Conférence sur les océans,
Dialogue de haut niveau #1 – après-midi
MER/2144

À Lisbonne, « pour sauver les océans », de nombreux intervenants plaident pour un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique d’ici à 2024

LISBONNE, 27 juin - -Plantant le décor de ce premier dialogue interactif de la Conférence des Nations Unies sur les océans, avec pour thème « remédier à la pollution marine », la Directrice de la Division des écosystèmes du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), Mme SUSAN GARDNER, a commencé par rappeler que l’océan nous relie tous et que s’il est en difficulté, « nous sommes tous en difficulté ».  La crise qu’il traverse est exacerbée par une triple crise planétaire –changements climatiques, perte de biodiversité et pollution– qui rend nécessaire d’agir maintenant.  Concrètement, les effets de nos modes de consommation non durables ne sont que trop visibles avec plus de 500 zones océaniques mortes dues au rejet d’eaux usées non traitées et au ruissellement d’engrais dans nos systèmes hydriques, auxquels viennent s’ajouter près de 11 millions de tonnes de plastique déversées chaque année dans les écosystèmes marins.  Mais, à l’instar d’autres hauts responsables et dignitaires présents ici à la Conférence des Nations Unies sur les océans cette année, elle s’est réjouie de voir que malgré les crises et la pandémie, la communauté internationale fait preuve de la volonté d’agir avec la détermination et la solidarité nécessaires pour enrayer la triple crise planétaire à l’œuvre actuellement.  À cet égard, Mme Gardner n’a pas manqué de revenir aussi sur le mandat donné par la résolution 5/14 de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement, qui prévoit d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, y compris dans le milieu marin –d’ici à 2024– et qui offre une opportunité de transition vers un nouveau paradigme circulaire sûr pour proposer des alternatives et innover tout au long de la chaîne de valeur des plastiques, ont été nombreux à souligner les intervenants de cet après-midi.

Pour le PNUE, il est indispensable de veiller à ce que cet instrument soit large mais clairement défini, ambitieux et inclusif.  Il doit couvrir le cycle de vie complet des plastiques tout en tenant compte des différents types de polymères et de produits plastiques.  Et il doit donner la priorité à la consommation et à la production durables, y compris l’adoption de produits secondaires et alternatifs.  Il doit déployer des modèles de réutilisation innovants et concevoir des produits qui conservent la plus grande valeur lors du recyclage du plastique.  Il doit aborder le contenu chimique des plastiques que nous utilisons pour éviter les risques sanitaires et permettre une réutilisation et un recyclage non toxiques.  Enfin, il doit éliminer les déchets résiduels tout au long de la chaîne de valeur et s’assurer que ce qui reste est collecté et géré correctement.  Et pour cela, il faut s’assurer que tous les protagonistes du secteur du plastic vont dans la même direction. 

Comme l’ont mis en exergue plusieurs représentants, ces efforts devront s’appuyer sur la science et l’innovation, qui vont devoir nous guider vers un avenir plus vert, conformément à la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable.  La science sera essentielle pour combler les lacunes actuelles dans les connaissances, soutenir une prise de décision éclairée et inclusive et accélérer de nouveaux engagements volontaires fondés sur la science, a martelé la PDG de Ocean Conservancy.  Mme JANIS SEARLES JONES rappelant que les priorités sont de réduire les quantités de plastique produites, en particulier les articles en plastique à usage unique qui finissent dans l’océan; de mieux gérer les plastiques nécessaires à la vie quotidienne, et enfin de nettoyer la pollution plastique les plages, les cours d’eau et les mers et océans.

Il ne s’agit pas seulement de mettre fin à une menace environnementale, mais aussi de créer de nouvelles opportunités économiques et de réduire la pauvreté, a notamment souligné la Directrice de la Division des écosystèmes du PNUE.  Une nouvelle économie du plastique signifie de nouveaux modèles commerciaux, de nouveaux emplois, de nouvelles opportunités de marché pour la réutilisation et le recyclage mais aussi pour la conception de matériaux et produits nouveaux et alternatifs et de nouvelles prestations.  Cela doit bien entendu s’accompagner d’innovation sociale et politique pour inciter les changements de comportement dans les actions des différentes parties prenantes tout au long du cycle de vie des plastiques.  Abondant en ce sens, Mme Searles Jones a appelé à faire fond sur l’expérience des deux dernières années qui a montré l’importance de coordonner les actions gouvernementales et étatiques avec celles de la philanthropie, de la société civile, des ONG, des réseaux de scientifiques et des organismes internationaux pour répondre aux défis mondiaux. 

Pour la PDG de Ocean Conservancy, le problème est avant tout celui du carbone, puisque nous savons tous que le plastique est en grande partie fabriqué et alimenté par des combustibles fossiles et qu’ils ne se décomposera peut-être jamais vraiment, si ce n’est en micro et nano-plastiques.  Pour y parer, davantage, il est essentiel de développer des modèles efficaces et d’impliquer davantage les différents protagonistes à tous les niveaux, a renchéri M. DAVID PARKER, le Ministre de l’environnement, des océans et de la pêche de la Nouvelle-Zélande, qui coprésidait ce dialogue. 

De son côté, le Secrétaire général de l’Organisation maritime internationale, M. KITACK LIM, a mis en exergue les enjeux pour la navigation et les activités maritimes, soulignant que le transport maritime est inestimable pour le commerce mondial et la croissance économique, comme cela a été clairement démontré pendant la pandémie.  Le transport maritime assure plus de 80% du commerce mondial, offrant le moyen de transport le plus économique et le plus durable sur le plan environnemental, a-t-il fait valoir et l’OMI, à travers ses 50 conventions adoptées pour rendre la navigation plus sûre et protéger l’environnement marin, travaille sans relâche pour créer un cadre réglementaire qui répond aux nouvelles exigences et défis, tout en garantissant que personne ne soit laissé pour compte et orientant la navigation vers un mode de fonctionnement plus écologique et plus vert, a expliqué M. Lim.

De son côté, M. ALEXANDER TURRA, professeur et coordonnateur de la Chaire UNESCO sur la durabilité des océans à l’Institut océanographique de l’Université de São Paulo, a abordé les questions de pollution plastique et de déversement d’eaux usées dans nos mers, « des problèmes si complexes et difficiles à gérer que cela empêche parfois l’action ».  Il a mis l’accent sur les difficultés rencontrées dans l’hémisphère Sud pour changer la donne.  Seules la science, des données fiables et l’éducation pourront inciter à agir et orienter les efforts internationaux et nationaux pour venir à bout des déchets marins et mesurer les progrès.  Pour cela, chaque État et chaque province doivent pouvoir fournir des données afin de concevoir une vision globale du problème, a insisté l’universitaire en regrettant qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire à cet égard.  Au Brésil, par exemple, il existe une initiative qui cherche à déterminer la source des déchets marins par exemple, a-t-il expliqué, en notant que très souvent la pollution marine provient d’activités anthropiques qui devraient donc être réglementées.  Dès lors, il est impératif de miser sur des études d’impact environnemental pour pouvoir s’attaquer au problème en amont, a estimé M. Turra, qui a également tenu à mettre en exergue le lien entre pauvreté, inégalités et pollution marine: si l’océan est malade c’est parce que nos sociétés sont malades, a-t-il résumé.

Partageant cet avis, Mme ANDREA MEZA MURILLO, Secrétaire exécutive adjointe de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, est revenue sur le lien entre l’industrie des combustibles fossiles et la pollution marine, y voyant un appel à agir tant au niveau international qu’à travers des approches sociales et individuelles « parce que chacun d’entre-nous doit être impliqué dans cette lutte contre la pollution ».  Ces efforts doivent bénéficier à la société à tous les niveaux et contribuer à l’éradication de la pauvreté, a-t-elle concédé en mettant en exergue le potentiel des emplois verts et bleus.

M. CARLOS MANUEL RODRIGUEZ, Directeur général et Président du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), est venu transmettre le message de la génération de ses enfants à celles qui l’ont précédé et ont compromis leur avenir.  Le temps des approches passives est fini, a-t-il tranché en évoquant cette plage jonchée de déchets plastiques où il surfait il y a 40 ans dans un paradis écologique.  Il y a urgence à agir et le Fonds qu’il préside y œuvre en appuyant les pays, notamment pour les aider à adopter des législations interdisant le plastique à usage unique, ou développer des plans et cadres nationaux pour lutter contre la pollution et les déchets mal gérés.  Très peu de pays ont des processus permettant d’envisager l’océan dans le cadre d’un pacte social, a-t-il regretté, en blâmant les pratiques commerciales.  Alors que lui-même, en tant qu’ex-Ministre de l’environnement du Costa Rica, n’a pas réussi à changer la législation sur le plastique, il a appelé à miser sur des actions collectives et la sensibilisation du public pour soutenir ces efforts et tenir tête aux différents lobbies.

Alors qu’il reste deux ans pour conclure cet accord et l’opérationnaliser, l’heure est à l’action, mais, comme l’ont souligné les panélistes de cet après-midi, ce processus est déjà bien enclenché.

Coprésidé par M. DAVID PARKER, Ministre de l’environnement, des océans et de la pêche de la Nouvelle-Zélande et M. FLAVIEN JOUBERT, Ministre de l’environnement, de l’énergie et des changements climatiques des Seychelles, ce dialogue interactif était modéré par M. CHARLES GODDARD, le directeur éditorial de The Economist Group, Hong Kong.

Débat interactif

Que ce soit Tonga, le représentant du Forum des îles du Pacifiques ou celui des 39 pays de l’Alliance des petits États insulaires, tous les intervenants ont dénoncé la pollution plastique qui met en danger leur avenir et leur survie, mais de manière plus générale la notion d’océan en tant que « décharge ».  Estimant en être les principales victimes, y compris en termes de déchets nucléaires, ils ont réclamé haut et fort un instrument juridiquement contraignant pour lutter contre la pollution plastique, notamment dans le milieu marin, en saluant la création par l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement, d’un comité intergouvernemental chargé d’élaborer un tel instrument, et qui devrait achever ses travaux d’ici fin 2024.  Mais, ont-ils exigé, cet accord planétaire doit tenir compte des besoins de tous les États, et ne pas se limiter à réduire les nouvelles sources de pollution en portant sur tout le cycle du plastique.  En effet, ont-ils exigé, « il faut nettoyer nos mers ».  Les Maldives, qui disposent de 78 zones marines protégées, ont créé des sanctuaires marins et interdit la pêche de requins, sont venus témoigner du fait que malgré ces efforts, elles restent toujours victimes des déchets marins qui mettent en péril leurs écosystèmes marins et la santé de leur population, a fait valoir leur Ministre de l’environnement.

En tant qu’États océaniques, les économies de ces pays dépendent du milieu marin, ont-ils souligné, mais certaines de leurs zones de pêche connaissent un déclin des poissons lié à la pollution marine qui met à mal aussi le matériel de pêche.  Qui plus est, la pollution plastique des plages nuit au tourisme.  Or pour y répondre, il faut des fonds à la fois pour nettoyer les plages et restaurer les récifs et elle est vecteur de maladie, ont dénoncé ces pays en exigeant le concours de la communauté internationale pour leur permettre de faire leur part pour venir à bout de ce grave problème mondial.  Le Ministre de l’environnement de la Norvège est également venu témoigner de la disparition de la vie aquatique dans certains de ses fjords à la suite d’une mauvaise gestion des déchets.

L’Uruguay s’est lancé dans un vibrant plaidoyer pour une économie circulaire du plastique en dénonçant le vide juridique actuel qui doit être comblé par un instrument international juridiquement contraignant.  De son côté, la République dominicaine s’est targuée d’avoir la première législation de gestion des déchets solides, dont les plastiques, qui s’accompagne d’un programme de gestion des déchets solides et des déchets marins ainsi que d’un programme de certification écologique.

Les Émirats arabes unis, qui vont accueillir la COP28, ont regretté l’absence des jeunes alors qu’on parle beaucoup d’eux à la Conférence de Lisbonne. La Ministre de l’environnement a proposé la création d’une plateforme internationale pour regrouper les solutions apportées à la pollution marine et les mettre à échelle.  Lui emboitant le pas, le Bahreïn a expliqué qu’une fois que son pays a pris conscience que 30% de ses déchets étaient des plastiques, il a misé sur des politiques lui ayant permis de se débarrasser de tous les déchets plastiques à usage unique, en appelant d’autres pays en en faire de même « parce que cela va dans le sens de l’élimination de la pollution plastique, y compris en milieu marin ».  Le Ministre des affaires étrangères de l’Équateur a lui aussi mis l’accent sur les exigences du traitement des déchets et leur lien avec les modes de production non viables qui affectent les écosystèmes marins, en voulant pour preuve les 500 zones hypoxiques, c’est-à-dire des zones où il y a trop peu d’oxygène pour permettre la vie des organismes marins, qui ont déjà été identifiées, alors même que les peuples côtiers ont besoin des océans pour leur vie et leur survie. 

S’agissant du processus de notification des Nations Unies, une représentante du Groupe d’experts, qui évalue la santé des océans, a concédé certains progrès en termes de réduction du niveau de mercure et de déchets radioactifs dans les océans.  Cependant, la pollution marine met toujours en péril les espèces marines, surtout les particules plastiques de micro et nano taille qui ont été retrouvés dans 1 400 espèces marines, sans compter les effets néfastes de la dystrophisation.  Il faut renforcer les capacités en matière de gouvernance océanique, a plaidé l’experte, qui compte sur une vaste participation au troisième cycle d’évaluation de la situation des océans en participant notamment aux ateliers organisés par le Groupe.  

L’Australie et « son peuple océanique » ont réaffirmé leur attachement à la préservation des océans, a expliqué sa Ministre, qui a déploré les retombées sur les humains de la pollution marine en annonçant que des études récentes ont révélé « que les Australiens mangent en moyenne l’équivalent d’une puce plastique chaque semaine ».  Le pays est résolument engagé sur la voie d’une économie circulaire, a-t-elle assuré, en précisant qu’il vise 100% d’emballages recyclables d’ici à 2025.  Le Kenya a d’ores et déjà interdit les plastiques à usage unique alors que le Japon, dans le cadre de la Stratégie d’Osaka a pour objectif d’éliminer la pollution plastique d’ici à 2050, en appelant plus de pays, notamment en développement à y adhérer. 

La représentante de l’organisation non gouvernementale Young Environmentalist Program a appelé à mettre en place des politiques de sensibilisation dans les écoles, mais aussi à destination de la population locale afin de les rallier à la cause de la préservation des océans et permettre aux jeunes de faire partie des solutions apportées à la pollution marine.  Pour sa part, la Banque de développement de l’Amérique latine a tenu à mettre l’accent sur les investissements nécessaires dans les infrastructures de traitement et de gestion des eaux usées en annonçant son intention d’appuyer de façon technique et financière les efforts régionaux, avec des financements de projets qui profitent aux océans d’un montant de 1,2 milliards de dollars. 

Résumant les débats de cet après-midi, le représentant du Kenya a dit « nous sommes le problème, nous devons donc être la solution ».  Il a plaidé pour une approche « du pollueur payeur » afin de se donner les moyens de réaliser les objectifs défendus par le futur instrument juridiquement contraignant sur la pollution plastique.

 

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