Conseil de sécurité: inquiétude croissante face au blocage du processus politique syrien et aux retombées sécuritaires et humanitaires du conflit à Gaza
Alors que le conflit syrien entrera le 15 mars prochain dans sa quatorzième année, l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie et le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires ont brossé, ce matin, devant le Conseil de sécurité, un tableau sombre de la situation dans le pays, où les retombées de la crise à Gaza se font gravement ressentir dans les domaines sécuritaire et humanitaire, sur fond de blocage politique persistant, la Commission constitutionnelle ne s’étant plus réunie depuis juin 2022.
Intervenant en vidéoconférence, M. Geir O. Pedersen a exprimé sa profonde préoccupation face aux répercussions du « conflit régional » sur les civils en Syrie. L’Envoyé spécial a fait état de multiples frappes aériennes attribuées à Israël, ainsi que de « frappes de représaille » menées par les États-Unis en Jordanie, à la frontière avec la Syrie, avant d’appeler à un cessez-le-feu humanitaire immédiat à Gaza pour apaiser ces tensions de toute urgence.
M. Pedersen a cependant relevé que tous les autres vecteurs du conflit syrien lui-même perdurent et restent la principale cause de pertes civiles et de déplacements. Rappelant que tout le nord du pays a été le théâtre ce mois-ci d’escarmouches sur la ligne de front, que Daech a multiplié les attaques dans les régions du centre et du nord-est, et que le sud reste instable, avec des heurts à la frontière syro-jordanienne, il a plaidé pour une désescalade suivie d’un cessez-le-feu national, conformément à la résolution 2254 (2015).
Sur le plan politique, l’Envoyé spécial a regretté que la neuvième session de la Commission constitutionnelle, pour laquelle il avait lancé des invitations voilà plus de 18 mois, n’ait pu se tenir, la Russie, proche alliée de la Syrie, ne considérant plus Genève comme un « lieu neutre ». Après avoir pris acte du rejet par Damas de ses propositions alternatives, notamment d’une convocation de cette session à l’Office des Nations Unies à Nairobi, il a indiqué avoir lancé aujourd’hui des invitations formelles pour un neuvième cycle à Genève fin avril, estimant que la reprise de ces travaux, au moins dans un premier temps sur le sol suisse, est la « seule façon d’avancer ».
Plusieurs délégations ont dénoncé ce blocage et appuyé les efforts de l’Envoyé spécial pour relancer le processus politique. Si les États-Unis ont clairement fustigé « l’entrave de Moscou » aux travaux de la Commission constitutionnelle, la Türkiye a fait observer que l’opposition syrienne a accepté les propositions de M. Pedersen en vue d’une reprise des discussions. Le « régime syrien » doit jouer la réciprocité, a-t-elle suggéré, tandis que la Suisse se disait prête à faciliter tout type de pourparlers visant à promouvoir une solution politique durable sous l’égide de l’ONU.
Bien que le représentant de la Syrie fasse état d’une « proposition constructive » de son gouvernement pour débloquer la situation, la France a averti qu’en l’absence de progrès tangibles sur le plan politique, elle ne financerait pas la reconstruction pour réparer les dommages que le régime a infligés et ne renoncerait pas à ses sanctions. « C’est à Bashar Al-Assad de prendre aujourd’hui les mesures nécessaires pour obtenir leur levée », a-t-elle martelé, la Chine préférant soutenir le processus d’Astana, initié par la Fédération de Russie, l’Iran et la Türkiye, ainsi que les efforts de l’Envoyé spécial et la résolution 2254 (2015), qui constituent selon elle le « socle » de la solution politique en Syrie.
La Fédération de Russie a, pour sa part, soutenu que la reprise des travaux de la Commission constitutionnelle bute sur le choix d’un lieu acceptable pour les Syriens eux-mêmes. Elle a donc exhorté M. Pedersen à concentrer ses efforts sur la recherche d’une solution, « sans essayer d’imposer ses propres préférences aux parties syriennes ».
Les échanges ont également porté sur la situation humanitaire, dont les perspectives restent « sombres », de l’aveu même du Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence. Un an après les tremblements de terre catastrophiques de février 2023, les hostilités en cours et le déclin des services essentiels s’ajoutent à une situation économique désastreuse et accroissent la dépendance de la population à l’aide d’urgence, a expliqué M. Martin Griffiths.
Dans ce contexte, il a salué la décision du Gouvernement syrien de renouveler l’autorisation accordée à l’ONU d’utiliser les points de passage de Bab el-Salam et de Raaï pour trois mois supplémentaires, jusqu’au 13 mai 2024. Cette prorogation, a-t-il rappelé, fait suite à la décision des autorités syriennes de prolonger de six mois, jusqu’au 13 juillet 2024, l’utilisation du poste de Bab el-Haoua pour acheminer de l’aide vers le nord-ouest de la Syrie. En 2023, a précisé M. Griffiths, l’ONU et ses partenaires humanitaires ont fait transiter plus de 5 000 camions par ces points de passage.
Pour le Secrétaire général adjoint, il est évident que l’aide transfrontalière demeure cruciale pour la population du nord-ouest. Mais il est également clair que l’augmentation des livraisons par les lignes de front dans toute la Syrie constitue un impératif humanitaire, a-t-il fait valoir, appuyé sur ce point par la Syrie. D’autres délégations, dont Malte et le Japon, ont rappelé que l’aide humanitaire sous toutes ses formes est une « bouée de sauvetage » pour des millions de Syriens.
Au nom des A3+1 (Algérie, Guyana, Mozambique et Sierra Leone), l’Algérie a souligné l’urgence de remédier au déficit de financement du plan de réponse humanitaire de l’ONU afin de garantir la fourniture de l’aide. Moins de 40% des fonds ont été collectés, ce qui est largement insuffisant pour couvrir les besoins de base des Syriens, a renchéri la Fédération de Russie, accusant également les États-Unis et leurs « satellites » d’avoir écarté la question du relèvement rapide de la Syrie de l’agenda humanitaire, au risque de provoquer une crise des réfugiés d’une ampleur sans précédent, au Moyen-Orient mais aussi en Europe. L’Iran a quant à elle dénoncé l’impact des sanctions unilatérales illégales sur la population syrienne et la politisation de l’aide humanitaire.
De leur côté, les États-Unis et le Royaume-Uni ont enjoint au « régime syrien » de cesser son commerce de « captagon », avertissant que ce trafic, soutenu par des groupes affiliés à l’Iran, devient de plus en plus organisé, violent et déstabilisant. Cette activité dangereuse met en péril nos partenaires dans la région, a dénoncé la représentante britannique. Son homologue américain a quant à lui indiqué que Londres et Washington ont inscrit, en mars 2023, trois individus impliqués dans ce trafic sur leur liste de sanctions.