En cours au Siège de l'ONU

9375e séance, après-midi
CS/15354

Conseil de sécurité: le Procureur de la CPI confirme l’ouverture d’enquêtes sur des crimes présumés commis dans le cadre du conflit en cours au Soudan

Considérant que le Soudan se trouve « au milieu d’une catastrophe », le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a confirmé ce matin, devant le Conseil de sécurité, que des enquêtes ont été ouvertes sur les incidents survenus dans le cadre des hostilités en cours au Soudan, qui sont le résultat, selon lui, du manque de coopération des autorités soudanaises avec la Cour. 

Aujourd’hui même, le Bureau du Procureur de la CPI a ouvert une enquête sur des rapports émanant du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme faisant état d’une fosse commune contenant les restes de 87 personnes de l’ethnie massalit, qui auraient été tuées par les Forces d’appui rapide à Geneina, au Darfour occidental, a annoncé M. Karim Khan, en présentant son rapport semestriel sur les activités de la CPI relatives au Darfour.  Des rapports récents de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS) citent également des cas d’exécutions extrajudiciaires, d’incendies et de pillages au Darfour occidental, ainsi que des meurtres et des déplacements de civils perpétrés au Darfour septentrional.  « Nous risquons maintenant de laisser l’histoire tragique du Soudan se répéter, une fois de plus, sous nos yeux », a-t-il alerté. 

Dans ce contexte, le Procureur a confirmé que des enquêtes ont été ouvertes sur les incidents survenus dans le cadre des hostilités en cours depuis le 15 avril dernier, non seulement au Darfour mais sur l’ensemble du territoire soudanais.  M. Khan compte s’attaquer en priorité aux allégations de crimes à caractère sexuel et sexiste.  Il a en outre annoncé le lancement d’une campagne publique visant à obtenir, via un nouveau portail sécurisé, des informations sur les crimes perpétrés au Darfour depuis 2002, y compris dans le cadre du présent conflit. 

En vertu de la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité, le Bureau du Procureur dispose d’un mandat permanent concernant les violations présumées du droit international humanitaire commises au Soudan et relevant de la compétence de la Cour, a expliqué le Procureur.  Il a prévenu les commandants des forces armées présentes sur le terrain que les attaques visant des civils et des infrastructures civiles, ainsi que le viol de femmes et d’enfants, constituent des violations du Statut de Rome de la CPI. 

La décision du Procureur d’ouvrir des enquêtes sur les crimes commis dans le cadre du conflit en cours depuis avril a rencontré l’aval de nombreuses délégations, dont le Ghana, la France et le Royaume-Uni, qui a fait valoir que toutes les parties sont responsables des crimes qu’elles commettent. 

Or, la crise actuelle au Soudan était prévisible, a fait valoir le Procureur, et découle selon lui d’un échec fondamental à reconnaître que la justice et la lutte contre l’impunité constituent les fondements de la paix.  Le Gouvernement soudanais ayant, selon lui, échoué à traduire en actes ses promesses de coopération avec la Cour, « les conséquences sont maintenant devant nous », a-t-il ajouté.  M. Khan s’est dit prêt à engager un dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés, à condition que les personnes impliquées dans le conflit respectent leurs obligations au titre du droit international humanitaire et qu’elles coopèrent véritablement avec son bureau. 

Des accusations rejetées par le Soudan qui a assuré avoir resserré sa coopération avec la CPI depuis les « révolutions » de 2018 et 2021.  En vertu du droit soudanais, la coopération avec la Cour requiert l’achèvement du processus de ratification du Statut de Rome, a expliqué son représentant.  Qui plus est, en vertu du paragraphe 4 de l’Article 93 du Statut de Rome, le Gouvernement peut rejeter toute demande de coopération, en tout ou en partie, dès lors qu’une telle demande porte sur des documents relatifs à la sécurité nationale. Dans l’intervalle, il a proposé de s’appuyer sur le principe de complémentarité des juridictions nationales. 

Dans cette optique, la Chine a souhaité, comme le Brésil et les Émirats arabes unis, que la CPI fonde son action sur le principe de complémentarité défini dans le Statut de Rome, lequel reconnaît la primauté des États en la matière. À cet égard, le Gabon a considéré que le retour à la paix est une condition indispensable afin que les autorités soudanaises puissent honorer les engagements définis dans le cadre du Mémorandum d’accord du 12 août 2021, qui établit les modalités de la coopération entre le Soudan et le Bureau du Procureur. 

Les autorités nationales ne peuvent invoquer des lacunes pour refuser d’appliquer le droit international, a répliqué M. Khan, en arguant qu’il n’existe pas d’autorité supérieure au Conseil de sécurité s’agissant du maintien de la paix et de la sécurité internationales.  Or, le Conseil a ordonné au Gouvernement soudanais, dans sa résolution 1593 (2005), de coopérer pleinement avec la CPI, « une obligation qui a été plus souvent violée que respectée ».  Pour l’heure, cependant, il a considéré que le Soudan refuse de s’acquitter de ses obligations de coopération avec la Cour. 

Par ailleurs, le Procureur a indiqué que son équipe a clos son dossier après les témoignages de 81 témoins au procès d’Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman (« Ali Kushayb »), premier procès tenu à la CPI concernant la situation au Darfour.  Si ces progrès ont été salués par l’ensemble des membres du Conseil, la Fédération de Russie a considéré pour sa part que l’exposé du « soi-disant Procureur » de la CPI se contente de ressasser le passé et de jeter l’opprobre sur les autorités soudanaises pour justifier ses échecs. 

L’intensification du conflit au Soudan ne doit pas servir de prétexte à de nouveau retards « déraisonnables » aux procédures judiciaire en cours, a conclu M. Khan.

RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD

Déclarations

M. KARIM KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a fait état d’une profonde crise au Soudan à la suite des combats qui ont éclaté le 15 avril dernier entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, avant de se propager au Darfour. « Nous risquons maintenant de laisser l’histoire tragique se répéter, une fois de plus, sous nos yeux », a-t-il prévenu.  Aujourd’hui même, le Bureau du Procureur a ouvert une enquête sur des rapports émanant du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme faisant état d’un charnier contenant les restes de 87 personnes de l’ethnie massalit, qui auraient été tuées par les Forces d’appui rapide au Darfour occidental.  « N’en doutons pas: nous sommes au milieu d’une catastrophe », a alerté le Procureur avant d’appeler à agir, collectivement et de toute urgence, pour protéger les plus vulnérables. 

À cet égard, M. Khan a expliqué que le mandat de son bureau, au titre de la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité, est permanent en ce qui concerne les violations présumées du droit international humanitaire relevant de la compétence de la Cour.  Dans ce contexte, il a confirmé que des enquêtes ont été engagées sur les incidents survenus dans le cadre des hostilités en cours au Soudan.  Le Procureur a prévenu les commandants des forces armées présentes sur le terrain que le ciblage intentionnel de civils et d’infrastructures civiles, ainsi que le viol de femmes et d’enfants constituent des violations du Statut de Rome. 

Les rapports récents de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS) font également état d’exécutions extrajudiciaires, d’incendies et de pillages au Darfour occidental, ainsi que de meurtres et de déplacements de civils au Darfour septentrional, a ajouté le Procureur, en indiquant son intention de s’attaquer en priorité aux allégations de crimes sexuels et sexistes.  M. Khan a en outre annoncé le lancement d’une campagne publique visant à obtenir, via un nouveau portail sécurisé, des informations sur les crimes commis au Darfour depuis 2002, y compris ceux commis dans le cadre des présentes hostilités. 

La crise actuelle au Soudan était prévisible, a estimé le Procureur.  Elle découle selon lui de l’échec fondamental à reconnaître que la justice et la lutte contre l’impunité constituent les fondements de la paix.  Le Gouvernement soudanais ayant échoué à traduire en actes ses promesses de coopération avec la CPI, « les conséquences sont maintenant devant nous ».  M. Khan s’est dit ouvert à engager un dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés pour faire cesser ce « retour en arrière », à deux conditions essentielles: que les personnes impliquées dans les hostilités respectent leurs obligations en vertu du droit international humanitaire, et qu’elles coopèrent véritablement avec son bureau. 

Malgré ce sombre tableau, le Procureur a indiqué que son équipe a clos son dossier après avoir présenté les témoignages de 81 témoins au procès d’Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman (« Ali Kushayb  »), premier procès tenu à la CPI concernant la situation au Darfour.  Toutefois, l’intensification des hostilités au Soudan ne doit pas être utilisée comme prétexte pour de nouveaux retards « déraisonnables » dans les procédures en cours.  « Je ne veux pas qu’une enquête de mon bureau soit une histoire sans fin », a conclu M. Khan.

Mme SHINO MITSUKO (Japon) a déclaré être gravement préoccupée par l’impact délétère des hostilités sur la capacité du Bureau du Procureur à mettre en œuvre son mandat au Soudan.  Elle s’est notamment inquiétée de la libération, lors de l’éclatement des combats, de trois fugitifs qui faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI et qui étaient emprisonnés à Khartoum.  Déplorant que les efforts pour établir une justice significative contre les crimes graves n’aient pas pris racine dans le pays, elle a exhorté toutes les parties au Soudan à cesser immédiatement les combats et à respecter le processus de justice et l’état de droit, « piliers fondamentaux de la construction d’une paix durable ».  La représentante a ensuite salué l’achèvement de la présentation des moyens à charge dans le cadre du procès de M. Abd-Al-Rahman (Ali Kushayb), le premier cas jamais renvoyé par le Conseil de sécurité. 

Mme RICCARDA CHRISTIANA CHANDA (Suisse) s’est dite préoccupée par rapport à l’escalade du conflit et l’aggravation de la situation humanitaire au Soudan, y compris au Darfour.  Condamnant les allégations de crimes sexuels et sexistes, elle a considéré que la décision du Procureur d’enquêter sur les incidents survenus dans le cadre des hostilités en cours contribue à la lutte contre l’impunité.  La Suisse, a assuré la représentante, suit attentivement les développements dans le procès de M. Ali Abd-Al-Rahman.  Les voix des victimes et des témoins doivent être entendues.  Elle a appelé les autorités soudanaises et l’ensemble des parties au conflit à s’acquitter de leur obligation de coopérer avec la CPI. « Alors que la situation se dégrade quotidiennement au Soudan, le besoin de justice est central et exige un engagement et une attention renouvelés de la part de tous, y compris ce Conseil. » 

M. JEFFREY DELAURENTIS (États-Unis) a jugé très inquiétante la situation au Darfour, où des cas de violence sexuelle et ethnique commis par les Forces d’appui rapide contre des civils ont été rapportés.  Il a condamné dans les termes les plus forts les violences perpétrées contre le peuple du Darfour, qui a déjà été victime de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, lesquels ont déclenché l’enquête de la CPI.  Selon le représentant, il n’existe aucune solution militaire acceptable à ce conflit, qui résulte de l’impunité.  Les autorités soudanaises ne respectent pas leurs obligations découlant de la résolution 1593 (2005) et du droit international, a-t-il déploré.  Dans ce contexte, il s’est félicité de la décision du Procureur d’ouvrir des enquêtes sur les crimes commis au Soudan depuis le début du conflit actuel.  Le représentant a néanmoins salué les progrès réalisés au cours des six derniers mois dans le procès d’Ali Kushayb, ainsi que les efforts visant à traduire en justice ceux qui font toujours l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI.

M. SOLOMON KORBIEH (Ghana) a soutenu la décision du Procureur de la CPI d’ouvrir des enquêtes sur des actes présumés constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le contexte des hostilités actuelles au Soudan, notamment au Darfour.  Préoccupé par les pertes en vies humaines et les déplacements de milliers de personnes, le délégué a demandé aux parties au conflit de respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et des règles qui régissent les conflits.  Il a condamné « la dimension ethnique du conflit », un conflit qui prend délibérément pour cible des populations soudanaises noires.  Convaincu que ce conflit aura un impact sur la feuille de route du Bureau du Procureur et en particulier sur le dossier du Darfour, il a exhorté M. Khan à ne pas relâcher ses efforts et à rapprocher son travail des communautés affectées par des missions au Darfour et à renforcer la présence permanente du Bureau sur le terrain dès que la situation s’y prêtera à nouveau.  Le délégué a également appelé à la pleine coopération des autorités soudanaises compétentes, en particulier dans l’affaire Al Bashir pour laquelle des preuves documentées sont indispensables.  Rappelant que dans son trente-cinquième rapport, le Procureur avait détaillé certains domaines qui sont essentiels au travail de son bureau, le représentant a regretté qu’à ce jour ces engagements n’ont toujours pas été tenus, en particulier en ce qui concerne la localisation d’inculpés tels qu’Al Bashir, une personne dont on a perdu la trace avec ce conflit.  Une fois de plus, il a exhorté le Bureau à accroître la coopération et le dialogue avec les États africains et avec l’Union africaine.  Cette approche contribuerait selon lui non seulement à remédier au manque de coopération entre la Cour et les autorités soudanaises, mais aussi à obtenir le soutien le plus large possible pour traiter les questions de responsabilité dans d’autres affaires sur lesquelles la Cour enquête.

Mme MARIA ZABOLOTSKAYA (Fédération de Russie) a considéré que l’exposé du « soi-disant Procureur » de la CPI ressasse le passé pour justifier l’absence de résultats, avec notamment un seul accusé au Darfour.  « Ce rapport est une coquille vide. »  D’après la déléguée, la CPI n’est pas en mesure de s’acquitter du mandat défini par la résolution 1593 (2005).  La Cour, a-t-elle insisté, a choisi d’expliquer son inefficacité en jetant l’opprobre sur les autorités nationales, en dépit d’un budget de centaines de millions de dollars.  Deux fois par an, la CPI se plaint de son impuissance parce que le Soudan ne coopère pas avec elle or, comme en Libye, « la CPI a servi de cheval de Troie pour détruire l’État soudanais », un pays en développement.  La CPI est directement complice des crimes de l’Occident, a fustigé la représentante.  Il vaudrait mieux, selon elle, employer son budget pour renforcer les institutions de l’État soudanais, notamment son système judiciaire, qui ne devrait pas être entre les mains de forces étrangères.  Depuis sa création, la CPI a inculpé 52 personnes, dont 47 Africains, a également rappelé la représentante.

M. DAI BING (Chine) a souhaité que la CPI, dans l’exécution de ses fonctions, continue de respecter le principe de complémentarité défini dans le Statut de Rome, ainsi que la souveraineté des États.  S’agissant du conflit en cours au Soudan, il a espéré que les parties feront de la paix et du bien-être des populations civiles leur priorité et seront en mesure de régler leurs différends par la voie du dialogue et de la négociation.  À cet égard, le délégué s’est félicité des efforts déployés par les pays voisins et les organisations régionales, notamment l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et l’Union africaine, pour soutenir les pourparlers de paix.  La concurrence pour les ressources naturelles, les ingérences extérieures et les conflits régionaux sont autant de facteurs qui exacerbent le conflit de longue date au Darfour, a-t-il noté, avant d’exhorter les parties à mettre en œuvre l’Accord de paix de Djouba et à aider les autorités soudanaises à s’acquitter de leur responsabilité première de protection des civils en vertu du droit international humanitaire.

M. SÉRGIO FRANÇA DANESE (Brésil) a constaté que le conflit au Soudan a affecté la capacité du Bureau du Procureur à mener des enquêtes et des activités de sensibilisation au Darfour.  Pour contrer ces revers, il faut que les hostilités cessent et renforcer la coopération entre le Bureau du Procureur et les autorités nationales, tout en respectant le principe de complémentarité.  Sans institutions nationales fortes capables de rendre la justice aux populations locales et de les protéger, il y aura toujours un risque plus élevé de rechute dans l’instabilité et dans le conflit, a-t-il mis en garde.  Il a souligné que la responsabilité première de rendre la justice appartient aux États nationaux, sans préjudice du rôle complémentaire que la CPI doit jouer lorsque les États ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire.  En ce sens, la communauté internationale doit être prête à aider le Soudan à renforcer la capacité de ses institutions nationales à enquêter et à punir les auteurs de crimes graves au regard du droit international, a affirmé le représentant.  Il a par ailleurs estimé que les dépenses encourues par la CPI en raison de renvois du Conseil de sécurité doivent être appuyées par les États parties au Statut de Rome ainsi que par l’ONU.

M. DARREN CAMILLERI (Malte) a déclaré que l’obligation de rendre des comptes reste essentielle pour mettre fin au cycle de violence au Soudan.  Le représentant a apporté son appui aux efforts du Procureur, y compris l’ouverture d’enquêtes sur les incidents survenus au Darfour.  Toutes les allégations de crimes sexuels et sexistes, y compris les campagnes de viols massifs et de violences contre les enfants doivent faire l’objet d’enquêtes, a-t-il estimé. 

Le représentant a salué la présentation des moyens à charge dans le procès d’Ali Kushayb, de même que les efforts déployés pour que le procès ne subisse pas de retard déraisonnable en raison de la situation actuelle.  Il a regretté que les autorités soudanaises ne respectent pas leurs obligations au titre de la résolution 1593 (2005), et s’est dit préoccupé par la libération des suspects Al Bashir, Hussein et Harun de la prison de Kober à Khartoum.  Il a également déploré les assassinats ciblés à motivation ethnique, les violences sexuelles, les incendies de maisons et les déplacements massifs.  Le délégué a ensuite exhorté les parties à cesser les hostilités sans conditions préalables et à ramener le Soudan sur la voie de la transition politique.

Mme ANNETTE ANDRÉE ONANGA (Gabon) a estimé que face au contexte particulièrement difficile que connaît le Soudan, il faut se féliciter que la toute première affaire Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman ait abouti.  Elle a souligné que le retour à la paix est une condition absolument indispensable afin que les autorités soudanaises puissent honorer les engagements pris dans le cadre du Mémorandum d’accord du 12 aout 2021 qui établit les modalités d’une coopération sans faille entre le Soudan et le Bureau du Procureur.  Elle a espéré que les autorités répondront favorablement sans plus de délai à la désignation des points focaux, dès que les conditions idoines le permettront. 

La représentante a ensuite souligné l’importance du renforcement des capacités de l’appareil judiciaire soudanais.  Il est en effet indispensable de rendre ces tribunaux et les autres mécanismes pertinents plus effectifs afin de mettre un terme à l’impunité et au cycle infernal de la violence et des violations massives des droits humains qui ont actuellement cours à travers le pays, a-t-elle dit. 

Mme GHASAQ YOUSIF ABDALLA SHAHEEN (Émirats arabes unis) s’est dite préoccupée par les répercussions négatives de la situation sécuritaire sur les efforts humanitaires dans le pays, et a insisté sur l’impératif de poursuivre des initiatives de cessez-le-feu et de redoubler d’efforts pour trouver une solution politique urgente à la crise.  Elle a appelé les parties à cesser immédiatement les combats, à adhérer à ce qui a été convenu à Djeddah, à respecter le droit humanitaire international et à faciliter l’aide humanitaire.  De même, elle a insisté sur l’importance capitale des efforts diplomatiques. 

Prenant note de la déclaration et du rapport du Procureur de la CPI, en particulier en ce qui concerne le mandat du Bureau, la représentante a souligné que le principe de complémentarité inscrit dans le statut de la Cour doit guider son travail, de même que celui du Procureur.  Les objectifs de la complémentarité doivent être réalisés dès que les conditions de réflexion sur les pistes de complémentarité seront réunies, a-t-elle ajouté.

Mme DIARRA DIME LABILLE (France) a condamné la poursuite des combats au Soudan qui marquent, selon elle, « un recul dramatique dans la transition vers un gouvernement civil voulue par les Soudanais ».  Les violences au Darfour sont inquiétantes, par leur ampleur et leur dimension communautaire, a-t-elle dit.  La MINUATS a souligné que les violences ethniques qui se sont produites ces dernières semaines au Darfour pourraient être constitutives de crimes contre l’humanité, si elles étaient avérées.  La déléguée a rappelé que l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation au Darfour est essentielle, y compris s’agissant des crimes commis dans le cadre du conflit en cours.  La France invite le Bureau du Procureur à poursuivre ses efforts d’enquête et de vigilance s’agissant des crimes commis dans ce nouveau contexte. 

Les évènements au Soudan ont des conséquences préoccupantes sur la conduite des enquêtes de la Cour, a insisté la déléguée.  La France appelle les autorités soudanaises à coopérer avec le Bureau du Procureur et à honorer leurs obligations au titre de la résolution 1593 (2005), des accords de paix de Djouba et des mémorandums conclus avec le Bureau du Procureur.  Alors que la situation d’Omar Al-Bashir, d’Abdel Raheem Muhammad Hussein et d’Ahmed Harun est incertaine depuis le début des affrontements à Khartoum, elle invite le Soudan à répondre à la demande formelle de la Cour visant à préciser leur localisation.  Par ailleurs, la déléguée a salué l’important travail accompli par le Bureau du Procureur et la Cour dans l’affaire M. Abd-Al-Rahman.  Elle a encouragé les pays de la région à poursuivre leur coopération avec la CPI, en particulier pour veiller à ce que la Cour puisse recueillir les témoignages des réfugiés soudanais.  Un retour durable à la paix au Soudan ne pourra se faire sans une association de l’ensemble des acteurs soudanais, a conclu la déléguée.  La France appelle à associer dans les meilleurs délais les forces politiques et la société civile soudanaise aux discussions, pour parvenir à un cessez-le-feu durable et à une résolution politique de la crise.

M. HERNÁN PÉREZ LOOSE (Équateur) a regretté que le déclenchement du conflit au Soudan n’ait pas permis au Procureur de faire rapport sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de sa stratégie renouvelée d’enquête et de poursuite. Il a souhaité l’ouverture d’enquêtes sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires, d’incendies et de pillages commis à Geneina ainsi que dans d’autres régions du Darfour.  Dans cette optique, le délégué a exhorté les autorités soudanaises à se conformer à leurs obligations juridiques internationales et à coopérer aux enquêtes engagées par la CPI sur leur territoire, notamment en matière d’accès aux témoins et aux victimes.  Il a pris note du fait que le procès d’Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman n’est pas affecté par le conflit actuel, y voyant une opportunité historique de rendre justice aux victimes au Darfour.  À cet égard, le délégué a appelé les autorités soudanaises à répondre à la demande d’information du Procureur concernant la localisation des autres suspects visés par des mandats d’arrêt de la Cour.

M. ANDRIS STASTOLI (Albanie) s’est dit encouragé par les progrès réalisés en matière de justice au Soudan, en citant notamment la finalisation du procès d’Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, se félicitant tout particulièrement de la participation des victimes à cette affaire.  Il a salué la décision de la Cour d’entendre en personne les femmes et les filles qui ont été victimes de violences sexuelles au Darfour et de lutter contre leur stigmatisation et leurs souffrances.  Le représentant est toutefois préoccupé par les crimes « odieux » commis à la suite de l’éclatement du récent conflit au Soudan, en évoquant des viols massifs et des violences à l’encontre des femmes et des enfants, des exécutions extrajudiciaires et des attaques délibérées contre des civils et des infrastructures civiles.  Il a soutenu la décision du Procureur de prolonger les enquêtes sur les hostilités en cours, avant de se déclarer préoccupé par la libération d’Omar Al-Bashir, d’Abdel Raheem Hussein et d’Ahmad Harun, qui étaient maintenus en détention jusqu’au début des combats à Khartoum le 15 avril 2023.  Il a demandé aux autorités soudanaises de les remettre à la CPI pour qu’ils répondent de leurs actes devant la justice.

M. PEDRO COMISSÁRIO AFONSO (Mozambique), déplorant une augmentation de la violence contre les personnes les plus vulnérables, a estimé que la solution au conflit au Darfour réside dans la combinaison de mesures judiciaires et non judiciaires.  Cette approche contribuera selon lui à renforcer la reddition de comptes et à jeter les bases d’un véritable processus de réconciliation nationale au Soudan.  Le représentant a rappelé l’importance de l’Accord de paix de Djouba et du Plan national pour la protection des civils au Darfour qui réaffirment le caractère central de la justice et de la protection des droits de l’homme dans le processus de paix au Soudan.  Dans l’esprit du principe de complémentarité du Statut de Rome, il a souligné le rôle de la CPI dans la lutte contre l’impunité en cas de violations massives et systématiques des droits de l’homme et pour la promotion de l’état de droit. 

Le représentant a condamné les attaques contre les civils et les biens privés, les abus et les violations des droits de l’homme, y compris la violence sexuelle visant les femmes et les jeunes filles.  Il a salué l’engagement pris par l’IGAD de travailler avec la communauté internationale pour mettre en place un mécanisme de surveillance et de reddition de comptes afin de traduire en justice les auteurs de tels abus et crimes. Le représentant a dénoncé les attaques et le pillage de missions et de locaux diplomatiques.  Dans sa quête de justice, le peuple soudanais doit disposer d’institutions judiciaires nationales et d’un mécanisme de réconciliation, a-t-il en outre souligné.  Enfin, il a encouragé le Bureau du Procureur à maintenir un dialogue constructif sur ce processus avec les autorités soudanaises et les autres parties prenantes, y compris l’IGAD et l’Union africaine. 

M. JAMES KARIUKI (Royaume-Uni) a salué les progrès réalisés dans le procès de Muhammad Ali Abd-Al-Rahman après la présentation de la preuve par le Procureur. Il a cependant regretté que, depuis le coup d’État militaire de 2021 et le déclenchement du conflit en avril dernier, les autorités soudanaises aient échoué à coopérer avec la CPI.  Le représentant a fait écho aux préoccupations exprimées par le Procureur sur l’impact du conflit sur les enquêtes en cours, y compris la libération de suspects, et quant aux informations faisant état de violences et de la découverte de fosses communes au Darfour occidental.  Le conflit actuel découle en partie de l’impunité dont bénéficient ceux qui détiennent le pouvoir au Soudan, a relevé le représentant.  Le mépris de leurs obligations internationales et de la justice à l’égard des crimes passés a contribué selon lui au dernier cycle de violence.  Or toutes les parties sont responsables des crimes qu’elles commettent, a-t-il rappelé, avant de prévenir les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide que le mandat de la CPI au Darfour demeure valide. Il s’est félicité de la décision du Procureur d’ouvrir des enquêtes sur les infractions commises dans le cadre du conflit actuel, notamment les meurtres à caractère ethnique et les violences sexuelles.

M. AL-HARITH IDRISS AL-HARITH MOHAMED (Soudan), rappelant que son pays n’avait pas encore ratifié le Statut de Rome, a indiqué qu’après les « révolutions » de 2018 et 2021, le Gouvernement de transition a commencé à coopérer et à se coordonner avec la CPI.  En attendant de ratifier le Statut de Rome, les autorités soudanaises ont reçu une délégation de la CPI en décembre 2021 afin de discuter de la coopération, a-t-il rappelé, et le Soudan s’est engagé à protéger les témoins de la Cour.  En vertu du droit soudanais, la coopération avec la Cour requiert l’achèvement du processus de ratification du Statut de Rome, a expliqué le représentant, en précisant que le Gouvernement traite la CPI comme n’importe quelle autre organisation intergouvernementale et n’impose aucune restriction à ses activités. Qui plus est, en vertu du paragraphe 4 de l’Article 93 du Statut de Rome, le Gouvernement peut rejeter toute demande de coopération, en tout ou en partie, dès lors qu’une telle demande porte sur des documents relatifs à la sécurité nationale.  Ainsi, « jusqu’à ce qu’un cadre juridique formel soit adopté, la coopération avec la Cour restera instable », a reconnu le représentant.  Dans l’intervalle, il a proposé de s’appuyer sur le principe de complémentarité des juridictions nationales. 

S’agissant de la facilitation des enquêtes menées par le Bureau du Procureur sur le territoire soudanais, le représentant a proposé d’en réexaminer les modalités à l’expiration des « circonstances exceptionnelles actuelles ».  Le Procureur de la CPI s’est rendu à Khartoum et a conclu un protocole d’accord de coopération avec le Ministère de la justice en août 2022, a-t-il précisé.  Considérant la portée de la coopération envisagée avec le Bureau du Procureur, le représentant a jugé « injustes » les accusations de celui-ci voulant que les autorités soudanaises n’aient pas coopéré à la remise des suspects à La Haye. 

Reprenant la parole, M. KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a rappelé que les autorités nationales ne peuvent invoquer des lacunes pour refuser d’appliquer le droit international.  Il n’existe pas d’autorité supérieure au Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, a-t-il rappelé.  Or le Conseil a ordonné au Gouvernement soudanais, dans sa résolution 1593 (2005), de coopérer pleinement avec la CPI, « une obligation qui a été plus souvent violée que respectée ».  Par exemple, quelque 34 demandes de coopération demeurent en suspens, a-t-il noté, certaines depuis des années.  Les événements des quatre-vingt-dix derniers jours ne sauraient faire écran au refus de coopération dont nous avons été témoins, notamment depuis 2021.  En outre, deux missions de la CPI ont dû être annulées faute d’avoir obtenu les visas demandés, a déploré M. Khan.  Il a affirmé avoir accepté la tenue d’un procès hybride à Khartoum et La Haye.  Pour l’heure, cependant, le Procureur a considéré que le Soudan refuse de s’acquitter de ses obligations.

(à suivre...)

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