Trafic d’êtres humains: le Conseil de sécurité reconduit pour douze mois des autorisations d’inspecter les bateaux naviguant au large des côtes libyennes
Au lendemain d’une séance consacrée à la situation des migrants en Méditerranée et au rapport du Secrétaire général sur la mise en œuvre de la résolution 2240 (2015), le Conseil de sécurité a décidé ce matin de reconduire, pour une nouvelle période de douze mois, les autorisations visées aux paragraphes 7 à 10 de ladite résolution.
Pour l’essentiel, ces dispositions consistent à autoriser des États et organismes régionaux à inspecter des bateaux naviguant en haute mer au large des côtes libyennes s’ils ont « des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils sont utilisés pour le trafic de migrants ou la traite d’êtres humains en provenance de Libye », et à condition que ces États Membres et organismes régionaux cherchent de bonne foi à obtenir le consentement de l’État du pavillon avant de procéder à l’inspection. Les mêmes États sont autorisés à saisir « des navires inspectés dont ils ont la confirmation qu’ils sont utilisés à de telles fins ». Ces États sont en outre autorisés « à utiliser tous les moyens dictés par les circonstances spécifiques » dans leur lutte contre les trafiquants de migrants et d’êtres humains « dans le strict respect du droit international des droits de l’homme », sachant que ces autorisations ne s’appliquent pas aux navires jouissant de l’immunité souveraine en vertu du droit international, et doivent en outre éviter de causer des dommages au milieu marin ou de porter atteinte à la sécurité de la navigation.
Adoptée par 14 voix et l’abstention de la Russie, la résolution 2698 (2023) reprend le libellé des résolutions annuelles précédentes, mais l’enrichit d’un nombre important de dispositions relatives au droit humanitaire et aux droits de l’homme, tant dans son préambule que dans son dispositif.
Il est ainsi ajouté un appel du Conseil de sécurité aux États Membres « à placer les droits humains et les besoins immédiats des migrants et des réfugiés au cœur de leurs efforts de prévention et de lutte contre le trafic et la traite des êtres humains ». De même, le Conseil « affirme avec insistance » que tous les migrants, notamment les demandeurs d’asile, doivent être traités avec humanité et dignité et dans le plein respect de leurs droits et, à cet égard, exhorte tous les États à s’acquitter de leurs obligations au regard du droit international, notamment du droit international des droits de l’homme et du droit international des réfugiés. Il exhorte en outre les États à mener des enquêtes et à poursuivre en justice les personnes qui ont commis des actes de trafic de migrants et de traite d’êtres humains en mer, conformément là encore à leurs obligations en vertu du droit international.
Coauteur du texte avec la France, Malte a déclaré qu’il avait pour but d’envoyer un message fort à tous ceux qui cherchent à tirer parti de ces souffrances humaines, ajoutant qu’il avait cherché à prendre en compte les préoccupations des États Membres sans s’éloigner de l’objet d’une résolution axée sur les droits humains, par laquelle le Conseil peut réaffirmer sa volonté de combattre le trafic et la traite des migrants au large des côtes de Libye.
Si elle a reconnu que les coordonnateurs avaient fait « un travail remarquable » sur le texte adopté en rétablissant dans le texte de la résolution des dispositions importantes tirées de la résolution 2240 (2015) datant de huit ans, la Fédération de Russie a expliqué son abstention en déclarant que, quiconque a lu le rapport du Secrétaire général sur la mise en œuvre de la résolution 2652 sait que cela ne suffit plus et que le mécanisme prévu par la résolution 2240 et les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité « ne fonctionne pas ». Les trafiquants d’êtres humains ne sont pas soumis à la responsabilité pénale et les migrants finissent en prison et continuent de périr dans la Méditerranée, qui est devenue un cimetière pour des milliers de personnes, a affirmé le représentant russe, qui a réclamé « au minimum » de désigner des ports où ils peuvent débarquer, conformément au droit international, et leur fournir un accès au droit.
Le représentant russe a ajouté n’avoir aucune raison de croire que l’approche inhumaine de l’Union européenne (UE) vis-à-vis des migrants va changer et que les États membres de l’Union européenne vont cesser leur « pratique honteuse » qui consiste à considérer que ces migrants ne relèvent pas de leur juridiction, ce qui conduit à des destins terribles, notamment en ce qui concerne les femmes et les enfants. Cela ne nous convient pas et c’est pourquoi nous continuerons de demander le respect strict des droits humains de la part des champions des droits humains européens, a-t-il tranché.
Aux termes de la résolution, le Secrétaire général devra faire rapport au Conseil de sécurité dans les onze mois sur l’état d’avancement de son application.
MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES (S/2023/640)
Texte du projet de résolution (S/2023/708)
Le Conseil de sécurité,
Rappelant ses résolutions 2240 (2015), 2312 (2016), 2380 (2017), 2437 (2018), 2491 (2019), 2546 (2020), 2598 (2021) et 2652 (2022), ainsi que la déclaration de sa présidence en date du 16 décembre 2015 (S/PRST/2015/25),
Réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de la Libye,
Accueillant avec satisfaction le rapport du Secrétaire général daté du 30 août 2023 (S/2023/640) et notamment ses observations sur la détresse des migrants et des réfugiés en Libye,
Conscient que la Charte des Nations Unies lui confie la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales,
Se félicitant des mesures prises pour mettre en œuvre la résolution 2240 (2015) et souhaitant qu’elles continuent d’être appliquées, et prenant note de l’opération de l’Union européenne en Méditerranée EUNAVFOR MED Irini à cet égard,
Se déclarant vivement préoccupé par le trafic de migrants en Méditerranée, qui provient notamment des côtes libyennes, et par le danger qu’il continue de représenter pour la vie humaine et conscient que parmi ces migrants peuvent se trouver des personnes qui répondent à la définition de réfugié au sens de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés,
Soulignant à ce propos que les migrants, notamment les demandeurs d’asile et quel que soit leur statut migratoire, doivent être traités avec humanité et dignité et dans le plein respect de leurs droits et, à cet égard, exhortant tous les États à s’acquitter des obligations que leur impose le droit international, notamment le droit international des droits de l’homme et le droit international des réfugiés, selon qu’il convient, une attention particulière devant être accordée à l’obligation de protéger les droits de l’homme des migrants, quel que soit leur statut migratoire, y compris lorsqu’ils appliquent leurs politiques relatives à la migration et à la sécurité des frontières,
Réaffirmant à ce sujet la nécessité de promouvoir et de défendre les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous les migrants, en particulier des femmes et des enfants, quel que soit leur statut migratoire, et de traiter la question des migrations internationales par la voie de la coopération et du dialogue aux plans international, régional ou bilatéral et d’une manière globale et équilibrée, en tenant compte du rôle et des responsabilités des pays d’origine, de transit et de destination dans la promotion et la défense des droits de l’homme de tous les migrants et en évitant des approches qui pourraient rendre ces derniers encore plus vulnérables,
Soulignant qu’il importe d’adopter une démarche globale pour s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et affirmant en outre qu’il est plus urgent que jamais de renforcer la coopération et la solidarité, et que la coopération et les solutions régionales, ainsi que les mesures nationales, doivent placer les droits de l’homme et la dignité des migrants et des réfugiés au premier plan,
Réaffirmant qu’il faut mettre fin à l’expansion actuelle du trafic de migrants et de la traite d’êtres humains en Méditerranée au large des côtes libyennes qui mettent des vies en danger et, à cette fin précise, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Condamne tous les actes de trafic de migrants et de traite d’êtres humains ayant le territoire libyen et le large des côtes libyennes comme destination, zone de transit ou point de départ, qui fragilisent davantage le processus de stabilisation de la Libye et mettent en péril les vies de centaines de milliers de personnes;
2. Appelle les États Membres à placer les droits humains et les besoins immédiats des migrants et des réfugiés au cœur de leurs efforts de prévention et de lutte contre le trafic et la traite des êtres humains;
3. Décide de reconduire, pour une nouvelle période de douze mois à compter de la date d’adoption de la présente résolution, les autorisations visées aux paragraphes 7, 8, 9 et 10 de la résolution 2240 (2015), réaffirme les dispositions du paragraphe 11 de ladite résolution et réaffirme également ses résolutions 2240 (2015), 2312 (2016), 2380 (2017), 2437 (2018), 2491 (2019), 2546 (2020), 2598 (2021) et 2652 (2022) ainsi que la déclaration de sa présidence S/PRST/2015/25;
4. Affirmeavec insistance que tous les migrants, notamment les demandeurs d’asile, doivent être traités avec humanité et dignité et dans le plein respect de leurs droits et, à cet égard, exhorte tous les États à s’acquitter de leurs obligations au regard du droit international, notamment du droit international des droits de l’homme et du droit international des réfugiés, selon qu’il convient;
5. Exhorte tous les États tirant juridiction du droit international ou de leur droit interne à mener des enquêtes et à poursuivre en justice les personnes qui ont commis des actes de trafic de migrants et de traite d’êtres humains en mer, conformément aux obligations que leur impose le droit international, notamment le droit international des droits de l’homme et le droit international des réfugiés, selon qu’il convient;
6. Réitère, à compter de la date d’adoption de la présente résolution, les demandes formulées au paragraphe 17 de sa résolution 2240 (2015), et prie le Secrétaire général de lui faire rapport, onze mois après la date d’adoption de la présente résolution, sur l’état d’avancement de son application, en particulier pour ce qui est des paragraphes 7 à 10 de sa résolution 2240 (2015);
7. Entend suivre la situation et, le cas échéant, envisager de reconduire pour des périodes supplémentaires les autorisations découlant de la présente résolution;
8. Décide de rester saisi de la question.