Conférence sur l’océan: « Promouvoir le rôle de l’alimentation durable issue de l’océan pour l’éradication de la pauvreté et la sécurité alimentaire »
NICE, FRANCE, 13 juin – En ouvrant, ce matin, la neuvième table ronde de la Conférence sur l’océan, qui s’achève aujourd’hui à Nice, l’un de ses Coprésidents, le Vice-Ministre de la politique maritime de la République de Corée, a prévenu que le thème retenu pour cette discussion allait « bien au-delà de la simple valeur de l’alimentation issue de l’océan ». S’il a rappelé que les aliments aquatiques fournissent des protéines et des nutriments essentiels à des centaines de millions de personnes dans le monde et constituent l’épine dorsale économique d’innombrables communautés côtières, il a aussi précisé que, pour maintenir les niveaux actuels de consommation par habitant d’ici à 2050, l’approvisionnement mondial en aliments aquatiques devrait augmenter de plus de 22%.
Les échanges ont mis en évidence des approches efficaces, telles que la gestion responsable des pêches, l’aquaculture durable, une plus grande transparence de la chaîne de valeur, la réduction des pertes alimentaires et le renforcement de la protection sociale.
Première panéliste à s’exprimer, la Directrice de la plateforme des domaines d’impact sur la nutrition, la santé et la sécurité alimentaire de l’Organisation du système CGIAR a regretté que la reconnaissance du rôle de l’océan dans l’alimentation des populations et de la planète, en particulier celles des pays à revenu faible et intermédiaire, reste insuffisante.
Mme Shakuntala Haraksingh Thilsted a ainsi signalé que le volume de production d’animaux aquatiques issus des systèmes d’aquaculture a dépassé celui des pêches de capture et que cette tendance devrait s’accentuer pour répondre à la demande mondiale d’aliments aquatiques. Selon elle, des technologies et approches innovantes, telles que les systèmes de surveillance des stocks halieutiques, la reproduction sélective, les technologies intelligentes face au climat et les systèmes d’aquaculture régénérative et intégrée, sont prêtes à propulser l’industrie aquacole pour nourrir les populations et les nations. De plus, l’industrie des algues se développe rapidement dans de nouvelles régions, notamment en Asie du Sud et en Afrique, et devient une source importante de sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Alors que plus de 735 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, la production mondiale de poisson a atteint 189 millions de tonnes en 2023, fournissant à chacun de nous 21 kilogrammes de protéines animales aquatiques chaque année, a indiqué M. Manuel Barange, Directeur général adjoint et Directeur de la Division des pêches et de l’aquaculture de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Les produits d’animaux aquatiques sont non seulement essentiels à l’alimentation mondiale mais aussi l’une des denrées alimentaires les plus commercialisées au monde, a-t-il poursuivi, relevant que plus de 45% du poisson et des produits de la pêche font l’objet d’échanges internationaux. Rien qu’en 2022, le commerce mondial des aliments marins a représenté plus de 195 milliards de dollars, fournissant des revenus indispensables à de nombreuses personnes, y compris dans les pays en développement.
Afin de maximiser la contribution des systèmes alimentaires aquatiques à la sécurité alimentaire, tout en préservant la santé des écosystèmes productifs, il a appelé à mettre en œuvre la feuille de route de la « transformation bleue » de la FAO, qui préconise notamment de reconnaître le rôle de ces aliments dans les politiques de sécurité alimentaire.
« L’océan nous nourrit, mais ce sont les populations, les pêcheurs artisanaux, les agriculteurs, les transformateurs, les femmes et les peuples autochtones, qui soutiennent les systèmes qui rendent cela possible », a souligné, pour sa part, le Directeur scientifique des systèmes alimentaires aquatiques durables chez WorldFish. Or, trop souvent, ces acteurs sont exclus de la prise de décisions et se voient refuser l’accès aux marchés, au financement et à la formation. Pour inverser cette tendance, M. Jörn Schmidt a exhorté les États à garantir les droits fonciers et à soutenir les mécanismes de gouvernance coutumiers, tout en fournissant un soutien ciblé aux entreprises dirigées par des femmes et en intégrant les objectifs de protection sociale et de nutrition dans les stratégies nationales d’alimentation aquatique.
Dans les petits États insulaires, a-t-il noté, cela a impliqué de repenser les systèmes alimentaires pour à la fois réduire la dépendance aux importations et renforcer la résilience grâce à l’utilisation des ressources océaniques. Par ailleurs, en Asie et en Afrique, des plateformes d’apprentissage multipays permettent de trouver des solutions partagées, de la numérisation des chaînes de valeur à l’amélioration des environnements alimentaires à base de poisson, a-t-il expliqué.
À cet égard, Mme Rhea Moss-Christian, Directrice exécutive de la Commission des pêches du Pacifique occidental et central, a fait remarquer que, dans sa région, le thon fait partie intégrante des régimes alimentaires locaux et de l’identité culturelle. Mais cette source de nourriture quotidienne pour les communautés côtières est aussi une denrée mondiale, le thon en conserve étant l’un des cinq produits de la mer les plus consommés au monde, avec un marché évalué en 2024 à 20,4 milliards de dollars.
Pour garantir que le thon continue de jouer ce « double rôle vital », elle a plaidé pour une gestion durable des ressources, des chaînes de valeur inclusives et un renforcement de la gouvernance scientifique des pêches, notamment par le biais de stratégies de capture, afin de maintenir des stocks de thon sains. Parallèlement, a-t-elle ajouté, le développement des infrastructures locales de transformation et de distribution, ainsi que des méthodes de conservation à faible coût, peut améliorer l’accès à un thon abordable et riche en nutriments dans les communautés vulnérables.
Appelant également à soutenir les pêcheurs artisanaux, la panéliste a mis en garde contre les politiques commerciales mondiales, notamment les droits de douane sur des intrants essentiels comme le fer blanc et l’aluminium pour les boîtes de conserve, qui font augmenter les coûts de production et les prix de détail du thon en conserve. Garantir un commerce ouvert et équitable et réduire les obstacles aux produits thoniers est essentiel au maintien de la sécurité alimentaire, a-t-elle fait valoir.
De manière connexe, M. Ciyong Zou, Directeur général adjoint de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), a mis l’accent sur la création de chaînes de valeur résilientes pour que les aliments aquatiques soient rendus sûrs et accessibles pour tous. En effet, a-t-il dit, ces aliments sont essentiels à plus de 3 milliards de personnes, mais les pertes après récolte peuvent atteindre 30%, en particulier dans les régions en développement, ce qui représente une perte de nutrition, de revenus et d’opportunités, en particulier pour les communautés côtières et insulaires déjà vulnérables aux chocs climatiques et économiques.
Afin de remédier à ce problème, l’ONUDI aide les pays à moderniser leurs chaînes de valeur, à améliorer la sécurité alimentaire, à réduire les pertes et le gaspillage, et à faciliter l’accès inclusif au marché. C’est notamment le cas au Cambodge, où l’entité onusienne collabore avec des petites et moyennes entreprises de pêche pour moderniser les installations de transformation et faire respecter les normes internationales de sécurité alimentaire. Au Soudan, l’agence a formé des pêcheurs artisanaux aux pratiques d’hygiène et de manipulation, ce qui a permis d’augmenter les revenus et d’offrir une alimentation plus saine sur les marchés locaux.
Dialogue interactif
Au cours des échanges entre panélistes et délégations, l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) a, par la voix des Palaos, rappelé un paradoxe fondamental: les petits États insulaires en développement (PEID) « nourrissent le monde tout en luttant pour se nourrir de manière durable », principalement en raison de l’isolement géographique et des retombées des changements climatiques. Face à cette injustice, elle a réclamé un soutien accru aux infrastructures alimentaires résilientes au climat, des transferts de technologie, un renforcement des capacités et un accès au financement climatique.
En renforçant la gestion efficace des pêches, en promouvant une aquaculture et une mariculture durables et en améliorant l’accès au marché, les ressources alimentaires aquatiques ont le potentiel de répondre aux priorités des PEID en matière de sécurité alimentaire et de réduction de la pauvreté, a-t-elle souligné, appuyée par les Fidji et le Viet Nam, qui, en tant que grand exportateur de produits de la mer, a appelé la communauté internationale à soutenir une transformation équitable et écologique de la pêche.
Dans le même esprit, le Kenya a dit réduire les niveaux de malnutrition en promouvant des régimes alimentaires diversifiés, y compris via le développement de la chaîne de valeur des produits de la mer. En mettant l’accent sur la production, la consommation et la durabilité, il s’emploie à améliorer ses systèmes alimentaires aquatiques et, par voie de conséquence, la nutrition et les moyens de subsistance de sa population. L’objectif est également de réduire les pertes après récolte et de soutenir la croissance de l’économie bleue.
S’exprimant au nom de ceux, qui, chaque jour, « transforment le poisson en nourriture accessible à tous », la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale a demandé aux États de soutenir cette profession en lui fournissant des équipements modernes, plus protecteurs de la santé et de l’environnement. Elle a d’autre part exigé que les femmes participent aux décisions sur les politiques maritimes, les plans de cogestion et les projets d’économie bleue « car sans leur travail et leur engagement, il n’y a pas de sécurité alimentaire et pas de durabilité ».
L’Islande a, quant à elle, insisté sur la reconnaissance des aliments bleus aquatiques « aux plus hauts niveaux de la politique climatique ». Dans la perspective de la COP30 sur le climat, qui se tiendra en novembre à Belém, au Brésil, elle a exhorté les pays à intégrer l’importance de ces aliments dans leurs politiques nationales et leurs positions de négociation.
De son côté, l’ONG scientifique Aquaculture Stewardship Council a rappelé que les acteurs des océans et de l’économie bleue ont besoin de données vérifiables et impactantes sur la durabilité. « En aquaculture durable comme ailleurs, ce qui est mesuré, publié et vérifié peut être réalisé », a-t-elle argué.
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