En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-huitième session,
Réunion de haut niveau sur la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires
AG/12540

Malgré les tensions internationales, la grande majorité des États Membres renouvellent leurs appels au désarmement et à la non-prolifération nucléaires

« Le nombre d’armes nucléaires pourrait augmenter pour la première fois depuis des décennies », s’est alarmé aujourd’hui le Secrétaire général de l’ONU à l’ouverture de la réunion de haut niveau tenue chaque année à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires, à laquelle ont participé quelque 80 délégations, dont une douzaine était représentée au niveau ministériel. 

M. António Guterres a dressé un tableau particulièrement sombre de la situation actuelle: les normes pour prévenir l’utilisation, la dissémination et l’expérimentation des armes nucléaires sont mises à mal, s’est-il inquiété, et l’architecture mondiale du désarmement et de la non-prolifération serait en plein délitement.  L’utilisation des armes nucléaires –quels que soient le lieu, le moment ou les circonstances– déclencherait une catastrophe humanitaire d’une ampleur colossale et « ce n’est pas une hyperbole », a-t-il averti. 

Le Secrétaire général a exhorté les États dotés d’armes nucléaires à montrer la voie en respectant leurs obligations et à renforcer le régime de désarmement et de non-prolifération nucléaire à travers les traités majeurs que sont le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE).  Il a également appelé au redéploiement des « outils intemporels » que sont le dialogue, la diplomatie et la négociation, faisant observer que le désarmement était au cœur de son Nouvel Agenda pour la paix.

Le risque d’annihilation mondiale par les armes nucléaires n’est pas un chapitre relégué au passé, a souligné le Président de l’Assemblée générale, M. Dennis Francis.  Dans un monde qui connaît de plus en plus de violences, de conflits interétatiques et d’affrontements, on sous-entend à nouveau la menace de la force nucléaire, a-t-il remarqué, parlant d’une « réalité terrifiante » et mettant en avant les possibles effets dominos d’un conflit, alors que les peuples et les nations sont en proie à des tensions grandissantes.  « Nous devons plus que jamais faire en sorte de trouver une solution pour éviter une Apocalypse, et la seule solution, c’est l’élimination totale des armes nucléaires », a-t-il martelé. 

M. Francis a appelé à rejeter le fatalisme selon lequel le désarmement nucléaire serait un rêve inatteignable.  « C’est la dernière étape de notre cheminement pour le bien-être de l’humanité », a-t-il appuyé.  Affirmant que les intérêts stratégiques ne sauraient occulter les aspirations de tout un chacun à vivre dans la paix, il a préconisé d’œuvrer au renforcement de la prise de conscience, notamment auprès des jeunes, et a lancé un appel clair à la dénucléarisation totale, relevant qu’il fallait réserver la technologie nucléaire à des fins pratiques pour protéger notre planète.

Plusieurs des intervenants ont relevé le danger des synergies potentielles entre armes nucléaires et nouvelles technologies, tout particulièrement l’intelligence artificielle.  Pour le Secrétaire général, les êtres humains, et non les machines, doivent garder le contrôle et la pleine responsabilité de toute décision d’utiliser des armes nucléaires.  Le Costa Rica a estimé que la menace n’avait jamais été aussi grande, notamment dans le contexte du développement des nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle.  Un risque également souligné par la Trinité-et-Tobago.

Seul État doté d’armes nucléaires à s’exprimer, la Chine a déploré que certains pays poursuivent une tentative d’hégémonie nucléaire au détriment des équilibres géopolitiques.  Dans ce contexte, elle a demandé que l’on redonne sa chance au multilatéralisme et à l’idéal de sécurité globale, appelant les États dotés des plus importants stocks d’armes nucléaires à s’efforcer de réduire la taille de leurs arsenaux pour réunir les conditions propices au désarmement général et complet prévu à l’Article VI du TNP, qui dispose que les pays s’engagent de bonne foi à la cessation de la course aux armements nucléaires et sur un traité de désarmement général et complet.  La Chine a assuré avoir toujours eu recours à une politique défensive, s’engageant à ne jamais utiliser ou menacer d’utiliser d’arme nucléaire contre un État non doté et citant comme preuve de son engagement le placement à un niveau minimal d’alerte de son arsenal. 

Deux autres États devenus des puissances nucléaires ont pris la parole. Rappelant, comme bien d’autres intervenants, que l’utilisation des armes nucléaires aurait des conséquences dévastatrices pour l’humanité, l’Inde s’est présentée comme « un État nucléaire responsable », réaffirmant elle aussi sa doctrine de non-utilisation de l’arme nucléaire contre un État non doté.  L’Inde s’est également dite attachée à un désarmement nucléaire universel et non discriminatoire, ajoutant que la Conférence du désarmement devait aboutir à un instrument contraignant et universel en ce sens.  Quant au Pakistan, il a rappelé qu’« un État avait introduit des capacités nucléaires en Asie du Sud en 1974 », le contraignant à faire de même pour restaurer l’équilibre régional et prévenir toute attaque à son encontre.  Depuis, a-t-il rappelé, le Pakistan a proposé la création d’un régime de retenue stratégique en Asie du Sud, fondé sur trois éléments: règlement des conflits, retenue en matière de missiles et d’armes nucléaires et équilibre stratégique.  Il faut éviter une course aux armements potentiellement néfaste dans la région, a-t-il insisté.

Les États et organisations régionales d’Amérique latine et des Caraïbes se sont quant à elles largement exprimés.  Au nom des 33 pays de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), tous parties au TNP et tous signataires du TIAN, Saint-Vincent-et-les Grenadines a rappelé l’engagement des pays de la région à ne jamais se doter de l’arme nucléaire et demandé aux États dotés de s’engager clairement à ne pas utiliser ces armes.  La CELAC demande l’adoption d’un instrument contraignant en ce sens dans les plus brefs délais.  Au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), c’est la Jamaïque qui a rejeté la pertinence des doctrines de dissuasion, prônant l’élimination totale des armes nucléaires.  Ces armes n’ont pas leur place dans le futur que nous souhaitons, a-t-elle déclaré.  Le Costa Rica a pour sa part regretté l’échec des dernières conférences d’examen du TNP alors que « les États dotés continuent de renforcer leurs arsenaux ». 

C’est cette même doctrine de dissuasion nucléaire des États dotés qu’a rejetée l’Iran, et en particulier celle des États membres de l’OTAN, affirmant que cette doctrine les empêche d’honorer leurs engagements en matière d’élimination de leurs arsenaux, notamment l’Article VI du TNP, tout en maintenant une pression intolérable sur les États non dotés.  L’Iran a par ailleurs déploré que les États-Unis continuent de s’opposer à l’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient, en défendant à l’égard de son pays des positions inacceptables tout en protégeant Israël, seul État de la région à n’avoir adhéré ni au TNP ni au régime de contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) alors qu’il dispose d’un vaste arsenal d’armes de destruction massive. 

Le Mexique est venu rappeler que de nombreux pays avaient souscrit des obligations supplémentaires à celles du TNP en matière de désarmement nucléaire en adhérant à des zones exemptes d’armes nucléaires.  Plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes, comme l’Uruguay, le Chili ou encore le Guatemala, ont rappelé le rôle précurseur de leur région avec l’adoption du Traité de Tlatelolco et ont dit leur fierté d’appartenir à la première région du globe à s’être ainsi déclarée exempte de ces armes nucléaires.  S’exprimant au nom des 33 pays de l’Organisme pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes (OPANAL), issu du Traité de Tlatelolco, le Brésil a vu dans l’échec de la dixième conférence d’examen du TNP le signe que le régime de ce Traité est en crise.  Le désarmement n’est pas seulement dans une impasse, il accuse un retard, et les arsenaux ne cessent de croître, s’est-il alarmé. 

L’OPANAL a toutefois estimé que le nombre de signataires du TIAN illustrait un consensus sur l’interdiction des armes nucléaires.  Le Mexique a rappelé à cet égard la tenue fin novembre à New York de la deuxième conférence des États parties au Traité et a invité les États qui ne l’ont pas encore ratifié à y assister en tant qu’observateurs. 

Le TIAN a été qualifié de « progrès historique » sur la voie de l’élimination totale des armes nucléaires par le Ministre des affaires étrangères de l’Indonésie, qui s’exprimait au nom des 10 pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).  Son homologue du Bangladesh a ajouté que ce traité devrait être reconnu par les États dotés, sa dimension humanitaire le rendant complémentaire au TNP. Les deux pays ont également rappelé l’importance que les États dotés facilitent l’exercice du droit de tous les pays à l’utilisation pacifique de l’énergie atomique, au bénéfice notamment de la santé et du développement pour tous. 

La Tunisie, au nom des 54 États membres du Groupe des États d’Afrique, a relevé que le désarmement nucléaire et l’élimination des arsenaux demeurent les priorités absolues de l’ONU.  Le Groupe estime que les responsabilités incombent surtout aux États dotés en vertu du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, notamment son article VI. Il a en outre exhorté ces mêmes pays à participer à la quatrième session de la Conférence sur la création d’une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient, qui se tiendra au Siège de l’ONU en novembre.  Un appel également lancé par la Ligue des États arabes et, à titre national, par plusieurs États arabes, dont le Liban, qui a présidé la troisième session de la Conférence l’an dernier. 

Parlant au nom du Groupe des États arabes, l’Égypte a appelé à garantir la non-utilisation des armes nucléaires et un désarmement irréversible.  Elle a aussi réitéré son engagement en faveur d’un instrument contraignant et appelé les États dotés d’armes nucléaires à se débarrasser de leurs arsenaux.  Le Groupe des États arabes appelle en outre les pays dotés de programmes nucléaires non déclarés à adhérer au plus tôt au TNP et à se soumettre aux contrôles de l’AIEA.  Il estime qu’en dépit des tensions dans la région du Moyen-Orient, les pays arabes ont montré l’exemple, et dénonce le refus persistant d’Israël d’ouvrir ses arsenaux aux inspections. 

L’Azerbaïdjan, actuel Président du Mouvement des pays non alignés, a plaidé la sensibilisation des populations à la nécessité d’un monde sans armes nucléaires, un thème repris par divers pays comme le Timor-Leste.  Le désarmement nucléaire reste la priorité du Mouvement des pays non alignés en matière de désarmement multilatéral.  Le Mouvement appelle à la tenue, sous l’égide de l’ONU, d’une nouvelle session extraordinaire sur les enjeux du désarmement nucléaire, notamment en raison des conséquences humanitaires de toute détonation nucléaire. 

Ce thème humanitaire a été repris notamment par le Japon, seul État à avoir connu des bombardements nucléaires, ainsi que par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la représentante de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires -qui a enjoint les dirigeants des États dotés des armes nucléaires à écouter les leçons des survivants de la bombe atomique– et un militant de Marshallese Education Initiative, qui a rappelé les conséquences sanitaires des essais nucléaires sur les habitants des Îles Marshall et déploré que les responsables de ces essais continuent de se concentrer sur le maintien de leurs arsenaux nucléaires. 

Très peu de pays occidentaux ont participé à la réunion.  En plus de la Nouvelle-Zélande, seuls trois États européens sont intervenus: Malte, l’Autriche et l’Irlande.  Avec quelques rares autres, ces pays ont évoqué les répercussions de la guerre en Ukraine sur le désarmement et la non-prolifération des armes nucléaires.  L’Autriche a déploré les « menaces implicites, mais immanquables » de la Fédération de Russie à propos de l’utilisation d’armes nucléaires dans le conflit et l’Irlande lui a demandé de s’abstenir de toute rhétorique de ce type.

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