-Unis, notamment -mais pas seulement- dans les zones placées sous le contrôle des Forces d’appui rapide.
Il a également été question du sort du point de passage d’Adré, ville tchadienne frontalière avec le Soudan. Ouvert depuis le 15 août pour une durée de trois mois, le Gouvernement soudanais doit se prononcer sur l’après-15 novembre. Le Secrétaire général, comme la France, s’est déclaré favorable à la poursuite de son opérationnalisation. Mais le Soudan ne l’a pas entendu de cette oreille, affirmant que des milliers de mercenaires entraient dans le pays par Adré, devenue à ses yeux « une menace sécuritaire ». La délégation s’est également plainte que son gouvernement ne soit pas notifié de l’identité des « fournisseurs » ni des « destinataires finaux » de l’aide transitant par le poste frontière.
Rappelant avoir demandé à l’ONU qu’elle établisse un mécanisme conjoint de supervision de l’aide, le Soudan a accusé les travailleurs humanitaires de contourner les procédures nationales et certains personnels de l’ONU d’« actions irrégulières », raisons pour lesquelles il a été demandé à l’ONU de réexaminer la situation tous les trois mois. Une décision souveraine qui n’appartient qu’au Soudan, a estimé pour sa part le représentant russe, jugeant « inappropriée » toute tentative de faire pression pour maintenir l’ouverture de ce point de passage.
Alors que la France a rappelé que les responsables de violations de l’embargo sur les armes en vigueur au Soudan s’exposent à des sanctions, le Soudan s’est clairement opposé à ces mesures, qui affectent la capacité de son armée à combattre les milices. « Si la protection relève de la responsabilité des États, alors l’embargo devrait être levé », a soutenu le délégué.
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RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉNAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Exposés
M. ANTÓNIO GUTERRES, Secrétaire général de l’ONU, a rappelé avoir appelé maintes fois les deux parties à mettre fin au « cauchemar » en cours au Soudan et à s’asseoir à la table des négociations, en vue d’atténuer les tensions. Cependant, « à l’heure où nous parlons, nous assistons au contraire à une escalade de l’action militaire », a-t-il constaté, alors que dans le même temps, « des puissances extérieures jettent de l’huile sur le feu ». Le conflit risque fortement de déstabiliser l’ensemble de la région, du Sahel à la mer Rouge en passant par la Corne de l’Afrique, a mis en garde le Chef de l’Organisation.
Si la résolution 2736, adoptée en début d’année, a adressé un « signal fort », M. Guterres a rappelé qu’il est nécessaire d’agir sur le terrain, via une cessation immédiate des hostilités d’abord. L’accord qui en résulterait devrait se traduire par des cessez-le-feu locaux et des pauses humanitaires, qui permettraient d’ouvrir de nouvelles pistes pour le dialogue et de jeter les bases d’un cessez-le-feu global. Dans le même temps, les efforts diplomatiques doivent être intensifiés –notamment en soutenant la mise en œuvre des engagements pris dans la Déclaration de Djedda. À cette fin, l’Envoyé personnel du Secrétaire général pour le Soudan, M. Ramtane Lamamra, a réuni les parties à Genève, en vue de trouver des moyens d’améliorer l’accès humanitaire et de renforcer la protection des civils au Soudan. M. Lamamra a également participé à la coordination des initiatives de médiation, en collaboration avec les partenaires régionaux, en particulier le Groupe de mise en œuvre de haut niveau de l’Union africaine. Le Secrétaire général a demandé au passage aux membres du Conseil de travailler à l’établissement d’un dialogue efficace avec des partenaires régionaux « tels que l’Union africaine, l’Autorité intergouvernementale pour le développement, la Ligue des États arabes », et d’autres acteurs clefs.
La seconde action urgente à entreprendre sur le terrain est de protéger les civils, a déclaré M. Guterres. Il s’est dit « horrifié » par la poursuite des attaques perpétrées par les Forces d’appui rapide contre des civils à El-Fasher et dans les zones environnantes, où se trouvent des sites de personnes déplacées aujourd’hui confrontées à la famine. Il a également fait état des informations selon lesquelles des attaques ont été commises contre les populations civiles par des éléments affiliés aux Forces armées soudanaises à Khartoum et par les pertes civiles considérables causées par les frappes aériennes menées aveuglément. Les mécanismes nationaux et internationaux de surveillance et d’enquête en matière de droits humains doivent disposer de l’espace nécessaire pour documenter ce qui se passe sur le terrain, a exhorté le Chef de l’ONU. Le flux direct ou indirect d’armes et de munitions vers le Soudan, qui continue d’alimenter ce conflit, doit cesser immédiatement. Et à l’heure actuelle, « les conditions ne sont pas réunies pour permettre le déploiement d’une force des Nations Unies chargée de protéger les civils au Soudan », a reconnu le Secrétaire général.
Troisième urgence pour M. Guterres: assurer l’acheminement de l’aide humanitaire, près de 12 millions de personnes en ayant bénéficié entre janvier et septembre 2024 malgré des difficultés persistantes. Mais elle est loin d’être suffisante, une grande partie des populations qui en bénéficient n’ayant pu recevoir de l’aide qu’une seule fois, et plusieurs régions où les besoins sont les plus urgents restent totalement inaccessibles. M. Guterres a jugé impératif de garantir un accès rapide, sûr et sans entrave au-delà des frontières et de part et d’autre des lignes de conflit. La réouverture du poste frontière d’Adré représente à cet égard une étape importante – et il « doit rester ouvert », a insisté le Secrétaire général. Pour finir, il a conclu en réclamant davantage de fonds. L’appel de fonds pour l’aide humanitaire au Soudan —qui s’élève à 2,7 milliards de dollars— n’est aujourd’hui financé qu’à hauteur de 56%, et le niveau de financement du Plan régional d’intervention en faveur des réfugiés est encore plus faiblement doté.
Mme HANNA ELTIGANI, Secrétaire générale adjointe du Réseau des jeunes observateurs citoyens (Youth Citizens Observers Network), une organisation qui surveille les situations politique, sécuritaire, humanitaire et des droits humains au Soudan, a expliqué que, depuis avril 2023, son pays a basculé dans une guerre qui a provoqué le déplacement de plus de 11 millions de personnes et une crise humanitaire qui s’aggrave de jour en jour. Les enfants meurent de malnutrition et de maladie et les femmes, déjà marginalisées par des décennies de violence structurelle, sont désormais confrontées aux abus sexuels, aux mariages forcés et à l’insuffisance des soins médicaux. Alors qu’elles sont réduites au silence, Mme Eltigani a donc appelé à « être leur voix » et à veiller à ce que leurs souffrances ne soient plus occultées par ceux qui privilégient le pouvoir à la justice. « Nous persistons, résistant à toute tentative de faire taire notre vision d’un Soudan meilleur », a-t-elle assuré, malgré les restrictions imposées à la liberté d’expression et de réunion.
La jeune activiste a demandé aux parties belligérantes de mettre en œuvre un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel afin de protéger la vie des civils, de permettre l’accès de l’aide humanitaire et de créer un espace propice à des négociations de paix. Elle leur a également demandé de protéger les infrastructures civiles et de garantir l’ouverture de corridors humanitaires et un accès sans entrave à l’aide. S’adressant à l’ONU, à l’Union africaine et aux autres entités internationales, la jeune militante les a appelées à fournir des vivres et des articles médicaux; à garantir un passage sûr pour les civils vulnérables, en particulier les femmes, les enfants et les personnes handicapées; à financer sans tarder l’aide humanitaire; et à veiller à soutenir la représentation des jeunes et des femmes dans les négociations de paix et les processus décisionnaires. Mme Eltigani a également exhorté les membres du Conseil de sécurité à faire pression sur les parties pour que cesse l’utilisation d’armes tuant de manière indiscriminée et à faire respecter les droits humains et le droit humanitaire international. L’activiste leur a également recommandé de soutenir la mission d’établissement des faits dans ses enquêtes, afin de mettre fin à l’impunité. En dernier lieu, elle a appelé les membres du Conseil à cibler les auteurs de violations au sein des Forces armées soudanaises et des Forces d’appui rapide en leur imposant des sanctions ciblées et des interdictions de voyager.