En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-neuvième session
3e séance plénière - après-midi
CPSD/803

Les représentants officiels de certains des 17 territoires non autonomes et pétitionnaires se succèdent à la tribune de la Quatrième Commission

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

Cet après-midi, la Quatrième Commission a entamé les auditions de pétitionnaires des territoires non autonomes, les représentants officiels de Îles Vierges britanniques, de la Polynésie française, de Gibraltar, de Guam et de la Nouvelle-Calédonie ayant également eu l’occasion de s’adresser aux délégations.

Le Président de la Polynésie française, M. Moetai Brotherson, a salué le dialogue entamé par la France lors de la dernière session de la Quatrième Commission avec son gouvernement.  Il a toutefois considéré qu’un élément clef fait toujours défaut à « une décolonisation transparente, pacifique, pleine et entière sous l’égide des Nations Unies », à savoir une feuille de route vers l’autodétermination assortie d’un calendrier, qui devrait figurer dans la résolution annuelle relative à la question de ce territoire, a souhaité le Président.  Il a invité le Comité spécial des Vingt-Quatre à envisager une mission de visite dans son pays, une demande appuyée par plusieurs pétitionnaires y voyant une opportunité de faire une évaluation impartiale de la situation économique et sociale et de l’impact « des politiques coloniales ».

À la suite de cette intervention, la France, qui intervenait pour la deuxième fois sur cette question devant la Commission, a souligné qu’il n’existe pas de processus entre l’État français et la Polynésie française « qui réserve un rôle aux Nations Unies ».  Le statut d’autonomie « très poussé » de la Polynésie française permet à ses habitants d’exprimer leurs ambitions dans le respect de leurs particularités, a également fait valoir le représentant, en ajoutant que Paris veillera avant tout au développement du territoire avec les autorités locales.

À l’instar d’un député non indépendantiste de la Polynésie française à l’Assemblée nationale, les partisans de cette option ont rappelé que ce territoire bénéficie d’un statut d’autonomie « enviable » parmi les territoires d’outre-mer, avec un soutien constant et massif de la capitale, qui lui consacre chaque année 2 milliards de dollars, soit un tiers de son PIB.  Pour les « autonomistes », le traumatisme de la colonisation que certains continuent d’invoquer n’est qu’un « murmure du passé ».  L’indépendance ne serait que s’exposer à des dangers à leurs yeux : « Qui protégera demain notre ZEE de cinq millions de kilomètres carrés dans une région convoitée par des puissances obscures?  Qui sera là pour défendre notre territoire et pour gérer des compétences régaliennes telles que la monnaie, la défense ou la sécurité? »

De nombreux pétitionnaires ont pourtant dénoncé un « faux statut d’autonomie » de la Polynésie française, en revendiquant leur droit à l’autodétermination et la reconnaissance de ce droit par la Puissance occupante.  Sur ce point, il y a eu plusieurs demandes de gel du corps électoral, avec des critères clairs, pour un référendum d’autodétermination.  Les pétitionnaires ont également été nombreux à appeler la communauté internationale à soutenir le processus de décolonisation de la Polynésie française et un dialogue institutionnel, face à la politique de la « chaise vide » pratiquée 11 ans durant par la France.  Sur la question des essais nucléaires français, le représentant de l’Association Moruroa E Tatou, a soutenu que le « colonialisme nucléaire » n’est pas à conjuguer au passé.

Gibraltar

S’agissant de la question de Gibraltar, son Ministre principal, M. Fabian Picardo, a réitéré « une fois de plus » la position du Gouvernement et du peuple de ce territoire, à savoir que « l’Espagne a cédé sa souveraineté sur Gibraltar à perpétuité en 1713 ».  « Aucune résolution de l’Assemblée générale ne peut changer ce fait », a-t-il ajouté, pas plus qu’elle ne peut « restreindre notre droit l’autodétermination ».  M. Picardo a considéré « sans valeur » les résolutions de l’Assemblée générale sur lesquelles s’appuie l’Espagne pour étayer ses prétentions à propos de Gibraltar.

Évoquant l’accord conclu entre le Royaume-Uni et Maurice concernant les Chagos, le Ministre principal a estimé que les représentants espagnols « ne devraient pas se perdre en références répétées et futiles à des résolutions qui n’ont aucune valeur juridique », la dernière en date remontant à 1969.  Pour M. Picardo, adhérer à ces résolutions « obsolètes » équivaudrait non pas à une décolonisation, mais plutôt à la « recolonisation de Gibraltar par une autre puissance coloniale ».  « Le seul facteur déterminant de notre avenir sera l’expression de la libre volonté du peuple de Gibraltar », a martelé le Ministre principal, pour qui elle doit être exercée conformément à son droit à l’autodétermination.  Il s’agit selon lui de l’unique principe du droit international pertinent pour la décolonisation de ce territoire.

Alors que 96% des habitants du « Rocher » ont voté pour rester dans l’Union européenne lors du référendum de 2016, M. Picardo a dit s’efforcer de convenir, « aux côtés du Royaume-Uni », d’une nouvelle relation avec l’UE, une relation « forte, positive et fluide », offrant des solutions pragmatiques.  Il a dit travailler avec ses collègues britanniques et espagnols à la création d’une zone de « prospérité partagée » à Gibraltar et dans l’arrière-pays espagnol.  À cet égard, Gibraltar souhaite qu’un traité soit conclu le plus rapidement possible entre le Royaume-Uni et l’UE.  « La balle est donc désormais dans le camp de l’Espagne. »  Toutefois, a-t-il prévenu, il ne saurait y avoir de compromis sur « l’engagement du retrait de Gibraltar de la liste des territoires non autonomes ».

Le seul pétitionnaire sur cette question, M. Richard Buttigieg, Self-Determination for Gibraltar Group, a constaté que depuis une décennie, cette Commission n’a « absolument rien fait » pour son pays, si ce n’est d’adopter les mêmes résolutions « obsolètes » année après année.  « Vous semblez désintéressée de notre avenir », a-t-il lancé.  Alors que l’ONU a récemment envoyé une mission de visite aux Îles Vierges britanniques, elle ne daigne même pas répondre à des invitations similaires à Gibraltar.  Le désir longtemps exprimé de son peuple de rester britannique doit être respecté, a insisté l’intervenant.  Bien que l’Espagne prétende que nos souhaits « n’ont pas d’importance », Gibraltar ne peut être traité comme une possession coloniale, a-t-il prévenu.

Îles Vierges britanniques

Le Premier Ministre des Îles Vierges britanniques, M. Natalio D. Wheatley, est également intervenu cet après-midi, affirmant que ce territoire poursuit son cheminement sur la voie de l’autodétermination.  Il a annoncé s’être rendu à Londres, le mois dernier, afin de rencontrer le nouveau Ministre des territoires d’outre-mer et d’autres parlementaires britanniques, se disant désireux d’améliorer la relation entre les îles et le Royaume-Uni.  Il a toutefois regretté que le Conseil habilité à suspendre la Constitution des îles demeure en place, ce qui est selon lui « antidémocratique et inutile ».

Le programme de réforme de la gouvernance de l’archipel est entré dans sa phase finale de mise en œuvre, et d’autres réformes sont en train d’être finalisées, a poursuivi M. Wheatley.  Il s’agit selon lui des réformes les plus complètes de l’histoire du territoire, qui lui permettront, à terme, de parvenir à l’autonomie dans la gestion de ses affaires publiques.  Il a appelé à la mise en place d’un nouveau partenariat moderne entre le Royaume-Uni et les territoires d’outre-mer.  Les Îles Vierges britanniques étant particulièrement affectées par les changements climatiques, le Premier Ministre s’est félicité de l’adoption de l’indice de vulnérabilité multidimensionnelle, bien qu’il n’inclue pas ce territoire.  Dans l’intervalle, l’archipel coopère avec l’ONU pour demander une assistance technique additionnelle ainsi que l’accès au financement du développement et de la résilience climatique.

Mme Eliezer Benito Wheatley, du Centre pour la science et la politique de l’Université de Cambridge, a également salué la mission de visite menée par le Comité spécial des Vingt-Quatre, en particulier son caractère impartial et professionnel, ce qui a donné confiance aux parties prenantes sur le terrain.  Aujourd’hui, la population de l’archipel doit décider quel statut politique correspond le mieux à ses intérêts, a-t-il fait valoir, et en tant que Puissance occupante, le Royaume-Uni devrait s’engager dans la poursuite du dialogue national sur la décolonisation dans le territoire, avec la coopération de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), a-t-elle estimé.

Guam

Sur la question de Guam, la Commission a entendu l’intervention de M.  Clynton E. Ridgell, Chef de Cabinet adjoint du Bureau du Gouverneur de Guam, qui lui a rappelé la demande « constante » de Guam depuis 2006 d’organiser une mission de visite sur le territoire, après celle menée cette année aux Îles Vierges britanniques.  En 2023, les États-Unis ont confirmé leur soutien à une telle mission.  Il a donc demandé le soutien la Commission et de la Puissance administrante ainsi qu’une allocation de fonds en vue de pouvoir organiser cette mission.

Malgré le manque de souveraineté et d’autonomie de Guam, l’île a adhéré l’an dernier au Forum des îles du Pacifique, afin de favoriser des communautés résilientes et prospères, a-t-il signalé.  « Cependant, il existe un manque flagrant d’orientations sur la manière dont nous pouvons participer à certaines instances et si nous pouvons le faire », a-t-il déploré.  M. Ridgell a souhaité que la Commission et la Puissance administrante soutiennent un programme de formation à la diplomatie permettant aux territoires non autonomes de développer les compétences nécessaires pour intégrer les systèmes internationaux.

Il a exprimé son inquiétude quant à l’exclusion du « libellé historique » de la résolution annuelle sur Guam, demandant des éclaircissements sur la suppression d’un passage spécifique.  Ce dernier rappelait « que la menace la plus aiguë pour l’exercice légitime de la décolonisation de Guam était la militarisation incessante de l’île par sa Puissance administrante, et notait l’inquiétude exprimée concernant l’effet de l’escalade des activités et installations militaires de la Puissance administrante sur Guam ».  La présence croissante de l’armée américaine à Guam rend d’autant plus préoccupante la suppression de ce libellé, qui faisait partie intégrante de la résolution depuis 2016, a fait valoir M. Ridgell.  L’accord « inéquitable » qui lie Guam à la Puissance administrante doit donc être corrigé pour garantir que l’île agisse en tant que partenaire égal dans les activités militaires présentes.  En tant que territoire non autonome, sa relation avec les États-Unis permet à ceux-ci de prendre des décisions qui ont un impact négatif sur son développement social et économique.

Abondant en ce sens, la seule pétitionnaire inscrite au titre de la question de Guam, Mme Harmony Palaganas de la Commission de la décolonisation, a déclaré que si le peuple de Guam garde espoir, il demeure conscient de sa réalité façonnée par « le déni d’autodétermination, l’absence d’autonomie gouvernementale et de souveraineté », qui permet à la Puissance administrante de lui imposer ses politiques sans le consulter.  « Bien que nous soutenions la défense de notre île, le renforcement de la présence militaire américaine se perpétue sans le consentement des personnes qu’elle affecte. »   Face à un tel constat, elle a demandé à son tour à la Commission de rétablir, dans la résolution sur la question de Guam, le libellé reconnaissant la « militarisation incessante » comme une « menace grave à l’exercice légitime de la décolonisation de Guam ».

Nouvelle-Calédonie

Sur la question de la Nouvelle-Calédonie, l’Envoyé spécial du Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a rappelé que depuis la signature de l’accord de Nouméa, en 1998, son pays est engagé dans un processus de décolonisation et d’émancipation dont le caractère est unique et non sans difficulté.  À ce titre, M. Claude Gambey est revenu sur la crise du 13 mai 2024.  Provoquée par l’adoption du projet de loi constitutionnelle portant sur le dégel du corps électoral en l’absence de consensus dans un territoire peuplé à 41% d’autochtones mélanésiens, cette crise a eu un bilan humain très lourd, 11 civils (essentiellement Kanaks) ayant été tués ainsi que 2 gendarmes.  En outre, 3 000 autres Kanaks ont été interpellés et 120 incarcérés, dont une dizaine en France métropolitaine.  Outre le coût des dégâts, évalué à 2 milliards d’euros, l’Envoyé spécial a rappelé que le rétablissement de l’ordre public a nécessité une mobilisation importante des forces de l’ordre déployées depuis la France métropolitaine et l’application d’un couvre-feu.

Compte tenu de cette situation, le nouveau Premier Ministre français a annoncé dans sa déclaration de politique générale, la semaine dernière, devant l’Assemblée nationale, l’abandon de la loi sur le dégel du corps électoral et le report des élections provinciales « jusqu’à fin 2025 », privilégiant ainsi le dialogue et la concertation.

La tendance électorale de ces dernières années montre que la voie vers la souveraineté est une option qu’il faut envisager sérieusement pour garantir des perspectives durables pour la Nouvelle-Calédonie, a concédé le haut représentant.  En effet, même si les trois consultations se sont exprimées en défaveur de l’indépendance, le vote en faveur du OUI est en progression constante.  Les dernières élections législatives en date de septembre 2024, ont corroboré cette évolution, puisque les candidats indépendantistes ont obtenu 10 000 voix de plus que les non-indépendantistes, envoyant pour la première fois en près de 50 ans un élu indépendantiste à l’Assemblée nationale.  « La notion d’indépendance a gagné l’opinion calédonienne, notamment sa jeunesse, mais aussi les instances régionales et internationales », a souligné M. Gambey.

Le représentant de la France a qualifié les événements du 13 mai « d’épisode de violence majeur qui a eu un impact profond sur l’ensemble de la population ».  Dans l’immédiat, l’État s’est attaché à restaurer le calme, a assuré son représentant, assurant qu’il continue d’apporter une aide financière exceptionnelle pour aider au redressement de l’économie calédonienne, qui fera l’objet d’un plan quinquennal.  Il est surtout temps d’intensifier le dialogue entre les acteurs du territoire, car la violence n’est jamais une solution.  Le nouveau Premier Ministre français a redonné une impulsion à ce dialogue en annonçant des mesures visant à trouver une voie d’apaisement, ainsi que l’envoi d’une mission des présidents de l’Assemblée nationale du Sénat pour faire en sorte que les acteurs locaux « retrouvent la voie d’un avenir collectivement décidé, sur la base de l’acquis de l’Accord de Nouméa ».  Le Premier Ministre entend également visiter la Nouvelle-Calédonie.  Comme le prévoit cet accord, la France compte entretenir une coopération avec l’ONU sur cette question.  Après une mission de visite menée en 2018, elle a invité le Comité de la décolonisation à s’y rendre à nouveau, a rappelé le représentant de la France.

À l’instar de M. Brieux Frogier, certains des pétitionnaires à être intervenus au sujet de la Nouvelle-Calédonie, ont accusé « les radicaux » d’avoir méthodiquement détruit les moyens de subsistance des insulaires, comme l’a notamment soutenu M. Brieux Frogier.  Évoquant une « économie dévastée » dans le but de faire fuir les populations non mélanésiennes, le camp des non-indépendantistes a argué que ce n’est que grâce au soutien financier de la France que la Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui en mesure de survivre.

Au contraire, les indépendantistes, tels M. Jean Victor Castor, de même que les représentants du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie, comme MM. Viro, Bouquet et Boula qui ont pris la parole aujourd’hui, ont reproché à la France d’avoir créé les conditions d’un chaos politique, social et économique malgré leurs mises en garde répétés.  Depuis le 13 mai, la Puissance administrante a réprimé dans la violence le mouvement d’émancipation en Nouvelle-Calédonie-Kanaky et criminalisé les défenseurs des droits des Kanaks, se sont-ils indignés.  Affirmant qu’aujourd’hui le territoire est au bord de la rupture, avec plus de 35% de chômeurs et des pouvoirs publics locaux incapables de payer leurs fonctionnaires, ces pétitionnaires ont réclamé des décisions vigoureuses pour répondre à la crise politique et économique et satisfaire leur droit à l’autodétermination.  Ils ont relevé que lorsque le nouveau Premier Ministre français, Michel Barnier, a été interpellé sur cette question le 2 octobre par le député Kanak Emmanuel Tjibaou, et qu’il n’a pas répondu.  Leur demande, c’est que le Gouvernement français retire sans ambiguïté le projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral en Kanaky et organise un nouveau référendum sur l’accès à la pleine souveraineté respectueux du principe du consentement préalable du peuple autochtone Kanak, en consultation avec les autorités coutumières, comme l’ont demandé les rapporteurs des Nations Unies.

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