Le travail de la CDI sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État sous le feu des critiques à la Sixième Commission
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La Sixième Commission, chargée des questions juridiques, a poursuivi, aujourd’hui, ses discussions sur un premier groupe de chapitres du rapport annuel de la Commission du droit international (CDI): chapitres introductifs I à III, Chapitre VII (Immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État), Chapitre X (L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international) et Chapitre XI (Autres décisions et conclusions de la Commission).
Si les délégations ont dans leur ensemble salué le travail de la CDI sur l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, elles ont en revanche été plus critiques en ce qui concerne le projet d’article sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État. Le travail de la CDI sur cette dernière question n’est pas facile, puisqu’il s’agit, comme l’a notamment rappelé la Suisse, de trouver un « juste équilibre » entre le principe de l’égalité souveraine des États et la lutte contre l’impunité.
Compte tenu de la complexité de cette thématique, la République de Corée a salué la décision du Rapporteur spécial de procéder à une deuxième lecture dudit projet en deux années, au lieu d’une. Ce pays n’a néanmoins pas ménagé ses critiques, en invitant la CDI à adopter une approche plus substantielle. Son travail présente des incohérences, a tranché le délégué.
Dans le projet d’articles, il a en effet dénoncé une confusion entre immunité de juridiction civile et immunité de juridiction pénale. « Confondre ces deux régimes d’immunité affecte négativement le travail de la CDI. » Plus globalement, la République de Corée a demandé que la CDI s’appuie sur une pratique des États plus représentative d’un point de vue géographique. Une position partagée par l’Érythrée qui a accusé la CDI de ne pas avoir accordé une attention égale à tous les États.
Pour discerner une tendance à une limitation de l’applicabilité de l’immunité personnelle (ratione personae), la CDI s’est appuyée sur 10 lois nationales, a argué cette délégation. « Comment la CDI peut-elle ainsi discerner des tendances »? a demandé l’Érythrée, tout en reconnaissant que la Commission n’a pas « tâche aisée » sur un sujet aussi « controversé. » Certains articles ne reflètent pas les pratiques des États ou le droit international coutumier, a appuyé le Cameroun.
L’Égypte s’est montrée particulièrement cinglante, en estimant que la CDI n’a pas été « prudente et raisonnable » sur ce sujet. Elle s’est appuyée sur une sélection non représentative de pratiques judicaires, a déclaré son délégué, avant de fustiger « cette méthodologie fallacieuse ». Il a vivement encouragé la Commission à adopter des méthodes plus rigoureuses, tandis que le Royaume-Uni a demandé que le rapport final de la CDI soit ancré dans la pratique des États.
La déléguée britannique s’est également demandé si les dispositions et garanties procédurales étaient appropriées pour examiner à la fois les questions d’immunité personnelle (ratione personae) et d’immunité fonctionnelle (ratione materiae). L’Indonésie a encouragé à clarifier davantage les termes clefs tels que « juridiction pénale » et l’expression « acte accompli à titre officiel », afin d’éviter toute ambiguïté et d’assurer une cohérence du projet d’articles.
De son côté, la Suisse s’est félicitée que les préoccupations relatives à la formulation du projet d’article concernant l’immunité des représentants de l’État et les obligations des États en vertu des accords internationaux portant création de cours et de tribunaux pénaux internationaux aient été reconnues. « Nous soutenons la proposition du Rapporteur spécial d’une reformulation de ce paragraphe ».
Le projet d’article 7 sur la liste des crimes pour laquelle l’immunité ratione materiae ne s’applique pas, a concentré les critiques. Prônant la « prudence » sur cet article, les États-Unis se sont félicités que la Commission n’en ait pas discuté cette année, alors que la Suisse a, au contraire, regretté ce choix. « Cet article ne reflète pas le droit coutumier », ont ajouté les États-Unis, en estimant que la pratique des États n’est pas suffisante.
À l’instar du Maroc, les États-Unis ont invité la CDI à indiquer clairement dans les commentaires les articles qui reflètent des efforts de codification du droit et ceux qui prévoient de simples recommandations pour son développement progressif. « Nous exhortons la CDI à ne pas se précipiter lors de la deuxième lecture de cet article afin de remédier au manque persistant de consensus. » Le Japon a lui aussi prôné la prudence autour de cet article « clef », compte tenu du « manque de pratique étatique suffisante » dans ce domaine.
Bien que ce projet d’article prévoie une exception à cette règle, des définitions telles que le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont énumérées dans le Statut de Rome, or tous les États n’en sont pas signataires, a rappelé la Malaisie, en demandant des « éclaircissements » à la Commission sur la meilleure façon d’invoquer ledit projet.
Plus globalement, le Japon a appelé à bien comprendre la position de chaque État, tandis la Türkiye a dit craindre que ses observations présentées en 2022 ne soient pas prises en compte dans le prochain rapport du Rapporteur spécial. « C’est pourtant l’usage. » Il est essentiel que le travail de la CDI tienne compte de l’importance de la stabilité des relations internationales, a dit la Türkiye, appuyée par la République islamique d’Iran.
Convaincu que certains représentants de l’État bénéficient d’une immunité ratione personae « absolue », qui couvre aussi bien les actes accomplis en leur qualité officielle que leurs actes privés, le délégué iranien a en outre estimé que « l’immunité n’équivaut pas à l’impunité » et que le fait de limiter la portée de l’immunité en faveur de la responsabilité des représentants de l’État devrait bénéficier d’une pratique étatique « suffisante, répandue, représentative et cohérente ».
Les changements climatiques ont été au cœur de la discussion sur l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international puisque ce phénomène est la conséquence « directe » desdits changements comme l’ont rappelé les Philippines, avant d’évoquer les « procédures en cours » sur ce sujet.
Nombre de délégations ont en effet fait allusion à la demande d’avis consultatif à la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les obligations des États en matière de changement climatique et au récent avis consultatif rendu par le Tribunal international du droit de la mer. Selon le Tribunal, les États ont l’obligation juridique de protéger les océans face aux effets du changement climatique.
Tonga s’est félicité de cet avis, avant de mentionner la déclaration du Forum des îles du Pacifique, adoptée en août 2021, sur la préservation des zones maritimes face à l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques. Dans ce droit fil, la République de Corée a indiqué que sa cour constitutionnelle a rendu une décision « historique » en août dernier confirmant l’obligation constitutionnelle de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. « C’est une première en Asie. »
« Il faut s’appuyer sur les principes juridiques existants, tels que l’équité et la justice, pour garantir que les États les plus touchés par les changements climatiques – d’autant plus s’ils ont le moins contribué à ses causes – reçoivent le soutien dont ils ont besoin », a fait valoir l’Indonésie.
« S’attendre à ce que nos pays fassent face aux conséquences de l’élévation du niveau de la mer sans le concours de la communauté internationale serait totalement inéquitable », a renchéri le Samoa, au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS). Les petits États insulaires, a rappelé la déléguée du Samoa, affirment depuis des années que les zones maritimes, établies et notifiées conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ne seront pas réduites face à l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques. « Nous ne devons pas confondre la réalité physique d’un territoire terrestre qui disparaît ou devient inhabitable avec les règles juridiques concernant le statut d’État et la souveraineté, y compris la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. »
D’autres critiques ont enfin visé la décision de la CDI d’inclure comme nouveau sujet à son programme de travail de long terme « La diligence due en droit international ». Cette notion est trop large, a reproché l’Iran, en estimant qu’elle aurait dû être envisagée en rapport à un aspect précis du droit international. « L’inclusion de ce point est prématurée », ont appuyé les États-Unis.
La sixième Commission reprendra ses travaux demain, jeudi 24 octobre, à partir de 15 heures.
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