La Conférence « BBNJ » suspend les travaux de sa cinquième session pour finaliser ultérieurement le texte d’un traité crucial pour l’océan et l’humanité
Parvenue au terme des deux semaines allouées initialement à sa cinquième session, la Conférence intergouvernementale dite « BBNJ » a décidé, ce soir, de suspendre les travaux d’une session qui devait se conclure par un accord sur un « instrument juridiquement contraignant sur la préservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale ». Après des négociations sans relâche, qui se sont poursuivies dans la soirée, la Présidente de la Conférence, Mme Rena Lee (Singapour), a indiqué qu’elle s’adressera à l’Assemblée générale pour demander au Secrétaire général une reprise de cette session prévue pour être la dernière. Si les délégations ont salué les progrès importants accomplis au cours des négociations et assuré rester engagées dans ce processus, une grande déception a transparu dans les déclarations des petits pays insulaires qui misent beaucoup sur la protection des océans et le partage des avantages qu’offrent les ressources marines de la haute mer.
En ouvrant la séance en début d’après-midi, la Présidente avait précisé que les ultimes discussions portaient sur des éléments de la nouvelle version du « texte d’accord rafraîchi », distribuée dans la matinée aux délégations. Cette dernière ébauche d’avant-projet d’accord, censée refléter « les progrès apparus durant les négociations officieuses et dans les petits groupes de travail », montre « à quel point nous sommes proches de la ligne d’arrivée », avait-elle assuré, ajoutant toutefois que des « négociations dures » seraient nécessaires pour parvenir à conclure.
« Nous n’avons jamais été aussi proches de la ligne d’arrivée dans ce processus », a-t-elle assuré en rouvrant la séance dans la soirée, après d’ultimes négociations. Mme Lee a alors pris note des rapports des facilitateurs et expliqué que le manque de temps imposait de suspendre la session. Elle a néanmoins parlé d’« excellents progrès », ce que les délégations qui ont ensuite pris la parole ont reconnu.
« La lumière est à la fin du tunnel », ont confirmé certains orateurs lors de cet échange de vues général. Dans leurs déclarations, les délégations ont exprimé leur gratitude à la Présidente pour avoir mené des travaux importants et complexes, en remerciant également les membres du bureau et les facilitateurs pour leur dur labeur lors des négociations. Le Secrétariat de l’ONU a aussi été salué pour son soutien au processus.
Cette session a été vue comme « un tournant » dans les négociations, par le délégué de l’Islande: « la Conférence a réalisé plus de progrès en deux semaines qu’il n’en a été fait pendant la décennie passée ». « Nous sommes dans une bien meilleure posture », a appuyé le représentant du Chili en demandant à toutes les délégations d’être bien préparées pour la prochaine étape.
Plusieurs ont apprécié la transparence maintenue dans les travaux, un élément jugé crucial, de même que l’inclusivité, comme l’a souligné notamment la représentante des Philippines. Son homologue de la République islamique d’Iran, de même que celui du Venezuela, ont néanmoins estimé que la « prolifération » de groupes de négociations est un problème car elle exclut certains États qui n’ont pas pu participer à toutes les réunions. Même remarque du délégué des Maldives qui a souhaité des réunions plus structurées la prochaine fois, dans le souci de la participation de tous. Son homologue du Nicaragua a lancé un appel aux facilitateurs en ce sens: « ne convoquez plus de réunions en petits groupes, car cela réduit les chances de participer pour les petites délégations ». Le représentant de la Chine est allé plus loin en demandant que les propositions émanant des petits groupes ne soient pas incluses dans le projet de texte, à cause du manque de participation.
Un élément permettant d’assurer l’inclusivité est d’ailleurs le fonds d’affectation spéciale volontaire, qui a facilité la participation de représentants d’États Membres à la Conférence, et que beaucoup ont salué en appelant à y contribuer davantage. Le délégué de l’Inde a, lui, dit apprécier le nouveau format adopté à la cinquième session, qui a permis non seulement un travail constructif mais aussi de forger de nouvelles amitiés.
Lors de la reprise de session, il faudra utiliser les leçons apprises des négociations, a recommandé le représentant du Pakistan, parlant au nom du Groupe des 77 et de la Chine, avant de demander que le futur instrument inclue les sujets identifiés dans le « paquet de 2011 » en se basant sur l’héritage commun de l’humanité. Il a misé sur ce processus pour qu’il mène à un régime équitable sur la biodiversité marine en termes de sécurité alimentaire. S’il a souligné les « progrès incroyables » atteints au cours des deux semaines de session, comme la plupart des intervenants, les petits États insulaires ont quant à eux manifesté leur grande déception de ne pas voir la Conférence terminer aujourd’hui sa mission, alors qu’ils ont fait de grands efforts dans ce but.
La plus émue fut sans doute la représentante des Samoa qui a expliqué l’importance vitale de ce processus pour les petits États insulaires en développement du Pacifique, au nom desquels elle parlait. Ils sont venus avec toute leur bonne foi et de loin, en dépensant 260 000 dollars pour faire venir 24 personnes, a-t-elle déclaré. C’est un investissement important, a-t-elle dit en faisant valoir que cette somme n’a pas été dépensée en routes, en médicaments ou en écoles chez eux, mais en frais de voyage pour venir « ici ». Cela montre notre engagement, a-t-elle affirmé avant de remercier les partenaires régionaux, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et de reconnaître les progrès réalisés. Elle a aussi parlé des compromis difficiles qui ont été faits par ces pays en appelant à préserver les choix faits et à « finir ce que nous avons commencé ».
Espérant elle aussi que les travaux accomplis au cours de la cinquième session seront préservés, la représentante de la Barbade, au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), a souhaité que le futur accord donne la possibilité à tous les États Membres d’utiliser effectivement la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Sa déception a été partagée par la déléguée d’Antigua-et-Barbuda qui, au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), a exhorté les États Membres à soutenir ce processus. Elle a plaidé pour un texte ambitieux et promis de travailler activement avant la reprise de session.
Il faudra des travaux « intersessions » structurés, a recommandé le représentant de la Namibie, au nom du Groupe des États d’Afrique, souhaitant la présence d’experts venant des capitales au vu de la complexité des questions. Il a appelé à ne surtout pas « jeter le bébé avec l’eau du bain », arguant que « nous avons travaillé pour que le traité soit équitable et universel ».
« Rien n’est agréé tant que tout ne l’est pas », a rappelé la représentante de l’Union européenne (UE), qui a salué les « discussions très importantes » tenues au cours des deux semaines écoulées. Elle a mis en évidence quelques avancées, notamment sur les dispositions relatives aux ressources génétiques pour lesquelles l’UE a fait des propositions sur le partage des avantages financiers. Mettant en avant les accords déjà atteints sur des parties du texte, le délégué du Canada a recommandé aux facilitateurs de mettre leurs rapports, qui contiendront les articles et paragraphes agréés, sur le Web pour que les délégations sachent où reprendre la prochaine fois.
Analysant les tendances dans les négociations des deux dernières semaines, le représentant du Mexique, au nom du groupe CLAM (Core Latinamerican Group), a remarqué des mouvements dynamiques sur certains sujets qui contrastent avec la stagnation sur d’autres. « Nous avons été proactifs dans la discussion, notamment en menant des petits groupes », a-t-il dit en évoquant des concessions faites sur des sujets importants. Le groupe CLAM s’est ainsi écarté de sa position sur un système rigide de brevets pour l’accès aux ressources génétiques marines. Mais ce niveau de souplesse n’a pas été partagé par tous, a-t-il noté, regrettant que cela ait réduit les chances de trouver des solutions, un constat fait également par le représentant de la République-Unie de Tanzanie. Celui-ci a observé en particulier un manque d’ouverture dans le chapitre des ressources génétiques marines, surtout pour le partage des bénéfices financiers. Il a recommandé d’identifier les points sur lesquels il faut trouver un accord politique.
Il nous manque un régime international pour gérer la biodiversité marine, a rappelé le représentant du Népal, au nom des pays en développement sans littoral, en se basant sur le principe de partage d’un « héritage commun de l’humanité », une notion au cœur de nombreux discours entendus aujourd’hui, comme celui de la Thaïlande. Pour le représentant d’Haïti, la question du partage ne doit pas se poser, il faut simplement en définir les modalités.
Ce régime international doit résulter d’un consensus, a ajouté le représentant de l’Indonésie, le plus grand pays archipélagique. Il a invité à suivre le précédent du droit de la mer et notamment de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui fut adoptée par consensus. Même demande de la part de la Chine, dont le délégué a exigé une adoption par consensus sur les quatre sujets inclus dans le projet. Le représentant de la Türkiye a saisi cette occasion pour rappeler que ce processus est ouvert à tous les États Membres, quel que soit leur statut par rapport à la Convention. Il a plaidé pour que soit conservé le paragraphe 3 de l’article 4 du « texte rafraîchi » relatif à ce point.
Le besoin d’avoir enfin un traité a été rappelé dans les déclarations avec un sentiment d’urgence, comme l’a exprimé notamment la représentante de la République de Corée, plaidant elle aussi pour plus de souplesse. « Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard », a lancé la représentante de Greenpeace, qui a rappelé que les océans ont perdu 70% des requins en 50 ans et que plus d’une centaine d’espèces marines sont gravement en danger. « Cet accord est en discussion depuis 20 ans », s’est-elle impatientée.
À l’instar des trois autres représentants d’organisations non gouvernementales qui ont pris la parole en fin de séance (Union internationale pour la conservation de la nature, High Seas Alliance et Deep Sea Conservation Coalition), elle a appelé à achever le processus BBNJ en arrêtant un texte d’ici à la fin de 2022. Il en va de notre responsabilité mondiale envers l’océan, a argué la représentante du Costa Rica. Cette année verra aussi se tenir la COP27, a indiqué le représentant de l’Égypte, pays qui accueillera et présidera cette conférence des États parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.
Il faut s’appuyer sur la dynamique acquise au cours de la cinquième session, a recommandé le représentant de Monaco, attaché en particulier au chapitre « Outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées », tandis que la déléguée du Royaume-Uni a assuré rester engagée à atteindre un ambitieux accord pour garantir la santé des océans. L’Équateur aussi est engagé en ce sens, a fait valoir son délégué en citant sa réserve marine dans les Galapagos et son couloir maritime établi avec la Colombie, le Panama et le Costa Rica. L’engagement démontré par les délégations est à la hauteur de l’objectif ambitieux, car, comme l’a rappelé la représentante des États-Unis, ce processus doit nous conduire à protéger 30% de la biodiversité marine d’ici à 2030 et « l’échec n’est pas une option ».
« Ce n’est pas qu’un accord historique, c’est un engagement transcendantal au bénéfice des générations présentes et futures », a décrété la représentante de la République dominicaine en avertissant qu’on ne peut pas continuer à ignorer la biodiversité marine. « Le monde entier nous regarde », a conclu le représentant des États fédérés de Micronésie.