Conseil de sécurité: la Fédération de Russie impose une nouvelle discussion sur les livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
À la demande de la Fédération de Russie, le Conseil de sécurité s’est à nouveau penché, ce matin, sur la question des livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine. Dans son exposé, le Directeur du Bureau des affaires de désarmement et Haut-Représentant adjoint pour les affaires de désarmement a confirmé la poursuite des transferts d’armes et de munitions aux forces armées ukrainiennes, tout en précisant que, dans le même temps, des États transfèrent ou prévoient de transférer aux forces armées russes des armes et des munitions, dont certaines auraient été utilisées en Ukraine.
Avant que ne commence formellement cette réunion, la seizième convoquée par la Fédération de Russie sur ce sujet depuis le début de son invasion de l’Ukraine en février 2022, le représentant russe, en tant que président de séance, a justifié l’absence de l’Ukraine et de l’Union européenne par le fait qu’il n’y a pas eu d’unanimité sur la question parmi les membres de l’organe. Signe de la tension régnant dans la salle, le délégué du Royaume-Uni a alors soulevé une motion d’ordre pour rappeler les « très bonnes raisons » pour lesquelles les États non membres du Conseil peuvent participer aux réunions qui les concernent. Il revient à ces derniers de décider s’ils souhaitent ou non participer à une réunion, a-t-il fait valoir, appelant à poursuivre la pratique en vigueur. Il a reçu le soutien appuyé de ses homologues de la France et des États-Unis.
Le Haut-Représentant adjoint aux affaires de désarmement a ensuite indiqué que, selon les informations accessibles au public, les transferts d’armes et de munitions à l’Ukraine concernent des armes lourdes classiques telles que des chars de combat, des véhicules blindés de combat, des avions de combat, des hélicoptères, des systèmes d’artillerie de gros calibre, des systèmes de missiles et des véhicules aériens de combat sans équipage (drones), ainsi que des munitions télécommandées, des armes légères et de petit calibre, des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions.
Des armes, telles que des drones et des missiles balistiques, ainsi que des munitions sont également transférées aux forces armées russes, s’est empressé d’ajouter M. Ededeji Ebo, avant de rappeler que tout transfert d’armes et de munitions doit s’effectuer dans le respect du cadre juridique international applicable, y compris des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.
Reconnaissant que l’afflux d’armes et de munitions dans des zones de conflit armé présente des risques importants de détournement et de prolifération, M. Ebo a plaidé, à titre de prévention, pour une plus grande transparence de la chaîne d’approvisionnement ainsi que pour des échanges d’informations entre les États importateurs, de transit et exportateurs. Il a également préconisé des pratiques de marquage et de traçage, des évaluations des risques de détournement avant transfert, des certificats d’utilisateur final comprenant des clauses de non-transfert, des vérifications après expédition et une surveillance permanente.
Après s’être ému du nombre d’enfants tués ou blessés en juin dans ce conflit, le plus élevé en 2024, le haut fonctionnaire a constaté que l’utilisation de drones et de missiles continue de faire des victimes parmi les civils et d’endommager les infrastructures civiles. Il a rappelé la condamnation par le Secrétaire général des attaques de missiles effectuées le 8 juillet par la Fédération de Russie contre des infrastructures résidentielles et civiles dans toute l’Ukraine, notamment contre l’hôpital national spécialisé pour enfants Okhmatdyt à Kyïv, non sans faire état d’un nombre croissant de frappes ukrainiennes contre des villes russes, dont certaines ont entraîné des pertes civiles. Il a donc sommé les parties de cesser d’utiliser des armes explosives dans les zones peuplées et, à terme, de cesser complètement les combats dans des zones urbaines.
À l’invitation de la présidence russe du Conseil, l’analyste Karin Kneissl, ancienne cheffe de la diplomatie autrichienne, a, elle, insisté sur la facilité avec laquelle les armes circulent. « Ceux qui, de Bruxelles à Berlin, demandent plus d’armes pour l’Ukraine ignorent la nature du commerce des armes », a-t-elle affirmé, mettant en garde contre les détournements au profit d’éléments criminels, phénomène observé en Libye après l’intervention de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis en 2011. Saluant la position de la Hongrie, la seule en Europe à être hostile aux livraisons d’armes à l’Ukraine, elle a pointé le risque sécuritaire que font peser les armes en circulation de même que le retour dans leurs pays d’origine des mercenaires européens déployés sur le théâtre ukrainien.
Un avis largement partagé par la Fédération de Russie, qui, après avoir une nouvelle fois dénoncé la politique russophobe des Occidentaux, États-Unis en tête, a dénoncé la corruption généralisée qui, selon elle, accompagne les approvisionnements d’armes à l’Ukraine. Compte tenu de la « réticence totale des Ukrainiens à se battre et à mourir pour les intérêts géopolitiques occidentaux », les États-Unis et leurs alliés sont contraints de s’impliquer davantage dans le conflit et d’envoyer non seulement des mercenaires mais aussi des instructeurs, lesquels deviennent des « cibles légitimes » pour les forces russes, a-t-elle encore asséné.
Qualifiant de « catastrophique » la situation actuelle de l’armée ukrainienne, malgré l’appui occidental, la délégation russe a pris note de la « prétendue volonté du régime de Kiev » d’entamer des négociations de paix avec la participation de la Russie, une position qui, selon elle, correspond à celle de Moscou, favorable à la voie diplomatique pour résoudre le conflit. « Nous n’avons jamais refusé les négociations, ce sont Zelenskyy et sa clique qui les ont rejetées à l’instigation de leurs sponsors occidentaux », a-t-elle soutenu, avant d’inviter le dirigeant ukrainien à s’inspirer des « propositions de paix » formulées par le Président Putin il y a un mois. « Nous lui conseillons de se dépêcher car l’Ukraine n’obtiendra certainement rien de mieux. »
Tour à tour, les membres occidentaux du Conseil, y compris le Japon et la République de Corée, ont regretté la tenue de cette réunion, fustigeant les distorsions, les menaces et les mensonges proférés par la délégation russe. La France a ainsi condamné cette « logique d’inversion du réel », qui permet à la Fédération de Russie d’organiser une énième réunion pour accuser les livraisons d’armes à l’Ukraine d’être responsables d’une guerre qu’elle seule a déclenchée.
« La Russie continue de violer la Charte des Nations Unies en poursuivant sa guerre d’agression contre l’Ukraine et elle utilise le Conseil pour diffuser la désinformation », se sont indignés les États-Unis, avant d’appeler à l’arrêt de toute coopération militaire avec ce pays, qui, en violation des résolutions du Conseil, s’appuie sur l’Iran et la République populaire démocratique de Corée (RPDC) pour renforcer son industrie militaire. Une ligne également défendue par le Royaume-Uni, tandis que la République de Corée et la Slovénie avertissaient que l’achat d’armes en provenance de la RPDC favorise la prolifération des armes de destruction massive et déstabilise simultanément deux parties du globe.
Si ces mêmes États ont réaffirmé leur engagement à aider l’Ukraine à exercer son droit à la légitime défense, conformément à l’Article 51 de la Charte, d’autres pays ont fait entendre une autre voix. Jugeant que l’acheminement d’armes et de munitions aggrave la crise, renforce l’imprévisibilité, conduit à plus de victimes et amenuise l’espoir d’une issue aux combats, la Chine a plaidé pour une désescalade urgente, suivie de négociations pour un règlement politique de la « question ukrainienne ». À cet égard, elle a dit « faire partie de la solution », comme en atteste le plan sino-brésilien en six points soumis au Ministre ukrainien des affaires étrangères, assurant ne pas être partie au conflit et ne pas livrer d’armes à l’une ou l’autre des parties.
Le nombre alarmant de victimes civiles et la crise humanitaire en Ukraine soulignent l’urgente nécessité pour toutes les parties de poursuivre une autre option que celle de gagner la guerre sur le champ de bataille, a pour sa part défendu la Sierra Leone. De fait, le dialogue et la diplomatie devraient être les principaux outils utilisés pour désamorcer les tensions et ouvrir la voie à un règlement pacifique du conflit, a ajouté la délégation, appelant le Conseil à rester inébranlable dans sa recherche d’une paix juste et durable en Ukraine.
MENACES CONTRE LA PAIX ET LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES
Exposés
M. ADEDEJI EBO, Directeur du Bureau des affaires de désarmement et Haut-Représentant adjoint pour les affaires de désarmement, a indiqué que, depuis le dernier exposé au Conseil de sécurité sur ce sujet le 14 juin dernier, la fourniture d’une assistance militaire et les transferts d’armes et de munitions aux forces armées ukrainiennes se sont poursuivis dans le contexte de l’invasion à grande échelle de ce pays, lancée par la Fédération de Russie le 24 février 2022. Selon les informations accessibles au public, ces transferts concernent des armes lourdes classiques telles que des chars de combat, des véhicules blindés de combat, des avions de combat, des hélicoptères, des systèmes d’artillerie de gros calibre, des systèmes de missiles et des véhicules aériens de combat sans équipage (drones), ainsi que des munitions télécommandées, des armes légères et de petit calibre, des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions. En outre, a-t-il poursuivi, des informations font apparaître que des États transfèrent ou prévoient de transférer des armes, telles que des drones et des missiles balistiques, et des munitions aux forces armées russes, et que ces armes auraient été utilisées en Ukraine. Le haut fonctionnaire a rappelé que tout transfert d’armes et de munitions doit s’effectuer dans le respect du cadre juridique international applicable, y compris des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.
Après s’être alarmé des informations faisant état de l’utilisation d’armes à sous-munitions et d’une contamination généralisée en Ukraine par des mines et des restes explosifs de guerre, M. Ebo a reconnu que l’afflux d’armes et de munitions dans des zones de conflit armé présente des risques importants de détournement et de prolifération, même après la fin du conflit. Pour prévenir les détournements, il a fait valoir l’importance de la transparence de la chaîne d’approvisionnement ainsi que de la coopération et de l’échange d’informations entre les États importateurs, de transit et exportateurs, plaidant en outre pour des pratiques de marquage et de traçage, des évaluations des risques de détournement avant transfert, des certificats d’utilisateur final comprenant des clauses de non-transfert, des vérifications après expédition et une surveillance permanente. Saluant par ailleurs la récente adoption par les États de mesures concrètes pour la période 2024-2030 visant à prévenir, combattre et éradiquer le commerce illicite des armes légères et de petit calibre tout au long de leur cycle de vie, il a souhaité que ces engagements soient mis en œuvre, tout comme doivent l’être ceux du Cadre mondial pour la gestion des munitions classiques tout au long de leur cycle de vie.
M. Ebo a relevé que, depuis le 24 février 2022, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a recensé 34 658 victimes civiles, dont 11 430 tués et 23 228 blessés, en Ukraine, des chiffres probablement sous-évalués. Il a ajouté que 72% des victimes civiles en juin ont été causées par des bombardements d’artillerie, des systèmes de lance-roquettes multiples et des raids aériens, tandis que 26% ont été causées par des missiles et des frappes de munitions errantes. Notant avec inquiétude que le nombre d’enfants victimes en juin a été le plus élevé en 2024, le Haut-Représentant adjoint a constaté que l’utilisation de drones et de missiles continue de causer des morts et des blessés parmi les civils ainsi que d’endommager les infrastructures civiles. Il a rappelé que le Secrétaire général a condamné les attaques de missiles effectuées le 8 juillet par la Fédération de Russie contre des infrastructures résidentielles et civiles dans toute l’Ukraine, notamment contre l’hôpital national spécialisé pour enfants Okhmatdyt à Kyïv et un autre établissement médical du district de Dniprovsky, dans la capitale. Il a également fait état d’un nombre croissant de frappes transfrontalières menées par l’Ukraine à l’intérieur de la Fédération de Russie, à l’aide de missiles et de drones, dont certaines ont entraîné des pertes civiles. Diriger des attaques contre des civils et mener des attaques aveugles et disproportionnées est interdit par le droit international humanitaire, a-t-il rappelé, avant d’enjoindre aux parties de cesser d’utiliser des armes explosives dans les zones peuplées et, à terme, de retirer complètement les combats des zones urbaines.
Mme KARIN KNEISSL, analyste, a souligné la facilité avec laquelle les armes circulent. Ceux qui, de Bruxelles à Berlin, demandent plus d’armes pour l’Ukraine ignorent la nature du commerce des armes, a-t-elle dit, en ajoutant que la Hongrie est la seule en Europe à vouloir cesser ces livraisons. Budapest est en effet consciente de la possibilité que les combattants actuels de l’autre côté de la frontière changent un jour d’activité, a dit Mme Kneissl.
Elle a pu observer ce phénomène de première main au Liban dans les années 90, les armes vendues au printemps 1991 à Jounieh se retrouvant redistribuées à Dubrovnik en juin 1991. Le marché des armes en Ukraine, marqué par la corruption, pourrait donner des occasions d’affaires à des éléments criminels, a-t-elle mis en garde. Elle a pris comme autre exemple l’intervention de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis en Libye en 2011. Le flux d’armes en direction des « bons gars » de Benghazi a naturellement débordé des frontières libyennes, entraînant un effet domino dans le Nord-Ouest de l’Afrique. En plus des Libyens, les peuples du Burkina Faso, du Tchad et du Mali ont payé le prix des livraisons d’armes européennes, a-t-elle tranché.
Elle a déploré les appels européens à plus d’armes pour l’Ukraine, les personnes plaidant pour des pourparlers étant qualifiés de « traîtres. » « Je connais bien cette appellation », a-t-elle dit, en déplorant que les « tanks », non les pourparlers, soient la voie choisie par l’Europe. Elle a estimé que seules la Chine et la Türkiye privilégient la diplomatie. Enfin, elle a pointé le risque sécuritaire de ces armes en circulation et du retour dans leurs pays d’origine des mercenaires européens déployés en Ukraine. « Ils pourraient décider de combattre par ennui ou pour des raisons financières », a-t-elle conclu, en estimant qu’ils sont probablement plus nombreux que les combattants européens qui ont rejoint Daech et ravagé la Syrie.