9692e séance – matin
CS/15775

Yémen: deux hauts fonctionnaires de l’ONU préviennent le Conseil de sécurité des risques de retour à un conflit à grande échelle

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

Au Conseil de sécurité, ce matin, l’Envoyé spécial pour le Yémen et la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires par intérim ont prévenu les membres « des risques de retour à un conflit à grande échelle » au Yémen, au cours de la réunion mensuelle consacrée à ce pays.  Outre la recherche de solution politique en procédant « étape par étape », les deux hauts fonctionnaires et les délégations ont recommandé des mesures de désescalade des tensions et de reprise économique afin d’améliorer la situation humanitaire et financière du pays.  Ils ont aussi demandé avec fermeté la libération des travailleurs humanitaires détenus par les houthistes. 

La trajectoire du développement au Yémen a pris, depuis le début de l’année, « une mauvaise direction » et, si rien n’est fait, elle pourrait atteindre un point de bascule, a averti l’Envoyé spécial Hans Grundberg.  « Même si les parties se sont montrées disposées à engager un dialogue sur les questions économiques, nous risquons de revenir à une guerre à grande échelle, avec toutes les souffrances humaines prévisibles et les conséquences régionales que cela implique.     » 

Mme Joyce Cleopa Msuya Mpanju, qui est également Coordonnatrice des secours d’urgence par intérim, a dit que l’attaque des houthistes contre Tel-Aviv et les frappes israéliennes sur Hodeïda qui ont suivi, respectivement les 19 et 20 juillet, ont accru les risques de débordement régional et de retour à un conflit à grande échelle au Yémen, comme déjà entendu hier à la séance du Conseil consacrée à ces derniers développements.  De l’avis de M. Grundberg, l’escalade au Yémen et dans la région a en effet atteint un niveau dangereux.  En outre, la navigation internationale continue d’être prise pour cible en mer Rouge et dans les voies navigables environnantes, avec une menace qui gagne en ampleur et en précision.  Des navires commerciaux ont été coulés ou endommagés, des civils ont été tués, l’équipage du Galaxy Leader reste détenu et le commerce international est toujours perturbé. 

Dans le même temps, a continué l’Envoyé spécial, les États-Unis et le Royaume-Uni ont continué à mener des frappes contre des cibles militaires sur le territoire contrôlé par Ansar Allah, la branche politique des houthistes, ce qui fait également courir le risque d’une « escalade dévastatrice à l’échelle de la région ».  La situation sur les lignes de front reste une autre source de préoccupation, a-t-il poursuivi, faisant état d’affrontements ce mois-ci à Dalea, Hodeïda, Lahj, Mareb, Saada et Taëz.  La récente tendance à l’escalade démontre selon lui combien la situation est instable. Le représentant du Yémen n’a pas dit autre chose: « l’escalade risque de ruiner ce qui a été accompli ». 

Les deux hauts responsables ont insisté sur le sort des 13 employés de l’ONU et des personnels d’organisations internationales et nationales, de la société civile et du secteur privé détenus arbitrairement depuis près de sept semaines par Ansar Allah.  Ils ont, en chœur avec les délégations, appelé à la libération immédiate et sans condition de ces personnes qui « travaillent pour le Yémen » et sans lesquelles les effets de la guerre sur la population seraient pires. « Il est temps que le Conseil s’exprime d’une seule et même voix pour exiger leur libération », ont plaidé les États-Unis.  Dénonçant ces « menaces à la sûreté et la sécurité des travailleurs humanitaires, qui ont de graves implications sur la réponse humanitaire », la Coordonnatrice des secours d’urgence a appelé les houthistes, les États Membres et tous ceux qui ont de l’influence à obtenir la libération de ces détenus. 

Avant tout, la Suisse, comme d’autres, a exhorté toutes les parties à garantir un accès humanitaire rapide et sans entrave à la population civile dans le besoin. Il est essentiel, selon la Coordonnatrice, que la distribution de nourriture reprenne dans les zones contrôlées par les houthistes.  Étant donné que le financement de l’aide humanitaire est « problématique », comme l’a souligné la Fédération de Russie, Mme Msuya a imploré les donateurs de verser des fonds supplémentaires. 

Un point positif a été noté par M. Grundberg après l’accord trouvé hier par les parties pour désamorcer un cycle de mesures et de contre-mesures qui resserraient leur emprise sur les secteurs bancaire et des transports.  Impatient de pouvoir aider les parties à mettre en œuvre leurs engagements concernant le secteur bancaire et Yemenia Airways, il a insisté sur les objectifs: une monnaie unifiée, une banque centrale unifiée et indépendante, et un secteur bancaire libre de toute ingérence politique. 

La Sierra Leone, qui s’exprimait au nom des A3+ (Algérie, Guyana, Mozambique et Sierra Leone), et la Secrétaire générale adjointe par intérim ont appuyé la demande de l’Envoyé spécial qui prône des mesures visant à rapprocher les parties sur des questions économiques et autres: « les parties doivent saisir cette occasion pour trouver des solutions durables à ces défis.     »  Le Yémen a reconnu que la situation financière et économique de son pays est « catastrophique » après avoir condamné l’agression israélienne et accusé les houthistes de servir les intérêts du régime iranien.  « Ils doivent mettre fin à leurs activités destructrices », a-t-il lancé. 

Les États-Unis ont plaidé pour une intensification des pressions sur l’Iran et ses intermédiaires pour priver les houthistes des armes et des fournitures dont ils ont besoin pour mener leurs actions.  Ils ont aussi demandé le renforcement du Mécanisme de vérification et d’inspection des Nations Unies pour le Yémen, jugeant « inacceptable » que de nombreux navires aient pu débarquer cette dernière année dans le port de Hodeïda sans être inspectés. 

Accusant les houthistes de contrecarrer, par leurs actions, l’appui de la communauté internationale au Yémen, les États-Unis ont fait remarquer que « ces dernières semaines, les houthistes ont lancé environ 200 missiles et drones sur Israël ».  Ils ont précisé que la récente attaque contre Tel-Aviv avait été menée à l’aide d’un drone Samad-3 de fabrication iranienne, en violation de l’embargo sur les armes. La France a ordonné aux houthistes de cesser immédiatement leurs activités déstabilisatrices dans la région. 

L’insécurité en mer Rouge a, de plus, été mentionnée tout au long de la séance, par les États-Unis, notamment, qui ont appelé à l’arrêt des attaques en mer Rouge, dans le golfe d’Aden et dans les voies d’eau avoisinantes, comme exigé dans la résolution 2722 (2024).  La Chine a aussi exhorté les houthistes à garantir la liberté de navigation en mer Rouge.

Pour résoudre la question yéménite, il faut une approche politique et diplomatique, a rappelé la Chine.  À l’instar d’autres membres du Conseil, elle a dit attendre des parties qu’elles œuvrent en faveur de la paix et s’engagent dans un processus politique global que se seront approprié les Yéménites.  La communauté internationale doit se placer aux côtés du Yémen et être constructive, a-t-elle encore recommandé. 

Travailler sur le plan politique et diplomatique pour mettre un terme à ce conflit est également ce qu’a suggéré la Fédération de Russie qui a craint à ce stade l’éloignement du règlement du conflit.  Afin de surmonter la méfiance entre les parties, la délégation russe a misé sur l’approche étape par étape, « la politique des petits pas », de l’Envoyé spécial.  Ce dernier a assuré que son bureau et lui restent plus déterminés que jamais à aider et encourager les parties et à leur fournir toutes les occasions possibles de trouver des solutions par le dialogue.  « Il est capital de préserver un espace de négociation », a résumé le Royaume-Uni, tandis que la Sierra Leone a insisté sur un processus de paix « dirigé et mené par les Yéménites eux-mêmes ». 

LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT

Exposés

M. HANS GRUNDBERG, Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen, a débuté son exposé par un avertissement: la trajectoire du développement au Yémen a pris, depuis le début de l’année, une mauvaise direction et, si rien n’est fait, elle pourrait atteindre un point de bascule.  En effet, même si les parties se sont montrées disposées à engager un dialogue sur les questions économiques, nous risquons de revenir à une guerre à grande échelle, avec toutes les souffrances humaines prévisibles et les conséquences régionales que cela implique, a prévenu le haut fonctionnaire. Évoquant ensuite le sort des 13 employés de l’ONU et des dizaines de membres du personnel d’organisations internationales et nationales, de la société civile et d’entités du secteur privé détenus arbitrairement depuis près de sept semaines par Ansar Allah, le bras politique des houthistes, il a dit ignorer où ils se trouvent et dans quelles conditions ils sont détenus.  Quatre autres membres du personnel du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sont détenus depuis plus longtemps encore, respectivement depuis 2021 et 2023, a-t-il rappelé, avant d’appeler à la libération immédiate et sans condition de ces personnes qui « travaillent pour leur pays, le Yémen » et sans lesquelles les effets de la guerre sur la population seraient pires. 

De l’avis de M. Grundberg, l’escalade au Yémen et dans la région a atteint un niveau dangereux la semaine dernière avec l’attaque de drones menée par Ansar Allah sur Tel-Aviv le 19 juillet et les représailles israéliennes qui ont suivi contre le port de Hodeïda et ses installations pétrolières et électriques le 20 juillet.  L’Envoyé spécial s’est également dit préoccupé par le fait que la navigation internationale continue d’être prise pour cible en mer Rouge et dans les voies navigables environnantes, avec une menace qui gagne en ampleur et en précision. Des navires commerciaux ont été coulés ou endommagés, des civils ont été tués, l’équipage du Galaxy Leader reste détenu et le commerce international a été perturbé.  Dans le même temps, les États-Unis et le Royaume-Uni ont continué à mener des frappes contre des cibles militaires dans le territoire contrôlé par Ansar Allah, ce qui fait courir le risque d’une « escalade dévastatrice à l’échelle de la région ».  La situation sur les lignes de front reste une autre source de préoccupation, a-t-il poursuivi, faisant état d’affrontements ce mois-ci à Dalea, Hodeïda, Lahj, Mareb, Saada et Taëz.  Même si les niveaux de violence ont été relativement contenus par rapport à la période précédant la trêve de 2022, la récente tendance à l’escalade démontre selon lui combien la situation est instable. 

Malgré la trajectoire globale suivie par le Yémen, M. Grundberg s’est dit encouragé par l’accord trouvé hier par les parties pour désamorcer un cycle de mesures et de contre-mesures qui resserraient leur emprise sur les secteurs bancaire et des transports.  Notant que cet accord fait suite à des mois d’engagement intense de la part de son Bureau pour rechercher des solutions et mettre en garde contre le risque grave que la militarisation croissante de l’économie aurait fait courir au peuple yéménite, il s’est félicité de la décision des parties de choisir la voie du dialogue.  Il a affirmé attendre avec impatience de pouvoir aider les parties à mettre en œuvre leurs engagements concernant le secteur bancaire et Yemenia Airways. L’objectif reste une monnaie unifiée, une banque centrale unifiée et indépendante et un secteur bancaire libre de toute ingérence politique, a-t-il rappelé, saluant le rôle joué par l’Arabie saoudite pour parvenir à cet accord.  L’engagement des parties en faveur de la désescalade et du dialogue doit maintenant se traduire par une volonté de négocier directement, a plaidé le haut fonctionnaire. 

Après s’être réjoui que les parties se soient rencontrées à Oman, sous les auspices de l’ONU et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour discuter de la libération des détenus liés au conflit, comme convenu à Stockholm en 2018, M. Grundberg a regretté que la situation actuelle l’oblige à se concentrer sur le court terme plutôt que sur la recherche d’une solution durable. « Mon bureau et moi restons plus déterminés que jamais à continuer d’aider, d’encourager et de fournir aux parties toutes les occasions de trouver des solutions par le dialogue », a-t-il affirmé, reconnaissant toutefois qu’« en fin de compte, le choix leur appartient ».  Il a donc exhorté les parties à s’engager dans une approche à long terme pour non seulement désamorcer la situation mais aussi permettre la poursuite des travaux en faveur d’un cessez-le-feu à l’échelle nationale et la reprise d’un processus politique dans le cadre des engagements précédemment convenus, qui seront opérationnalisés dans une feuille de route des Nations Unies. 

Mme JOYCE CLEOPA MSUYA MPANJU, Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et Coordonnatrice des secours d'urgence par intérim, a pris note des progrès accomplis au Yémen dans le secteur bancaire et de la reprise des travaux en vue d’une feuille de route sous les auspices de l’ONU.  Elle a dit être préoccupée par les attaques des houthistes contre Tel-Aviv et les frappes israéliennes qui ont suivi à Hodeïda, qui augmentent les risques de débordement régional et de retour à un conflit à grande échelle au Yémen.  « Les parties doivent s’abstenir de nouvelles attaques qui pourraient nuire aux civils et endommager les infrastructures civiles. »  Notant que les frappes sur Hodeïda samedi ont tué 9 personnes et blessé 83 autres, elle a précisé qu’aucun travailleur humanitaire n’a été blessé.  Mme Msuya a rappelé que le port est une bouée de sauvetage pour des millions de personnes à travers le Yémen sachant que 85% des approvisionnements alimentaires sont importés et débarqués sur ce port.  Il doit donc rester ouvert et opérationnel, a-t-elle imploré. 

La Coordonnatrice a ensuite abordé les menaces sur la sûreté et la sécurité des travailleurs humanitaires, qui ont de graves implications sur la réponse humanitaire. Elle a rappelé que les houthistes détiennent depuis deux mois 13 membres du personnel des Nations Unies et de 5 membres d’ONG internationales, ainsi que de dizaines d’autres membres d’ONG locales et nationales, de la société civile et du secteur privé, sans qu’aucune accusation n’ait été portée contre ces membres de l’ONU et des ONG.  Aucun accès ou contact n’a été possible pour leurs organisations, l’ONU ou toute représentation juridique, s’est-elle impatientée, ajoutant que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) n’a aucune information sur le lieu où se trouvent les détenus ni sur leur état.  Ces événements ont eu un impact terrible sur le personnel, a-t-elle fait savoir en assurant qu’ils reçoivent le soutien nécessaire de l’ONU. 

À ce propos, l’Organisation mène un plaidoyer auprès des houthistes, des États Membres et de tous ceux qui ont de l’influence pour obtenir la libération de ces personnes, a informé Mme Msuya qui a exhorté les membres du Conseil à garantir la liberté du personnel humanitaire.  Elle a prévenu que cette situation compromet l’accès et les programmes humanitaires, entravant la capacité de l’OCHA à aider des millions de personnes dans le besoin. 

Mme Msuya a aussi dénoncé la propagation rapide de la désinformation et de la mésinformation visant la communauté internationale.  Sans les garanties nécessaires pour la sûreté et la sécurité du personnel, et le respect de l’action humanitaire, l’OCHA ne peut pas opérer à une échelle suffisante, a-t-elle mis en garde en se désolant qu’un enfant de moins de 5 ans sur deux souffre actuellement de malnutrition chronique ou de retard de croissance.  Depuis le début de l’année, les niveaux de privation alimentaire de la population sont passés de 51% à 58%, a-t-elle de plus signalé, ajoutant que près de 1 ménage sur 10 dépend de l’aide pour se nourrir dans les régions contrôlées par les houthistes. 

Selon Mme Msuya, cette situation a été alimentée par la suspension prolongée des distributions alimentaires du Programme alimentaire mondial (PAM) dans les zones contrôlées par les houthistes, conjuguée à la détérioration économique en cours dans tout le pays.  En mai, a-t-elle rappelé, le PAM était venu en aide à plus de 600 000 personnes dans les provinces de Hajja et de Hodeïda.  La Coordonnatrice a jugé absolument essentiel que la distribution de nourriture reprenne dans les zones contrôlées par les houthistes. Elle a regretté le sous-financement de l’aide avant de demander aux donateurs de verser des fonds supplémentaires pour la financer. 

Plus largement, Mme Msuya a mis l’accent sur le fait que l’amélioration de la situation alimentaire et des conditions humanitaires dépend d’une amélioration de la situation économique.  Or, le conflit a diminué de moitié le produit intérieur brut (PIB) du Yémen et la Banque mondiale a prévu une contraction du PIB en 2023, a-t-elle observé. Notant que 1 dollar américain s’échange contre 1 800 rials dans les régions contrôlées par le Gouvernement, elle a constaté que cela rend les prix des denrées alimentaires déjà exorbitants encore plus hors de portée pour des millions de personnes.  En conclusion, Mme Msuya a appuyé l’annonce de l’Envoyé spécial demandant des mesures visant à rapprocher les parties sur des questions économiques et autres.  « Les parties doivent saisir cette occasion pour trouver des solutions durables à ces défis. » 

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