À la Sixième Commission, le projet d’articles de la CDI sur la protection des personnes en cas de catastrophe est analysé à la lumière de la pandémie
La Sixième Commission, chargée des questions juridiques, a conclu, ce matin, son débat sur la protection des personnes en cas de catastrophe, en entendant plusieurs délégations relire le projet d’articles par la Commission du droit international (CDI) sur ce sujet à la lumière de la catastrophe actuelle: la pandémie de COVID-19.
« La pandémie de COVID-19 montre qu’un cadre commun pour les activités de coopération aurait été très utile », a déclaré la Colombie, première de la dizaine de délégations à avoir pris la parole. Le représentant colombien a estimé que la pandémie est en effet le meilleur exemple de la notion de « catastrophe » sur laquelle repose l’ensemble du projet adopté en 2016 et dans lequel elle est « parfaitement » définie.
« Si la pandémie a souligné l’importance du projet d’articles pour le renforcement de la coopération et l’atténuation des effets et risques d’une catastrophe naturelle, elle n’en souligne pas moins les lacunes et limites de ce texte », a estimé le délégué de l’Iran, en souhaitant une amélioration. Rappelant que son pays fait de son mieux pour contrôler le virus, il a indiqué que les sanctions américaines rendent impossible l’importation de médicaments et d’articles médicaux, entravant les efforts nationaux. Toute future convention sur la base du projet d’articles devrait prévoir que les biens humanitaires ne soient frappés de sanctions « en aucune circonstance », a-t-il ajouté.
Son homologue de la Chine a, de son côté, assuré que son pays avait suivi les articles du projet prévoyant le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine dans le cadre de la réponse à la COVID-19 et respecté ces valeurs en traitant tous les patients « dans des conditions d’égalité », ce qui a permis de maîtriser la propagation du virus. S’agissant de l’obligation d’assistance et d’information, le représentant a confirmé que le Gouvernement chinois a dûment informé la communauté internationale de l’évolution de l’épidémie, fourni des secours à d’autres pays et coordonné son action avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Pour sa part, le Viet Nam s’est dit reconnaissant à la CDI d’avoir élaboré un cadre juridique précieux pour faire face à la pandémie, tandis que le Brésil a demandé de préserver la distinction entre catastrophes naturelles et catastrophes du fait de l’homme, étant donné le droit différent qu’elles emportent. La déléguée brésilienne a souligné la difficulté de « couvrir » dans un seul document tous les scenarii possibles de catastrophe, tout en saluant le caractère « équilibré » du projet d’articles.
« Si Haïti reçoit le soutien de la communauté internationale, il s’agit avant tout d’un devoir de secours aux personnes en danger dans un contexte de catastrophe naturelle », a appuyé le délégué de ce pays. Pour autant, a-t-il ajouté, l’ingérence humanitaire dans une telle circonstance ne doit pas être un « prétexte pour piétiner le principe de la souveraineté des États ». Le représentant haïtien a déclaré que les milliards de dollars d’aide internationale reçus ces 10 dernières années par son pays « n’ont souvent pas tenu compte de nos priorités, de nos besoins, ni même de notre stratégie de lutte contre la pauvreté ». Il a en outre encouragé l’ONU à adopter des mesures strictes afin « que les victimes au nom desquelles les fonds sont collectés en soient réellement les principaux bénéficiaires ».
Comme lors du débat de l’avant-veille sur ce sujet, les délégations ont affiché des positions divergentes sur le suivi à donner à la recommandation de la CDI d’élaborer une convention sur la base du projet d’articles. Si le Nigéria, les Tonga ou bien encore la Colombie se sont prononcés en faveur d’une telle convention, Israël et les États-Unis ont rejeté l’idée d’un instrument juridiquement contraignant. Une coopération pratique entre États suffit largement, a tranché la déléguée américaine.
Enfin, la Sixième Commission a entendu les présentations de deux projets de résolution, sur la responsabilité pénale des fonctionnaires et des experts en mission des Nations Unies(A/C.6/75/L.9) et sur le Programme d’assistance des Nations Unies aux fins de l’enseignement, de l’étude, de la diffusion et d’une compréhension plus large du droit international (A/C.6/75/L.10).
La Sixième Commission poursuivra ses travaux lors de sa prochaine réunion, jeudi 19 novembre, à 10 heures.
PROTECTION DES PERSONNES EN CAS DE CATASTROPHE (A/75/214)
Fin du débat général
M. GUILLERMO ROQUE FERNANDEZ DE SOTO VALDERRAMA (Colombie) a appuyé la recommandation de la Commission du droit international (CDI) demandant à l’Assemblée générale de négocier une convention sur la protection des personnes en cas de catastrophe à partir du projet d’articles élaboré sous la direction de son Rapporteur spécial, M. Eduardo Valencia Ospina, de la Colombie. L’intérêt du projet est de créer un cadre juridique commun qui facilite l’action humanitaire des États et des institutions dédiées, dans le contexte. Il existe actuellement un corpus « désordonné et fragmenté » d’instruments juridiques, avec un nombre croissant d’instruments bilatéraux, régionaux et multilatéraux en la matière. Le texte, outre son équilibre, reflète les principes et concepts fondamentaux qui ont déjà commencé à influencer les documents internationaux connexes, tels que le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe et les décisions du Conseil de sécurité, a expliqué le représentant. Il a également déclaré que la pandémie de COVID-19 montre qu’un cadre commun pour les activités de coopération aurait été « très utile ». La pandémie est en effet le meilleur exemple de la notion de « catastrophe » sur laquelle repose l’ensemble du projet et qui est, selon lui, « parfaitement » définie dans le projet d’article 3. Pour autant, la Colombie est consciente des défis et des questions que le document présente pour certaines délégations. Elle juge donc important de continuer de discuter pour trouver le consensus nécessaire.
Mme SARAH WEISS MA’UDI (Israël) a assuré que son pays s’est engagé à fournir des secours en cas de catastrophe et à soutenir des efforts humanitaires coordonnés au niveau international. Pour preuve, les équipes israéliennes ont été à l’avant-garde d’innombrables missions de secours en cas de catastrophe à travers le monde. En 2019, par exemple, Israël a envoyé 130 soldats suite à la catastrophe du barrage de Brumadinho au Brésil. Les équipes de sauvetage israéliennes ont aidé à localiser et à sauver des personnes disparues dans les zones sinistrées. L’été dernier, le Gouvernement israélien a envoyé une équipe spéciale de lutte contre les incendies aux États-Unis pour aider à combattre les feux de forêts qui ont ravagé la Californie et fait plusieurs victimes. Israël est donc fermement résolu à améliorer la protection des personnes touchées par toutes les phases des catastrophes. Cependant, la déléguée a réaffirmé l’opinion selon laquelle la décision de s’engager dans une mission de protection ne devrait pas être considérée comme une obligation juridique. Elle a continué de considérer que le projet d’articles présente des « lignes directrices » ou « principes directeurs » que les États adoptent « uniquement sur une base volontaire », dans le but de faciliter la coopération internationale.
M. ALI NASIMFAR (République islamique d’Iran) a indiqué, qu’avec la pandémie, le monde fait face à une catastrophe naturelle de plus en plus grave qui se joue des frontières. Si la pandémie a souligné l’importance du projet d’articles pour le renforcement de la coopération et l’atténuation des effets et risques d’une catastrophe naturelle, elle n’en souligne pas moins les lacunes et limites de ce texte, a-t-il dit. Ce projet devrait être amélioré afin de répondre de manière efficace à la pandémie et aux vastes catastrophes qui ignorent les frontières nationales. Il a regretté que le texte ne considère pas les mesures coercitives unilatérales comme une catastrophe du fait de l’homme, qui non seulement sape la coopération entre États Membres mais met aussi en danger les moyens de subsistance des sociétés et entrave leur capacité de riposte à une catastrophe.
Rappelant que son pays fait de son mieux pour contrôler ce virus, M. Nasimfar a indiqué que les sanctions américaines rendent impossible l’importation de médicaments et d’articles médicaux, sapant les efforts nationaux. Ces sanctions ont fermé toutes les voies de financement requises pour une assistance humanitaire en période de catastrophe naturelle. Le délégué a indiqué que l’année dernière, ces mesures « inhumaines » ont entravé les efforts humanitaires face aux inondations qui ont fait au moins 47 victimes dans son pays. Le Croissant-Rouge local n’a pu recevoir une aide internationale pour venir en aide aux victimes. Les États-Unis ont menacé le réseau SWIFT de sanctions en cas de fourniture de services à des banques iraniennes. En conséquence, le délégué a proposé l’ajout d’un nouvel article prévoyant que les flux financiers à but humanitaire en cas de catastrophe ne doivent être touchés par aucune restriction. Toute future convention doit prévoir qu’en aucune circonstance les biens humanitaires ne doivent être frappés de sanctions. Commentant le projet d’articles, il a rappelé le droit exclusif de la partie touchée de demander une assistance et d’y mettre fin. Les principes régissant l’aide humanitaire doivent être respectés, de même que les principes de respect de l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale des États concernés et de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État. À cette aune, l’Iran regrette le libellé flou du projet d’articles qui dispose que le consentement de l’État à une assistance extérieure ne doit pas être retiré « arbitrairement ». Ce projet doit être amélioré à la lumière notamment des nouveaux défis, en particulier l’imposition de sanctions qui sapent les objectifs et principes de toute future convention.
M. XU CHI (Chine) a rappelé l’importance de règles internationales fiables face au défi de la pandémie de COVID-19. Il a indiqué que son pays avait suivi les articles 4 à 6 du projet d’articles prévoyant le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine dans le cadre d’une réponse à la COVID-19, et respecté ces valeurs en traitant tous les patients « dans des conditions d’égalité », ce qui a permis de maîtriser la propagation du virus. Rappelant que les articles 7 et 8 stipulent une obligation d’assistance et d’information, le représentant a confirmé que le Gouvernement chinois a dûment informé la communauté internationale de l’évolution de l’épidémie, fourni des secours à d’autres pays, et coordonné son action avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Il a par ailleurs fait savoir que la Chine est favorable à une convention internationale sur la protection des personnes en cas de catastrophe, mais que des points doivent être résolus dans le cadre de l’ONU, sachant que l’article 11 du projet d’articles affirme le droit d’un État à demander assistance, alors que l’article 13.2 prévoit l’obligation d’un État de ne pas refuser cette assistance. Le représentant a souhaité qu’apparaisse un meilleur équilibre entre les États affectés et les États prêtant assistance afin de promouvoir la coopération internationale et de sauver des vies.
M. IROM AGBOR AWASSAM (Nigéria) a déclaré que son pays a connu des catastrophes naturelles et d’origine humaine: inondations, sécheresse, feux de forêts, glissements de terrain, marées noires et, plus récemment, la pandémie de COVID-19. Ces catastrophes ont affecté la croissance économique du pays, accru la pauvreté et l’insécurité. Afin de répondre à ces problématiques, le Gouvernement a créé en 1999 l’Agence nationale de gestion des urgences (NEMA), dont la mission est de coordonner les ressources pour prévenir et réduire les risques de catastrophe et y répondre de façon efficace. S’agissant du projet d’articles, le représentant a estimé qu’il vise à renforcer le système international de secours en cas de catastrophe et l’assistance humanitaire, et constitue un cadre global pour la réduction des risques de catastrophe. Les textes mettent en outre l’accent sur les droits de l’homme et les principes de la dignité humaine, ainsi que sur la réponse aux catastrophes qui doit se dérouler conformément aux principes d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance. Pour toutes ces raisons, le Nigéria est en faveur de l’élaboration d’une convention sur la base dudit projet d’articles.
Mme QUYEN THI HONG NGUYEN (Viet Nam) a souligné l’importance de la coopération internationale face à l’impact croissant des catastrophes naturelles ou anthropiques, insistant sur la responsabilité des États de protéger leur population et renforcer leur coopération en matière de secours d’urgence. Elle a reconnu que le projet d’articles de la CDI permet une réponse plus efficace en cas d’urgence mais a ajouté qu’il ne s’agit pas de créer davantage de protocoles et de procédures qui pourraient compliquer encore le processus. Le Viet Nam est reconnaissant à la CDI d’avoir élaboré un cadre juridique précieux pour faire face à la pandémie et aux dangers des changements climatiques.
M. WISNIQUE PANIER (Haïti) a soutenu toute initiative visant la protection des personnes en cas de catastrophe, en tant que pays très exposé aux catastrophes naturelles en raison de sa position géographique. Plus de 93% de son territoire et plus de 96% de sa population ont déjà subi les effets de nombreuses catastrophes naturelles. De 1990 à 1999, le pays a été victime de 16 cyclones, de plus de 25 inondations sectorielles, de 7 sécheresses et d’un puissant séisme de magnitude 7.3 sur l’échelle de Richter, soit l’une des pires catastrophes naturelles survenues au monde au cours de cette dernière décennie. De ce fait, a poursuivi le représentant, l’enjeu de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles est de taille pour Haïti. En 2001, sous la coordination du Ministère de l’intérieur, les autorités haïtiennes ont mis en place un plan national de gestion des risques et désastres en collaboration avec des institutions nationales et internationales. Ce plan a été précédé d’un ensemble de mesures visant à répondre de manière efficace aux désastres naturels. En raison des conséquences du séisme du 12 janvier 2010, les autorités haïtiennes ont renforcé le système de protection civil en cas de catastrophe naturelle.
Si Haïti reçoit le soutien de la communauté internationale, a expliqué M. Panier, il s’agit avant tout d’un « devoir de secours » aux personnes en danger dans un contexte de catastrophe naturelle. Pour autant, a-t-il ajouté, l’ingérence humanitaire dans une telle circonstance ne doit pas être un « prétexte pour piétiner le principe de la souveraineté des États ». La dignité inhérente à la personne humaine doit être respectée en tout temps et en tout lieu. De plus, La mise en place des mécanismes permettant d’assurer la transparence et l’efficacité des dépenses postcatastrophe devrait être de rigueur. Dans ce contexte, Haïti encourage l’ONU à adopter des mesures strictes afin « que les victimes au nom desquelles les fonds sont collectés en soient réellement les principaux bénéficiaires ». Le représentant a réitéré l’appel lancé par le Président Moïse à l’Assemblée générale. Celui-ci a déclaré qu’Haïti a reçu plusieurs milliards de dollars d’aide de la communauté internationale ces 10 dernières années. Néanmoins, « les milliards de dollars dépensés n’ont souvent pas tenu compte de nos priorités, de nos besoins, ni même de notre stratégie de lutte contre la pauvreté », a dit le Président. Enfin, les autorités haïtiennes continuent de définir de nouvelles stratégies visant à réduire au minimum les conséquences de la pandémie de COVID-19.
Mme MAITÊ DE SOUZA SCHMITZ (Brésil) a indiqué que le projet d’articles est « bien équilibré », en réaffirmant notamment le principe de souveraineté des États et de consentement des États touchés à l’apport d’une assistance extérieure. Elle a rappelé que l’une des conséquences des catastrophes, sont les déplacements de masse, soit au sein des pays touchés, soit au travers des frontières. Le Brésil fait partie de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes, qui vise à améliorer la réponse à une telle situation. Elle a souligné la nécessité de préserver la distinction entre les catastrophes naturelles et les catastrophes du fait de l’homme, étant donné le droit différent qu’elles emportent. Elle a souligné la difficulté de « couvrir » dans un seul document tous les scenarii possibles de catastrophe. La déléguée a en outre souhaité de plus amples discussions sur les dispositions du projet qui ne constituent pas une codification du droit international existant. En conclusion, elle a estimé que le projet d’articles comble des lacunes du cadre juridique, y compris en apportant une plus grande cohérence entre les instruments existants. Nous reconnaissons la pertinence des discussions sur la possibilité de négocier une convention sur la base dudit projet, a conclu la représentante du Brésil.
M. VILIAMI VA'INGA TŌNĒ (Tonga) a rappelé que son pays, comme la plupart des petits États insulaires, est extrêmement vulnérable aux effets néfastes des changements climatiques et des risques de catastrophe. Notant que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit une intensification des catastrophes naturelles induites par les changements climatiques, il a souligné que les Tonga continuent d’être menacées par des cyclones tropicaux d’une ampleur sans précédent, qui s’ajoutent à des taux records d’érosion côtière, des débordements et des crues soudaines, lesquelles sont aggravées par l’élévation du niveau de la mer, trois fois supérieur à la moyenne mondiale. Compte tenu de la gravité des catastrophes naturelles qui sévissent dans sa région et dans le monde, les Tonga jugent approprié d’examiner la recommandation de la CDI tendant à l’élaboration d’une convention sur la base du projet d’articles sur la protection des personnes en cas de catastrophe. Selon elles, cela permettrait de répondre aux besoins de la population touchée grâce à la solidarité et au soutien de la communauté internationale, tout en maintenant la souveraineté nationale.
Mme ELIZABETH MARYANNE GROSSO (États-Unis) a déclaré que l’assistance aux personnes en cas de catastrophe est un sujet « central » pour son pays. Les États-Unis se sont engagés à réduire les effets des catastrophes naturelles sur les victimes, aux niveaux national et international. Pour autant, ils estiment, après avoir bien considéré le projet d’articles de la Commission du droit international, que cette question ne doit pas faire l’objet d’un instrument juridiquement contraignant. Une coopération pratique entre États, comme celle que pratiquent déjà les États-Unis avec des pays touchés par des catastrophes naturelles, suffit largement. Cette position est celle de longue date des États-Unis et elle n’a pas changé, a réitéré la représentante.