Troisième Commission: un expert avertit de la « ferme intention génocidaire » du Myanmar lors d’une séance marquée par la question des minorités
Le Président de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar a averti aujourd’hui, devant la Troisième Commission, de la « ferme intention génocidaire » de Nay Pyi Taw, et a appelé les États Membres à envisager la création d’un tribunal spécial pour faire face à une situation marquée, selon lui, par l’absence de résultats tangibles.
M. Marzuki Darusman a notamment indiqué que les persécutions flagrantes à l’encontre des Rohingya se poursuivent sans relâche, alors que les politiques, lois, individus et institutions qui ont permis les brutales opérations de « nettoyage » en 2016 et 2017 demeurent en place et « vivaces », de même que la loi de 1982 sur la citoyenneté. Il a également pointé le système de cartes nationales de vérification, expliquant que celles-ci ont contribué à exclure encore davantage les Rohingya qui étaient autrefois reconnus comme citoyens.
De plus, la situation des déplacés rohingya reste éminemment préoccupante, a alerté le Président de la mission, qui a signalé que contrairement aux affirmations du Gouvernement, les camps de déplacés n’ont pas été fermés et ceux qui s’y trouvent vivent une véritable ségrégation. Le retour de près d’un million de réfugiés dans ces conditions est impossible et le plan de rapatriement du Gouvernement, a-t-il fustigé, est « clairement inadéquat ».
Abondant dans ce sens, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Myanmar s’est dite convaincue qu’il est dangereux pour les réfugiés rohingya de rentrer au Myanmar tant que les circonstances ayant conduit à leur expulsion ne sont pas corrigées. Mme Yanghee Lee a notamment fait savoir que le mois dernier, quelque 30 Rohingya ont été arrêtés et inculpés d’infractions pénales parce qu’ils avaient quitté l’État rakhine puis condamnés à des peines de prison. « Ce traitement odieux est indicatif de ce qui attend tout Rohingya sur le retour. Et cela est aussi la situation quotidienne des 600 000 Rohingya restés au Myanmar », a-t-elle dénoncé.
Tandis que de nombreux États, à l’instar de l’Union européenne, se sont félicités du travail abattu par la mission d’établissement des faits, dont le mandat s’est achevé au mois de septembre, et du fait que le Mécanisme d’enquête indépendant soit désormais opérationnel, le Myanmar a mis en garde contre des manœuvres politiques qui, a-t-il prévenu, ne feront que prolonger le « triste sort » des populations.
La Troisième Commission a également examiné la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC), en recevant le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans ce pays. M. Tomás Ojea Quintana a notamment dénoncé la surveillance à laquelle est soumise la population et la persistance de camps de prisonniers politiques. Il s’est également inquiété de l’insécurité alimentaire qui prévaut dans le pays, notant en outre que des discriminations généralisées au sein du système de distribution signifient que les citoyens ordinaires, notamment les agriculteurs et les habitants de zones rurales, ne reçoivent pas de rations. Le Gouvernement a également échoué à mettre en place des conditions permettant à la population de participer à des activités commerciales sans encourir le risque d’être pénalisée ou victime d’extorsion, a-t-il ajouté, notant que la majorité des citoyens de la RPDC prend part à de telles activités dans un souci de survie. Comme par le passé, la délégation de la RPDC n’était pas présente dans la salle.
Les discriminations auxquelles font face certains groupes vulnérables, tels que les personnes atteintes d’albinisme ou les minorités, ont également mobilisé l’attention des délégations qui ont aussi réfléchi au rôle de l’espace public dans la jouissance des droits culturels.
À ce sujet, la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels a souligné que la question de l’espace public doit donc être reconnue comme une question de droits de l’homme, et a relevé que certains groupes font face à des obstacles pour y accéder, à commencer par les femmes. Rappelant le décès, en République islamique d’Iran, de Sahar Khodayari, qui s’est immolée par le feu en protestation contre son inculpation pour avoir assisté à un match de football dans un stade, Mme Karima Bennoune a appelé à abroger les normes qui excluent totalement les femmes de certains espaces publics, tels que les stades, les concerts mixtes, les cafés, les lieux de culte ou les sites du patrimoine.
De son côté, l’Experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme a attiré l’attention sur l’exclusion et la discrimination « fortement ancrées » que doivent affronter ces dernières dans pratiquement toutes les régions du monde. Mme Ikponwosa Ero s’est aussi préoccupée de leur accès aux soins de santé, expliquant notamment que le cancer de la peau affecte fréquemment les personnes atteintes d’albinisme et peut s’avérer mortel pour elles, alors que c’est une maladie évitable.
De son côté, le Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités s’est attelé à clarifier ce qu’est une minorité, relevant qu’il y a parfois une réticence à faire référence à ce groupe, dans certains projets d’instruments juridiques par exemple, en raison de l’absence de compréhension commune de qui est considéré comme une minorité. « Cela peut donner lieu à des omissions où les minorités auraient au contraire dû être reconnues comme un groupe particulièrement vulnérable », s’est-il inquiété. M. Fernand de Varennes a en outre souligné que les trois quarts des 10 millions d’apatrides que compte le monde sont des minorités, et a appelé la communauté internationale à élaborer d’urgence des normes pour assurer l’égalité du droit à la nationalité pour les minorités, pointant notamment la situation qui sévit actuellement dans l’État d’Assam, en Inde.
La Troisième Commission poursuivra ses travaux mercredi 23 octobre, à partir de 10 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
Application des instruments relatifs aux droits de l’homme (A/74/40, A/74/44, A/74/48, A/74/55, A/74/56, A/74/146, A/74/148, A/74/228, A/74/233, A/74/254, A/74/256)
Questions relatives aux droits de l’homme, y compris les divers moyens de mieux assurer l’exercice effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales (A/74/147, A/74/159, A/74/160, A/74/161, A/74/163, A/74/164, A/74/165, A/74/167, A/74/174, A/74/176, A/74/179, A/74/181, A/74/183, A/74/185, A/74/186, A/74/190, A/74/191, A/74/197, A/74/198, A/74/212, A/74/213, A/74/215, A/74/226, A/74/227, A/74/229, A/74/243, A/74/245, A/74/255, A/74/261, A/74/262, A/74/178, A/74/189, A/74/270, A/74/271, A/74/277, A/74/285, A/74/314, A/74/318, A/74/335, A/74/349, A/74/351, A/74/358, A/74/460)
Situations relatives aux droits de l’homme et rapports des rapporteurs et représentants spéciaux (A/74/166, A/74/188, A/74/196, A/74/268, A/74/273, A/74/275, A/74/276, A/74/278, A/74/303, A/74/311, A/74/342)
Application intégrale et suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne (A/74/36)
Exposé du Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités
M. FERNAND DE VARENNES, Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités, a indiqué que son nouveau rapport propose un cadre conceptuel visant à clarifier ce qu’est une minorité, relevant que cet exercice a déjà été tenté à de multiples reprises aux fins de l’ONU. Il a souligné que cette définition pratique vise uniquement son mandat et les activités de l’ONU, et que celle-ci n’affecte pas ce qui constitue une minorité eu égard aux affaires intérieures d’un État. Selon lui, cette clarification était nécessaire en raison des inconsistances, des incertitudes, voire même des contradictions qui existent au sein et entre les différentes entités de l’ONU. « Il y a parfois même une réticence à faire référence aux minorités en raison de l’absence de compréhension commune de qui est une minorité, ce qui peut donner lieu à des omissions où les minorités auraient au contraire dû être reconnues comme un groupe particulièrement vulnérable », a-t-il notamment relevé.
À titre d’exemple, il a indiqué que le projet révisé d’instrument juridiquement contraignant visant à réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales, ne fait pas référence aux minorités dans le libellé qui énumère les groupes de personnes faisant face à un risque accru de voir leurs droits violés par les acticités de ces sociétés. Les minorités étaient identifiées comme un des groupes vulnérables dans les précédentes versions du texte, mais cette référence a ensuite été omise en raison de préoccupations sur la signification du terme, a-t-il expliqué.
Le Rapporteur spécial s’est ensuite attardé sur le problème de l’apatridie, une des autres questions abordées dans son rapport, avertissant que ce phénomène pourrait augmenter de manière significative dans les années, « voir les mois », à venir. En effet, une crise humanitaire et une situation déstabilisatrice pourraient voir le jour en raison des risques continus qu’affrontent des centaines de milliers, « voire des millions », de membres des minorités bengalis et musulmanes qui vivent dans l’État d’Assam, en Inde, et qui encourent le risque d’être considérées comme étrangères et « probablement » comme non-citoyens, et donc de se retrouver apatrides.
M. de Varennes a en outre souligné que les trois quarts des 10 millions d’apatrides que compte le monde sont des minorités, et que la proportion d’apatrides appartenant à des minorités spécifiques qui sont l’objet de politiques et pratiques discriminatoires serait en hausse. Il a appelé la communauté internationale à élaborer d’urgence des normes pour assurer l’égalité du droit à la nationalité pour les minorités, afin d’éviter tout risque de créer une situation de crise, comme c’est actuellement le cas dans l’État d’Assam.
Le Rapporteur spécial a ensuite attiré l’attention sur la tenue, en 2019, sur initiative de son mandat, d’une première série de rencontres, ou forums régionaux, en Europe, en Asie-Pacifique, en Afrique et au Moyen-Orient sur le thème de l’éducation, la langue et les droits de l’homme des minorités. Il a indiqué que ces forums avaient permis une plus grande accessibilité pour les minorités et organisations qui ne peuvent pas se rendre à Genève, « ainsi que d’être plus près et plus sensible aux contextes et particularités régionales ». Il a espéré que cette approche pourra continuer et prendre un peu plus d’ampleur afin de donner une plus grande voix aux minorités. Il a par ailleurs précisé que le nombre de communications mettant en cause les questions relatives aux minorités ont augmenté de plus de 10% au cours de la période en cause.
Dialogue interactif
La Hongrie s’est alarmée de la tendance actuelle de non-respect des droits de minorités nationales, notamment des langues minoritaires en Ukraine, où vit une importante minorité hongroise. Selon elle, la promotion d’une langue d’État ne doit pas se faire au détriment des langues régionales ou minoritaires. Elle propose par conséquent qu’une attention particulière soit prêtée à des principes fondamentaux comme le respect de la différence entre l’identité et la citoyenneté nationale.
L’Inde a assuré que la création du registre national des citoyens dans l’État d’Assam, dans le nord-est du pays, n’est pas une question qui relève du droit des minorités, contrairement à ce qu’avance le rapport de M. de Varennes. Elle a fait valoir que plus de 31 millions de personnes y sont inscrites et aucune n’est apatride.
La Fédération de Russie s’est félicitée que la question de l’apatridie soit érigée au rang de priorité par le Rapporteur spécial. Dans de nombreux pays, a-t-elle constaté, on assiste à une régression en ce qui concerne le respect des droits linguistiques et minoritaires. Elle a ainsi affirmé avoir été témoin, ces 30 dernières années, du déclin de l’enseignement russophone en Lettonie et en Estonie, tandis qu’en Ukraine, des initiatives législatives visent à exclure l’usage du russe.
L’Union européenne a estimé crucial de se pencher sur une définition des minorités, considérant que la pratique du Comité des droits de l’homme constitue un point de départ pour lancer la discussion. À ce sujet, elle a voulu savoir comment dégager un consensus autour d’une telle définition alors que les efforts déployés dans le passé ont été vains. Elle a aussi demandé au Rapporteur spécial si une définition fondée sur l’État et l’individu pourrait contribuer à mieux protéger les droits des minorités.
Abondant dans ce sens, le Liechtenstein a jugé à son tour qu’une définition des minorités pourrait faciliter le travail de protection des groupes ethniques et régionaux par les États Membres. À cet égard, il a souhaité savoir pourquoi le rapport se concentre sur l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cela signifie-t-il que la conception retenue vise à englober un plus grand nombre d’individus?
L’Ukraine a rappelé qu’elle abrite de nombreuses minorités ethniques nationales, notamment les Tatars de Crimée qui sont actuellement victimes de l’agression de la Russie. Elle a indiqué que, pour elle, l’éducation est un moyen de garantir le développement des communautés, dans le respect du principe d’inclusivité. Elle a reconnu que la vulnérabilité des Roms et le problème de l’apatridie exigent une attention particulière.
L’Autriche a demandé au Rapporteur spécial comment il évalue sa collaboration avec d’autres organes de l’ONU, y compris l’UNESCO. Se disant d’avis qu’aucune exigence de résidence n’est nécessaire pour être reconnu comme minorité, elle a demandé à M. de Varennes son opinion quant aux vues divergentes selon lesquelles une relation différente entre l’État et les minorités pourrait contribuer à une meilleure protection de ces dernières.
Les États-Unis ont relevé que les repressions en « Crimée occupée », en Inde et en Chine ont poussé au déplacement de populations victimes de violences, mais aussi de discriminations graves, notamment du droit à l’expression et à la liberté de culte. Quelles sont les pratiques exemplaires pour s’assurer que les opinions des groupes minoritaires soient intégrées à la « cartographie » des groupes minoritaires?
À son tour, la Chine a rappelé qu’elle abrite 55 groupes ethniques qui sont représentés au Congrès chinois, lequel protège les langues minoritaires et promeut le développement des cultures minoritaires. Elle a d’autre part estimé que les accusations des États-Unis selon lesquelles la Chine marginalise les minorités dans le Xinjiang sont une expression d’ignorance. Elle a assuré qu’elle était prête à participer à un dialogue sur cette question avec les parties intéressées.
Dans un premier temps, le Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités a reconnu que la définition du concept de minorité est complexe. Il a précisé que son étude évalue à la fois le concept et son évolution au sein des Nations Unies. L’étude se concentre sur le concept de minorité dans son ensemble et ne fait donc pas directement référence aux minorités ethniques, religieuses ou linguistiques. Il a également précisé que la définition qu’il propose ne contient pas d’exigences liées à la citoyenneté ou d’autres statuts. Elle a été élaborée à partir des différentes interprétations du concept.
En réponse à l’Inde, M. de Varennes a souligné qu’il est important de comprendre les droits des minorités de manière plus précise afin de mieux les protéger, citant notamment le droit de choisir sa religion ainsi que l’impératif de non-discrimination. Il a espéré que l’Inde pourra inviter un rapporteur pour évaluer la situation sur le terrain.
M. de Varennes a également espéré qu’à l’avenir, il pourra travailler avec l’Union africaine et l’Organisation des États américains afin de développer une approche régionale. « Il est important de synchroniser nos efforts dans ce domaine », a-t-il déclaré.
Il a par ailleurs fait part de son intention d’élaborer des lignes directrices et de bonnes pratiques pour s’attaquer aux cas d’apatridie au sein des minorités. « Les trois quarts des apatrides sont issus de minorités », a-t-il rappelé, d’où l’importance de s’attaquer aux causes sous-jacentes du phénomène.
Exposé de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels
Mme KARIMA BENNOUNE, Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, a indiqué que son rapport thématique porte sur le rôle joué par les espaces publics dans la jouissance des droits de l’homme, en particulier des droits culturels et souligne aussi les moyens par lesquels le respect des droits culturels contribue à la création d’espaces publics dynamiques et accessibles. Le droit de participer à la vie culturelle sans discrimination, la liberté d’expression et de créativité artistiques ainsi que les droits culturels de certaines catégories de personnes, telles que les personnes handicapées et les femmes, ne peuvent être exercés en l’absence de tels espaces publics, a-t-elle affirmé.
La question de l’espace public doit donc être reconnue comme une question de droits de l’homme, et une approche des droits de l’homme centrée sur les droits culturels doit être prise en compte lors de la prise de décisions concernant les espaces publics, y compris en ce qui concerne leur conception, développement et entretien. Le rapport, a-t-elle noté, insiste sur la responsabilité des États et le rôle d’autres acteurs qui doivent veiller à ce que les espaces publics deviennent ou restent un espace de débat, d’échange culturel et de respect des droits de l’homme universels.
De récents développements illustrent les problèmes soulevés dans le rapport, a-t-elle poursuivi, évoquant le décès, en République islamique d’Iran, de Sahar Khodayari, 29 ans, surnommée la « fille bleue » pour s’être immolée par le feu en protestation contre son inculpation due au fait qu’elle était entrée dans un stade pour assister à un match de football. « Je pense à elle et à tous ceux dans le monde qui ont fait des sacrifices pour défendre l’égalité d’accès à l’espace public », a déclaré Mme Bennoune. Par ailleurs, la récente proposition du Ministère de l’intérieur des États-Unis de privatiser certaines parties des parcs nationaux américains vient rappeler que l’on ne devrait pas tenir pour acquis l’existence des espaces publics. Elle a dit avoir été frappée par l’importance des espaces publics dans la vie des gens lors de sa mission de septembre aux Tuvalu, où l’aérodrome local sert, le soir, de lieu privilégié de réunion et de loisirs pour les femmes et les hommes.
En se basant sur les définitions utilisées par l’UNESCO et d’autres organismes des Nations Unies, Mme Bennoune définit les espaces publics comme des lieux publics accessibles à tous sans discrimination, dans lesquels les personnes peuvent construire ensemble une société commune fondée sur les droits de l’homme, l’égalité et la dignité, tout en entretenant et en exprimant leurs propres identités. Ces lieux peuvent être des sites culturels, mais aussi des espaces ouverts, naturels, virtuels, urbains et ruraux, des équipements publics et des rues, a-t-elle expliqué.
Du point de vue des droits culturels, les espaces publics répondent au besoin de rencontrer les autres, offrent un lieu pour les pratiques culturelles et véhiculent des significations sociales et culturelles importantes, a-t-elle poursuivi, observant qu’ils facilitent la diversité des expressions culturelles et la participation sociale. Il est nécessaire, à ses yeux, de préserver les espaces publics existants, ainsi que d’en créer de nouveaux, pour que les gens puissent apprendre, développer leur créativité et faire l’expérience de « l’humanité des autres », ainsi que pour favoriser l’engagement civique. De fait, a-t-elle averti, les limitations imposées au droit d’accès aux espaces publics doivent être compatibles avec les normes internationales pertinentes en matière de droits de l’homme. Elles doivent être soigneusement évaluées, en tenant compte des spécificités de l’espace, du temps et des utilisateurs, ainsi que des droits de toutes les personnes.
« S’assurer que l’espace public est l’espace de tous est vital pour les droits culturels », a insisté Mme Bennoune. D’après elle, les obstacles aux espaces publics inclusifs incluent généralement les politiques d’exclusion, le manque de connaissance du public sur l’emplacement et l’utilisation des espaces publics existants, ainsi que les menaces, la violence et le harcèlement. Les autorités devraient donc faire connaître plus largement les espaces publics et le droit de tous d’y accéder, prendre des mesures pour rendre ces espaces plus accueillants et y offrir d’autres possibilités d’interaction sociale.
Elle a également relevé que certains groupes font face à des obstacles particuliers pour accéder aux espaces publics, à commencer par les femmes qui se heurtent souvent à des obstacles considérables en raison des menaces, du harcèlement et de la violence, ainsi que des normes de genre socialement construites. Pour la Rapporteuse spéciale, les pouvoirs publics doivent lutter efficacement contre ces obstacles fondés sur le sexe. Les normes, de facto et de jure, qui excluent totalement les femmes de certains espaces publics, tels que les stades, les concerts mixtes, les cafés, les lieux de culte ou les sites du patrimoine, sont incompatibles avec les normes internationales en matière de droits de l’homme et doivent être abrogés, a martelé Mme Bennoune, qui a également relevé que les caractéristiques de certains espaces peuvent limiter la jouissance de leurs droits. « La culture, la tradition et les droits culturels ne sont pas des raisons acceptables pour empêcher les femmes de jouir de leurs droits d’accès et de profiter des espaces publics dans l’égalité et la dignité », a-t-elle souligné. À cet égard, elle a estimé que le rôle et la contribution des femmes dans les espaces publics devraient être reconnus et encouragés.
Autre catégorie évoquée par Mme Bennoune, les personnes handicapées se heurtent à un manque d’accessibilité dans les environnements construits, ce qui affecte directement leur capacité à participer pleinement à la vie culturelle. Elle s’est inquiétée du manque généralisé d’accessibilité pour les personnes handicapées dans les espaces publics, y compris dans les pays où une « adaptation raisonnable » de l’infrastructure pour répondre à leurs besoins est codifiée dans la législation. Selon la Rapporteuse spéciale, les principes d’accessibilité ou de « conception universelle » doivent donc être utilisés dès les premières étapes de la conception, ainsi que dans la construction et la restructuration des infrastructures, installations et services publics. Des études ont en outre fait apparaître que, si elle était intégrée dès le départ, la conception universelle n’entraînerait pratiquement aucun coût supplémentaire.
Certains types d’espaces méritent une attention particulière, a encore fait remarquer Mme Bennoune. Par exemple, les personnes peuvent souhaiter accéder aux espaces naturels à des fins de loisirs, de culture et de pratiques spirituelles ou rituelles, ou pour leur signification symbolique et historique. Ces espaces devraient donc être rendus aussi accessibles que possible au public, sous réserve des restrictions autorisées par les normes internationales. Compte tenu de leur exposition aux risques liés aux changements climatiques, tels que l’érosion des berges ou les incendies consécutifs aux sécheresses, une réponse efficace et rapide à cette urgence sera essentielle pour préserver la possibilité de jouir des droits culturels liés aux espaces naturels, a plaidé la Rapporteuse spéciale
Elle a par ailleurs averti que la tendance à la privatisation peut avoir un impact significatif sur la capacité des espaces publics à permettre la jouissance des droits culturels, et que faute de garantie d’accès, des divisions spatiales sur la base des classes risquent de voir le jour. Mme Bennoune a préconisé d’établir des « règles de zonage » exigeant que chaque localité dispose d’espaces publics significatifs, y compris d’espaces verts. Elle a également estimé que l’idée de définir un « droit humain autonome aux espaces publics » mérite une considération sérieuse, avant de prévenir: « Si les États, les organisations internationales et la communauté internationale ne prennent pas au sérieux la question de l’espace public et ne la comprennent pas comme une question fondamentale des droits de l’homme, il sera impossible de réaliser les droits culturels, et de nombreux autres droits de l’homme. »
Dialogue interactif
L’Union européenne a voulu savoir comment s’assurer que les espaces publics soient aussi des lieux de protection des droits de l’homme, tandis que les Maldives ont souhaité savoir comment les petits États insulaires en développement devraient procéder pour parvenir à la réalisation effective des droits culturels.
Cuba a indiqué qu’elle coordonnerait au cours de la session, au nom du Mouvement des pays non alignés, des travaux sur les droits de la personne et les droits culturels.
Les espaces publics virtuels peuvent-ils favoriser la liberté d’expression? se sont interrogés les États-Unis. La délégation s’est par ailleurs déclarée perturbée par le fait que des Kazakhs, Ouïghours et autres peuples musulmans soient écartés des espaces publics en Chine, dans le but, a-t-elle accusé, de faire taire leurs pratiques et leur identité culturelle ou religieuse. Ils ont également pointé l’interdiction des langues minoritaires et l’imposition de la langue chinoise aux enfants de minorités dans le Xinjiang.
Comment la communauté internationale peut-elle lutter contre les pratiques néfastes en termes d’espaces publics? a demandé à son tour la Norvège, pour qui il est du devoir de l’État d’offrir des espaces publics permettant à tous de jouir de la culture.
Répondant aux accusations des États-Unis, la Chine a souligné qu’elle garantit la protection des droits culturels des minorités dans le Xinjiang où 10 langues sont actuellement pratiquées, notamment la langue ouïghour, y compris dans les médias et sur les ondes. La délégation a ensuite fait valoir que nombre de pays du monde utilisent l’anglais sans que personne ne parle d’une « agression culturelle ».
Réagissant à ces commentaires, la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels a souligné que la question des droits de l’enfant dans les espaces publics est fondamentale, notant que leur droit au repos et aux loisirs est essentiel à leur développement et à leur éveil. Elle s’est préoccupée de l’impact des couvre-feux, ou encore des dispositifs sonores qui ont pour objectif de dissuader les jeunes de rester dans l’espace public. Or les États doivent s’efforcer de garantir le droit des enfants de participer à des activités dans l’espace public, ainsi que leur droit aux loisirs, aux arts, au sport ou encore à la culture, a-t-elle souligné.
Elle a également déploré les pratiques des États qui promettent la liberté d’expression mais ne fournissent aucun espace pour ce faire, soulignant que la liberté de réunion ne peut exister que si l’accès à un espace sans restriction est assuré. De plus, les femmes doivent y être protégées et bienvenues, a ajouté Mme Bennoune, qui a témoigné avoir rencontré une femme pour qui « les espaces publics sont l’apanage des hommes ».
Elle a ensuite estimé que les espaces virtuels exigent un rapport propre, notant que ceux-ci présentent des caractéristiques particulières, tout en soulignant qu’ils ne sauraient remplacer les espaces physiques, car « nous avons plus que jamais besoin de nous retrouver les uns les autres ». Elle a également relevé que l’utilisation des dispositifs virtuels dans les espaces publics constitue aussi une difficulté à surmonter.
La Rapporteuse a aussi abordé la question de l’accès aux espaces publics de personnes discriminées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre et qui cherchaient à organiser, par exemple, des marches de fierté. Dans ce cas de figure, les espaces publics deviennent un lieu de violation des droits de la personne, et il incombe aux autorités publiques de garantir la protection de droits des personnes LGBTI.
Mme Bennoune a par ailleurs fait observer que les sans-abri n’ont pas d’autre solution que d’utiliser les espaces publics, n’ayant nulle part où aller, et a insisté sur leur droit d’y accéder. Le sans-abrisme ne saurait être réglé par des restrictions indues et injustes, a martelé Mme Bennoune, pour qui la solution est à trouver du côté du logement.
Exposé de l’Experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme
Mme IKPONWOSA ERO, Experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme, a indiqué que les personnes atteintes d’albinisme font face à d’extrêmes violations des droits de l’homme, tout particulièrement en Afrique, où elles sont parfois chassées comme des animaux, et des parties de leurs corps vendues comme marchandises. Elle a salué l’adoption, cette année, par la Commission de l’Union africaine, d’une politique régionale sur l’albinisme, y voyant un effort louable.
L’Experte a également indiqué qu’en raison de leur pigmentation et de leurs troubles visuels et dermatologiques, de nombreuses personnes atteintes d’albinisme en dehors de l’Afrique vivent dans une pauvreté généralisée et font face à des pratiques nuisibles, comme la « mystification de leur condition ».
En venant à son rapport, consacré à l’albinisme dans le monde, Mme Ero a indiqué que la plupart des personnes atteintes d’albinisme font face à une exclusion et une discrimination fortement ancrées, notamment en raison de leur état « d’entre deux eaux » qui fait qu’elles sont considérées comme n’étant pas suffisamment noires ou pas suffisamment blanches, ou alors trop blanches, pas assez aveugles, ou souffrant de trop de handicaps. Et cette myriade de contradictions se manifeste dans leur vie quotidienne en raison de l’intersection de multiples formes de discrimination, a-t-elle expliqué.
Selon Mme Ero, plusieurs facteurs sont à l’origine de cet état « d’entre deux eaux »: une ignorance mondiale généralisée, la mystification historique de cette condition, l’ignorance de la définition du handicap inscrite dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ou encore un manque de reconnaissance des formes intra-ethniques de discrimination raciale.
L’Experte a également pointé le manque de données, estimant que ce problème pourrait être facilement rectifié grâce aux recensements de population ou des enquêtes analytiques, comme l’a fait récemment le Kenya.
Par ailleurs, l’accès à la santé est également préoccupant. Expliquant notamment que le cancer de la peau affecte fréquemment les personnes atteintes d’albinisme et peut s’avérer mortel pour elles alors que c’est une maladie évitable, elle a préconisé la gratuité des crèmes solaires et a appelé à ce qu’elles soient incluses sur la liste des médicaments essentiels dans les pays au climat ensoleillé. Les personnes atteintes d’albinisme affrontent aussi des problèmes de santé psychosociale et mentale, dont des idées suicidaires, tandis que la discrimination à leur encontre entrave leur possibilité d’obtenir un emploi. Mme Ero a en outre pointé la faiblesse des capacités de la société civile dans toutes les régions, en raison du manque de soutien ou de formation.
L’Experte est ensuite revenue sur quelques exemples rencontrés de par le monde. Elle a déploré les préjugés « extrêmes » qui sévissent en Inde, au Pakistan et en Chine, tandis qu’au Japon, des personnes atteintes d’albinisme seraient forcés par des administrateurs d’école et des employés à teindre leurs cheveux en noir pour se conformer à l’apparence homogène de la population locale.
Des cas d’abandons, par leurs parents, d’enfants atteints d’albinisme ont été signalés en France, tandis qu’en Turquie, ce sont les barrières qui entravent l’accès à la santé qui posent problème. Dans les Caraïbes et en Amérique latine, où le « colorisme » est profondément ancré, les personnes atteintes d’albinisme font face à une profonde exclusion sociale en raison de leur état « d’entre deux eaux ». La situation est similaire au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
De manière générale, Mme Ero a fait état d’une corrélation évidente entre la « visibilité physique » des personnes atteintes d’albinisme et les discriminations auxquelles elles font face: plus elles se démarquent, plus elles risquent de faire face à une forme aigue de discrimination et d’exclusion sociale, et vice versa. Cependant, il existe des développements positifs, avec notamment une augmentation sans précédent de groupes représentant les personnes atteintes d’albinisme.
Elle a notamment appelé les gouvernements à atteindre ces groupes de la société civile, insistant en outre sur l’impératif d’intégrer les personnes atteintes d’albinisme à tous les secteurs de la société. Énumérer les lois qui les concerne ne suffit pas, il faut déployer des efforts concertés pour veiller à qu’elles jouissent des droits définis et protégés par ces lois, a-t-elle insisté. Selon elle, la façon la plus simple de le faire serait d’appuyer les groupes de la société civile qui travaillent sur les questions ayant un impact direct sur la vie des personnes atteintes d’albinisme. Des efforts délibérés s’imposent également pour inclure les personnes atteintes d’albinisme dans tous les forums consacrés aux droits de l’homme.
Dialogue interactif
S’enorgueillissant des initiatives qu’il a prises pour assurer la protection solaire des personnes atteintes d’albinisme, le Ghana a voulu savoir ce qui peut être fait pour améliorer ces partenariats au profit d’initiatives qui promeuvent leurs droits.
Israël a demandé quelles solutions permettaient de remédier à la situation d’« entre deux eaux » dans laquelle se trouvent les personne atteintes d’albinisme, tandis que l’Afrique du Sud a voulu savoir comment favoriser l’unité et les synergies des organisations représentant les personnes atteintes d’albinisme. La délégation a également indiqué que le recensement de 2021 sera l’occasion de renforcer ses efforts de collecte de données.
La Slovénie a fait valoir que le cas de la personne atteinte d’albinisme mentionné dans le rapport de Mme Ero ne reflète pas la situation de toutes les personnes souffrant d’albinisme dans le pays. Celles-ci ont accès à tous les services de santé et au dépistage de mélanomes, a-t-elle assuré, ajoutant que des actions de prévention sont également menées pour protéger ces personnes.
Le Brésil a indiqué que deux projets de loi traitant de la situation des personnes atteintes d’albinisme étaient actuellement examinés par son Parlement, avant que le Japon demande à l’Experte indépendante quels enseignements elle tire de ses efforts pour éliminer la discrimination à l’encontre des personnes atteintes d’albinisme. De son côté, l’Union européenne s’est interrogée sur les meilleurs moyens de renforcer les cadres de coopération entre les États et la société civile afin de faire davantage participer les personnes atteintes d’albinisme.
La Somalie a souhaité avoir des précisions sur l’importance de la collecte de données ventilées concernant les personnes atteintes d’albinisme ainsi que des exemples sur la manière dont les États peuvent s’en acquitter.
Comment adapter les mesures de protection des personnes atteintes d’albinisme vivant en zones rurales? a voulu savoir la Namibie, qui a indiqué que la prévalence de l’albinisme est particulièrement forte dans sa région. Pour la Turquie, une intensification des efforts en termes d’éducation s’impose.
À leur tour, les États-Unis ont indiqué que leur loi sur les personnes handicapées protège les personnes atteintes d’albinisme et tient compte du fait que l’albinisme s’accompagne de problèmes de vue. Ils ont voulu savoir combien de pays reconnaissent l’albinisme comme un handicap et collectent des données ventilées pour améliorer les droits de ces personnes.
L’Angola a indiqué qu’il aimerait savoir comment mieux lutter contre l’indifférence à l’égard des abus commis et obtenir des exemples d’inclusion sociale réussie. En outre, quel devrait être le domaine prioritaire en vue de l’amélioration des droits de l’homme des personnes atteintes d’albinisme?
Pour lutter contre les actes de discrimination à l’encontre de ces personnes, le Malawi a expliqué avoir a mis en place des programmes multimédia de sensibilisation et s’être doté, en 2018, d’un plan quadriennal. De plus, le Code pénal a été durci en 2016 pour les auteurs d’agressions à l’encontre de ces personnes.
La Chine a déclaré avoir créé, en 2018, un service public, la « Maison des enfants de la lune », qui vise à appuyer les personnes atteintes d’albinisme et à leur fournir une protection appropriée. Entre 2006 et 2010, des lois ont été adoptées pour leur fournir une assistance et, en 2014, un fonds de secours a aussi été mis en place pour les personnes souffrant de maladies rares, parmi lesquelles figure l’albinisme. Elle s’est interrogée sur la meilleure façon de protéger les droits de toutes les personnes atteintes de maladies rares.
« Aucun pays n’est à l’abri de la discrimination », a tout d’abord déclaré l’Experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme à l’issue des commentaires des délégations. Elle a notamment fait observer que si des textes de loi sont parfois adoptés, leur mise en œuvre laisse souvent à désirer.
La stratégie la plus importante à mettre en œuvre, a expliqué Mme Ero, est de se doter d’un plan d’action national, qui peut être élaboré en appuyant les organisations de la société civile qui disposent de leurs propres stratégies. Ce plan d’action doit aussi être financé, a-t-elle ajouté.
Parmi les bonnes pratiques, l’Experte a cité l’allocation de fonds pour produire des crèmes solaires au niveau local, et l’organisation de recensements. Les mesures de sensibilisation sont aussi mises sur pied avec un grand succès dans plusieurs pays.
Mme Ero a par ailleurs appelé à tenir compte des contextes nationaux et à veiller à ce que des plans d’action nationaux y soient conformes.
Suite du débat général
Mme KIRA CHRISTIANNE DANGANAN AZUCENA (Philippines) s’est dite préoccupée par la pratique d’adoption de résolutions sélectives ciblant des pays précis à la Troisième Commission ainsi qu’au Conseil des droits de l’homme, estimant que leurs objectifs sont politiques. Elle s’est également inquiétée du fait que les pays en développement, « qui portent le fardeau de la politisation des droits de l’homme », soient censurés pour leurs prétendues violations des droits de l’homme sur la base d’informations fausses et de rapports biaisés, et pas moins, a-t-elle ajouté, par des États dont les violations sans précédent des droits de l’homme ont marqué les annales de l’histoire.
La représentante s’est également inquiétée de la résistance croissante au respect des droits fondamentaux des migrants, dénonçant les initiatives visant à supprimer toute référence aux migrants ou aux migrations dans les résolutions de l’ONU. L’approche privilégiée semble dorénavant consister à accomplir leur extinction en les laissant à la merci des éléments de la nature et au péril de leurs « voyages perdus » vers la sécurité, a-t-elle dénoncé.
M. MOHAMED ABDELRAHMAN MOHAMED MOUSSA (Égypte) a estimé que la communauté internationale doit adopter une approche globale pour promouvoir et protéger les droits de l’homme. Une approche qui examine tous les droits et libertés sans sélectivité ni discrimination. Il a relevé que le terrorisme et l’extrémisme violent ont des effets délétères sur la vie des personnes. Il a également appelé la communauté internationale à accorder une plus grande attention aux changements climatiques, rappelant que la sécheresse et le stress hydrique impactent la vie de millions de personnes.
Le délégué a ensuite estimé que la pauvreté, le chômage, le racisme et l’islamophobie sont d’autres phénomènes à traiter. Aux États-Unis, a-t-il observé, la situation est particulièrement préoccupante pour les Afro-Américains, victimes de discriminations. Il a aussi relevé des obstacles à l’inclusion des minorités dans l’Union européenne, ainsi qu’une tendance à la montée de la xénophobie et des discours de haine. Pour faire face à ces défis, la communauté internationale doit, selon lui, adopter une approche fondée sur le dialogue et la coopération.
Mme SHAHD JAMAL YOUSUF IBRAHIM MATAR (Émirats arabes unis) a indiqué qu’à l’échelle législative, son pays a adopté de nombreuses législations pour renforcer les droits de l’homme, comme la loi sur le service d’aide et la lutte contre la traite des personnes. Le Gouvernement appuie aussi de nombreux efforts pour renforcer les capacités des femmes, des enfants et des personnes handicapées. Les Émirats arabes unis ont accueilli les Jeux mondiaux d’été de Special Olympics. Et pour la première fois dans l’histoire du pays, a-t-elle enchaîné, les femmes occuperont 50% des sièges au Conseil fédéral. Le droit du travail a également été renforcé. Les Émirats arabes unis ont aussi présenté leur rapport sur la lutte contre la torture en 2018.
Mme AYŞE INANÇ ÖRNEKOL (Turquie) a fait part des profondes inquiétudes de la Turquie quant à la réémergence de courants politiques et idéologiques extrémistes, tout particulièrement dans l’Union européenne, qui se traduisent par de nouvelles formes de racisme, telles que le nationalisme xénophobe, et des mouvements islamophobes et antisémites. En raison de la montée des discours d’extrême droite, en particulier dans les pays occidentaux, les migrants et autres groupes vulnérables continuent d’être victimes d’inégalités de traitement, de discrimination, d’intolérance, d’hostilité, d’attaques violentes et de crimes haineux à des niveaux alarmants, s’est inquiétée Mme Inanç Örnekol.
La représentante turque a ensuite indiqué que l’opération « Source de paix », qui a commencé le 9 octobre dernier, s’est déroulée conformément au droit international et au droit international humanitaire. La protection des civils et des infrastructures civiles est au sommet de notre priorité et toutes les mesures nécessaires ont été prises à cette fin, a assuré Mme Inanç Örnekol.
Par ailleurs, la Turquie attache la plus haute importance au pluralisme de la société civile et des médias, ainsi qu’au travail des défenseurs des droits de l’homme.
M. SIDI MOHAMED TALEB AMAR (Mauritanie) a indiqué que son gouvernement s’emploie à combattre les restes de l’esclavage par le biais d’un programme de sensibilisation et d’un plan de développement socioéconomique. En matière d’avancées, le représentant a fait état de la création d’écoles, de centres de santé et des lignes de microcrédit pour les familles les plus vulnérables. Afin d’assurer la justice et l’équité, un dispositif national d’assistance sociale et des programmes spéciaux pour les plus pauvres ont été mis en place. Par ailleurs, les jeunes représentant 66% de la population mauritanienne, un conseil suprême de la jeunesse a été créé en vue d’inclure les jeunes dans les efforts de reconstruction du pays. La Mauritanie a aussi adopté une stratégie nationale pour la promotion des femmes ainsi que le principe de la discrimination positive au profit des femmes et des filles. Des femmes sont ainsi présentes dans les systèmes législatifs et judiciaire et même dans l’armée, s’est enorgueilli le délégué. Il a enfin assuré que la liberté de la presse est assurée dans son pays et qu’un saut qualitatif a été réalisé en matière de diffusion télévisuelle.
L’esprit de la révolution soudanaise est ancré dans son credo « Liberté, paix et justice », ce qui consolide le fait qu’il s’agit d’une révolution des droits de l’homme, a déclaré Mme NAWAL AHMED MUKHTAR AHMED (Soudan). Elle a détaillé les mesures prouvant l’engagement du nouveau Gouvernement de transition, citant notamment la signature d’un accord avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en vue de l’ouverture d’un bureau à Khartoum et dans plusieurs États affectés par le conflit. Un engagement global sur la liberté des médias a aussi été signé, et une commission d’enquête a été mise sur pied et des poursuites engagées à l’encontre de l’ancien Président. De son côté, le Ministre de la justice a entamé une procédure d’examen de toutes les conventions internationales non ratifiées par le Soudan et l’adaptation des cadres nationaux aux normes internationales.
Plusieurs femmes détiennent des portefeuilles clefs, comme les affaires étrangères, l’emploi, le développement social, l’enseignement supérieur et la jeunesse et les sports, et occupent 40% des sièges parlementaires. Deux femmes ont également été nommées membres du Conseil souverain, la plus haute autorité du pays, l’une d’elles chrétienne, et ce, afin de préserver le droit des minorités à la liberté de religion. Des « efforts sincères » sont également déployés en vue de la révocation de toutes les lois restreignant les droits et libertés fondamentales des femmes.
Le nouveau Gouvernement a aussi entamé un dialogue fructueux avec le Bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit en vue de la signature d’un cadre de coopération pour la protection des femmes en particulier dans la zone du Jebel Marra/Darfour contrôlée par le groupe d’opposition Abdel-Wahid. Enfin, le Soudan vient d’être élu membre du Conseil des droits de l’homme pour la période 2020-2022.
M. SIGURDARSON (Islande) a indiqué que, membre du Conseil des droits de l’homme depuis six mois, son pays concentre ses efforts sur l’égalité des droits pour les femmes et les hommes, la promotion des droits des LGBTI et la protection des droits de l’enfant. En matière de parité, le pays travaille actuellement à un projet de résolution préconisant un salaire égal pour un travail égal, un texte qui vise à s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’inégalité au travail, a précisé le représentant. Il a, d’autre part, indiqué que l’Assemblée générale examinera une résolution de suivi afin de proclamer le 18 septembre comme journée internationale du salaire égal.
Il s’est inquiété de la remise en cause de normes et d’accords historiques sur les droits sexuels et génésiques. Notant un certain recul en matière d’enseignement de la sexualité, il a affirmé que l’Islande est engagée à protéger les droits des femmes sous tous leurs aspects. M. Sigurdarson a par ailleurs exprimé son inquiétude quant aux conséquences du conflit syrien et a appelé la Turquie à cesser son offensive en Syrie.
M. STANLEY RALPH CHEKECHE (Zimbabwe) a assuré que la nouvelle configuration politique dans son pays avait permis d’introduire des réformes pour améliorer l’espace démocratique depuis l’élection de Président Mnangagwa. Ainsi, la désignation d’une commission d’enquête pour les violences postélectorales de l’an dernier et l’adoption de 30 lois sur la liberté de la presse, l’ordre public, les droits politiques ou même l’existence de la Commission nationale sur les droits de l’homme, de la Commission paix et réconciliation témoignent de l’engagement du Gouvernement à remplir de manière crédible ses obligations en matière de droits de l’homme. Ces progrès ont d’ailleurs été reconnus par la Secrétaire générale du Commonwealth, Mme Patricia Scotland, a assuré le représentant.
« Personne n’est parfait », a enchaîné M. Chekeche, qui a indiqué que son pays est opposé aux résolutions spécifiques contre des pays, les jugeant contre-productives. Le Zimbabwe appelle au contraire au dialogue, à la médiation et à l’engagement constructif, basé sur le respect mutuel, la confiance et la coopération plutôt que la confrontation et l’irrespect.
Mme DEANDRA CARTWRIGHT (Bahamas) a indiqué que son pays avait récemment ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il réexamine actuellement ses mesures visant la mise en œuvre des conventions relatives aux droits de l’enfant, et aux droits des personnes handicapées. Cependant, les défis auxquels font face les petits États insulaires comme les Bahamas sont uniques, en particulier ceux nés des changements climatiques.
Or le lien entre ce phénomène et les droits de l’homme est clair et la menace est existentielle, a souligné la représentante. L’accélération de la fréquence des catastrophes naturelles, comme l’ouragan Dorian qui frappé les Bahamas, exige toute l’attention de la communauté internationale qui doit fournir un appui en matière de renforcement de la résilience et d’assistance humanitaire. Pour cette raison, la délégation se réjouit de l’attention croissante portée sur cette question au sein du Conseil des droits de l’homme, notamment avec la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mme Michelle Bachelet, qui y a accordé une part importante de son discours, lors de sa participation à la quarante-deuxième session du Conseil.
M. WAEL AL KHALIL (République arabe syrienne) a refusé que les droits de l’homme soient abordés par le biais d’une « sélectivité honteuse », qui se concentre sur certains pays et passe sous silence les crimes commis par d’autres gouvernements. Ces derniers agissent parfois dans le cadre de coalitions, comme celle menée par les États-Unis et qui attaque mon pays, a poursuivi M. Al Khalil. Il a également dénoncé les mesures coercitives appliquées à l’encontre de son peuple.
Il a ensuite prévenu que l’agression de la Turquie aura des répercussions politiques et humanitaires en Syrie. La Turquie menace d’envahir le territoire syrien et d’y procéder à un nettoyage ethnique, a alerté M. Al Khalil, qui a relevé que le Gouvernement turc prétend que l’opération « Source de paix » est conforme aux droits de l’homme tout en agressant son voisin.
Soulignant que les droits de l’homme sont un tout indivisible, il a appelé à s’engager en faveur de l’impartialité, la neutralité et du professionnalisme.
M. NAZIR AHMAD FOSHANJI (Afghanistan) a souligné que l’Afghanistan veille au respect de la promotion des droits de la femme et de l’égalité des sexes, de la liberté de réunion pacifique et des défenseurs des droits de l’homme. Cela est une priorité pour le développement de son pays, a-t-il indiqué. En tant que pays à l’avant-garde de la lutte contre les groupes terroristes et extrémistes, l’Afghanistan accorde la plus haute priorité à la protection des populations civiles lors d’opérations menées contre des « cibles hostiles ». Cependant, alors que nous essayons de minimiser le nombre de victimes, nous déplorons le ciblage des civils par les groupes terroristes et leurs affiliés, a-t-il indiqué. Le représentant a notamment cité l’attaque barbare commise vendredi dernier contre un mosquée dans la province de Jalalabad et qui a fait 62 morts parmi les fidèles, dont des enfants, ainsi que des dizaines de blessés. À cet égard, il a indiqué que son pays demeure engagé à protéger les populations civiles et à s’assurer qu’elles jouissent de leurs droits humains conformément à la Constitution de son pays.
Exposé de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Myanmar
Mme YANGHEE LEE, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, a déploré les violations continues des droits de l’homme dans ce pays, qui lui « refuse toujours l’accès ». Elle a indiqué qu’il n’y a « pas d’amélioration perceptible de la situation » dans ce pays à partager si ce n’est la ratification, en septembre dernier, par le Myanmar, du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés. Le Myanmar doit maintenant respecter ses nouvelles obligations et veiller à ce que la question des enfants soldats fassent partie du passé, a-t-elle souligné.
La Rapporteuse spéciale a indiqué que malgré ses appels répétés, le Gouvernement n’a ni abrogé, ni amendé des lois répressives qui portent atteinte aux droits, et qui continuent d’être utilisées contre ceux qui tentent d’exercer leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Pire, le nombre de cas a fortement augmenté, a souligné Mme Lee. Illustrant son propos, elle a signalé que la junte a engagé des poursuites contre des manifestants critiques, des militants et des journalistes qui rendaient compte du conflit dans l’État rakhine. En septembre dernier, des représentants du Gouvernement ont déposé des plaintes distinctes en diffamation contre deux satiristes et un caricaturiste pour des contenus diffusés sur les réseaux sociaux, qui critiquaient le parti au pouvoir. Elle a estimé que cette situation est d’autant plus inquiétante à l’approche des élections générales, prévues l’année prochaine.
La discrimination à l’égard des minorités religieuses se poursuit sans relâche, a-t-elle par ailleurs poursuivi, informant que 27 villages se décrivent comme « libres de musulmans » et leur interdisent l’entrée.
Elle a, par ailleurs, fait part de sa préoccupation face à la décision du Gouvernement de développer l’hydroélectricité dans les zones de conflit où les communautés ont été déplacées de leurs terres, y compris dans les États rakhine et chin. Les communautés des États kachin, shan et kayin continuent de protester contre les projets de barrages hydroélectriques qui immergeraient leurs terres, et cela est d’autant plus problématique que ces communautés sont laissées dans l’incertitude quant à leur sort vu que « très peu d’informations circulent ».
Le Gouvernement a continué la réforme du foncier, en accordant la priorité à l’acquisition de terres à des fins commerciales, mais il n’a pas établi de cadre juridique adéquat pour la reconnaissance, l’enregistrement et la protection des droits sur les terres coutumières et communales. Il en résulte une insécurité face un nombre croissant de cas de confiscation de terres, a-t-elle indiqué.
Alors que les conflits armés continuent de se poursuivre, Mme Lee a constaté à nouveau des agissements qui violent le droit international humanitaire et peuvent constituer des crimes de guerre. L’impunité pour ces crimes prévaut, tandis que les communautés sont confrontées à un cycle dévastateur d’abus.
Dans l’État rakhine, a-t-elle poursuivi, les violents combats entre l’armée (la Tatmadaw) et l’Armée arakanaise se poursuivent. Des villageois ont été pris pour cible, tués et blessés par des tirs aveugles, et des villages entiers ont été incendiés. Des hommes et des garçons rakhines ont été arrêtés par les forces de sécurité et certains sont morts en détention, et des informations font état de l’usage de la torture. L’Armée arakanaise aurait récemment enlevé 31 personnes et les priverait de leur liberté.
Selon la Rapporteuse spéciale, cette année, près de 60 000 personnes ont été déplacées par le conflit à Rakhine et 10 000 dans l’État chin. Les restrictions imposées par le Gouvernement sur l’aide ont gravement compromis la fourniture de services permettant de sauver des vies et de fournir des services essentiels à plus de 100 000 personnes. Ceci est exacerbé par la fermeture d’Internet depuis 123 jours dans quatre cantons de l’État rakhine, privant ainsi la population de nombreux droits.
En août dernier, a-t-elle enchaîné, les combats se sont soudainement intensifiés dans l’État shan, à la suite d’attaques coordonnées menées par une alliance d’organisations ethniques, y compris l’Armée arakanaise. Les villageois ont été piégés par les combats, et les travailleurs humanitaires auraient été délibérément pris pour cible et tués. Les discussions tenues le mois dernier entre la Commission nationale de réconciliation et de paix, mise en place par le Gouvernement, et les organisations armées ont entraîné une diminution des combats, mais des affrontements ont à nouveau éclaté lorsque le cessez-le-feu unilatéral déclaré par la Tatmadaw a expiré fin septembre.
Malgré de fréquentes conversations sur le rapatriement des réfugiés rohingya, la Rapporteuse spéciale s’est dite convaincue qu’il est dangereux pour eux de rentrer au Myanmar tant que les circonstances ayant conduit à leur expulsion ne sont pas corrigées.
Elle a fait savoir que le mois dernier, quelque 30 Rohingya ont été arrêtés parce qu’ils avaient quitté l’État rakhine. Ils ont été inculpés d’infractions pénales, se sont vu refuser l’accès à un avocat, puis ont été reconnus coupables et condamnés par un tribunal. Parmi eux, 21 adultes ont été condamnés à deux ans de prison, huit enfants ont été envoyés dans un centre de détention, alors qu’un enfant de 5 ans croupit en prison avec sa mère, s’est-elle indignée.
Ce traitement odieux est indicatif de ce qui attend tout Rohingya sur le retour. Et cela est aussi la situation quotidienne des 600 000 Rohingya restés au Myanmar, a-t-elle déploré.
Mme Lee a par ailleurs relevé que les autorités du Myanmar comparent la carte nationale de vérification délivrée de force aux Rohingya au Myanmar, à la carte verte délivrée aux résidents permanents aux États-Unis. Elle a expliqué que les Rohingya rejettent cette carte d’identité parce qu’elle les identifie en tant qu’étrangers et ne leur confère pas le statut de citoyenneté ou des droits. Cette carte ne résoudra pas le déni de citoyenneté, de nationalité et les droits des Rohingya, a-t-elle souligné.
Elle a par ailleurs appelé la communauté internationale à comprendre que la Commission d’enquête indépendante mise en place par le Gouvernement ne permettra pas de mettre un terme à l’impunité: preuve en est qu’en près de 15 mois, elle n’a produit aucun rapport.
En revanche, a souligné Mme Lee, des progrès importants ont été accomplis l’année dernière avec la mise en place du récent Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar. Elle s’est félicitée que la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) cherche à ouvrir une enquête sur des crimes présumés commis à la frontière entre le Bangladesh et le Myanmar, et que la Gambie envisage d’entamer une procédures auprès des la Cour internationale de Justice (CIJ) en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Elle a toutefois prévenu que la fin de l’impunité au Myanmar reste un objectif « ambitieux et lointain ».
Dialogue interactif
Le Myanmar a coopéré de bonne foi avec les rapporteurs spéciaux, et ce, depuis 1992, a fait valoir la délégation. Elle s’est dite attristée qu’à cette bonne foi, la communauté internationale ait répondu par la création d’un mécanisme motivé politiquement sous le prétexte des droits de l’homme. Pour elle, le rapport est en majeure partie « infondé, provocateur et biaisé » et ne reflète pas les problèmes que connaît l’État rakhine.
La délégation a affirmé que le Gouvernement a fait de la réconciliation et de la paix ses priorités tout en œuvrant à la mise en place de la justice sociale et de la primauté du droit. Les autorités ont en plus amendé la Constitution de 2008 pour qu’elle renforce les droits démocratiques de la population. Certes beaucoup reste à faire en matière de processus de paix, mais le Myanmar est prêt à promouvoir le dialogue.
La délégation s’est, par ailleurs, réjouie d’annoncer que son pays a connu une croissance économique rapide, atteignant 6,8% entre 2018 et 2019, tandis que la pauvreté a reculé passant de 48,2% en 2005 à 24,8% en 2017.
De plus, a-t-elle poursuivi, des investissements responsables et éthiques ont été lancés, avec comme objectif de contribuer à une croissance durable au profit des populations. Or, la persistance des sanctions ne contribuera qu’à nuire aux simples travailleurs, à leurs familles et enfants. Cela entravera le développement économique, a-t-elle déploré, insistant que ces sanctions n’ont pas permis d’atteindre leurs objectifs et ont constitué un fardeau suprême pour la population.
Le Myanmar défend le droit de réunion et de culte: toutes les religions cohabitent côte à côte, et cela depuis des siècles. Il a dit œuvrer à un rapprochement concerté avec le Bangladesh, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et d’autres partenaires. Il a mis en garde contre les manœuvres politiques qui, a-t-il prévenu, ne feront que prolonger le triste sort des populations. Il a également rejeté la recommandation de la Rapporteuse spéciale de transmettre la situation à la CPI ou de créer un tribunal spécial, car cela n’aboutirait, selon lui, qu’à des résultats contre-productifs.
Le Venezuela, qui s’exprimait au nom du Mouvement des pays non alignés, a réitéré sa position de principe concernant l’examen de situation dans des pays précis, estimant qu’il s’agit d’un instrument qui utilise les droits de l’homme en violation des principes d’objectivité et de non-sélectivité. Il a dénoncé la politisation de ces rapports, estimant que l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme est l’instrument idoine pour traiter des questions des droits de l’homme, sur la base du dialogue et de la coopération constructive.
Préoccupée par l’augmentation du nombre de prisonniers politiques et des cas d’autocensure, l’Union européenne a voulu savoir comment la communauté internationale peut s’assurer que la prochaine campagne électorale sera le reflet des normes démocratiques.
Le Liechtenstein a estimé que la reddition des comptes est une condition sine qua non au retour volontaire des Rohingya et s’est dit frustré par l’inaction du Conseil de sécurité s’agissant des cas à déférer à la CPI. Il a voulu savoir dans quelle mesure la Rapporteuse spéciale compte coopérer avec l’enquête de la CPI.
L’Irlande a demandé au Gouvernement du Myanmar de tout faire pour se doter d’un plan complet prévoyant le retour des réfugiés et l’arrêt des exactions dans le nord de l’État rakhine. S’agissant enfin des entreprises internationales installées dans le territoire, elle a voulu savoir quelles mesures sont prises à leur égard.
Considérant lui aussi la reddition des comptes comme un prérequis pour le retour des réfugiés rohingya, le Bangladesh a souligné la nécessité de parvenir à une complémentarité des mécanismes judiciaires. Il a voulu savoir comment la Rapporteuse spéciale envisageait cette complémentarité.
Le Royaume-Uni a regretté que le Gouvernement du Myanmar continue d’interdire l’accès à son territoire à la Rapporteuse spéciale et a dit partager ses préoccupations sur la situation dans l’État rakhine, s’agissant notamment de la répression, y compris en ligne, du retour des réfugiés et de la reddition des comptes, meilleur moyen selon lui de lutter contre l’impunité. À ce sujet, il a voulu savoir comment la société civile pourrait aider le Gouvernement du Myanmar face à ces défis.
Alarmée par les pressions exercées sur les déplacés internes, la République tchèque a voulu en savoir plus sur la situation des prisonniers politiques qui purgent des peines au Myanmar.
La Norvège a voulu savoir comment les entreprises internationales peuvent contribuer à mettre un terme aux exactions commises au Myanmar, jugeant par ailleurs essentiel que les coupables soient reconnus responsables de leurs actes par le biais d’un mécanisme d’enquête indépendant.
Dans la perspective des élections de 2020, la France a de son côté invité le Gouvernement du Myanmar à prendre les mesures nécessaires au bon déroulement du scrutin.
À son tour, le Luxembourg a voulu savoir comment l’aide au développement pourrait s’organiser pour venir en aide aux populations affectées par les exactions au Myanmar. Quelles sont les principaux risques dans le contexte électoral et que faire pour garantir la protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme? a-t-il encore demandé. L’Australie a voulu savoir comment les partenaires régionaux pourraient contribuer aux efforts de reddition des comptes.
Cuba a estimé que l’imposition de procédures spéciales sur un pays donné favorise l’affrontement et ne règle aucunement les préoccupations en matière de droits de l’homme, marquant sa préférence pour l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme.
L’Allemagne s’est interrogée quant aux conséquences des limites imposées à la liberté d’expression sur la légitimité des élections de 2020 au Myanmar, avant que les États-Unis demandent la libération immédiate des personnes retenues de manière arbitraire dans ce pays et le rétablissement de la liberté d’expression et des autres libertés fondamentales. Ils ont aussi exigé que soient créées les conditions propices au rapatriement librement consenti des réfugiés vers leur lieu d’origine ou un lieu de leur choix.
La République de Corée s’est de son côté félicitée de la stratégie de fermeture des camps et a espéré que cette mesure permettra de s’attaquer aux causes profondes de la crise que traverse le Myanmar.
Les Maldives ont réitéré leur appel au Gouvernement du Myanmar pour qu’il cesse toute atrocité et agression contre les Rohingya et autorise leur rapatriement dans un délai convenable.
La République populaire démocratique de Corée (RPDC) a rappelé son opposition de principe aux examens de pays et à la politisation des questions des droits de l’homme. Seul le dialogue constructif permettra de ramener la paix et la collaboration de tous au Myanmar, a-t-elle assuré. Abondant dans ce sens, le Burundi a souligné à son tour qu’avec l’Examen périodique universel, l’ONU dispose d’un mécanisme adéquat pour analyser la situation des droits de l’homme des pays sans sélectivité.
Le Viet Nam a estimé que trouver une solution durable à une situation aussi complexe que celle qui règne au Myanmar exige une approche holistique ainsi qu’un renforcement de la confiance et de la coopération. Il s’est félicité des efforts déployés par les pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) à cette fin. La République populaire lao s’est félicitée de l’attitude positive du Gouvernement du Myanmar pour faire face à la crise en collaboration avec le Bangladesh et l’ASEAN, tout en exprimant son opposition à l’examen de la situation des droits de l’homme dans des pays précis.
La Chine a déclaré que la communauté internationale devrait prendre note des progrès réalisés par le Myanmar et compatir avec lui face aux défis auxquels il est confronté. Elle a appelé à résoudre les problèmes dans l’État rakhine par la coopération.
Enfin, la Thaïlande a salué les initiatives du Gouvernement du Myanmar en matière de protection des droits des enfants. En tant que présidente en exercice de l’ASEAN, elle s’est dite prête à coopérer avec le Myanmar afin de faciliter le règlement de la crise, notamment le processus de rapatriement des réfugiés sur une base volontaire.
Dans un premier temps, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a expliqué que pour contribuer à la lutte contre la violation des droits de l’homme, les entreprises doivent faire preuve d’une diligence raisonnable. Elle a ensuite invité les États à consulter la liste élaborée par la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar relative aux entreprises affiliées à l’armée afin d’éviter tout projet avec ces entités.
Afin d’appuyer le processus de paix et la transition démocratique, elle a insisté sur l’inclusivité et la transparence, ainsi que sur la participation des minorités, dans le cadre d’une approche sexospécifique. Pour ce qui est de l’action de la société civile, elle a suggéré d’adopter une approche globale, guidée par les communautés, avec une participation au niveau local.
Passant au rétrécissement de l’espace démocratique, plutôt que d’adopter des lois sur les discours de haine qui reviendrait, selon elle, à museler certains droits, elle a proposé de mener une campagne de sensibilisation pour promouvoir la tolérance et la solidarité. Après avoir indiqué que le Myanmar compte 606 détenus politiques, Mme Lee a estimé, en ce qui concerne l’acheminement de l’aide humanitaire, que l’accès aux zones et provinces de l’est (États rakhine et shin) est essentiel.
Elle a par ailleurs encouragé le Conseil de sécurité à inviter les rapporteurs spéciaux dans le cadre des réunions en formule Arria. La Rapporteuse a également insisté sur la nécessité de mettre en place un mécanisme de reddition des comptes qui accorde une attention particulière à la perspective des victimes. Quant à l’avenir de son mandat, Mme Lee, dont la mission s’achève en mars prochain, a indiqué qu’elle n’en a pour l’heure « aucune idée ». Elle a témoigné se souvenir très bien d’Aung San Suu Kyi, avec laquelle elle a eu, à une époque, une « franche et candide conversation » et a indiqué qu’elle souhaiterait la rencontrer de nouveau pour « poursuivre cette conversation ».
Exposé du Président de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar
M. MARZUKI DARUSMAN, Président de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, a indiqué que les persécutions flagrantes à l’encontre des Rohingya continuent sans relâche, et pour les 600 000 d’entre eux vivant dans l’État rakhine, la situation demeure inchangée, concluant à la « ferme intention génocidaire » de la part de l’État et à un grave risque récurrent de génocide. Les politiques, lois, individus et institutions qui ont permis les brutales opérations de « nettoyage » en 2016 et 2017 demeurent en place et vivaces. En dépit des recommandations de la « Commission Kofi Annan », les lois discriminatoires demeurent en place, notamment la loi de 1982 sur la citoyenneté. Il a pointé le système de cartes nationales de vérification, expliquant que celles-ci ont contribué à exclure encore davantage les Rohingya qui étaient autrefois reconnus comme citoyens et sont aujourd’hui victimes d’exclusion.
La situation des déplacés rohingya reste éminemment préoccupante, a poursuivi M. Darusman, qui a affirmé que contrairement aux affirmations du Gouvernement, les camps n’ont pas été fermés et ceux qui s’y trouvent vivent une véritable ségrégation. Le retour de près d’un million de réfugiés dans ces conditions est impossible et le plan de rapatriement du Gouvernement, a-t-il fustigé, « clairement inadéquat ».
De graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire ont été commises par la Tatmadaw (forces armées) lors d’une série d’attaques menées ces derniers mois dans le nord de l’État rakhine et le sud de l’État chin. Par ailleurs, dans le nord du pays, l’accalmie dans l’État kachin contraste avec l’intensification des hostilités dans l’État shan depuis le mois d’août.
M. Darusman a appelé le Conseil des droits de l’homme à dédier des ressources adéquates, régulières, solides et prévisibles aux mécanismes d’enquête et de surveillance indépendants et l’Assemblée générale à garantir le soutien politique et financier indispensable à de tels mandats.
En l’absence de résultats tangibles, il a estimé que les États devront envisager des mesures supplémentaires, à commencer par la création d’un tribunal spécial.
De plus, face à l’absence de mécanismes de reddition des comptes au niveau domestique, d’autres voies devraient être explorées pour dissuader de nouvelles violations, dont l’imposition de sanctions ciblées et le gel des investissements dans l’État rakhine. La catastrophe des droits de l’homme n’est pas terminée, le Gouvernement du Myanmar reste défiant ou, au mieux, pas concerné, et l’heure n’est pas à la complaisance car la situation demeure urgente, a-t-il souligné.
Dialogue interactif
Le Myanmar a indiqué que sa participation à ce dialogue interactif ne devait pas être interprétée comme une volonté de reconnaître le mandat de l’ancienne mission d’établissement des faits. Il a dit avoir entendu du Président de cette structure des « accusations infondées basées sur des sources secondaires ». Il a ensuite déclaré qu’il prenait la question de la reddition des comptes au sérieux, estimant que les responsables des flux de populations vers le Bangladesh devront répondre de leurs actes. Toutefois, a-t-il fait valoir, le Myanmar n’entend pas céder à des pressions extérieures et le mandat de l’ancienne mission allait au-delà des prérogatives du Conseil des droits de l’homme.
Assurant que son gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour traduire ses engagements en matière des droits de l’homme dans la pratique, le Myanmar a qualifié la situation dans l’État rakhine de défi pour sa jeune démocratie. Selon lui, le point de vue de la Commission consultative sur les faits à l’origine de la crise n’est pas assez large. Les attentats d’octobre 2016 ont, selon lui, causé le flux des réfugiés. L’année suivante, la mission d’établissement des faits a vu le jour, une structure dont il a immédiatement mis en doute le bien-fondé. Trois rapports ont depuis été publiés, qui reprennent des témoignages sans apporter de preuves solides, a-t-il relevé, déplorant que ces documents présentent les forces de sécurité du Myanmar comme les auteurs d’exactions, sans faire mention des mouvements terroristes qui ont entraîné les affrontements et les déplacements de population dans l’État rakhine.
Le Myanmar s’est déclaré alarmé par les recommandations « politiquement motivées et biaisées » figurant dans le rapport final. Selon lui, cela jette le discrédit sur le Conseil des droits de l’homme et le système de l’ONU dans son ensemble. Faisant état de menaces de mort et d’intimidations qui ont rendu impossibles les rapatriements de Rohingya, il a affirmé que des terroristes auraient pris place au sein des camps de réfugiés au Bangladesh. Il a d’autre part rappelé son engagement sans faille à assurer la reddition des comptes, affirmant être prêt à le faire quand les preuves seront suffisantes. Il a indiqué que la Commission d’enquête indépendante du Myanmar servira de commission d’établissement des faits, précisant que celle-ci attend actuellement l’approbation du Gouvernement du Bangladesh pour mener des enquêtes dans le camp de Cox’s Bazar. Parallèlement, le Myanmar œuvre avec le Bangladesh, le PNUD et d’autre partenaires au rapatriement des réfugiés sur une base volontaire.
L’Union européenne s’est félicitée du travail de l’ancienne mission d’établissement des faits et du fait que le Mécanisme d’enquête indépendant soit désormais opérationnel. Elle a voulu savoir quelles mesures M. Darusman suggérerait à la communauté internationale pour assurer le suivi des recommandations de l’ex-mission d’établissement des faits.
L’Australie a voulu savoir dans quelle mesure les États pourraient aider le Mécanisme dans son fonctionnement, de même que le Royaume-Uni, qui a également espéré que la commission d’enquête instaurée par le Myanmar pourra rétablir la confiance avec la population rohingya. L’Irlande s’est interrogée sur les meilleurs moyens de garantir la reddition des comptes face aux crimes sexuels et sexistes commis au Myanmar. De son côté, l’Indonésie a exhorté le Myanmar à intensifier sa coopération avec le PNUD et ses partenaires de l’ASEAN, tout en l’invitant à accorder la priorité aux questions humanitaires.
Le Bangladesh a estimé que le dernier rapport de M. Darusman contient une quantité de nouvelles informations sur les violations subies par les 600 000 Rohingya qui vivent encore au Myanmar. Cela complique d’autant plus le retour des plus de 1,2 million de Rohingya présents au Bangladesh, a-t-il souligné. Si le Mécanisme d’enquête indépendant va effectivement prendre la suite de la mission indépendante d’établissement des faits, le délai imparti à ce mécanisme se réduit comme peau de chagrin, a-t-il déploré, estimant qu’il est du ressort du Mécanisme de renvoyer des affaires devant la CPI. Il a enfin assuré que ses forces de sécurité restent vigilantes dans les camps comme celui de Cox’s Bazar et adopte une tolérance zéro vis-à-vis des éléments terroristes.
Le Liechtenstein a demandé comment s’effectuera le transfert des cas vers la CPI.
La Fédération de Russie a dénoncé une approche biaisée, jugeant que le rapport de M. Darusman a toutes les caractéristiques d’un document politique. L’ancienne mission d’établissement des faits présente « comme évangiles » ses propres conclusions controversées, lesquelles n’ont rien à voir avec les droits de l’homme, a-t-elle déploré. Elle a également contesté les propositions visant à remplacer les entreprises installées au Myanmar, y voyant un instrument de concurrence déloyale. Cela ne justifie certainement pas les moyens alloués à la mission, a-t-elle conclu, estimant que la réduction de la crise à la frontière entre le Myanmar et le Bangladesh ne pourra passer que par la coopération.
Les États-Unis ont félicité M. Darusman de la documentation très étayée de son rapport, qui fait notamment apparaître l’ancrage profond de l’impunité au Myanmar. Ils ont exhorté le Gouvernement du Myanmar à reconnaître les exactions et à tenir les auteurs redevables de leurs actes, afin de permettre le retour sûr et volontaire des populations rohingya. Ils ont d’autre part regretté l’absence de coopération du Myanmar avec la mission et appelé le Gouvernement à coopérer désormais avec le Mécanisme d’enquête indépendant. Enfin, ils ont souhaité savoir quelles mesures pourrait prendre la communauté internationale pour faire en sorte que les forces de sécurité du Myanmar changent de comportement.
Le Président de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar a tout d’abord fait observer que cela fait « près de 30 ans » que les Nations Unies sont saisies de cette question sans réel progrès, et que cinq rapporteurs spéciaux ont été successivement chargés de la situation au Myanmar.
Si « elle veut connaître la vérité sur le Myanmar », il a invité la communauté internationale à revenir sur le premier rapport pour constater la récurrence des violations et des atrocités commises dans le pays. Il a également établi une corrélation entre les activités commerciales de la Tatmadaw et sa capacité à commettre des atrocités, notant que cette dernière opère sans les contraintes du budget national et peut commettre des atrocités « en toute liberté ». Il a appelé à appuyer la mission qu’il préside, qui doit à présent préparer d’éventuelles poursuites. Il a aussi appelé à la mise en œuvre de toutes les recommandations de la Commission consultative sur l’État rakhine. « Jusqu’à aujourd’hui, avant que la Mission ait rendu compte de ses travaux, il était peut-être urgent d’attendre. Il est maintenant urgent d’agir », a-t-il dit.
Reprenant la parole, le représentant du Myanmar a voulu proposer une autre solution après 30 ans de travail « infructueux » et de supervision en matière des droits de l’homme. « Nous devrions peut-être revoir le système et le mandat », a-t-il suggéré ironiquement.
Exposé du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée
« Pas de libertés, pas de rations, pas d’activités commerciales, la surveillance et le risque de répression, pas de bonheur pour qui que ce soit dans les zones agricoles », tels sont les mots d’une femme qui s’est échappée de la RPDC et qui ont été confiés à M. TOMÁS OJEA QUINTANA, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC).
M. Quintana est tout d’abord revenu sur l’insécurité alimentaire qui règne en RPDC, et qui met à mal le droit à l’alimentation et le droit à un niveau de vie suffisant. Onze millions de personnes, soit presque la moitié de la population, sont sous-alimentées. Selon les estimations, en 2019, 140 000 enfants souffraient de sous-alimentation, et 30 000 enfants faisaient face à un risque accru de décès. Il a pointé l’échec des politiques économiques et agricoles du Gouvernement.
Par ailleurs, des discriminations généralisées au sein du système de distribution signifient que les citoyens ordinaires, notamment les agriculteurs et les habitants de zones rurales, ne reçoivent pas de ration, tandis que la collectivisation de l’agriculture accentue la situation d’insécurité alimentaire. Le Gouvernement a également échoué à mettre en place des conditions permettant à la population de participer à des activités commerciales sans encourir le risque d’être pénalisée ou victime d’extorsion ou d’autres formes d’abus, alors que la majorité de la population prend part à de telles activités dans un souci de survie.
Il est ironique de constater que l’échec du Gouvernement à correctement réglementer cette activité commerciale émergente provoque un creusement des inégalités sur la base des richesses.
Par ailleurs, a poursuivi M. Quintana, la surveillance des citoyens et autres restrictions sévères des libertés sont toujours répandues en RPDC. Les journaux, la radio, la télévision et Internet sont complétement sous le contrôle du Gouvernement. Ce dernier a aussi mis en place un système de surveillance par les citoyens eux-mêmes qui renforce encore un contrôle rapproché des populations.
Le Rapporteur a également expliqué que la population continue de vivre dans la peur d’être envoyée dans un camp de prisonniers politiques (kwanliso). « Si l’on vous considère comme un espion ou un traître, vous pouvez être arrêté et jamais revu », a-t-il dit, ajoutant que les familles ne sont jamais informées du sort de leurs proches. De plus, le Gouvernement n’a pas souhaité écouter l’appel de M. Quintana visant à relâcher progressivement des prisonniers, estimant que cela nuirait à la sécurité de l’État.
M. Quintana a également indiqué que les disparitions forcées touchent aussi les ressortissants de la République de Corée kidnappés pendant et après la guerre de Corée, ainsi que des Japonais et des personnes d’autres nationalités qui ont été enlevés dans les années 70 et 80. M. Quintana s’est aussi inquiété de l’augmentation du nombre de nord-coréens détenus en Chine et des cas de rapatriement forcé vers la RPDC, avertissant qu’il porte à croire que ces personnes pourraient être sujettes à la torture et à d’autres violations sérieuses des droits de l’homme si elles venaient à être rapatriées.
M. Quintana a regretté que depuis trois ans qu’il a été investi de son mandat, il n’a vu aucune amélioration dans la situation des droits de l’homme en RPDC, tout en se disant convaincu de l’importance de tenter un engagement constructif auprès des autorités comme stratégie pour améliorer la situation des droits de l’homme.
Ainsi, en mai dernier, la RPDC a participé au troisième Examen périodique universel et accepté 132 recommandations en matière de droits de l’homme, dont celle de garantir un accès aux organisations internationales humanitaires en vue de fournir une assistance aux plus vulnérables, y compris les prisonniers. De l’avis du Rapporteur, le système des Nations Unies sur le terrain devrait appuyer les autorités à mettre en œuvre ces recommandations. Toujours en mai dernier, a-t-il poursuivi, une délégation de la RPDC a participé à un atelier de trois jours sur les droits de l’homme organisé par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
Dialogue interactif
L’Union européenne s’est félicitée du fait que la délégation de la RPDC se soit rendue à Genève dans le cadre de l’Examen périodique universel. Elle a demandé au Rapporteur spécial de lui fournir des suggestions sur ce que la communauté internationale pourrait faire pour appuyer les experts de la reddition de comptes.
Les États-Unis ont condamné les cas de torture contre des militants et les violations dans les camps d’emprisonnement en RPDC. Ils ont appelé les autorités de ce pays à libérer tous les détenus politiques et à lever l’embargo sur les technologies de l’information et des communications. Ils se sont aussi déclarés très préoccupés par les cas de disparitions et d’avortements forcés dans ce pays.
Appelant le Gouvernement de la RPDC à respecter l’aspiration à la liberté de sa propre population et à fermer les camps de prisonniers politiques, la Suisse a observé qu’en 2019, diverses initiatives pour la tenue de dialogues de haut niveau ont eu lieu. Elle a voulu savoir, à ce sujet, quelles possibilités permettraient de mettre en avant le respect des droits de l’homme dans les dialogues politiques.
L’Argentine a constaté qu’en dépit de développements récents, les relations intercoréennes ne se sont pas améliorées ces dernières années. Elle a voulu savoir quelles sont les mesures que la communauté internationale pourrait prendre pour assurer une collaboration active de tous les acteurs aux négociations avec la RPDC.
La République tchèque s’est elle aussi déclarée particulièrement préoccupée par les camps d’emprisonnement et a exhorté les autorités à en garantir l’accès aux enquêteurs internationaux.
Le Japon a dénoncé les enlèvements de ressortissants étrangers et de membres de leurs familles en RPDC, exigeant le retour de toutes ces victimes. Il a aussi estimé qu’avant de tirer un bilan négatif des sanctions, il conviendrait de s’assurer que la RPDC ne prive pas sa population de ressources au profit de son programme militaire.
S’agissant des familles séparées des deux Corées, la République de Corée a rappelé que la RPDC a accepté de traiter ce problème et l’a invitée à accélérer la collaboration sur le sujet.
La République arabe syrienne a réaffirmé sa position de principe contre l’utilisation de cette enceinte pour cibler un pays tout en fermant les yeux sur les agissements d’autres pays et a appelé à opter pour les relations amicales et le dialogue constructif.
L’Australie a estimé que la communauté internationale doit continuer d’exercer des pressions pour que la RPDC améliore les conditions de vie et de subsistance de la population de la RPDC, et que la reddition de compte puisse avoir lieu dans ce pays.
La Fédération de Russie s’est dite déçue par ce « rapport politisé » sur la situation des droits de l’homme en RPDC, déplorant même un gaspillage inefficace des ressources de l’ONU. Elle a fait valoir que l’examen de la situation par pays doit se faire dans le seul cadre de l’Examen périodique universel.
L’Allemagne a déploré la poursuite des violations systématiques en RPDC, se disant préoccupée du sort des personnes qui y sont détenues dans des conditions terribles. À ce sujet, elle a voulu savoir quelles nouvelles possibilités seront données à la communauté internationale de contribuer à l’amélioration de la situation des droits de l’homme en RPDC.
La France a condamné les atteintes à la liberté d’expression et au droit à l’alimentation ainsi que les disparitions forcées. Dans ce contexte, elle a encouragé la RPDC à prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre les violences faites aux femmes.
Cuba a réaffirmé qu’il n’appuie pas les mandats de pays donnés, qui sont, selon elle, le fruit d’un exercice discriminatoire mu par des objectifs politiques.
Que faire pour que les réfugiés légitimes ne soient pas rapatriés de force en traversant les frontières internationales, a demandé le Royaume-Uni.
Le Burundi a estimé que le Conseil des droits de l’homme devrait éviter les confrontations et opter pour le dialogue avec les États.
La Norvège a exhorté le Gouvernement de la RPDC à travailler avec la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.
Le Bélarus a indiqué qu’il ne cautionne pas la création de mécanismes de confrontation qui ne permettent pas d’améliorer la situation des droits de l’homme dans les pays concernés. Il a dénoncé des rapports de pays biaisés et politisés, qui sont totalement déconnectés de la réalité.
La République islamique d’Iran a elle aussi réaffirmé son opposition aux rapports de pays utilisés à des fins politiques, réitérant sa conviction selon laquelle l’Examen périodique universel est le mécanisme le plus à même de permettre le traitement de ce type de questions. Ce point de vue a été partagé par le Viet Nam qui s’est par ailleurs inquiété des enlèvements en RPDC.
Enfin, la Chine a rappelé qu’elle s’est toujours engagée en faveur de la dénucléarisation de la péninsule coréenne et du règlement des différends entre les deux Corée par le dialogue. S’agissant des ressortissants de la RPDC qui entrent en Chine illégalement, elle a assuré que son gouvernement s’était emparé de la question et s’est dite préoccupée par la mention faite à ce sujet dans le rapport.
Dans un premier temps, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée a déploré l’absence « de nouveau » du Représentant de la RPDC à la réunion. Dès lors, a-t-il poursuivi, ce dialogue interactif pêche du fait de l’absence des concernés. Il a rappelé que son mandat a été mis en place par consensus par le Conseil des droits de l’homme, avant de réitérer son appel au Gouvernement de la RPDC qui, a—t-il souligné, a le devoir de coopérer avec la communauté internationale, conformément à la Charte des Nations Unies. Il s’agit là d’un problème grave. Nonobstant ce qui précède, les rapporteurs ont besoin de l’accès à une source crédible pour refléter la situation sur le terrain, a-t-il souligné, tout en assurant avoir fait montre d’impartialité et d’indépendance dans son rapport.
La RPDC est contre ce mandat et n’a pas coopéré non plus avec d’autres mécanismes des Nations Unies, a-t-il poursuivi. En réponse à une question sur la reddition des comptes en cas de crime contre l’humanité, M. Quintana a rappelé qu’un rapport d’enquête de 2014 des Nations Unies a établi l’existence de crimes contre l’humanité et que la recommandation de saisir la CPI n’a pas été suivie par le Conseil de sécurité. Pour lui, il faut continuer d’insister sur l’importance de cette considération. Il a reconnu que cela prendra du temps mais a jugé cette démarche indispensable. Il a également beaucoup insisté sur la possibilité d’instaurer une coopération avec la RPDC en élaborant, par exemple une stratégie à cette fin.
L’Examen périodique universel (EPU) reste un autre format pertinent, d’autant plus que ce mécanisme reste le seul avec lequel la RPDC est disposée à collaborer. Mais, a-t-il nuancé, le problème de l’accès au pays reste un obstacle majeur. Il a saisi l’occasion pour lancer un appel en faveur de la réunification des familles. Cette question ne doit pas être politisée, a-t-il martelé, avant de poursuivre: il s’agit de personnes âgées qui n’ont plus le temps d’attendre. Quant au traité de paix sur un accord de dénucléarisation, il a appelé à ne pas « perdre de vu l’importance de l’aspect droit de l’homme dans ces négociations ». Tout en se félicitant, par ailleurs, de la coopération instaurée par la Chine sur le cas des personnes qui ont fui la RPDC, il a recommandé d’examiner la question du rapatriement au cas par cas par peur de mesures de représailles.
Suite du débat général
M. ZHANG JUN (Chine) a fait part de l’engagement de son pays à œuvrer à la construction d’une paix durable, tout en développant la coopération et en assurant la promotion des droits de l’homme. Ces 70 dernières années, depuis la création de la République populaire de Chine, des progrès majeurs ont été enregistrés.
S’adressant aux États-Unis qui ont tenté d’utiliser la question des défenseurs des droits de l’homme pour s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine, le représentant a indiqué que s’attaquer aux plus faibles n’apporte rien de constructif. Certains aiment donner des leçons en matière de droits de l’homme mais ce sont ceux-là même qui font fi du multilatéralisme et qui se retirent des accords internationaux à leur bonne guise. « Nous les exhortons à renoncer à ces pratiques obsolètes et à se pencher sur leur situation des droits de l’homme », a ajouté M. Zhang, faisant référence aux souffrances de leur population à cause notamment des armes à feu et de la discrimination raciale. « Charité bien ordonnée commence par soi-même », a-t-il ajouté.
Droit de réponse
Les Philippines ont regretté la résolution soumise par l’Islande au sein du Conseil des droits de l’homme et qui a été adoptée à une courte majorité de 18 voix sur un total de 47. Pour elles, la validité n’est pas avérée, du fait que le processus est en violation des principes universels de l’ONU, à savoir, la transparence, l’objectivité, la non-sélectivité et l’indépendance. Pour la déléguée, la valeur du dialogue a été rejetée et seule la voix de l’accusateur a été entendue. Il s’agit pour elle ni plus, ni moins que d’un « profilage raciale ».