Conférence sur la biodiversité marine: quels principes retenir pour réglementer les outils de gestion des zones de haute mer?
Deux groupes de travail se sont réunis aujourd’hui dans le cadre des discussions sur un futur traité relatif au droit de la mer, qui aura pour but « la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les zones marines ne relevant pas des juridictions nationales », des zones de haute mer qui représentent 64% des océans.
Au lancement de la Conférence, mardi, le Conseiller juridique de l’ONU, M. Miguel de Serpa Soares, avait souligné l’importance d’un tel instrument juridiquement contraignant: des océans et des mers durables peuvent contribuer à l’éradication de la pauvreté, à une croissance économique soutenue, à la sécurité alimentaire, à la création de moyens de subsistance durables et à la résilience face aux changements climatiques.
Sur les quatre grands thèmes qui seront abordés au cours des deux semaines de session, la question « renforcement des capacités et transfert des technologies marines » a été traitée par un premier groupe de travail informel, qui a achevé ses travaux ce matin après plus d’une journée de débats. « Je commence à voir la conversation prendre forme », s’est réjouie la facilitatrice, Mme Ngedikes Olai Uludong, des Palaos.
De manière générale, il a été demandé que le principe de renforcement des capacités soit appliqué à tous les aspects de mise en œuvre de l’instrument et, en plus, en tenant compte des besoins spécifiques de chaque pays. C’est ce qu’a suggéré notamment l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) qui a exprimé une autre exigence: le processus de renforcement des capacités doit être mené par les pays eux-mêmes.
Sur le plan financier, le Togo a proposé la création d’un fonds pour le financement du renforcement des capacités, une idée partagée par la représentante de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Le deuxième groupe de travail à se réunir cette semaine fut celui chargé de la question « outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées et autres mesures ». Sous la houlette de la facilitatrice Mme Alice Revell, de la Nouvelle-Zélande, il a commencé par réfléchir aux « objectifs » de ces outils.
Les délégations ont semblé s’accorder sur le principe que ces outils doivent correspondre aux objectifs généraux du nouvel instrument, à savoir la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer et la santé et la résilience des océans. Cela exige une définition générale claire de ces outils, a-t-on demandé.
L’Union européenne a estimé que ces outils de gestion par zone sont essentiels pour que les États parties du futur instrument s’acquittent des obligations qui leur incomberont.
Les deux groupes de travail ont donné l’occasion aux participants à la Conférence de répéter, comme les jours précédents, que la conception d’un nouvel instrument doit s’appuyer sur les acquis et leçons tirées des instruments existants. Ils ont appelé à garantir la compatibilité et la cohérence des instruments juridiques, rejetant par la même occasion toute « superposition », tout « chevauchement » ou toute « hiérarchie » entre les différents textes internationaux.
Pour les outils de gestion par exemple, la priorité doit être d’identifier les lacunes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer avant de définir des outils de gestion plus larges visant à réduire les risques pour la biodiversité en haute mer, a estimé l’observateur du Saint Siège.
« Les effets de notre nouvel instrument sur les instruments existants devront être finement analysés », a conclu le délégué uruguayen.
La Conférence intergouvernementale poursuivra ses travaux lundi 10 septembre, à partir de 10 heures.
CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE SUR UN INSTRUMENT INTERNATIONAL JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT SE RAPPORTANT À LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER ET PORTANT SUR LA CONSERVATION ET L’UTILISATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ MARINE DES ZONES NE RELEVANT PAS DE LA JURIDICTION NATIONALE
Groupe de travail informel sur le renforcement des capacités et le transfert des technologies marines: suite et fin de la discussion
Les délégations ont abordé ce matin le point 6.5 du guide de la présidence établi pour faciliter les débats (document 2018/3) intitulé « Questions soulevées par les éléments interdisciplinaires ».
Le représentant du Groupe des 77 et la Chine, celui de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) ainsi que d’autres délégations ont demandé qu’il y ait une définition claire de ce qu’on entend par « techniques marines » dans le contexte du renforcement des capacités et le transfert de ces techniques, un point de vue que l’Union européenne ne partage pas. Cette délégation veut, d’une part, éviter des définitions trop précises sans qu’il y ait une raison et, d’autre part, souligne que les techniques marines risquent d’évoluer dans le temps. Pour le Groupe des États d’Afrique et la Norvège, la question des définitions devrait être abordée beaucoup plus tard en fonction des besoins.
Les délégations ont ensuite abordé le cas des petits États insulaires en développement (PEID). Il a été demandé à plusieurs reprises que leurs circonstances particulières soient reconnues dans le nouvel instrument. Le représentant du Canada, ainsi que d’autres intervenants, sont en faveur de la définition d’approches et de principes pour l’aide aux États qui doivent se doter des capacités de mise en œuvre des dispositions de l’instrument. Beaucoup préfèrent l’utilisation des meilleurs instruments existants avant de chercher à créer de nouveaux mécanismes.
Évoquant de manière plus large la question du renforcement des capacités, l’AOSIS a souhaité que ce principe soit appliqué à tous les aspects de mise en œuvre de l’instrument et, en plus, en tenant compte des besoins spécifiques de chaque pays. Le groupe a également précisé que le processus de renforcement des capacités doit être mené par les pays eux-mêmes.
Concernant l’aide dont les pays ont besoin pour augmenter leurs capacités, l’AOSIS a plaidé en faveur d’un mécanisme clair pour faire appliquer « l’obligation de coopérer » et ne pas avoir à dépendre uniquement de « promesses non contraignantes ». Allant dans le même sens, le Togo a souligné la nécessité de créer un fonds pour le financement du renforcement des capacités, une idée partagée par la représentante de l’Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (UICN) qui a défendu le bien-fondé de la création d’un fonds spécifiquement consacré à la biodiversité en haute mer et qui financerait notamment les transferts de techniques marines.
Comme l’a dit le représentant de la Guinée, « si nous sommes là pour négocier un instrument juridiquement contraignant, il faut arrêter d’éviter les obligations contraignantes » qui doivent être mises à la charge des pays, notamment en ce qui concerne le transfert des techniques marines. En même temps, il a évoqué la possibilité d’envisager une base volontaire, en fonction du niveau de chaque pays dans les secteurs donnés. La liste des obligations contraignantes pourrait être révisée de manière périodique, a—t-il suggéré. En conclusion, il a déclaré que « continuer à parler de volontarisme nous fait perdre du temps ».
En ce qui concerne les institutions, le besoin d’un secrétariat pour le nouvel instrument a fait l’unanimité; certains ont proposé que ce rôle soit attribué à la Conférence océanographique internationale de l’UNESCO. Le représentant du Bangladesh a proposé que l’Autorité internationale des fonds marins assure la coordination et la coopération du renforcement des capacités de techniques marines.
De manière plus générale sur ce point, le Groupe des États d’Afrique a appelé à capitaliser sur les acquis et leçons tirées des instruments existants -la Convention sur la diversité biologique, le Protocole de Nagoya, la Convention de Stockholm et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer- qu’il s’agisse de l’obligation faite aux États de coopérer en matière de renforcement des capacités et transfert des techniques marines, ou des arrangements institutionnels dans ce domaine.
Les intervenants se sont également dits en faveur de la création d’un centre d’échange des bonnes pratiques et de l’information, cependant la délégation de la Suisse a estimé que le rôle d’un tel centre ne devrait pas se limiter aux techniques marines mais avoir une portée plus large.
Groupe de travail sur les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées et autres mesures
La facilitatrice de ce Groupe de travail, Mme ALICE REVELL (Nouvelle-Zélande), a limité les interventions de ce matin au point 4.1 du guide établi spécialement pour faciliter les débats (document 2018/3), qui porte sur les « objectifs » des outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, et la question de savoir si ces objectifs devraient s’appliquer à l’ensemble des outils de gestion par zone.
Pour le Groupe des 77 et la Chine, l’AOSIS, l’Union européenne (UE), le groupe des petits États insulaires en développement (PEID) et les membres de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), ces outils de gestion par zone doivent correspondre aux objectifs généraux du nouvel instrument, à savoir la conservation et d’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer et la santé et la résilience des océans. À terme, ces outils pourraient éventuellement être définis en fonction de domaines spécifiques. Mais il faut tout d’abord une définition générale claire de ces outils, ont exigé d’autres délégations. Le représentant du Mexique a même suggéré, pour plus de clarté, de définir les activités qui pourraient être autorisées au cas par cas, par zone, et sur la base des meilleures données scientifiques.
De son côté le représentant de l’Union européenne a estimé que ces outils de gestion par zone sont essentiels pour que les États parties du futur instrument s’acquittent des obligations qui leur incomberont. L’UE considère que la valeur ajoutée de ce nouvel instrument est précisément de mettre en place un réseau d’aires marines protégées à l’échelle mondiale avec des mesures et des niveaux de protection clairs pour chacune d’entre-elles, ce qui suppose notamment que ces aires soient clairement identifiées par rapport aux zones adjacentes.
Sur une note discordante, le représentant de la Fédération de Russie a demandé que le nouvel instrument se limite au choix de certains principes, sur la base desquels les organismes existants prendraient des décisions concernant les zones protégées. De telles zones doivent être définies sur une base scientifique connue, a-t-il souhaité en voulant que l’on choisisse clairement les objectifs à réaliser et que ces objectifs aient un lien direct avec la conservation et l’utilisation de la biodiversité. Sa délégation, a-t-il précisé, n’est pas en faveur de la création ad vitam eternam de telles aires marines protégées. Son idée est de supprimer ces zones une fois les objectifs atteints.
Rebondissant sur les exigences de son homologue russe, la représentante de la Nouvelle-Zélande a passé en revue une série d’outils de référence scientifiques existants déjà qui pourraient être utilisés pour définir les aires marines protégées et leurs objectifs spécifiques.
Le délégué de la Fédération de Russie a aussi fait remarquer que la pêche dans ces zones ne relevant pas de la juridiction nationale ne représente qu’une part infime de la pêche mondiale, de quoi il a déduit que cette activité ne devrait pas être règlementée par le nouvel instrument. Lui répondant sur ce point, le représentant du Sénégal a fait valoir que, de nos jours, toutes les pêcheries sont en train de dégringoler parce qu’il n’y a plus de ressources au niveau côtier. Par conséquent, a-t-il argué, de plus en plus de pays vont se tourner vers la haute mer pour y trouver des ressources, d’autant plus que la technologie le permet.
Pour l’observateur du Saint Siège, la priorité devrait être d’identifier les lacunes de la Convention sur le droit de la mer avant de définir des outils de gestion plus larges visant à réduire les risques pour la biodiversité en haute mer dans leur ensemble. Il ne faut pas se limiter aux poissons et à la pollution, a-t-il ajouté. En outre, « le réseau mondial des zones protégées doit avoir des bases solides à court et à long terme ». Dans cet esprit, le Sénégal a proposé d’opter pour une approche écosystémique dans la définition des outils de gestion des aires marines protégées, ce qui englobe la conservation et la gestion durable.
La discussion s’est déplacée sur le point 4.2 du document de référence: « Relation avec les mesures associées aux instruments, cadres et organes pertinents. »
Le délégué du Groupe des 77 et de la Chine a demandé la transparence, la gestion intégrée et une utilisation durable des instruments juridiques existants, tandis que son homologue de l’Union européenne a demandé le respect des mandats des organes existants. Le nouvel instrument ne doit pas saper les textes existants et devrait inclure des mesures de coopération avec ces derniers, a-t-il dit, appuyé en cela par l’Uruguay, qui a rappelé que tous les États Membres ne sont pas parties à la Convention sur le droit de la mer, même si celle-ci est « le point de départ de nos discussions ». « Les effets de notre nouvel instrument sur les instruments existants devront être finement analysés », a déclaré le délégué uruguayen.
« Le nouvel accord ne doit pas se superposer aux autres », a renchéri la délégation du Japon, à l’instar de l’Islande. Le délégué de la Fédération de Russie a déclaré que les organes créés par le nouvel instrument ne seront pas plus compétents que ceux existants, tandis que l’Australie a demandé que le nouvel instrument renforce la cohérence des mesures existantes sans les « hiérarchiser ». Il est impérieux de renforcer la coopération entre les organes existants, a déclaré le Togo.
Le délégué du Chili, pays qui compte un secteur de pêche très important, a plus spécifiquement demandé le respect de l’Accord sur les stocks de poissons et une compatibilité des instruments. « Le Chili ne cherche pas créer de nouveaux droits autres que ceux prévus par l’Accord sur les stocks de poissons et la Convention de 1982, mais nous voulons l’application de ces droits. »
La due protection des droits des États côtiers adjacents a par ailleurs été réclamée par de nombreux délégués, notamment ceux de Maurice, du Japon et des Maldives. Les États côtiers adjacents doivent être consultés dans la création d’une aire marine protégée, afin d’éviter des conflits d’interprétation par rapport à la Convention de 1982, a dit le délégué de l’UE. Le représentant de Nauru, au nom des PEID, a, lui, réclamé qu’une consultation obligatoire des États côtiers adjacents soit prévue par le nouvel instrument. Nous comprenons les préoccupations des États côtiers adjacents, a déclaré le délégué de la Chine, qui a, lui aussi, mis en garde contre un « chevauchement » des outils existants.
Les États côtiers adjacents doivent être associés à l’élaboration des instruments de protection régionaux, a déclaré le représentant des États-Unis. S’agissant de la création d’un mécanisme de consultation des États côtiers, le délégué russe a dit que cela n’est pas suffisant pour prendre en compte les intérêts de ces États. « Il doit y avoir une reconnaissance de l’intérêt particulier de ces États et une préservation de leurs droits sur toutes les zones relevant de leur juridiction nationale », a tranché le représentant du Canada, reconnaissant que ce dernier point devrait faire l’objet de convergence parmi les délégations.
Le dernier point examiné aujourd’hui fut le point 4.3 du document de référence intitulé « Procédure relative aux outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées ».
La meilleure procédure à adopter relativement aux outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, doit prendre en compte les intérêts de tous les États Membres et être cohérente, a déclaré le délégué de Singapour. Cette procédure pourrait être d’application mondiale, régionale, sectorielle ou hybride, a envisagé la représentante de la Nouvelle-Zélande, en soulignant l’importance des organisations régionales.
Cette procédure doit se fonder sur les éléments scientifiques les plus rigoureux possible, a exigé l’Égypte, au nom du Groupe des 77 et de la Chine. Son homologue des Maldives, au nom des PEID, a lui aussi demandé que la procédure à adopter relativement aux outils de gestion par zone soit basée sur des critères scientifiquement rigoureux et adoptée suivant la règle du consensus. Il a également insisté sur l’expertise des PEID en la matière.
La décision d’une création d’une aire marine protégée sera prise par les États parties au prochain accord, a rappelé le délégué de l’Union européenne, tout en souhaitant que les consultations à ce sujet incluent tous les États, ainsi que la société civile. Il a demandé que ces consultations soient limitées dans le temps, inclusives et transparentes et souhaité, lui aussi, que la procédure se fonde sur des éléments scientifiques les plus rigoureux possibles.