Conseil de sécurité: inquiétudes sur les retombées pour les femmes et les filles afghanes de la nouvelle loi du pouvoir taliban sur « la moralité »
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Réunis ce matin pour une séance d’information ouverte sur l’Afghanistan, plus particulièrement centrée sur la situation des femmes et des filles, les membres du Conseil de sécurité, ainsi que sept États invités, ont entendu la Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), Mme Roza Otunbayeva, et la Directrice exécutive de l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes), Mme Sima Sami Bahous, exprimer leur profonde préoccupation après la promulgation, le 21 août dernier, d’une nouvelle loi sur « la moralité » par les autorités de facto.
Après s’être déclarée encouragée par la participation, en juillet, d’une délégation de Kaboul à la troisième réunion au « format Doha », qui a permis aux États Membres et aux organisations internationales de dialoguer directement avec les autorités de facto sur un éventail de préoccupations, notamment le sort de femmes et des filles afghanes, la Représentante spéciale a regretté que l’adoption de la nouvelle loi ait « mis à mal ce processus ».
« Quelle soit intentionnelle ou non, cette loi, qui impose à la population afghane certaines des restrictions les plus sévères que la communauté internationale a déjà condamnées, envoie un signal politique négatif concernant un véritable engagement », a déploré Mme Roza Otunbayeva, précisant que la nouvelle législation a été rédigée par un petit groupe d’érudits religieux, « sans consultation de la population », et donne des pouvoirs d’exécution étendus et discrétionnaires au Ministère de facto de la propagation de la vertu et de la prévention du vice.
Anticipant le fait que cette loi aura des effets disproportionnés sur les femmes, la Représentante spéciale a indiqué que la MANUA, qu’elle dirige, a déjà reçu des informations faisant état de femmes empêchées d’aller travailler dans des stations de radio, de chauffeurs refusant de transporter les femmes non accompagnées d’un membre masculin de leur famille et d’une application plus stricte de la ségrégation et des codes vestimentaires sur le lieu de travail.
Alors que la plupart de ses dispositions étaient déjà en place dans des décrets ou des édits antérieurs, la nouvelle loi « entraîne une nouvelle détérioration là où nous pensions ne pas pouvoir aller plus bas », s’est émue à son tour la Directrice exécutive d’ONU-Femmes. Elle oblige en effet les femmes et les filles à couvrir tout leur corps et leur visage partout en dehors de chez elles et leur interdit de parler en public, d’utiliser seules les transports publics ou même de regarder des hommes avec lesquels elles n’ont aucun lien de sang ou d’alliance.
De l’avis de Mme Sima Sami Bahous, la situation est d’autant plus inquiétante que de nombreuses dispositions sont formulées de manière ambiguë et, par conséquent, sujettes à une interprétation arbitraire, accordant ainsi des pouvoirs étendus de coercition à la police des mœurs. De fait, a-t-elle souligné, « les femmes afghanes ne craignent pas seulement ces lois oppressives, elles craignent également leur application capricieuse ».
Cette nouvelle « loi morale », qui affecte la cohésion sociale de l’Afghanistan, a déclenché une nouvelle vague de protestations en ligne, où des femmes afghanes chantent, le visage découvert et les cheveux détachés, en signe de défi à la loi, a relevé Mme Bahous, avant d’avertir que le PIB afghan risque de perdre 5% par an du fait de l’exclusion des femmes du marché du travail et même reculer de 2/3 d’ici à 2066 si la suspension de l’accès des femmes à l’enseignement supérieur reste en place.
Plutôt que de sacrifier les droits des femmes afghanes sur l’autel de la poursuite de progrès dans la lutte contre les stupéfiants ou la prévention du terrorisme, la communauté internationale devrait, selon elle, investir dans les organisations de la société civile dirigées par des femmes et les renforcer. Pour la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, il est impératif qu’au moins 30% de tous les financements destinés à l’Afghanistan soient consacrés à des initiatives ciblant directement l’égalité des sexes et les droits des femmes. Les États Membres devraient en outre cesser de « normaliser les pratiques discriminatoires » et arrêter d’envoyer des délégations exclusivement masculines rencontrer les Taliban ou de cantonner les femmes à des fonctions administratives, a-t-elle préconisé, appelant à plaider pour la parité femmes-hommes dans les interactions internationales avec les autorités de facto.
« Nous ne prétendons pas que ces actions changeront l’Afghanistan du jour au lendemain, ni qu’elles ramèneront les filles à l’école immédiatement, mais elles sont réalisables et elles sèmeront les graines du changement à l’avenir », a soutenu Mme Bahous, dont les propos ont trouvé un écho dans le témoignage d’une jeune représentante de la société civile afghane.
Dissimulée par mesure de précaution, Mme Mina a fait état du traumatisme qu’elle a vécu lors de l’arrivée au pouvoir des Taliban, il y a trois ans. Les nouvelles autorités de facto « m’ont pris ma liberté et ont décidé de mes vêtements, de mon comportement, des personnes avec qui je devais aller et de ma capacité à vivre ou mourir ». Précisant qu’elle a réussi à quitter l’Afghanistan quelques mois plus tard, elle a dit avoir « survécu à ce chaos » tout en ayant conscience que d’autres continuent d’en souffrir. « Le seul autre choix était de rester, de ne plus aller à l’école, de ne pas pouvoir travailler et de renoncer à vivre dans la dignité », a-t-elle confié, avant d’exprimer l’espoir que suscite chez elle le fait que des filles afghanes cloîtrées chez elles conservent leurs livres pour étudier et aient le courage d’exiger leurs droits.
« Elles attendent que nous les aidions à sortir de ce cauchemar », a indiqué la jeune femme, exhortant le Conseil de sécurité à reconnaître la réalité de cette ségrégation et à tout faire pour permettre aux femmes et aux filles afghanes d’avoir droit à l’éducation et de s’autonomiser.
La grande majorité des membres du Conseil se sont montrés sensibles à cet appel à l’aide, dénonçant avec force la régression supplémentaire que constitue pour les Afghanes la nouvelle loi sur la moralité. D’autres ont cependant fait entendre une voix différente, jugeant préférable de maintenir un contact avec les autorités de facto plutôt que de les isoler. La Chine a ainsi invité ces dernières à prendre des mesures pour protéger les droits fondamentaux des femmes et des filles, tout en exhortant la communauté internationale à appuyer la reconstruction et le relèvement de l’Afghanistan, « dans l’intérêt de tous les membres de sa population, y compris des femmes ». De son côté, la Fédération de Russie a dit « suivre de près l’évolution de la situation dans le domaine des droits de tous les Afghans », avant de suggérer au pouvoir taliban de « mettre en place un système de gouvernement qui tienne compte des droits et des besoins de l’ensemble de la population du pays », sans pression extérieure.