Darfour: le Procureur de la Cour pénale internationale dénonce devant le Conseil de sécurité le manque de coopération des autorités soudanaises
Venu présenter au Conseil de sécurité son trente-sixième rapport sur la situation au Darfour, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) s’est félicité, cet après-midi, des progrès accomplis dans la mise en œuvre de la résolution 1593 (2005), notamment l’avancement du procès d’Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman(“ Ali Kushayb ”), ancien chef de milice janjaouid accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. M. Karim Khan a toutefois déploré le manque de coopération du Gouvernement soudanais, en dépit des demandes répétées de son bureau. Un reproche que le représentant du Soudan a écarté en faisant valoir les circonstances politiques actuelles de son pays.
Dans son exposé au Conseil, le Procureur a loué « le courage, la persévérance et le dévouement » des témoins, déclarant voir en eux « le meilleur de l’humanité » et l’expression de l’espoir, en dépit de leur existence tragique. Tous ont connu des violences, des pertes de proches, des déplacements, des perturbations dans l’éducation de leurs enfants, des décennies pénibles dans des camps de réfugiés au Soudan ou dans d’autres pays, a-t-il fait observer, avant de rappeler que montrer aux victimes que la justice existe encore dans le monde est l’impératif qui a poussé le Conseil à renvoyer la situation au Darfour à la CPI voilà près de 20 ans.
Le procès de M. Abd-Al-Rahman avance bien, a précisé M. Khan en indiquant que son bureau entend clore l’affaire d’ici à la fin du mois, ce qui fait de cette procédure, marquée par 72 jours d’audience et la comparution de plus de 50 témoins, l’une des plus efficaces depuis la création de la juridiction. Il s’est félicité de ce qu’une série d’accords conclus entre le Procureur et la défense ainsi que l’excellente gestion des juges internationaux de la Cour et du personnel du Greffe l’aient permis. Cinq mois après sa dernière visite au Darfour, il s’est dit convaincu que son bureau a fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir davantage d’informations et porter à La Haye le sens d’urgence ressenti sur les lieux des crimes.
Il a cependant regretté que le Gouvernement soudanais ne satisfasse pas aux exigences en matière de coopération. Selon lui, les engagement pris par les principaux dignitaires n’ont pas été tenus. La coopération s’est même détériorée depuis le dernier exposé au Conseil, a constaté M. Khan, qui a fait état de difficultés d’accès au pays, de nouveaux obstacles administratifs et d’efforts considérables pour obtenir un visa à entrée unique. Il a également déploré les restrictions imposées pour accéder aux documents, ajoutant que 34 de ses demandes restent en suspens, en particulier la possibilité de créer un bureau extérieur du Procureur à Khartoum. Face à ce refus de coopérer, qu’il souhaite voir évoluer, il a dit avoir renforcé sa coopération avec les États tiers et les institutions internationales, ce qui a permis à la CPI d’obtenir de nouvelles preuves sur les individus à l’encontre desquels des mandats restent pendants.
En réponse à ces critiques, le représentant du Soudan a soutenu que son gouvernement a ouvert la porte à la coopération avec la CPI, comme en témoigne le mémorandum d’accord signé en août dernier. D’après lui, les difficultés en matière de coopération mentionnées par le Procureur dans son rapport sont le résultat des circonstances liées à la phase transitionnelle. La formation d’un gouvernement civil aura un effet positif sur cette coopération, a-t-il assuré, avant de rappeler que le Procureur a pu visiter le pays sans entrave et entendre de nombreuses parties prenantes et victimes au Darfour. Si le Soudan n’a pas signé le Statut de Rome, cela ne l’empêche nullement de collaborer avec la CPI, comme le prévoit la résolution 1593 (2005), a ajouté le délégué, qui a dit compter sur la compréhension du Conseil au vu de la situation politique actuelle du pays.
Il a été soutenu dans cette approche par plusieurs délégations, notamment par les Émirats arabes unis, qui ont salué les efforts inlassables des parties prenantes soudanaises pour avancer dans la phase de transition, lesquels ont culminé avec la signature, le 5 décembre, d’un accord-cadre politique. Parallèlement à ces développements, Khartoum a poursuivi sa coopération avec le Bureau du Procureur, a relevé la délégation émirienne, souhaitant que cette tendance s’accompagne d’un dialogue sincère entre la CPI et le Gouvernement soudanais, fondé sur le principe de complémentarité.
La Chine s’est félicitée de ce que les autorités soudanaises reconnaissent l’importance de l’établissement des responsabilités pour parvenir à une paix durable, en mettant en place une commission de justice transitionnelle conformément à l’Accord de Djouba et au mémorandum de coopération avec la CPI. Elle a appelé cette dernière à adhérer strictement au principe de compétences complémentaires et à respecter la souveraineté judiciaire du Soudan dans le cadre de ses enquêtes et procès. S’étonnant quant à elle des reproches formulés par le Procureur à l’encontre du Soudan, la Fédération de Russie s’est demandé si le problème ne tient pas plutôt au manque de confiance de la communauté internationale en la CPI « en tant qu’autorité impartiale et non politisée ».
La plupart des délégations ont néanmoins salué les progrès réalisés dans l’affaire Abd-Al-Rahman; la France et le Brésil rappelant que ce procès historique est non seulement le premier lié à la situation au Darfour mais aussi le tout premier à arriver devant la Cour à la suite d’une saisine du Conseil de sécurité. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont, eux, encouragé les autorités soudanaises à respecter leurs obligations internationales découlant de la résolution 1593 et à collaborer avec la CPI dans les domaines prioritaires, le transfèrement de suspects détenus au Soudan et l’accès sans entrave aux témoins.
Parmi les membres africains du Conseil, le Ghana a insisté sur la pleine coopération des autorités soudanaises avec la CPI, tout en invitant le Bureau du Procureur à renforcer son dialogue avec les États africains et l’Union africaine, une proposition appuyée par le Mozambique. Cette approche, a expliqué le Ghana, pourrait tout à la fois remédier au manque de coopération entre la Cour et les autorités soudanaises et élargir le soutien à l’établissement des responsabilités dans d’autres affaires sur lesquelles la Cour enquête. Le Gabon a, pour sa part, estimé que le retour rapide à l’ordre constitutionnel est de nature à favoriser une coopération accrue entre la Cour et le Gouvernement soudanais.
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Déclarations
M. KARIM KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a présenté au Conseil de sécurité son trente-sixième rapport sur la situation au Darfour en rappelant que, lors de son dernier exposé effectué depuis Khartoum, il avait fait état des espoirs du peuple soudanais en matière de justice et dressé un cap pour que la Cour s’acquitte de ses responsabilités à cet égard. Il a expliqué que son bureau a tenté de le faire en procédant à des enquêtes plus ciblées, de sorte à mériter la confiance des Soudanais. Son bureau a ainsi présenté de nouveaux critères de référence pour savoir dans quel sens aller afin de mettre en œuvre la résolution 1593 (2005), ce qui a permis des progrès notables, en premier lieu un grand nombre de témoins et des témoignages présentés par les rescapés héroïques qui ont pu se présenter au tribunal. Autre avancée, le procès d’Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman (“ Ali Kushayb ”) a donné lieu à 72 jours d’audience et a permis d’entendre plus de 50 témoins et d’enregistrer de nombreuses preuves, a ajouté le Procureur. Les témoignages qui avaient poussé le Conseil à saisir la CPI il y a presque 20 ans ont été présentés par des rescapés qui ont pu confronter les accusés, créant un précédent qui pourrait conduire à un verdict portant sur la responsabilité d’individus, a-t-il dit.
Saluant le courage, la persévérance et le dévouement des rescapés qui ont témoigné, M. Khan a déclaré voir en eux le meilleur de l’humanité et l’expression de l’espoir, en dépit de leur existence tragique. Tous ont connu des violences, des pertes de proches, des déplacements de leurs foyers, des perturbations dans l’éducation de leurs enfants, des décennies pénibles dans des camps de réfugiés au Soudan ou dans d’autres pays, a relaté le Procureur. Il a fait remarquer que le tribunal a ainsi pu prendre la mesure du traumatisme qu’ont subi les victimes de violences sexuelles, avec en toile de fond des récits glaçants. Dans ces conditions, a-t-il observé, il est remarquable que l’espoir ait persisté. Mais montrer aux victimes que la justice existe encore dans le monde est justement l’impératif qui a poussé le Conseil à renvoyer la situation au Darfour à la CPI, a-t-il relevé.
Le procès de M. Abd-Al-Rahman avance bien, a précisé M. Khan en indiquant que son bureau entend clore l’affaire d’ici à la fin du mois, ce qui fait de cette procédure l’une des plus efficaces depuis la création de la juridiction. Il s’est félicité qu’une série d’accords conclus entre le Procureur et la défense ainsi que l’excellente gestion des juges internationaux de la Cour et du personnel du Greffe l’aient permis. Cinq mois après sa dernière visite au Darfour, il s’est dit convaincu que son bureau a fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir davantage d’informations et porter à La Haye le sens d’urgence ressenti sur les lieux des crimes.
Toutefois, a-t-il nuancé, il n’en demeure pas moins que la coopération du Gouvernement soudanais est d’une importance critique pour satisfaire aux besoins du peuple du Darfour. Hélas, a déploré le Procureur, ce gouvernement ne satisfait pas aux exigences en matière de coopération, telles que prévues par le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et la résolution 1593: d’importantes promesses, des accords de coopération, des engagements pris par les principaux dignitaires n’ont pas été tenus. La coopération s’est même détériorée depuis le dernier exposé au Conseil, a regretté M. Khan. Comme indiqué dans son rapport, l’accès au pays est devenu plus difficile, de nouveaux obstacles administratifs ont été mis en place et des efforts considérables sont nécessaires pour obtenir un visa à entrée unique. Même quand nous obtenons un visa limité dans le temps, il faut des accords internes pour se rendre au Darfour, s’est-il lamenté, rappelant que pendant que des fonctionnaires internationaux patientent dans des hôtels de Khartoum, des hommes, des femmes et des enfants attendent dans des camps. Déplorant également les restrictions imposées pour l’accès aux documents et aux archives nationales, le Procureur a indiqué qu’au cours de la période à l’examen, pas une seule demande n’a obtenu une réponse positive, plus de 34 demandes restant aujourd’hui en suspens, notamment la possibilité de créer un bureau extérieur à Khartoum.
M. Khan a donc souhaité un changement de comportement, en se demandant si les décisions prises par le Conseil de sécurité peuvent être négligées. « Si tel est le cas, quel espoir reste-t-il? Sinon quelles sont les décisions que peut prendre le Conseil pour promouvoir la mise en œuvre des obligations internationales? » En réponse à ces questions, le Procureur a dit travailler pour la transition au Soudan de sorte à œuvrer pour la paix. Mais les obligations découlant du Statut de Rome sont claires, a-t-il ajouté, avant de rappeler que, depuis 2005, pas un seul procès ne s’est tenu au Soudan sur les accusations de violences au Darfour. De fait, si les autorités soudanaises ne changent pas d’attitude, je n’aurai d’autre choix que de demander une nouvelle approche de la part des États Membres, a averti le Procureur.
À ses yeux, il convient d’agir, mais « une valse se danse à deux ». Si nous devons faire cavalier seul, nous ne pourrons atteindre notre objectif qui est d’établir la vérité, a-t-il résumé, formant l’espoir que le Soudan pourra, en son nom propre et au nom de son image internationale et de sa population, mettre en pratique la feuille de route qu’il lui a été présentée. Nous tenterons de veiller à ce que tous ceux qui souhaitent saper les travaux de la Cour en refusant de coopérer ne puissent pas atteindre leurs objectifs, a poursuivi M. Khan. C’est pourquoi, a-t-il dit, nous avons renforcé notre coopération avec les États tiers et les institutions internationales, ce qui a permis à la CPI d’obtenir de nouvelles preuves sur les individus à l’encontre desquels des mandats restent en suspens. De plus, grâce à l’adoption d’une nouvelle stratégie prévoyant davantage de ressources et des enquêtes diligentes, nous pouvons avancer, a-t-il promis, tout en posant la question de la possibilité d’y parvenir par le biais de partenariats sincères avec le Gouvernement soudanais.
Mme PASCALE CHRISTINE BAERISWYL (Suisse) s’est réjouie des avancées significatives réalisées au cours de l’année écoulée dans le procès de M. Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman (“ Ali Kushayb ”). Cette procédure est essentielle pour les victimes et les communautés touchées qui attendent depuis plus de 17 ans que justice soit rendue, a-t-elle souligné, notant qu’il s’agit aussi du premier procès donnant suite à un renvoi de la part du Conseil de sécurité. Après avoir salué l’approche centrée sur les victimes adoptée par le Procureur, elle a remercié les nombreuses personnes qui ont témoigné devant la Cour pour leur courage et leur détermination, et félicité la société civile, les États tiers et les institutions internationales pour leur accompagnement de la procédure. De l’avis de la représentante, ce procès souligne une nouvelle fois le rôle de prévention et de réconciliation joué par la CPI. Or, pour exercer son mandat de manière efficace, indépendante et impartiale, la CPI dépend de notre assistance à tous, a-t-elle relevé, invitant tous les États Membres à respecter les obligations de coopération qui leur incombent, que ce soit en vertu du Statut de Rome ou suite à la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité. Elle a également exhorté les autorités soudanaises à accompagner les efforts de la CPI par des démarches concrètes, notamment en luttant contre l’impunité, comme prôné par l’Accord de Djouba pour la paix au Soudan. Rendre la justice n’est pas seulement un devoir en termes de reddition de comptes, c’est un impératif pour l’avenir du Soudan, a conclu la représentante.
M. CHANAKA LIAM WICKREMASINGHE (Royaume-Uni) a salué l’engagement inlassable de la CPI au cours des 18 dernières années pour aider à rendre justice au peuple du Darfour. Dans ce cadre, a-t-elle noté, le procès de M. Abd-Al-Rahman a permis aux victimes et aux témoins de raconter courageusement leur histoire et de montrer aux autres victimes que la justice peut être rendue. Il a toutefois jugé décevant que les autorités soudanaises n’aient pas fait montre d’une coopération suffisante avec la CPI, malgré les assurances qu’elles ont données au Procureur général lors de ses visites au Soudan. À ses yeux, un engagement plus fort démontrerait que les autorités soudanaises sont sérieuses quant au respect de leurs engagements en matière de justice transitionnelle, comme indiqué dans l’Accord de Djouba pour la paix au Soudan et l’accord-cadre initial signé le 5 décembre 2022. Le représentant a donc exhorté les autorités soudanaises à renforcer immédiatement leur coopération avec la Cour en garantissant un accès rapide et sans restriction au Soudan, y compris aux archives documentaires et aux témoins pertinents pour les enquêtes de la Cour; en facilitant l’établissement d’un bureau à Khartoum pour le Procureur et la levée des obstacles bureaucratiques qui empêchent le personnel de la Cour d’obtenir des visas à entrées multiples; et en répondant rapidement aux demandes d’assistance en suspens de la Cour. Dans le contexte actuel, le représentant a encouragé la poursuite de la coopération entre la CPI et les États tiers, qui, selon lui, s’est avérée vitale, notamment en l’absence d’une coopération suffisante de la part des autorités soudanaises. Enfin, après avoir demandé que des mesures soient prises pour exécuter les quatre mandats d’arrêt qui restent en suspens dans la situation au Darfour, il a appelé à la remise de M. Banda, qui reste un fugitif de la Cour.
M. MARK A. SIMONOFF (États-Unis) a dit suivre avec intérêt les poursuites intentées contre l’ancien commandant des Janjaouid M. Abd-Al-Rahman, ou Ali Kushayb, première occasion réelle de rendre justice aux victimes du Darfour. Quelques semaines après la signature d’un accord politique-cadre dans l’objectif de la restauration de la transition démocratique au Soudan, des dialogues ont été menés en vue d’un accord final permettant la mise en place d’un gouvernement civil, a rappelé le délégué. Cependant, a-t-il noté, certains des défis les plus difficiles restent à relever, notamment en matière de justice transitionnelle ainsi que dans la mise en œuvre de l’Accord de paix de Djouba et de la réforme du secteur de la sécurité. Après des décennies de dictature, le Soudan doit, selon lui, mettre en place une stratégie de justice transitionnelle pour traiter des droits des victimes, rétablir la confiance et réparer les relations entre les communautés, dans le respect des droits humains. Le représentant a encouragé les autorités soudanaises à respecter leurs obligations internationales découlant de la résolution 1593 (2005) et à collaborer avec la CPI dans les domaines prioritaires, le transfèrement de suspects détenus au Soudan et l’accès sans entrave aux témoins.
M. GENNADY V. KUZMIN (Fédération de Russie) a rappelé que depuis la résolution 1593 (2005) qui transmettait l’affaire du Darfour à la CPI, presque 18 ans se sont écoulés pendant lesquels deux procureurs ont changé et la composition de la Cour a été presque entièrement renouvelée. Le délégué a relevé que l’accusé M. Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman (“ Ali Kushayb ”) a lui-même souhaité, à l’été 2020, se rendre à la CPI. Il a constaté que certaines des dynamiques du dossier du Darfour sont présentées uniquement comme des mérites de la Cour, alors que des échecs sont mis sur le compte des tiers. Le représentant a souligné que ce qui est vrai pour la CPI l’est aussi pour le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, lequel a hérité des pires pratiques de son prédécesseur, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Notant que le Soudan est accusé de refroidir les relations avec le Bureau du Procureur de la CPI, le délégué s’est demandé si le problème ne tient pas plutôt du manque de confiance de la communauté internationale en la CPI en tant qu’autorité impartiale et non politisée.
Le représentant a ensuite estimé que la CPI persiste à réécrire les normes existantes du droit international. Il a pris pour exemple l’arrêt du 6 mai 2019 sur les appels jordaniens impliquant l’UA et la Ligue des États arabes. Les conclusions des juges ont clairement démontré à quel point la CPI est loin des évaluations sobres de sa compétence, a-t-il noté. Il a évoqué la question des immunités, rappelant qu’aucun pays n’avait donné suite à la demande abusive d’arrestation de l’ancien Président soudanais Omar El-Béchir. Le délégué a aussi rappelé que la résolution 1593 précisait que le coût des enquêtes de la CPI serait supporté par les États parties au Statut de Rome et non par tous les États Membres de l’ONU. Nous sommes convaincus que les Soudanais sont capables de rendre justice par eux-mêmes, a-t-il conclu, ajoutant que les activités de la CPI soulèvent de nombreuses questions.
Convaincu que la justice est un des moteurs du succès d’un processus de paix, M. DOMINGOS ESTÊVÃO FERNANDES (Mozambique) a insisté sur les processus judiciaires, aux niveaux national et régional et sur le fait qu’il faut renforcer leur complémentarité avec les instruments juridiques internationaux. Le rapport du Procureur montre des opportunités de collaboration constructive avec le Gouvernement du Soudan, a-t-il estimé, en encourageant le Bureau du Procureur à maintenir le dialogue avec ce dernier mais aussi avec l’Union africaine.
M. HERNÁN PÉREZ LOOSE (Équateur) a encouragé le Bureau du Procureur à concentrer ses efforts sur la conclusion du procès de M. Abd-Al-Rahman, l’ex-chef de la milice janjaouid, car cela enverra un message d’espoir aux victimes. Dans le même esprit, il a demandé au Gouvernement soudanais d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la Cour contre quatre accusés, dont trois sont détenus par le Gouvernement, y compris l’ancien Président, M. Omar al-Bashir. Il a reproché à ce gouvernement son manque de coopération avec le Bureau du Procureur, comme en atteste le rapport, malgré les engagements pris en août 2022. Les obstacles au travail d’enquête persistent, notamment le manque d’accès à la documentation et aux archives, l’absence d’une instance pour accélérer l’exécution des demandes d’assistance et les restrictions à la délivrance des visas. Le délégué a instamment demandé au Gouvernement soudanais de respecter ses engagements, en coopérant avec la Cour, conformément à la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité et au protocole d’accord conclu avec le Bureau du Procureur.
M. LIU YANG (Chine) s’est félicité des avancées politiques récentes au Soudan, notamment le lancement de la dernière phase du processus politique dans la foulée de la signature de l’accord-cadre par les principales parties. L’état de droit et la justice au Darfour sont des objectifs communs de la communauté internationale, a-t-il noté, en se félicitant que les autorités soudanaises reconnaissent l’importance de la reddition de comptes pour parvenir à une paix durable, en mettant en place une commission de justice transitionnelle conformément à l’Accord de Djouba et au mémorandum de coopération avec la CPI. Le représentant a appelé la communauté internationale à mettre un terme aux entraves et à appuyer financièrement la transition et la levée des sanctions. Il a en outre appelé la CPI à adhérer strictement au principe de compétences complémentaires et à respecter la souveraineté judiciaire du Soudan dans le cadre de ses enquêtes et procès.
M. JOÃO GENÉSIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) s’est félicité de la tenue de cette séance d’information qui permet de discuter de la mise en œuvre de la résolution 1593 (2005) et d’exprimer l’appui du Conseil aux travaux de la CPI. Dans ce cadre, il a salué le fait que le Procureur donne la priorité aux renvois faits par le Conseil de sécurité, y compris s’agissant de l’allocation de ressources supplémentaires. À cet égard, tout en réaffirmant son attachement à l’universalisation de la compétence de la Cour, il a souhaité que les dépenses encourues en raison des saisines du Conseil soient supportées non seulement par les États parties au Statut de Rome, mais aussi par les Nations Unies. Le représentant a ensuite félicité l’équipe du Procureur de la CPI pour les progrès réalisés dans l’affaire Abd-Al-Rahman, ce procès historique étant à la fois le premier lié à la situation au Darfour et le premier devant la Cour à la suite d’une saisine du Conseil de sécurité. « Après plus de deux décennies, justice est enfin rendue. » La CPI ne doit toutefois pas être un instrument de pression politique sur les pays en développement, mais un moyen d’obtenir la justice, au profit des victimes, a-t-il fait valoir, réaffirmant le soutien du Brésil au droit à la réparation, y compris à la réparation collective.
Le représentant a souligné le rôle primordial des autorités soudanaises dans les enquêtes sur les terribles crimes commis contre la population du Darfour et la traduction des auteurs en justice. Il a cependant jugé qu’en l’absence de telles procédures, il est encore plus important de soutenir la CPI dans ses efforts visant à remplir son rôle institutionnel, tel que mandaté par le Statut de Rome. Dans ce contexte, il a salué les efforts déployés par le Bureau du Procureur en vue de la création d’un bureau extérieur à Khartoum, qui permettra de rapprocher la Cour des victimes et des témoins, tout en renforçant sa capacité à recueillir des preuves. Exhortant les autorités soudanaises à coopérer pleinement avec la CPI, il a salué les visites effectuées par M. Khan au Darfour et ses rencontres avec des personnes déplacées. Il a également réitéré son soutien à l’accord-cadre du 5 décembre, à sa phase en cours de pourparlers politiques et au rétablissement d’une transition civile vers la démocratie au Soudan. Enfin, il a approuvé pleinement le travail de facilitation effectué par le mécanisme trilatéral composé de représentants de l’Union africaine, de l’Autorité intergouvernementale pour le développement et de l’ONU, se disant convaincu que les signataires conviendront de feuilles de route réalisables, réalistes et inclusives.
Mme FRANCESCA MARIA GATT (Malte) s’est dite convaincue qu’il est possible d’améliorer les relations entre le Conseil de sécurité et la CPI, en particulier par le biais de renvois par le Conseil à la Cour, afin d’assurer la responsabilité des atrocités commises dans toutes les régions. Selon elle, le renvoi de la situation au Darfour montre que lorsque ses membres agissent ensemble, le Conseil peut faire de réels progrès vers la responsabilisation. À cet égard, elle s’est félicitée des progrès réalisés dans le procès de M. Abd-Al-Rahman et du fait que le Procureur de la CPI prévoit de conclure son affaire en février. La représentante a aussi salué la coopération renforcée avec les États tiers et les institutions internationales, qui ont obtenu de nouvelles formes de preuves, et le courage des témoins, sans qui cela aurait été impossible. Remerciant le Procureur Khan pour son approche ouverte en matière d’établissement de rapports et la priorité continue accordée aux renvois par le Conseil de sécurité, elle a tenu à souligner que la pleine coopération des autorités soudanaises reste essentielle pour le travail d’enquête sur toutes les affaires et pour répondre aux attentes légitimes des survivants. Dans cet esprit, elle a regretté l’absence de progrès au cours de la période considérée dans les quatre domaines prioritaires identifiés par le Procureur et a appelé à un accès sans entrave aux documents et aux témoins, à l’établissement d’une présence de la CPI à Khartoum et à des réponses rapides aux demandes d’assistance. Enfin, après s’être réjouie de la signature de l’accord-cadre politique du 5 décembre, qui, selon elle, jette les bases d’un accord final, la représentante a réaffirmé son plein appui aux efforts de la MINUATS, de l’UA et de l’IGAD dans le cadre du processus de paix.
M. MICHEL XAVIER BIANG (Gabon) a rappelé l’accord du 12 août 2021 sur les modalités de la coopération entre le Soudan et le Bureau du Procureur. Cet accord doit être mis en œuvre et permettre à la Cour de renouveler sa stratégie sur la poursuite des enquêtes relatives aux allégations de crime de guerre et de crime contre l’humanité, grâce à un dialogue mutuel et approfondi avec les autorités soudanaises. Le représentant a relevé que l’efficacité des mesures de coopération reste tributaire de l’amélioration de la situation politique et sécuritaire au Soudan, lequel fait face à de nombreux problèmes sécuritaires, politiques et économiques. Pour le représentant, le retour rapide à l’ordre constitutionnel est de nature à favoriser une coopération plus accrue entre la Cour et les autorités soudanaises.
M. FELIX OSEI BOATENG (Ghana) a salué le professionnalisme du Bureau du Procureur, les progrès rapides dans le procès de M. Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman et les efforts déployés pour communiquer avec les témoins de crimes. La visite du Procureur au Soudan en août 2022, et en particulier au Darfour et dans les camps de déplacés, a constitué une plateforme importante pour le dialogue, le renforcement de la collaboration avec les communautés locales et les efforts de relations publiques, a estimé le représentant. Il a cependant regretté les informations selon lesquelles le Gouvernement soudanais n’a pas tenu ses engagements. Il lui a demandé de fournir un accès sans entrave à la documentation et aux témoins, de soutenir une présence du Bureau du Procureur sur son territoire et de répondre rapidement aux demandes de ce dernier. Tout en insistant sur la pleine coopération des autorités soudanaises compétentes, le délégué a souligné que cette coopération doit s’inscrire dans les limites du principe de complémentarité.
Il a enfin exhorté le Bureau du Procureur à poursuivre ses efforts pour renforcer le dialogue avec les États africains et l’Union africaine. Cette approche, s’est-il expliqué, pourrait contribuer à remédier non seulement au manque de coopération entre la Cour et les autorités soudanaises, mais aussi au soutien le plus large possible à l’établissement des responsabilités dans d’autres affaires sur lesquelles la Cour enquête.
Mme DIARRA DIME LABILLE (France) a estimé que l’enquête ouverte par la CPI sur la situation au Darfour est d’autant plus essentielle en cette période de transition fragile au Soudan. Elle a appelé les autorités soudanaises à coopérer pleinement avec le Bureau du Procureur et à honorer leurs obligations au titre de la résolution 1593 (2005), des accords de paix de Djouba et des mémorandums conclus avec le Bureau du Procureur. La représentante s’est félicitée des progrès réalisés dans l’affaire M. Abd-Al-Rahman, ou Ali Kushayb, première affaire devant la CPI à arriver au procès concernant la situation au Darfour, et première découlant d’une saisine par le Conseil de sécurité. Dans ce contexte, il est essentiel que les témoins puissent intervenir en toute sécurité, sans entrave ni risque de représailles, a-t-elle noté. En outre, si la complémentarité demeure un principe cardinal, l’exécution des mandats d’arrêt en suspens est cruciale, a-t-elle ajouté, en se félicitant de la coopération accrue entre le Bureau du Procureur et les États tiers ainsi qu’avec les organisations internationales.
La déléguée a dénoncé l’impasse politique découlant de l’action des autorités militaires, qui met en péril les acquis des deux dernières années et affecte la situation sécuritaire au Darfour. Elle a réitéré à cet effet son appel au déploiement de la force de protection conjointe prévue par les accords de Djouba. À ses yeux, l’accord-cadre du 5 décembre entre les militaires et les Forces pour la liberté et le changement doit désormais permettre de rétablir une transition démocratique dirigée par des civils, notamment grâce aux efforts de facilitation du dialogue menés par l’ONU, l’UA et l’IGAD.
Mme ALBANA DAUTLLARI (Albanie) a relevé que l’engagement inlassable de la CPI est la seule lueur d’espoir pour soulager les victimes et les survivants qui espèrent justice. Elle a salué le procès de M. Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, comme une étape tangible et importante vers la justice au Darfour. La déléguée a déploré le fait que 34 demandes d’assistance du Bureau du Procureur restent en suspens, érigeant devant ce dernier des obstacles inutiles, y compris pour accéder aux archives et aux documents publiques. Ces actes ne sont rien d’autre qu’une nouvelle tentative de perpétuer l’impunité et de retarder la justice, a-t-elle jugé. Elle a exhorté les autorités soudanaises à respecter les engagements qu’ils ont pris par écrit de coopérer avec le Bureau du Procureur, conformément à la résolution 1593 (2005) et au protocole d’accord signé avec la Cour. La coopération renforcée entre le Procureur de la CPI et le Gouvernement du Soudan est indispensable, a-t-elle conclu.
M. SUOOD RASHED ALI ALWALI ALMAZROUEI (Émirats arabes unis) s’est félicité des efforts inlassables des parties prenantes soudanaises. Soutenues par les partenaires internationaux et régionaux, elles ont œuvré au lancement d’une nouvelle période de transition qui a culminé avec la signature, le mois dernier, d’un accord-cadre politique par un large éventail de parties soudanaises. Il s’agit, selon le délégué, d’une étape essentielle vers la concrétisation des aspirations du peuple soudanais. Parallèlement à ces développements, le Soudan a poursuivi sa coopération avec le Bureau du Procureur, entre autres en facilitant sa visite du mois d’août dernier et en organisant des réunions avec des responsables gouvernementaux. Notant les récents développements politiques positifs, le délégué a espéré le maintien de cette tendance qui doit s’accompagner d’un dialogue sincère et constructif entre la CPI et le Gouvernement du Soudan, fondé sur le principe de complémentarité et conforme aux lois soudanaises.
Le représentant a réaffirmé son soutien au Soudan qui met en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle, conformément aux dispositions de l’Accord de paix de Djouba. Il a salué les récents efforts du Soudan pour désamorcer les tensions au Darfour, grâce à des accords de réconciliation qui ont contribué à la stabilité de la région.
M. ISHIKANE KIMIHIRO (Japon) a réaffirmé son engagement sans faille en faveur de la CPI. Il a rappelé qu’en vertu de la résolution 1593, les États et les organisations régionales et internationales pertinentes ont l’obligation de collaborer avec la Cour. Il a salué à cet égard les progrès réalisés dans l’affaire Abd-Al-Rahman (“ Ali Kushayb ”), la première qui découle d’une saisine du Conseil de sécurité. Après 18 ans d’attente, la justice devient enfin une réalité pour les victimes du Darfour, s’est félicité le représentant. Il a incité, dans ce contexte, les autorités soudanaises à honorer pleinement leurs obligations, en vertu de la résolution du Conseil de sécurité de manière à satisfaire les attentes des survivants. Il a salué l’approche stratégique renouvelée de la CPI et le renforcement de la collaboration avec les victimes et les communautés touchées par le conflit au Darfour.
M. AL-HARITH IDRISS AL-HARITH (Soudan) a affirmé qu’atteindre la justice au Darfour est un point essentiel des efforts consentis par les autorités transitoires soudanaises pour rétablir la stabilité et la sécurité dans la région. Selon lui, le Gouvernement soudanais de transition est convaincu que la paix et la justice sont inséparables et s’engage à garantir la reddition de comptes pour les victimes, dans le cadre d’une approche exhaustive visant à améliorer les conditions de vie des citoyens du Darfour, conformément à l’Accord de Djouba pour la paix au Soudan. Le représentant a souligné à cet égard que la question de la justice est une des plus importantes de l’Accord, qui prévoit des mesures de justice transitionnelle et une collaboration avec la CPI. Dans cet esprit, a-t-il ajouté, le Gouvernement soudanais a ouvert la porte à la coopération avec la Cour, comme en témoigne le mémorandum d’accord signé en août dernier. D’après le délégué, les difficultés en matière de coopération mentionnées par le Procureur dans son rapport sont le résultat des circonstances liées à la phase transitionnelle. La formation d’un gouvernement civil aura un effet positif sur cette coopération, a-t-il assuré.
Le représentant a précisé qu’au cours de la période de demande d’assistance de la part du Bureau du Procureur, la compétence exécutive et la responsabilité de collaborer n’ont pas été transmises par le Ministère de la justice au Ministère des affaires étrangères, ce qui a empêché de donner effet aux demandes du Procureur. Ce dernier a toutefois pu visiter le Soudan sans entrave et entendre de nombreuses parties prenantes et victimes, a fait valoir le délégué. « Le Soudan poursuivra sur la voie de la coopération mais demande que sa situation politique actuelle soit prise en compte. » Il y a une transition entre la guerre et la consolidation de la paix et il est difficile dans l’immédiat d’utiliser des moyens transitionnels de justice, a-t-il encore justifié, ajoutant que son gouvernement entend garantir la justice au Darfour et qu’il a fait montre de sa bonne foi sur cette question. Quant aux entraves inutiles évoquées dans le rapport du Procureur, il les a réfutées, estimant que la justice pénale relève de la justice transitionnelle qui n’a pas pu encore avoir lieu en raison des circonstances actuelles au Soudan.
Pour le représentant, c’est la justice réparatrice qui doit être adoptée pour satisfaire aux besoins des victimes. La justice pénale exige quant à elle un système de justice pénale intégré qui n’est pas en adéquation selon lui avec les institutions du pays. Il faut donc procéder étape par étape et prendre en compte la diversité culturelle du Soudan, a-t-il plaidé, jugeant que tout cela ne peut être atteint sous la pression. Le Gouvernement de transition est néanmoins convaincu de l’importance de lutter contre l’impunité pour les crimes internationaux commis au Darfour et entend coopérer avec la CPI, a insisté le délégué, pour qui il importe cependant que les autorités donnent leur consentement juridique. Affirmant d’autre part que la feuille de route mentionnée par le rapport de M. Khan n’a pas été soumise au Soudan, en dépit de sa collaboration avec le Bureau du Procureur, il a dit compter sur la compréhension du Conseil au vu de la situation politique du pays et sur l’aide de la communauté internationale pour la phase de transition. Il a enfin rappelé que le Soudan n’a pas signé le Statut de Rome, ce qui ne l’empêche nullement de collaborer avec la CPI, comme le prévoit la résolution 1593 (2005).