La Sixième Commission conclut son examen du projet d’articles sur les crimes contre l’humanité et se penche sur la recommandation de la CDI
Après avoir complété ses délibérations concernant le cinquième et dernier groupe thématique du projet d’articles de la Commission du droit international (CDI) sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, la Sixième Commission a entrepris, cet après-midi, son examen de la recommandation de la CDI en vue de l’élaboration d’une convention internationale. En matinée, la Commission a également conclu son examen du groupe thématique 4, concernant les mesures internationales.
S’agissant du groupe thématique 5, qui comprend les projets d’articles 5 (Non-refoulement), 11 (Traitement équitable de l’auteur présumé de l’infraction) et 12 (Victimes, témoins et autres personnes), l’Union européenne a reconnu qu’au cours de la reprise de session de la Commission d’avril 2023, plusieurs délégations avaient exprimé leurs préoccupations au sujet du projet d’article 5, du fait de son faible soutien à la pratique générale des États et à l’opinio juris, ainsi que des craintes de politisation qu’il suscite. Les États-Unis ont en outre constaté que certains pays ont éprouvé des difficultés à s’acquitter de leurs obligations en la matière.
Pourtant, a argué la délégation européenne, avec l’appui du Brésil et de la Suisse, l’inclusion du non-refoulement dans un nombre important de traités internationaux, combinée à la pratique des États qui en découle, a élevé ce principe au rang de droit international coutumier. Il s’agit pour les Pays-Bas d’un « principe fondamental du droit international » destiné à empêcher que des personnes ne soient exposées à des crimes contre l’humanité. L’obligation de non-refoulement étant, selon la CDI, de nature « absolue », aucune exception ne devrait être envisagée à l’application de ce principe, a renchéri l’Autriche.
À l’opposé, la Chine, la Fédération de Russie et la Jordanie ont estimé que cette obligation, de même que le libellé du projet d’article lui-même, ne reflètent pas le droit international coutumier. En outre, cette disposition n’est pas nécessaire, dans la mesure où le retour des personnes serait régi par les règles pertinentes du droit international des réfugiés. L’Iran a souscrit à cet avis, en mettant en garde contre une interprétation arbitraire de ces dispositions qui rendrait « inefficace » la coopération internationale sur cette question.
Pour ce même projet d’article, les pays nordiques, par la voix de l’Islande, ont favorisé le critère de « risque grave » plutôt que celui de « motifs sérieux », concernant le risque d’être victime d’un crime contre l’humanité. Dans la même veine, le Nigéria a appelé à préciser ces « motifs sérieux ». Considérant qu’un tel libellé laissait une large place à l’interprétation et risquait de mener à la « politisation » des procédures juridiques, la Fédération de Russie a réclamé la suppression pure et simple du projet d’article 5.
En ce qui concerne le projet d’article 11, l’Union européenne a noté que bien que l’expression « pleine protection » des droits puisse être interprétée différemment selon les systèmes juridiques, une énumération des droits qu’elle recouvre suffirait à apaiser les préoccupations exprimées. Comme la République de Corée, la Nouvelle-Zélande a cependant observé que les garanties qui y sont énoncées renvoient aux droits et garanties découlant du droit international sur le traitement équitable. « Quelle que soit la gravité de l’infraction, les États sont tenus de respecter pleinement ces droits », a insisté l’Italie.
Pour sa part, le Brésil, appuyé par le Kenya, a mis en garde contre toute tentative de reproduire le langage de la Convention Ljubljana-La Haye sur la coopération internationale pour les enquêtes et les poursuites concernant le crime de génocide, négociée hors du cadre de l’ONU et jouissant d’une adhésion limitée, ou encore de reformuler le projet d’articles de la CDI afin de le rendre compatible avec cet instrument.
Toujours dans le groupe thématique 5, l’Union européenne, les pays nordiques et la Roumanie ont considéré que les éléments de procédure pénale et de réparation qui figurent au projet d’article 12 sur les victimes, témoins et autres personnes, à savoir la réparation, la restitution, l’indemnisation, la satisfaction, la cessation ainsi que les garanties de non-répétition, permettront de « rétablir » la dignité des victimes de crimes contre l’humanité. Tout en souscrivant à cette analyse, la France a jugé préférable de traiter de la question des victimes dans un article distinct de celle des témoins.
Néanmoins, ont ajouté les Pays-Bas, ce projet d’article est cohérent avec l’évolution générale du droit pénal national, régional et international visant à renforcer la position juridique des victimes de crimes internationaux, évolution qui se manifeste notamment par le renforcement du rôle des victimes lors de procédures pénales et dans la possibilité de demander réparation. Dans ce contexte, la délégation néerlandaise a salué l’inclusion d’une base de coopération judiciaire permettant la saisie et la confiscation à des fins de réparation dans la Convention de Ljubljana-La Haye, laquelle constitue à ses yeux un « jalon » dans le droit pénal international.
La Nouvelle-Zélande et Singapour ont salué la flexibilité qui résulte du paragraphe 3 du projet d’article 12, lequel permet de préserver le pouvoir discrétionnaire des États quant aux modalités des réparations. Cette approche reconnaît en outre que divers scénarios peuvent survenir lorsque de tels crimes sont commis, nécessitant des réparations adaptées à chaque circonstance. Après avoir noté que la plupart des États intègrent déjà des garanties similaires à leurs systèmes nationaux, la République de Corée et l’Australie ont également approuvé cette approche de la CDI.
C’est justement sur cette base que chaque État devrait, selon l’Inde et la Chine, être libre de déterminer les modalités des réparations, s’agissant notamment de l’indemnisation pour préjudice moral. À ce sujet, la Sierra Leone a relevé que les petits États ne disposent pas forcément des moyens de verser des réparations. Les États-Unis se sont en outre interrogés sur le « droit d’obtenir réparation » énoncé au paragraphe 3 de ce projet d’article.
La Sixième Commission a par ailleurs conclu, en matinée, son examen du groupe thématique 4, consacré aux mesures internationales, qui regroupe les projets d’articles 13 (Extradition), 14 (Entraide judiciaire) et 15 (Règlement des différends), ainsi que le projet d’annexe sur les modalités de l’entraide judiciaire. S’agissant du projet d’article 13, le Cameroun a jugé « spécieux » les arguments évoqués au paragraphe 11 qui tendent, selon lui, à légitimer le refus d’extradition tout en empiétant sur la souveraineté de l’État requérant. De son côté, l’État de Palestine s’est félicité, au projet d’article 15, du choix offert aux États de s’adresser à la Cour internationale de Justice (CIJ) en cas d’échec des négociations.
En fin de journée, la Commission a tourné son attention sur la recommandation de la CDI de 2019 d’élaborer une convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité. « Avec le crime de génocide et les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité constituent les crimes les plus graves connus de l’humanité », menaçant la paix, la sécurité et le bien-être du monde, a déclaré l’Union européenne. Or, si des conventions existent concernant les deux premiers, il n’en existe aucune sur les crimes contre l’humanité, une lacune dans le cadre des traités internationaux qui doit être comblée, ont convenu nombre de délégations, dont l’Argentine, l’Irlande et la Jordanie.
Cette situation « inquiétante » est aggravée par le fait qu’un nombre considérable de pays ne disposent pas de législation nationale criminalisant de tels actes, a confirmé le Timor-Leste, pour la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). S’il est vrai que plusieurs États ont mis en place des cadres législatifs nationaux à cet effet, le groupe CANZ (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) a fait valoir, par l’entremise de l’Australie, qu’un instrument conventionnel permettrait d’harmoniser les définitions nationales de ces crimes tout en renforçant la base de la coopération internationale ainsi que l’application cohérente du principe de complémentarité. « De telles lacunes ouvrent la voie à l’impunité », a-t-il observé.
Au nom d’un groupe d’États d’Amérique latine, la Bolivie a estimé que le projet d’articles de la CDI constitue une « base solide » pour entamer des négociations en vue de l’adoption d’une telle convention, sur la base d’un texte rassemblant l’ensemble des contributions des États Membres. Un avis partagé par le Chili, pour qui le projet d’articles demeure néanmoins « perfectible », dans le souci d’intensifier la coopération judiciaire tout en évitant la politisation et de nouvelles controverses entre les États. En dépit des divergences « substantielles » qui persistent entre ceux-ci, les États-Unis se sont dits impatients d’en discuter les modalités, tandis que l’Indonésie et la Gambie ont insisté sur l’importance de parvenir à un consensus.
Au contraire, l’Iran a dit ne « pas être encore convaincu » de l’existence d’une lacune dans l’ordre juridique international sur ce sujet, les instruments internationaux et accords bilatéraux d’entraide judiciaire existants fournissant selon lui des bases juridiques suffisantes. Comme la Fédération de Russie, la Chine a constaté pour sa part, lors de cette reprise de session, des divergences quant à la nécessité d’élaborer une convention sur la base du projet d’articles. La politisation de tels crimes est « l’obstacle majeur qui se lève sur la rédaction d’une convention », a-t-elle ajouté, avant d’appeler à « cesser d’exploiter les crimes contre l’humanité en tant que moyen d’oppression ».
« Plus de quatre ans après que la CDI a finalisé son projet d’articles, il est temps pour nous tous d’aller de l’avant », a lancé la Suisse, en attendant la décision de la Sixième Commission, attendue lors de sa soixante-dix-neuvième session, sur l’opportunité de donner suite au projet d’articles.
La Sixième Commission poursuivra ses travaux demain 5 avril à 15 heures, pour entendre les rapports oraux des cofacilitateurs, puis à nouveau le 11 avril, pour conclure les travaux de cette deuxième reprise de session.