La Première Commission analyse les impasses et les progrès du mécanisme onusien de désarmement avant de se pencher sur l’espace extra-atmosphérique
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
La Première Commission (désarmement et sécurité internationale) a débattu aujourd’hui du mécanisme onusien de désarmement et de ses blocages, avant de commencer à étudier le dernier chapitre de son débat thématique: l’espace extra-atmosphérique, menacé de militarisation.
Au sens strict, le mécanisme onusien de désarmement comprend la Conférence du désarmement (CD), qui siège à Genève, la Commission du désarmement et la Première Commission. Dès hier, les délégués à la Première Commission avaient pu entendre des exposés des présidents des deux autres grandes instances du mécanisme, ainsi que du Directeur de l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) et de la Directrice du Conseil consultatif pour les questions de désarmement.
Pointée pour les impasses dans lesquelles elle se trouve depuis plus de deux décennies, la Conférence du désarmement n’en a pas moins adopté, cette année, un rapport final par consensus, s’est félicité son directeur M. Daniel Meron. L’obtention d’un consensus souligne l’importance que les États Membres continuent d’accorder à cette instance, a-t-il estimé. De même, il a souligné un « progrès notable », particulièrement dans un contexte tendu, avec la création de cinq nouveaux organes subsidiaires chargés de mener les débats thématiques des ordres du jour. Enfin, malgré les importantes divergences géopolitiques des pays qui ont assumé la présidence de l’instance cette année, il s’est réjoui d’une participation « pratiquement complète » aux réunions.
Conférence du désarmement: la dénonciation du blocage continue
M. Meron a en revanche déploré l’échec de la Conférence à trouver un accord pour permettre la participation à titre d’observateurs de 17 des 39 pays qui en avaient fait la demande.
Cette situation découle pour l’essentiel du refus d’un seul des 65 États membres de la Conférence –la Fédération de Russie– qui a profité de ce que même les décisions de procédures doivent être prises par consensus, pour utiliser ce que de nombreuses délégations de tous horizons ont dénoncé comme un veto de fait.
Ainsi, l’Égypte et le Mexique ont estimé que ce veto de fait provoque une paralysie qui ne joue qu’en faveur des intérêts d’une poignée d’États. Le consensus doit être l’expression d’une aspiration commune pour l’action et pas un outil de blocage, a souligné le Mexique. Pour l’Afrique du Sud, si la Conférence du désarmement ne sort pas rapidement de l’impasse, il conviendra, pour négocier de nouveaux instruments, d’envisager d’autres canaux que la Conférence du désarmement. Il a ainsi été rappelé que le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires avait été négocié par l’Assemblée générale de l’ONU. Plusieurs États par ailleurs critiques des blocages ont toutefois rappelé le rôle officiel de la Conférence comme « instance multilatérale unique de la communauté internationale pour les négociations dans le domaine du désarmement » en mettant en avant ses succès passés.
L’Union européenne, qui a dénoncé une violation des principes fondamentaux du multilatéralisme, plusieurs de ses États membres ou encore le Royaume-Uni ont notamment dénoncé le fait que 12 des candidats à un poste d’observateur à la Conférence qui ont été « recalés » du fait de l’opposition russe étaient des pays européens. Or, a déploré la France, « nous constatons au quotidien leur plein engagement sur les sujets traités à la Conférence ». Ces délégations ont aussi rappelé que ces candidats évincés contribuent au financement de la Conférence.
Plusieurs groupes de pays du Sud ont eux aussi évoqué les blocages de la Conférence. Les membres du Mouvement des pays non alignés (MNA) ont rejeté son instrumentalisation, appelant les États membres à en respecter les méthodes de travail. L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) a toutefois salué la création des nouveaux organes subsidiaires de la Conférence, dont elle invite à intensifier les consultations en vue de mettre en œuvre un programme équilibré et complet. Quant à la Mauritanie, au nom du Groupe des États arabes, elle a considéré que l’impasse dans laquelle se trouve la Conférence n’est pas due à des défaillances de procédures, mais au manque de volonté politique de certains pays.
Ce dernier point a été contesté notamment par la Norvège, pour laquelle « 30 années d’impasse soulèvent la question de savoir si la conception de la Conférence est optimale pour stimuler cette volonté politique ».
Plusieurs États européens ont lancé un appel pour pallier le manque d’inclusivité, désigné comme l’un des problèmes les plus urgents à régler dans le mécanisme de désarmement. Jugeant la composition de la Conférence à la fois trop étroite pour assurer sa légitimité et trop large pour que le travail soit effectué selon la règle d’un consensus strict, la Norvège a proposé d’élargir le nombre de ses membres en combinaison avec un assouplissement de la règle du consensus.
D’autres délégations ont suggéré que la Conférence puisse tirer parti des contributions des organisations régionales et internationales, de la société civile, du monde universitaire et du secteur privé.
Commission du désarmement: début d’un nouveau cycle triennal
La Commission du désarmement a quant à elle entamé cette année la première session d’un premier cycle triennal, a rappelé son président, M. Muhammad Usman Iqbal Jadoon. Il a rappelé que ses travaux ont d’ores et déjà été marqués par l’adoption d’un nouveau thème -« Recommandations sur les concepts communs ayant trait aux technologies émergentes dans le contexte de la sécurité internationale »- confié à un groupe de travail qui s’est attelé à plusieurs thèmes importants tels que les systèmes d’armes autonomes, l’intelligence artificielle (IA) ou encore les technologies numériques ou la biologie.
M. Jadoon a rappelé le rôle unique de la Commission, seule enceinte où tous les États Membres de l’ONU peuvent engager un dialogue constructif sur une diversité de sujet liés au désarmement, des armes nucléaires aux technologies émergentes. Elle est également le seul organe délibératif de l’ONU spécialisé dans le dispositif multilatéral de désarmement de l’ONU avec pour mission de fournir des recommandations à l’Assemblée générale.
L’ASEAN a salué les travaux de la Commission et a vu une avancée significative dans l’ajout à son ordre du jour, cette année, du thème des technologies de l’information et des communications dans le contexte de la sécurité internationale. Quant au MNA, il a salué l’élaboration d’une vision commune sur les répercussions des technologies émergentes sur les questions de sécurité internationale, soulignant plus particulièrement le travail effectué par la Commission sur l’IA, et l’importance d’aborder cette question dans le cadre du mécanisme de désarmement.
Un nouveau projet de résolution pour en favoriser l’activité de l’UNIDIR
L’UNIDIR a également suscité des commentaires. Son directeur, M. Robin Geiss, a souligné une augmentation considérable des publications et manifestations de l’Institut, qui apporte conseils et appui à l’ensemble des instruments constitutifs du mécanisme multilatéral pour le désarmement. L’Union européenne, qui a tenu à saluer la qualité de ses recherches, a rappelé sa contribution à son programme sécurité et technologie.
Le Directeur de l’institution a fait observer son équilibre financier, tout en rappelant que son environnement budgétaire était instable puisque l’UNIDIR dépend à 90% de contributions volontaires de quelques grands donateurs. Aussi a-t-il souhaité que l’UNIDIR bénéficie « enfin » d’une subvention au titre du budget ordinaire de l’ONU, ce qui permettrait de renforcer son autonomie et son indépendance. Mme Shorna-Kay Richards, Directrice du Conseil consultatif pour les questions de désarmement, a appuyé cette demande.
La France et l’Allemagne ont salué le rôle crucial de l’UNIDIR, lequel, loin de se limiter à soutenir les travaux de la Conférence du désarmement, prépare depuis longtemps des recherches et analyses indépendantes. À ce titre, elles ont annoncé le dépôt d’un nouveau projet de résolution pour favoriser l’activité de l’UNIDIR et demander au Secrétaire général d’établir un rapport d’évaluation de sa situation financière.
Par ailleurs, le Costa Rica a insisté, au nom d’un large groupe d’États, sur l’importance de la perspective de genre dans les travaux de la Première Commission. Le rapport du Secrétaire général reconnaît que l’intégration de cette problématique permet une maîtrise plus efficace des armes et davantage d’efficacité dans les efforts de non-prolifération et de désarmement, a rappelé la déléguée. La déléguée a également rappelé que les recherches de l’UNIDIR soulignent le problème de la sous-représentation des femmes dans le domaine du désarmement.
À l’issue du débat thématique sur le mécanisme onusien pour le désarmement, les États-Unis, Israël et la République islamique d’Iran ont exercé leur droit de réponse.
Début de l’examen du volet du débat thématique dédié à l’espace extra-atmosphérique
La Première Commission a ensuite entamé l’examen des questions de désarmement et de sécurité dans l’espace extra-atmosphérique.
Dans ce cadre, les délégués ont pu entendre l’exposé de M. Bassem Hassan, Président du Groupe d’experts gouvernementaux chargé d’étudier de nouvelles mesures concrètes de prévention d’une course aux armements dans l’espace. Avant d’évoquer les plus récentes activités de son Groupe d’experts, M. Hassan a rappelé qu’il a été mis sur pied pour « examiner et formuler des recommandations sur les éléments substantiels d’un instrument international juridiquement contraignant sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace, notamment sur la prévention du déploiement d’armes dans l’espace », conformément à la résolution 77/250 de l’Assemblée générale.
M. Hassan s’est félicité de l’adoption par consensus, le 16 août dernier, de son rapport final par le Groupe d’experts. Le document décrit notamment le mandat du Groupe, détaille les aspects organisationnels et contient des considérations générales relatives à l’instauration d’un instrument juridiquement contraignant, notamment à travers les questions de vérification. Le Groupe a identifié à cette fin une série de principes et objectifs, dont la conformité des futures mesures à la Charte des Nations Unies ou la réitération des principes et objectifs des accords actuels de désarmement. M. Hassan a toutefois admis que des discussions plus approfondies étaient nécessaires pour identifier les domaines de convergence à propos des éléments du rapport.
Parmi les thématiques susceptibles de faire l’objet d’obligations, le Groupe d’experts s’est penché sur la menace ou l’emploi de la force dans l’espace, la destruction intentionnelle des systèmes spatiaux, les interférences délibérées avec des objets spatiaux ou le déploiement d’armes dans l’espace extra-atmosphérique. Il a également discuté d’éléments possibles pour des mesures de transparence et de confiance ou de possibles mécanismes de consultation et de règlement des différends. Ce rapport pourrait servir de document de référence, a estimé M. Hassan, recommandant au Secrétaire général de le diffuser largement et aux États Membres de le prendre en considération.
La France s’est félicitée de l’adoption par consensus du rapport du Groupe d’experts gouvernementaux. Sa déléguée a notamment salué un document qui élargit le champ des mesures utiles en vue de prévenir une course aux armements dans l’espace, mentionnant les instruments non juridiquement contraignants sur les comportements responsables. L’Union européenne a, elle aussi, salué les mesures de transparence et de confiance relatives aux activités spatiales mentionnées dans le rapport. Elle a estimé qu’établir des normes de comportement responsable est le moyen le plus efficace de prévenir une militarisation de l’espace.
L’Union européenne estime qu’il est temps de prendre de nouvelles mesures pour renforcer la responsabilité des États dans le domaine spatial, tout en rappelant que les dispositions du Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 prévoit que le droit international et la Charte des Nations Unies s’appliquent dans l’espace extra-atmosphérique. L’Union européenne s’oppose en conséquence à tout déploiement d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive dans l’espace, qui représenterait une des violations les plus graves du droit international et une menace directe à la paix et à la sécurité internationale.
Les États-Unis présentent devant la Première Commission leur projet de résolution sur l’espace rejeté au Conseil de sécurité en avril
L’Union européenne a donc déploré le veto opposé par la Fédération de Russie, le 24 avril dernier, à un projet de résolution présenté en ce sens au Conseil de sécurité par les États Unis et le Japon, qui demandait l’universalisation et le respect des obligations du Traité sur l’espace extra-atmosphérique. Elle a de même dénoncé les tests antimissiles à ascension directe irresponsables effectués par la Russie, rappelant que les États membres de l’Union se sont engagés à ne jamais procéder à de tels essais.
La Fédération de Russie s’est quant à elle une nouvelle fois limitée à renvoyer les délégations à son texte écrit, affirmant que la non-délivrance par les États-Unis de visas à plusieurs membres de sa délégation la privait des ressources humaines nécessaires pour prendre part aux discussions.
La Suisse s’est félicitée de l’initiative de l’UE, rappelant s’être elle aussi engagée à ne jamais procéder à des tests antimissiles à ascension directe. Avec les États-Unis, elle a en outre estimé qu’il n’y avait pas contradiction à soutenir un instrument juridiquement contraignant sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace tout en favorisant des normes de comportement responsable. Suivant une même logique, les deux pays se sont prononcés en faveur d’une fusion des activités des deux Groupes de travail à composition non limitée (GTCNL) chargés de ces aspects.
Les États-Unis ont également rappelé leur dépôt d’un nouveau projet de résolution, « Les armes de destruction massive dans l’espace extra-atmosphérique ». Le texte a pour objectif d’assurer le respect de l’Article IV du Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967, par lequel les signataires s’engagent à ne pas déployer dans l’espace des armes nucléaires ou autres armes de destruction massive, a expliqué le représentant.
Le texte du projet de résolution paraîtra familier à certains, a poursuivi le délégué des États-Unis, puisqu’il s’agit de la reprise du projet de résolution qui avait fait l’objet du veto russe au Conseil de sécurité. C’est face à la demande de nombreux pays que les États-Unis ont décidé d’en présenter, cette fois à l’Assemblée générale, une nouvelle version, augmentée des commentaires rassemblés au cours de consultations officieuses avec de nombreux États.
Le Canada a salué la pertinence de ce projet de résolution, dont il s’est porté coauteur. Se référant au libellé du document, le représentant a réaffirmé le ferme engagement de son pays envers le Traité sur l’espace extra-atmosphérique, « en tant que fondement du cadre juridique international sur l’espace ». Aussi a-t-il exhorté tous les États qui ne l’ont pas encore fait à ratifier cet instrument ou à y adhérer. La France lui a également apporté son plein soutien, qualifiant le Traité sur l’espace extra-atmosphérique de « pierre angulaire » du droit international spatial, et rappelant l’interdiction prévue par l’Article IV.
La Première Commission poursuivra demain, mercredi 30 octobre, à 10 heures, ses discussions sur les aspects de désarmement et de sécurité internationale dans l’espace extra-atmosphérique. Elle achèvera ainsi son débat thématique.
NOUVEAU - Suivez la couverture des réunions en direct sur notre LIVE