Le Comité spécial de la Charte entame sa session de 2018
Le Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation, organe subsidiaire de l’Assemblée générale qui formule des recommandations pour encourager le développement progressif du droit international, a entamé, ce matin, sa session de 2018 qui durera jusqu’au 28 février et se tiendra pour l’essentiel sous forme de groupes de travail pléniers. Le débat général a tourné autour des questions relatives aux rôles respectifs de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, aux sanctions, au règlement pacifique des différends et aux méthodes de travail du Comité.
Élu par consensus en début de séance, le Président, M. Omar Hilale (Maroc), a insisté sur l’importance des activités du Comité spécial en matière de règlement pacifique des différends, en particulier à un moment où les défis à la paix et la sécurité internationales sont nombreux. Rappelant que le débat thématique de la présente session serait consacré à l’« échange d’informations sur les pratiques des États concernant le recours aux négociations et aux enquêtes », il a invité le Comité à tenir des « débats sereins et constructifs dans l’esprit de la Sixième Commission -chargée des questions juridiques et qui examine le rapport annuel du Comité spécial– « connue pour son calme et sa compréhension ». Il l’a aussi exhorté à faire son possible pour adopter ses décisions par consensus.
Le débat général qu’a tenu le Comité aujourd’hui a permis à une vingtaine de ses membres de présenter leurs priorités. Ils ont également commenté les points à l’ordre du jour, fixés par la résolution 72/118 de l’Assemblée générale et qui, outre la question du règlement pacifique des différends entre États, portent sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales sous tous ses aspects, les travaux relatifs aux Répertoires de la pratique des organes des Nations Unies et du Conseil de sécurité, ainsi que l’amélioration des méthodes de travail du Comité spécial.
Au nom du Mouvement des pays non alignés, le représentant de la République islamique d’Iran a insisté sur le « rôle clef » que le Comité spécial doit jouer dans le cadre de la réforme des Nations Unies, du fait de son « potentiel important ». Il a rappelé à cet égard l’adoption par le Comité de la Déclaration de Manille de 1982 sur le règlement pacifique des différends, qu’il a présentée comme « une des réussites les plus brillantes du Comité ».
Au nom du Groupe des États d’Afrique, l’Algérie a elle aussi insisté sur le rôle important que « peut potentiellement » jouer le Comité, tout en regrettant qu’il n’ait pu utiliser son plein potentiel du fait de ses méthodes de travail et à cause de « batailles idéologiques » en son sein, qui l’ont empêché d’exercer sa fonction principale d’analyse juridique. La représentante de Cuba a quant à elle dénoncé les obstructions de certains États, rendant ces derniers responsables des blocages qui ont empêché l’adoption de « documents précieux » présentés au Comité, telle la proposition conjointe de la Fédération de Russie et du Bélarus en matière de règlement pacifique des différends , ou encore celle de son propre pays, visant à renforcer la fonction de l’Organisation dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationales, et qui, a-t-elle déclaré, sera actualisée.
Plusieurs des intervenants ont fait par ailleurs part de leurs préoccupations face à ce que le Mouvement des pays non alignés a présenté comme des tentatives du Conseil de sécurité de s’attribuer des prérogatives qui relèvent de l’Assemblée générale ou du Conseil économique et social (ECOSOC). Les Philippines ont appelé à « clarifier des relations de symbiose » entre l’Assemblée et le Conseil, estimant qu’elles ne devaient pas être des relations hiérarchisées, tandis que Cuba demandait le renforcement du rôle du premier plan de l’Assemblée en tant que principal organe normatif des Nations Unies. Le Bélarus s’est dit en outre convaincu que le Comité spécial devait examiner la question de l’élargissement du Conseil de sécurité, allant dans le même sens que le Groupe des États d’Afrique qui souhaitait un Conseil plus représentatif et doté de meilleures méthodes de travail.
L’un des principaux thèmes abordés par les délégations a été celui des sanctions. Le Comité a longtemps traité chaque année de la question de la mise en œuvre des dispositions de la Charte des Nations Unies relatives à l’assistance aux États tiers touchés par l’application de sanctions -Article 50 de la Charte–, mais l’Assemblée générale avait décidé en 2016 de ne plus aborder la question que tous les deux ans, tout en demandant au Secrétaire général de lui remettre un rapport sur la question, remis en 2017.
Le Mouvement des pays non alignés et la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), au nom de laquelle s’est exprimé le représentant d’El Salvador, ont répété que les sanctions ne devaient être mises en œuvre qu’en dernier recours, seulement quand il existe une menace à la paix et la sécurité internationales ou un acte d’agression, et en aucun cas à titre de mesures préventives. La CELAC leur a opposé les mesures non coercitives, demandant à ce qu’elles soient mises en valeur, utilisées et épuisées avant tout recours aux mesures prévues au Chapitre VII de la Charte. S’appuyant sur le document intitulé Présentation et mise en œuvre des sanctions imposées par les Nations Unies, la CELAC s’est donc félicitée du sujet choisi pour le débat thématique de cette année. La République populaire démocratique de Corée (RPDC) a quant à elle dénoncé des pratiques de « deux poids deux mesures » anachroniques et biaisées du Conseil de sécurité.
D’autres intervenants ont adopté des positions moins hostiles aux sanctions. Ainsi, l’Union européenne les a défendues en tant qu’outil important pour le maintien et la restauration de la paix et de la sécurité internationales. Tout en rappelant que les sanctions imposées par les Nations Unies devaient rester un élément d’un processus politique holistique, l’Union européenne a rappelé que ces dernières étaient ciblées afin de minimiser les effets négatifs sur les populations civiles et les pays tiers, et que les comités des sanctions organisaient des séances d’information qui permettent au Conseil de sécurité d’entendre les défis auxquels sont confrontés certains États du fait de l’application de sanctions.
Si l’Égypte, qui fut membre du Conseil de sécurité en 2016-2017, a rappelé que les sanctions ne devraient pas être utilisées comme un outil pour promouvoir une politique ou des intérêts personnels, elle a aussi jugé important que le Conseil de sécurité dispose de tels outils. Son représentant a en même temps prôné des entretiens périodiques entre les membres du Conseil et les autres États Membres sur le sujet, afin d’examiner l’utilité des régimes de sanctions et de réduire tout dommage collatéral. Elle aussi membre du Conseil de sécurité durant les deux années écoulées, l’Ukraine a rappelé que la pratique actuelle des sanctions ciblées avait pour objectif de prévenir les conséquences négatives non seulement pour la population civile du pays visé mais aussi pour les États tiers, et s’est félicitée des progrès réalisés en la matière par le Conseil, dont le Maroc a également pris bonne note. Le Bangladesh a pour sa part estimé que d’intéressantes discussions avaient eu lieu l’an dernier au Conseil, notamment dans le cadre d’une réunion selon la formule Arria organisée par l’Égypte, tout en estimant que le Comité spécial pourrait être utilisé comme une plateforme pour rechercher les moyens de renforcer l’efficacité et la transparence des régimes de sanctions adoptées par le Conseil de sécurité.
Quant aux États-Unis, ils ont estimé que la question des sanctions ne devrait pas figurer à l’ordre du jour du Comité. Leur représentante a d’ailleurs fait observer qu’aucune demande de la part d’États tiers affectés n’avait été transmise au Secrétariat depuis 2003, argument rejeté notamment par la CELAC pour qui cette longue absence de sollicitation n’est pas une raison valable pour retirer la question du programme de travail du Comité.
Certaines délégations ont élargi le débat aux sanctions unilatérales, dont le Mouvement des pays non alignés a dénoncé l’illégalité, en particulier pour celles qui visent des pays en développement. La Fédération de Russie s’est dite particulièrement préoccupée par l’adoption de telles mesures unilatérales allant au-delà des sanctions décidées par le Conseil de sécurité, estimant qu’elles violaient les principes d’égalité souveraine des États, de non-ingérence et de coopération. Pour sa part, la République islamique d’Iran a dénoncé « un État très attaché aux sanctions unilatérales », l’accusant d’y recourir souvent sous la forme d’une application extraterritoriale de sa législation nationale, en violation du principe de la souveraineté des États.
La République islamique d’Iran a par ailleurs abordé le thème du règlement pacifique des différends, en faisant l’éloge de la négociation. Son représentant a longuement cité en exemple le Plan d’action global commun –relatif au programme nucléaire de l’Iran - présentant les différentes parties à l’accord comme des partenaires placés sur un pied d’égalité, qui avaient démontré dans le cadre d’une négociation aux objectifs bien définis que « lorsque l’on le veut, on peut » parvenir à un accord. Le Plan n’est pas la panacée car aucun plan négocié ne peut être parfait pour tous, a précisé le représentant, qui a défendu la bonne foi de son pays dans la négociation et la mise en œuvre de ses résultats.
Certains des intervenants ont de leur côté salué le rôle des enquêtes dans le règlement pacifique des différends. En apportant, de manière impartiale, des précisions sur les faits, ces enquêtes fournissent une base objective aux négociations, ont fait remarquer El Salvador et la Chine. Coprésidente du Groupe des avis de la médiation, la Turquie a pour sa part dit espérer organiser un débat thématique sur le rôle de la médiation dans le règlement pacifique des différends lors d’une future session.
Par ailleurs, la Fédération de Russie a rappelé sa proposition concernant la mise à jour du Manuel sur le règlement pacifique des différends de 1992 et la création d’un site Internet qui lui soit dédié. Mais l’Union européenne a contesté l’intérêt de cette proposition. Son représentant a dit n’être « pas convaincu de la valeur ajoutée d’un tel travail, alors qu’il existe déjà de multiples ressources et outils juridiques sur Internet, aisément accessibles ». Les États-Unis se sont eux aussi opposés à cette proposition jugée « chronophage ».
Dans un autre domaine, la CELAC a fait part de sa préoccupation face au nombre croissant de lettres adressées au Président du Conseil de sécurité au titre de l’Article 51 de la Charte relatif à la légitime défense face à une agression armée, et ce, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. La CELAC s’inquiète notamment des tentatives de réinterprétation de la notion de légitime défense et d’élargissement de facto de l’exception que constitue l’Article 51 à l’interdiction générale du recours à la force prévu à l’Article 2.4 de la Charte.
Sur le thème du maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Comité spécial est saisi de plusieurs propositions. Celle du Ghana, qui porte sur le renforcement des relations et de la coopération entre l’ONU et les mécanismes ou organismes régionaux en matière de règlement pacifique des différends, a reçu le soutien du Mouvement des pays non alignés et du Groupe des États d’Afrique, qui estiment qu’elle pourrait « briser les chaînes idéologiques » qui entravent trop souvent l’action du Comité. De fait, les États-Unis, souvent critiques ou ouvertement opposés à d’autres projets, se sont montrés plus ouverts à la proposition du Ghana. Ils ont estimé que le Comité pourrait prendre en compte des propositions, « comme celle du Ghana », qui pourraient combler des lacunes.
Une autre proposition a été faite sur le même sujet, conjointement par la Fédération de Russie et le Bélarus: demander l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) par le biais d’un organe des Nations Unies sur les conséquences juridiques du recours à la force par un État sans autorisation du Conseil de sécurité et en dehors du recours à la légitime défense. La République islamique d’Iran a appuyé cette proposition, mais les États-Unis ont là encore rappelé leur opposition.
Les propositions présentées au comité dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales ou du règlement pacifique des différends sont parfois vieilles de plusieurs années et présentent peu de perspectives de progrès, ce qui soulève à chaque session la question des méthodes de travail du Comité. Le représentant de l’Union européenne a ainsi souhaité que le Comité mette en œuvre sa décision de 2006 de réformer ces méthodes, et qu’il examine l’utilité de poursuivre l’examen des points actuellement à son ordre du jour à la lumière des chances de parvenir un jour à un consensus.
Tout en saluant certaines mesures déjà prises, comme la décision de n’examiner que tous les deux ans la question des effets des sanctions sur les tiers, la représentante des États-Unis s’est dite convaincue que des efforts supplémentaires pourraient être faits. Elle a aussi souhaité que le Comité examine la pertinence de certaines points « gelés », et suggéré, dans un contexte de réduction des ressources, que les sessions du Comité soient raccourcies. Son homologue de la République de Corée a lui aussi appelé à une réduction de durée des sessions, mais aussi de leur fréquence, tandis que la délégation de Cuba rappelait son opposition à une « bisannuelisation » des travaux du Comité. L’Ukraine, qui a souhaité que le Comité revoit ses méthodes de travail pour éviter les doublons entre ses propres activités et celles d’autres organes, a suggéré aussi de passer d’une « recherche impossible de compromis politiques dans l’impasse » à la recherche de solutions plus juridiques.
Autre thème récurrent au sein du Comité spécial, la rédaction et l’actualisation par le Secrétariat des Répertoires de la pratique des organes des Nations Unies et de la pratique du Conseil de sécurité a été saluée par plusieurs intervenants, qui ont toutefois déploré les retards. Le représentant de la CELAC a remercié les pays qui ont contribué aux fonds d’affectation spéciale visant à éliminer de tels retards, et la Turquie a rappelé qu’elle était dans ce cas.
Outre son Président, le Comité spécial a élu aujourd’hui les autres membres de son bureau qui est ainsi composé pour la présente session de Mme Ipek Zeytinoglu Ozkan (Turquie) et de MM. Hector Celarié Landaverde (El Salvador) et Igor Bondiuk (Ukraine), Vice-Présidents, ainsi que de M. Luke Tang (Singapour), Rapporteur. Le Comité a aussi adopté son ordre du jour provisoire*.
La prochaine réunion publique du Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation aura lieu le mercredi 28 février, à 10 heures.