Après les attaques inédites au Liban attribuées à Israël, et face au risque de guerre régionale, le Conseil de sécurité appelle à la désescalade
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies,
la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
À la demande du Liban, l’Algérie, membre du Conseil de sécurité, a convoqué une réunion d’urgence du Conseil cet après-midi, pour évoquer la situation au Liban, marquée ces derniers jours par une série d’attaques inédites contre le Hezbollah. Les 17 et 18 septembre derniers, une vague d’explosions simultanées de bipeurs et de talkies-walkies a fait une trentaine de morts et plusieurs milliers de blessés, y compris au sein de la population civile.
Alors que se poursuivent les affrontements entre le mouvement islamiste et Israël, la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, Mme Rosemary DiCarlo et le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, M. Volker Türk ont pris part à cette réunion.
À quelques exceptions près, toutes les délégations ont exprimé des inquiétudes face à ces attaques « inédites dans l’histoire », qui risquent de plonger la région dans la guerre, et appelé à un cessez-le-feu et au respect des résolutions du Conseil de sécurité. Personne ne souhaite un nouveau conflit à grande échelle entre Israël et le Hezbollah, et les civils paient toujours le prix le plus élevé lorsqu’une telle situation survient, a expliqué le Japon, pour qui le fait que ces incidents se soient produits dans de nombreux endroits, y compris dans des zones densément peuplées, et aient fait des victimes civiles est « effroyable ».
Les délégations ont fustigé un « acte barbare », une « provocation monstrueuse ». Ces « attaques aveugles », qui n’ont épargné personne dans des lieux publics, apportent une nouvelle dimension technologique ciblant à distance des milliers de personnes, sans que l’on sache précisément qui possédait ces appareils, ni dans quel environnement ils se trouvaient au moment de l’attaque, épiceries, hôpitaux ou lors de funérailles. « Nous pénétrons dans une terra incognita dangereuse », se sont ainsi alarmées la Fédération de Russie, la République de Corée et la Slovénie, insistant comme d’autres sur les sérieuses inquiétudes soulevées quant au respect des principes fondamentaux du droit international humanitaire, notamment la distinction, proportionnalité et précaution.
Mme Rosemary DiCarlo a pour sa part rappelé le contexte dans lequel se déroulent ces « développements alarmants ». Depuis près d’un an, le quotidien à travers la Ligne bleue séparant Israël du Liban est fait de frappes et d’échanges de tirs entre les Forces de défense israéliennes, le Hezbollah et d’autres groupes armés non étatiques.
Ces frappes et tirs ont même pris de l’ampleur et de l’intensité et, dans certains cas, ont atteint des zones beaucoup plus profondes à l’intérieur des territoires libanais et israélien, faisant de nombreuses victimes, y compris parmi les civils, en plus de causer des dégâts importants aux habitations. Plus de 100 000 personnes ont été déplacées du sud du Liban et au moins 60 000 ont été déplacées du nord d’Israël.
Un tournant a été franchi avec les attaques perpétrées au Liban et en Syrie les 17 et 18 septembre, et qui ont vu des outils de communication être transformés en armes frappant simultanément sur les marchés, au coin des rues et dans les maisons, semant la peur et la panique.
Or « la guerre a des règles ». La distinction entre les civils et les cibles militaires est fondamentale et toutes les précautions doivent être prises pour épargner les civils, a martelé le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, pour qui viser simultanément des milliers d’individus, qu’ils soient des civils ou des membres de groupes armés, constitue une violation du droit international des droits de l’homme et, le cas échéant, du droit international humanitaire. Selon lui, « les actes de violence visant à semer la terreur parmi les civils constituent un crime de guerre ».
Dans ce contexte, il a appelé à « une enquête indépendante, rigoureuse et transparente » sur les circonstances de ces explosions, estimant que ceux qui ont ordonné et mené ces attaques doivent rendre des comptes. Les auteurs de ces attaques sont connus de tous, a estimé l’Algérie, désignant Israël, Puissance occupante, qui tire toute la région vers une guerre totale. « Si ces pratiques étaient imitées par des groupes terroristes, qu’arriverait-il? »
Le représentant des États-Unis a, pour sa part, insisté sur le fait que son pays n’avait joué aucun rôle dans les événements, ajoutant que leur contexte ne peut être mis de côté: ce sont les attaques du Hamas du 7 octobre qui ont mis fin à la stabilité qui régnait jusque-là le long de la Ligne bleue. Avec le Royaume-Uni, il a accusé le Hezbollah d’avoir bénéficié de formations et d’envoi de matériel en masse de l’Iran et d’appuyer quotidiennement la campagne de destruction menée par le Hamas contre Israël. Israël a le droit de se défendre contre les attaques du Hezbollah et aucun membre de ce Conseil ne tolérerait de la sorte des attaques quotidiennes à la roquette et les déplacements de milliers de leurs civils, a-t-il fait valoir, appelant les membres du Conseil de sécurité à faire pression sur la République islamique d’Iran pour qu’elle arrête de déstabiliser la région.
Israël a pour sa part déploré « l’obsession onusienne de condamner » son pays, affirmant qu’il n’a pas demandé cette guerre. Chaque jour des roquettes ciblent des civils et essaient de forcer des communautés entières à fuir. Le Hezbollah mène des attaques sans arrêt. Où est la communauté internationale? a-t-il lancé, affirmant aussi que son pays n’acceptera pas une telle situation. Si le Hezbollah ne se retire pas, Israël n’aura pas d’autre solution que d’utiliser tous les moyens à sa disposition, dans le respect du droit, pour défendre sa population, a-t-il mis en garde, appelant le Conseil à condamner le Hezbollah et la République islamique d’Iran.
Pour M. Abdallah Bouhabib, Ministre des affaires étrangères et des émigrés de la République libanaise, au contraire, « l’aventurisme » d’Israël le mènera là où il l’a mené auparavant, à la défaite, lorsqu’après l’avoir envahi, Israël s’est retiré laissant derrière lui tout son matériel militaire.
Montrant une photo représentant une victime ensanglantée, chair et os apparents, le Ministre a expliqué que plus personne n’est en sécurité depuis ces attaques effroyables qui blessent des femmes et des enfants. Qui pourra désormais empêcher les groupes terroristes de recourir à cette pratique, a demandé le représentant, ajoutant que la responsabilité du Conseil n’est pas seulement de protéger les Libanais, mais la communauté internationale tout entière. « Si vous ne nommez pas l’auteur de ces attaques, si vous ne le condamnez pas, non seulement le droit international est menacé, mais on ouvre la boîte de Pandore. »
Le Liban vous demande de condamner Israël et de lui demander de cesser ses activités, a martelé le Ministre. « C’est l’heure de vérité. » Nous ne cherchons pas une nouvelle résolution, qui de toute façon restera lettre morte comme les autres, a-t-il dit. Soit le Conseil appelle Israël à respecter les résolutions 1701 (2006) et 1735 (2006), soit nous verrons poindre le spectre de la guerre, a-t-il prévenu. Le Conseil doit être en mesure de faire respecter ses résolutions, a soutenu la Sierra Leone.
La République islamique d’Iran a pour sa part accusé Israël de « terrorisme », ces attaques ciblant des civils constituant à ses yeux, des crimes contre l’humanité, puisque Israël entendait tuer au moins 5 000 civils, certains appareils n’ayant pas explosé. Malgré cela, le Conseil est resté silencieux contre « les attaques et les activités maléfiques du régime israélien », a déploré le délégué.
Devant ce tableau, plusieurs délégations ont mis en garde contre un risque effectif d’escalade militaire. Ce n’est pas la solution, a par exemple plaidé la Suisse, appelant comme d’autres à un cessez-le feu immédiat, la libération de tous les otages, et un accès humanitaire rapide et sans entrave. Pour la France aussi, alors que le risque d’une guerre ouverte aux conséquences dramatiques s’accroît chaque jour, il est urgent de travailler à la désescalade, tel que demandé par la résolution 2749 (2024). Israël doit dès lors faire preuve de la plus grande retenue après ses récentes déclarations sur ses opérations militaires au Liban.
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT, Y COMPRIS LA QUESTION PALESTINIENNE
Exposés
Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, a présenté au Conseil de sécurité les développements « alarmants » les plus récents au Liban, marqués par des frappes et des échanges de tirs quotidiens entre les Forces de défense israéliennes, le Hezbollah et d’autres groupes armés non étatiques à travers la Ligne bleue et ce, depuis près d’un an. Les frappes et les échanges de tirs ont pris de l’ampleur et de l’intensité et, dans certains cas, ont atteint des zones beaucoup plus profondes à l’intérieur des territoires libanais et israélien.
Plus de 100 000 personnes ont été déplacées du sud du Liban et au moins 60 000 ont été déplacées du nord d’Israël. Les échanges de tirs ont fait de nombreuses victimes, y compris parmi les civils, en plus de causer des dégâts importants aux habitations, aux infrastructures civiles et aux terres agricoles des deux côtés de la Ligne bleue. Le risque d’une nouvelle expansion de ce cycle de violence est extrêmement grave et constitue une grave menace pour la stabilité du Liban, d’Israël et de toute la région, a mis en garde Mme DiCarlo.
La Secrétaire générale adjointe a aussi rappelé le contexte régional actuel « fragile » et la poursuite de la « guerre dévastatrice » à Gaza où le nombre de morts continue d’augmenter. Plus de 41 000 Palestiniens ont été tués selon le Ministre de la santé à Gaza, dont beaucoup d’enfants. Dans le même temps, les tirs aveugles de roquettes par le Hamas et d’autres groupes armés vers des centres de population en Israël se poursuivent, a-t-elle déploré, avant de faire, une fois de plus, écho aux paroles du Secrétaire général. Elle a alors insisté sur le besoin d’un cessez-le-feu immédiat, de la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages restants et d’une intensification massive de l’aide humanitaire à Gaza.
Mme DiCarlo a ensuite souligné que le risque pour la sécurité et la stabilité, non seulement au Liban mais aussi dans la région, ne pourrait être plus clair ni plus grave. Faisant à nouveau écho aux inquiétudes et sentiments du Secrétaire général, elle a vivement exhorté tous les acteurs à faire preuve de la plus grande retenue pour éviter toute nouvelle escalade. Ils doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international concernant la protection des civils, a-t-elle dit. Elle a aussi exhorté les États Membres qui ont de l’influence sur les parties à en tirer parti dès maintenant. Trop de vies humaines ont été perdues, trop de personnes ont été déplacées et trop de moyens de subsistance ont été détruits.
« Si les choses continuent comme elles sont, nous risquons d’assister à une conflagration qui pourrait éclipser même la dévastation et les souffrances observées jusqu’à présent », a encore averti la Secrétaire générale adjointe. « Il n’est pas trop tard pour éviter une telle folie. » Il y a encore de la place pour la diplomatie, qui doit être utilisée sans délai, a-t-elle conclu, avant d’appeler instamment les parties à s’engager à nouveau à mettre pleinement en œuvre la résolution 1701 (2006) et à revenir immédiatement à un cessez-le-feu.
M. VOLKER TÜRK, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a vu un tournant dans les attaques perpétrées au Liban et en Syrie les 17 et 18 septembre, puisque les outils de communication deviennent des armes, qui frappent simultanément sur les marchés, au coin des rues et dans les maisons, semant la peur et la panique. « La guerre a des règles », a martelé le Haut-Commissaire, rappelant que la distinction entre les civils et les cibles militaires est fondamentale et que toutes les précautions doivent être prises pour épargner les civils. Le droit international des droits de l’homme existe précisément pour protéger l’égalité et la dignité de tous les êtres humains, même en temps de guerre, a rappelé M. Türk. Or viser simultanément des milliers d’individus, qu’ils soient des civils ou des membres de groupes armés, constitue une violation du droit international des droits de l’homme et, le cas échéant, du droit international humanitaire.
Le droit international humanitaire interdit l’utilisation d’appareils piégés sous la forme d’objets portables apparemment inoffensifs, a tenu à ajouter M. Türk, ajoutant que « les actes de violence visant à semer la terreur parmi les civils constituent un crime de guerre ». Il a par conséquent réitéré son appel à ouvrir une enquête indépendante, rigoureuse et transparente sur les circonstances de ces explosions, estimant que ceux qui ont ordonné et mené ces attaques doivent rendre des comptes.
Par ailleurs, cette situation ne peut être dissociée de ce qui se passe dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, a continué le Haut-Commissaire, se disant choqué par l’ampleur des souffrances humaines. Mettre un terme à la guerre à Gaza et éviter un conflit à l’échelle régionale relèvent d’une urgence absolue, a-t-il insisté, appelant à un cessez-le-feu immédiat et à un accès humanitaire total dans la bande de Gaza. M. Türk a également demandé la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages à Gaza, ainsi que la fin des détentions arbitraires de milliers de Palestiniens par Israël.
Le manque de respect du droit international est une question de paix et de sécurité internationale, dont les répercussions vont au-delà de ces pays et de cette région, a fait remarquer M. Türk aux membres du Conseil de sécurité, leur rappelant que tous les États, et en particulier ceux qui ont de l’influence, doivent faire tout leur possible pour veiller au plein respect du droit international. Il a exhorté Israël et le Hezbollah à cesser immédiatement les hostilités.