Soixante-dix-huitième session
82e séance – matin
AG/12601

L’Assemblée générale proclame la Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995

De nombreuses réserves ont marqué, ce matin, la décision de l’Assemblée générale de proclamer le 11 juillet « Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995 », suite à l’adoption par 84 voix pour, soit moins de la moitié des États Membres, 19 voix contre et 68 abstentions, d’une résolution présentée par l’Allemagne.

Au préalable, le Président de la Serbie, M. Aleksandar Vučić, avait pourtant appelé à voter contre, avertissant que ce texte « politisé » rouvrirait de vieilles blessures et ne contribuait pas à la réconciliation dans la région. 

Aux termes de ce texte, l’Assemblée condamne sans réserve toute négation de l’historicité du génocide commis à Srebrenica, au cours duquel au moins 8 372 personnes ont péri, ainsi que les actes qui glorifient ses responsables.  Elle prie également le Secrétaire général de mettre en place un programme d’activités de sensibilisation intitulé « Le génocide de Srebrenica et l’Organisation des Nations Unies », en commençant par les préparatifs du trentième anniversaire en 2025.  Le Secrétariat a précisé que cette célébration annuelle devrait conduire à des dépenses comprises entre 350 000 et 600 000 dollars par an à partir de 2025.

En présentant le texte, l’Allemagne a rappelé que le génocide des Tutsis au Rwanda fait l’objet d’une journée de commémoration et qu’il est donc logique d’en faire de même pour le génocide de Srebrenica.  La délégation a précisé en outre que le texte ne cible personne et encore moins les Serbes.  C’est d’ailleurs pourquoi le préambule précise « qu’en droit international, la responsabilité pénale pour crime de génocide est individuelle et ne peut être attribuée à aucun groupe ethnique, religieux ou autre, ni à aucune communauté dans son ensemble ».

« Pourquoi adopter ce texte alors que l’on évoque la responsabilité pénale individuelle et que des décisions de justice ont déjà tranché sur les auteurs? » a rétorqué le Président de la Serbie qui a dénoncé la présentation d’un projet hautement politisé et dont la préparation a été marquée, selon lui, par l’absence de transparence. 

Affirmant avoir tendu la main de la réconciliation et s’être rendu lui-même à Srebrenica pour y déposer une gerbe de fleurs et avoir été « presque lynché » ensuite, M. Aleksandar Vučić a averti que ce texte ouvrira une véritable boîte de Pandore.  Comment expliquer que tuer 8 000 personnes est plus grave que tuer des dizaines de milliers de Serbes lors de la Deuxième Guerre mondiale?  À quand une résolution commémorant le génocide des Serbes durant la Première Guerre mondiale?  L’objectif de cette résolution, a-t-il accusé, ne vise ni la réconciliation, ni la commémoration, mais cherche à fomenter l’instabilité politique dans notre région.

Avant le vote, d’autres délégations ont elles aussi exprimé leurs réserves, à l’instar de la Chine qui a relevé que ce texte a suscité une forte polémique dans les pays de la région concernée.  Les victimes de Srebrenica méritent un hommage consensuel, a estimé le Venezuela, appuyé par l’Azerbaïdjan et le Nicaragua qui a relevé que le texte ne tient pas compte du rôle de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Yougoslavie il y a 25 ans.  La délégation nicaraguayenne a par ailleurs relevé que les pays soutenant ce texte sont les mêmes qui financent et arment les auteurs du génocide en cours contre « nos frères palestiniens » et que l’Occident a commis l’un des plus grands génocides avec la colonisation des Amériques.  Il semblerait que désormais, le génocide n’est reconnu que si certains le disent, a ironisé la Namibie qui a annoncé son abstention en faisant le parallèle avec la situation actuelle à Gaza et ce qui s’est passé en Namibie entre 1904 et 1908.  Cuba s’est opposée pour sa part à un texte qui mentionne, entre autres, la responsabilité de protéger, concept utilisé pour saper la souveraineté des peuples. 

L’Égypte a regretté les conditions de préparation du texte, les jugeant peu propices à la réconciliation, suivie des Émirats arabes unis, qui ont déploré la politisation des négociations, et de l’Angola, qui s’est inquiété des risques d’exacerbation de la situation dans les Balkans.  « La reconnaissance du génocide doit se faire sur la base de critères objectifs, en évitant toute sélectivité, toute politisation et toute politique du deux poids, deux mesures, car on ne peut reconnaître le génocide des uns et renier celui des autres, a souligné la République démocratique du Congo, qui a signalé qu’un véritable génocide est en train de se dérouler dans l’est de son territoire avec plus de 11 millions de morts et 7,2 millions de déplacés en 30 ans. 

L’adoption de cette résolution est une « victoire à la Pyrrhus » pour ses initiateurs, a réagi, après le vote, la Fédération de Russie.  Les délégations conduites par l’Allemagne, sous couvert de la consécration d’une journée commémorative, ont fait adopter une déclaration politique dont le but est de diaboliser l’un des peuples de l’ancienne Yougoslavie, sapant ainsi les accords de Dayton dont le texte ne fait d’ailleurs aucune mention, a-t-elle fustigé.  La délégation russe a également accusé les auteurs du texte de pousser la Bosnie-Herzégovine vers la confrontation, notant que la préparation d’un tel projet aurait dû bénéficier de l’assentiment de tous les membres du Présidium de ce pays, pointant notamment le « zèle » dont aurait fait preuve le Représentant permanent bosnien.  Également opposée au texte, la Syrie a dénoncé une résolution biaisée qui occulte aussi « les crimes de la soi-disant coalition internationale en Syrie tuant des milliers de civils syriens. »

Parmi les abstentionnistes, le Panama a indiqué qu’il aurait souhaité que toutes les parties concernées s’engagent sur la voie du dialogue, un appel relayé par le Nigéria et par Saint-Vincent-et-les Grenadines qui a appelé à renforcer le processus de réconciliation et à ne point attiser les divisions dans les Balkans. Une telle résolution appelle à un consensus entre les parties concernées, a estimé le Guatemala. Un avis partagé par l’Argentine, la Hongrie et le Ghana.  Le projet ne contribue pas à la paix, la stabilité et l’unité des peuples de Bosnie-Herzégovine, s’est inquiété le Viet Nam.  Le Mexique a lui aussi regretté que le texte n’ait pas été adopté par consensus et accompagné de négociations inclusives, tout comme la Slovaquie qui a exprimé ses préoccupations au sujet de la remise en question de l’adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne. La Thaïlande et le Brésil se sont également abstenus, de même que l’Arménie qui a appelé à sanctionner les auteurs de génocide qui n’ont jamais été punis.  Le Pérou a plaidé pour le respect des accords de Dayton, seule voie, a souligné l’Algérie, pour la réconciliation entre les parties. 

Parmi les délégations ayant voté pourle Monténégro a rappelé que les responsabilités pénales sont individuelles, d’où son insistance à ajouter dans le préambule une précision selon laquelle le texte ne cible pas des groupes ethniques ou nationaux particuliers.  Le Pakistan et Singapour ont justifié leur vote favorable par la décision rendue par la Cour internationale de Justice (CIJ), tandis que l’Arabie saoudite a invité à prendre en compte les dimensions humanitaires de la résolution, appelant dans la foulée à mettre un terme au génocide en cours à Gaza.

« Ne ternissons pas la mémoire de Srebrenica par notre manque d’action à Gaza », a lancé l’Indonésie, en exhortant à rejeter ce « deux poids, deux mesures ».  Un appel relayé par l’Iran qui a dit avoir voté pour le projet afin de témoigner son respect aux victimes iraniennes du génocide de Srebrenica, entre autres. Il faut traiter toutes les situations de génocide sans politisation, a souligné la Tunisie en appelant le Conseil de sécurité à prendre ses responsabilités s’agissant de Gaza.  La Sierra Leone, Oman et la République-Unie de Tanzanie ont également expliqué leur vote favorable, de même que la Grèce qui a souligné que l’avenir de la Bosnie-Herzégovine est dans l’Union européenne.

Exerçant ensuite son droit de réponse, le Président de la Serbie, drapé de ses couleurs nationales, a constaté que le projet de résolution a conduit à la division au sein même de l’ONU.  Il aurait fallu de la transparence et un processus inclusif, a-t-il argué.  S’agissant de la responsabilité pénale, il a fait observer que tous les inculpés de Srebrenica ont déjà été condamnés à des peines de prison.  Quel est donc l’objectif de cette résolution sinon d’imputer la responsabilité politique et morale du génocide de Srebrenica aux populations de la Republika Srpska? a-t-il lancé.  Loin d’être une victoire pour les auteurs de ce projet, ce texte est un échec pour ceux qui ont voulu marquer au fer rouge le peuple serbe. 

Le Rwanda est ensuite intervenu pour dénoncer les « abominations » prononcées à son encontre par la République démocratique du Congo qu’il a accusée de négationnisme.  En 1994, le Rwanda a vu un million de Tutsis tués au cours d’un génocide.  Et les « Tutsis congolais s’exprimant en rwandais » sont eux aussi victimes de génocide dans l’est de la RDC, a fait observer la délégation qui a appelé la communauté internationale à condamner les auteurs de ce génocide.

En début de séance, l’Assemblée générale a observé une minute de silence en mémoire du Président de la République islamique d’Iran, Seyyed Ebrahim Raisi, décédé le 19 mai 2024.

Elle a par ailleurs pris note du fait que l’Équateur a effectué les paiements nécessaires pour réduire ses arriérés en dessous du montant spécifié à l’Article 19 de la Charte des Nations Unies.  De ce fait, le pays retrouve son droit de vote à l’Assemblée générale. 

La prochaine réunion de l’Assemblée générale sera annoncée dans le Journal des Nations Unies.

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