Soixante-dix-huitième session,
42e & 43e séances plénières, matin & après-midi
AG/J/3710

Sixième Commission: les délégations affichent leurs divergences sur les mesures nationales de lutte contre les crimes contre l’humanité

Imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, responsabilité des personnes morales, compétence universelle, peine de mort…  Les délégations se sont divisées sur de nombreux points au troisième jour des travaux de la Sixième Commission, en charge des question juridiques, consacrés à l’examen du « projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité » devant mener à une future convention.  C’est sur un projet élaboré par la Commission du droit international en 2019 que la Commission discute au cours de cette seconde reprise de session. 

Les discussions, très techniques, ont traité du groupe thématique 3 sur les mesures nationales visées aux projets d’articles 6 (incrimination en droit interne), 7 (établissement de la compétence nationale), 8 (enquête), 9 (mesures préliminaires lorsque l’auteur présumé de l’infraction se trouve sur le territoire) et 10 (obligation d’extrader ou de poursuivre).  Le groupe thématique 4 sur les mesures internationales a également été abordé. 

Première pomme de discorde, le paragraphe 5 du projet d’article 6 qui prévoit que la position officielle d’une personne ayant commis un crime contre l’humanité ne constitue pas un motif d’exonération de la responsabilité pénale.  « De notre point de vue, le libellé de ce paragraphe est suffisamment clair et ne porte pas préjudice aux immunités des représentants de l’État », a réagi le Canada, en souhaitant l’ajout d’une disposition sur la prohibition d’une amnistie pour les auteurs de tels crimes. 

La Fédération de Russie a, au contraire, proposé de compléter ledit paragraphe 5 par une référence à l’immunité des représentants de l’État de la juridiction pénale étrangère.  « Il ne doit y avoir aucune tentative visant à déroger à l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État », a tranché l’Iran.  La Chine, l’Algérie et le Royaume-Uni ont tenu à rappeler que cette immunité demeure régie par le droit coutumier. 

La Russie a également reproché le « caractère vague » du paragraphe 3 du projet d’article 6 sur la responsabilité pénale des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques pour les crimes contre l’humanité commis par leurs subordonnés, si ces premiers le savaient.  « Il peut être problématique de déterminer quand un commandant savait ou ne savait pas », a dit la délégation, appuyée notamment par l’Égypte.  L’Australie a, au contraire, estimé que ce paragraphe offre un niveau de flexibilité approprié. 

Le paragraphe 6 du même projet d’article, qui prévoit que les crimes contre l’humanité ne sont soumis à aucun délai de prescription, a également divisé les délégations.  « La Suisse soutient l’absence de prescription pour des crimes contre l’humanité, ce qui correspond à notre législation au niveau national », a déclaré la déléguée de ce pays, appuyée notamment par la Nouvelle-Zélande, le Portugal, le Royaume-Uni ou encore la Roumanie. 

La délégation du Japon a néanmoins indiqué que, dans le droit japonais, certains crimes sont frappés de prescription, comme cela est le cas dans d’autres pays.  « À ce titre, le Japon estime nécessaire de faire montre de prudence en ce qui concerne l’abolition du délai de prescription pour tous les actes constitutifs de crimes contre l’humanité au sens du présent projet d’article », a déclaré la délégation. 

Autre point de dissension, le paragraphe 7 dudit projet d’article 6, selon lequel tout État prend les mesures nécessaires pour que les crimes contre l’humanité soient passibles de peines appropriées qui prennent en compte leur gravité.  « La France souhaite rappeler le combat mené contre la peine de mort ainsi que toutes les peines physiques assimilables à des traitements inhumains et dégradants et ce, quelle que soit la gravité des faits réprimés », a déclaré cette délégation, en souhaitant que cette peine soit explicitement écartée.  La Suisse a aussi rappelé son « opposition ferme » à la peine de mort. 

« Nous jugeons regrettable que certains États utilisent cette discussion pour imposer leurs points de vue et valeurs à d’autres État »», a rétorqué le délégué de Singapour.  Il s’est ainsi opposé à toute idée d’interdire la peine capitale, rappelant que le droit international n’empêche pas son utilisation.  « Ma délégation n’exclut pas la peine capitale pour punir de tels crimes », a appuyé le Cameroun, tandis que l’Afrique du Sud a, au contraire, rappelé que sa Constitution consacre « un droit inhérent à la vie ». 

Toujours dans le thème de l’incrimination en droit interne (projet d’article 6), le paragraphe 8 sur l’établissement de la responsabilité des personnes morales pour crimes contre l’humanité a également donné lieu à des positions très différentes.  Bien qu’elle ne soit pas prévue par le Statut de Rome, cette question est importante, a déclaré la France.  À ce titre, il pourrait selon elle paraître opportun d’y consacrer un article spécifique. Un avis aux antipodes de ceux de l’Iran ou encore d’Israël qui ont estimé que ce paragraphe ne reflète pas le droit coutumier.  Il n’y a pas de consensus sur cette question, a également affirmé la Chine, appuyée par la Fédération de Russie. 

Le projet d’article 7 sur l’établissement de la compétence nationale a également nourri les dissensions.  À l’instar de l’Éthiopie, l’Arabie saoudite a estimé que ce paragraphe ouvre la voie à un « enracinement » du principe de compétence universelle et à des abus.  L’Irlande a, au contraire, salué le fait que cet article prévoie une « quasi-compétence universelle sur la base d’un traité », tandis que l’État de Palestine a mis en garde contre toute tentative visant à introduire des réserves ou des dérogations à ce projet d’article. 

Enfin, l’Irlande s’est dite confiante dans la capacité des délégations à surmonter les divergences sur ce groupe thématique 3 et à passer rapidement « à une prochaine étape ».  Abordant le groupe thématique 4, l’Irlande et le Brésil ont soutenu, en écho au débat sur le groupe thématique précédent, une référence explicite au refus d’extradition vers un État qui applique la peine de mort en l’absence de garantie que cette peine ne sera pas appliquée envers la personne extradée. 

La Sixième Commission poursuivra ses débats demain, jeudi 4 avril, à partir de 10 heures.

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