Darfour: la Procureure de la CPI appelle une nouvelle fois le Conseil de sécurité à remédier au manque de coopération de certains États
À l’occasion de son exposé semestriel, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Mme Fatou Bensouda, a une nouvelle fois dénoncé la « politique d’opposition » du Gouvernement soudanais à son encontre et le manque de coopération de certains États, invitant le Conseil de sécurité à agir de manière décisive pour que ces derniers arrêtent et transfèrent à la Cour les suspects liés à la situation au Darfour.
Mme Bensouda a cette fois mis en cause la Jordanie, Djibouti et l’Ouganda pour n’avoir pas arrêté le Président soudanais, M. Omar el-Béchir, qui figure parmi les cinq suspects faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI, lorsqu’il se trouvait sur leur territoire.
S’agissant de la Jordanie, où M. el-Béchir s’est rendu le 29 mars 2017, Mme Bensouda a regretté qu’elle ait manqué à ses obligations en vertu du Statut de Rome dont elle est partie. Cette situation ayant conduit la Chambre préliminaire II à renvoyer l’affaire devant l’Assemblée des États Parties et devant le Conseil, elle a déclaré attendre sous peu que soit rendue la décision suite à l’appel interjeté par Amman.
La Procureure a en outre déploré que le Président soudanais ait pu voyager à Djibouti et en Ouganda en juillet dernier, alors même que ces deux États avaient déjà été référés devant l’Assemblée des États Parties et devant le Conseil pour leur échec à appréhender M. el-Béchir lors de précédents déplacements en 2016. Faute de conséquences significatives, « une évolution en la matière est peu probable », a-t-elle commenté, soulignant qu’un tel statu quo est « peu apte à faire avancer la cause de la justice au Darfour ». En conséquence, elle a appelé le Conseil à faire preuve d’une « action décisive » pour contrer cette situation.
Rappelant, d’autre part, les termes de la résolution 1593 (2005) enjoignant le Gouvernement du Soudan et les autres parties au conflit à coopérer avec la Cour et son Bureau, Mme Bensouda a regretté que Khartoum continue d’ignorer cette exigence. « Le Gouvernement du Soudan peut et doit prouver son engagement à mettre un terme à l’impunité ainsi que son respect pour l’autorité de ce Conseil en ouvrant un nouveau chapitre de coopération avec mon Bureau », a-t-elle martelé. Et d’insister sur le fait que le pays devait autoriser ses équipes à mener des enquêtes sur le terrain afin de faciliter l’accès aux victimes, aux témoins et aux documents de preuves.
Sur ce point, tout en reconnaissant que les violences contre la population civile au Darfour ont diminué, Mme Bensouda a noté que certains crimes sérieux persistent, notamment à l’encontre du personnel de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Soudan (MINUAD), et que des affrontements se poursuivent dans la région du Jebel Marra entre les forces du Gouvernement soudanais et l’Armée de libération du Soudan-faction Abdul Wahid, avec leur lot de victimes et de déplacements de civils. Elle a donc appelé le Gouvernement soudanais à répondre de manière affirmative à l’appel du Conseil d’autoriser un accès sans entrave de la MINUAD au Darfour, non sans l’accuser de maintenir sa politique d’opposition et de non-coopération, en contravention directe avec la résolution 1593 (2005).
Les appels lancés par la Procureure ont été repris à leur compte par plusieurs délégations. Le Royaume-Uni, « frustré » par les déplacements du Président el-Béchir, a ainsi dénoncé le « mépris total » du Soudan pour la CPI, tout en l’exhortant à coopérer avec la Cour. Refusant de voir se banaliser les refus de coopération de la part d’États Membres des Nations Unies, « à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’États parties », la France a, quant à elle, souligné que cette obligation incombe au premier chef au Soudan, qui doit mettre à exécution les mandats d’arrêt contre ses ressortissants pour des faits commis sur son territoire.
La délégation française a également réitéré sa proposition visant à inviter les États, dont la Cour a constaté qu’ils manquaient à leur obligation de coopération, à s’exprimer devant le Conseil, une ouverture appuyée par la Suède, la Pologne ou encore le Pérou.
Si les Pays-Bas ont, eux aussi, jugé inacceptable que des fugitifs continuent à voyager sans entrave, l’Éthiopie a, en revanche, estimé que le renvoi de la situation au Darfour devant la Cour et les conséquences qui en découleraient concernant le Président soudanais « feraient plus de mal que de bien ».
Soulignant que le Soudan devient de plus en plus important et indispensable dans la région et au-delà, l’Éthiopie a appelé le Conseil de sécurité et la communauté internationale à revoir leur approche à l’égard du pays.
« La recherche de la justice ne doit pas se faire de façon préjudiciable à la cause de la paix », a notamment affirmé la délégation, qui a fait observer que les « méthodes » de la CPI ont laissé une « très mauvaise impression » sur le continent, alors même que de nombreux États membres de l’Union africaine avaient été les premiers pays à ratifier le Statut de Rome.
Au nom du plein respect de la « souveraineté judiciaire » du Soudan, la Chine a fait valoir que le renvoi d’une situation à la Cour ne signifie pas que les chefs d’État peuvent être privés des privilèges et immunités dont ils jouissent. Le Koweït a, pour sa part, dénoncé la « politisation des principes de la justice internationale » et l’attaque contre la souveraineté du Soudan que constitue, à ses yeux, l’enquête en cours.
Sur la même ligne, la Fédération de Russie s’est interrogée sur la notion de « progrès significatif » mentionnée dans le rapport de la Procureure, alors que le travail de cette dernière a consisté à assurer le « traçage » des déplacements de M. el-Béchir.
Invité à s’exprimer devant le Conseil, le représentant du Soudan a jugé que ce nouveau rapport de la Procureure, qui multiplierait les « erreurs et contradictions » sur la situation au Darfour, « noircissait » une page supplémentaire de la CPI. Selon lui, la Cour s’est « transformée en organe de suivi » de la situation dans son pays et ne parvient plus à distinguer paix et justice. La délégation a appelé à réexaminer l’Article 53 du Statut de Rome, estimant que celui-ci aurait été instrumentalisé, et à s’attaquer à la « corruption institutionnelle » de la CPI.
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Déclarations
Venue présenter son vingt-huitième rapport sur la situation au Darfour, Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI), a expliqué que depuis l’adoption de la résolution 1593 décidant du renvoi de la situation au Darfour à la CPI, celle-ci avait publié de nombreux mandats d’arrêt dont cinq toujours en souffrance pour des personnes ayant occupé des positions de responsabilité au sein du Gouvernement soudanais à l’époque des crimes présumés: M. Omar el-Béchir, M. Ahmad Harun et M. Abdel Hussein, ainsi que le chef de milice M. Ali Kushayb et le dirigeant rebelle M. Abdallah Banda. Et ce, alors même que plusieurs d’entre eux continuent d’occuper des postes à responsabilités au sein du Gouvernement. Combinés, ces mandats d’arrêt comprennent plus de 60 chefs d’accusation de crimes de guerre et plus de 50 de crimes contre l’humanité, a-t-elle spécifié, notant que les crimes présumés comprennent l’extermination, le meurtre, le viol, le transfert forcé et la torture. « Les auteurs présumés de ces crimes sont en liberté pendant que les victimes et les communautés affectées continuent à attendre que justice soit rendue », a-t-elle dénoncé.
Mme Bensouda a ensuite indiqué que son Bureau poursuit son enquête sur la situation au Darfour et accumule des preuves, tandis que son équipe de procureurs continue de se préparer en prévision de l’arrestation à venir des suspects.
Elle a indiqué que les violences contre la population civile au Darfour avaient diminué, mais que certains crimes sérieux persistent, notamment à l’encontre du personnel de la MINUAD. Elle a aussi expliqué que les conflits continuaient dans la région du Jebel Marra entre les forces du Gouvernement soudanais et l’Armée de libération du Soudan-faction Abdul Wahid, incluant des destructions de villages, des morts, des blessés et des déplacements de civils. Elle s’est déclarée profondément préoccupée par les violences sexuelles et sexistes à l’encontre des femmes et des filles au Darfour. Elle a ensuite appelé le Gouvernement du Soudan à répondre de manière affirmative à l’appel du Conseil d’autoriser un accès sans entrave de la MINUAD au Darfour.
La Procureure a ensuite accusé le Gouvernement du Soudan de poursuivre sa politique d’opposition et de non-coopération, ce qui avait pour effet d’obstruer la capacité de son Bureau à mener des enquêtes sur le terrain, en contravention directe avec la résolution 1593. Elle a, dès lors, exhorté le Conseil de sécurité à inviter le Gouvernement soudanais à coopérer avec son Bureau.
Mme Bensouda a également déploré que la Jordanie ait manqué à ses obligations en n’arrêtant pas M. el-Béchir, quand il s’est rendu dans le pays, le 29 mars 2017, échouant ainsi à ses obligations sous le Statut. Cette situation a conduit la Chambre préliminaire II à renvoyer l’affaire devant l’Assemblée des États Parties et devant le Conseil, résultant en un litige considérable en raison de l’appel fait par la Jordanie. Après cinq jours d’audience en septembre, la décision finale de la Chambre d’appel est à présent attendue.
Durant la période à l’examen, a poursuivi la Procureure, M. el-Béchir a continué de voyager à l’international, y compris à Djibouti et en Ouganda en juillet, alors même que ces deux États avaient déjà été référés devant l’Assemblée des États Parties et devant le Conseil pour leur échec à arrêter M. el-Béchir lors de précédents voyages en 2016. Faute de conséquences significatives pour un tel manque de conformité, une évolution en la matière est peu probable, a-t-elle regretté, soulignant qu’un tel statu quo est peu apte à faire avancer la cause de la justice au Darfour. Elle a appelé le Conseil à faire preuve d’une action décisive pour contrer cette situation.
Mme Bensouda a ensuite dit avoir été encouragée par la réunion, en formule Arria, qui s’est tenue le 6 juillet, au sujet de la relation entre la CPI et le Conseil de sécurité. Elle a noté qu’à cette occasion, de nombreux participants avaient fait part de leur préoccupation face à l’échec du Conseil à agir lorsqu’un État est en non-conformité avec la Cour. Elle a aussi relevé qu’à cette occasion, plusieurs participants avaient présenté des propositions concrètes pour aller de l’avant.
Poursuivant, la Procureure a déploré que le Gouvernement du Soudan n’ait pas initié un dialogue avec son Bureau au sujet de la situation au Darfour, en dépit de son offre. Le Soudan et M. el-Béchir ont également ignoré l’appel à déposer des observations dans le cadre de l’appel présenté par la Jordanie. Mme Bensouda a aussi expliqué qu’en raison du manque de coopération du Soudan, elle était dans l’incapacité de présenter un rapport sur les activités menées par la Cour pour renforcer les organes judiciaires dans ce pays, comme l’avait demandé la Bolivie lors de son précédent exposé devant le Conseil de sécurité.
Le Gouvernement du Soudan, a-t-elle insisté, peut et doit démontrer son engagement à mettre un terme à l’impunité et à respecter l’autorité du Conseil en ouvrant un nouveau chapitre de coopération avec mon Bureau, notamment en autorisant mon personnel à enquêter sur le terrain.
M. JONATHAN R. COHEN (États-Unis) a déploré qu’après 15 années de conflit, plus de 300 000 personnes ont perdu la vie et le nombre des personnes déplacées n’a cessé de s’accroître. Toutefois, a ajouté le représentant, nous sommes heureux de constater que la situation sécuritaire s’améliore même si elle reste précaire, notamment dans le Jebel Marra. De plus, des risques persistent dans l’ensemble du Darfour étant donné les conflits intercommunautaires entre populations nomades et sédentaires.
Dans ce contexte, le délégué a encouragé le Gouvernement soudanais à permettre aux organisations humanitaires et à la MINUAD de se déplacer dans cette zone afin de renforcer les gains sécuritaires fragiles qui y ont été réalisés. Il a souligné que la stabilité du Soudan dépendra du traitement des racines du conflit et a appelé les deux parties au conflit à se lancer dans un dialogue transparent afin d’atteindre les objectifs fixés par la communauté internationale.
Les États-Unis appuient par ailleurs l’établissement d’indicateurs de performance sur la MINUAD, ainsi que la création d’une commission de réconciliation, la présence de la Police soudanaise dans toutes les localités et la mise en accusation de toutes les personnes reconnues coupables de violences, notamment sexistes.
De même, a poursuivi le représentant, les États-Unis encouragent le Gouvernement à renforcer ce processus pour que tous les Soudanais aient accès au système judiciaire et à utiliser tous les outils à sa disposition pour renforcer la protection des droits de l’homme au Soudan. Pour le délégué, la communauté internationale doit veiller à ce qu’il y ait une surveillance de la situation des droits humains et rendre possible la redevabilité des personnes coupables de crimes graves. Mais le peuple soudanais a faim de paix après 15 ans de conflit, a-t-il insisté, assurant que son pays entend travailler de concert avec le Gouvernement pour y parvenir. Quant à la CPI, il a rappelé que les États-Unis ont toujours rejeté la compétence de cette Cour pour les États qui ne sont pas parties au Statut de Rome. À cet égard, a-t-il indiqué, toute enquête concernant le personnel américain ou israélien est injustifiée.
M. SACHA SERGIO LLORENTTY SOLÍZ (Bolivie) a rappelé que 28 rapports ont été présentés depuis le renvoi de la situation au Darfour à la CPI, il y a 13 ans, en insistant sur le coût d’une si longue procédure. Ceux qui ont commis des crimes graves doivent rendre des comptes, a-t-il dit, avant de pointer l’évolution positive au Soudan et au Darfour. Le délégué a imputé cette amélioration aux efforts conjugués du Gouvernement, de l’ONU et de l’Union africaine, avant d’appeler à la pleine mise en œuvre du Document de Doha. Rappelant que la CPI joue un rôle complémentaire à celui des juridictions nationales, il a souhaité le renforcement des capacités desdites juridictions. Il s’est aussi demandé dans quelle mesure le Statut de Rome répond aux attentes internationales en matière de coopération, dans la mesure où un grand nombre d’États ne sont pas parties audit Statut. Il ne saurait y avoir de dialogue franc si ceux qui demandent que justice soit rendue dans toute sa rigueur ne s’acquittent pas de leurs obligations, a affirmé le délégué. Enfin, il a plaidé pour l’universalisation du Statut de Rome.
Mme IRINA SCHOULGIN NYONI (Suède) a salué les évolutions importantes dans les enquêtes en cours, citant notamment la collecte de preuves par l’équipe d’enquête au Darfour, et a souhaité que de tels progrès se poursuivent. Elle s’est en revanche déclarée préoccupée par l’échec, aussi « décevant » que « perturbant », des États Membres à s’acquitter de leurs obligations, tous les suspects restant en fuite, et le Président du Soudan continuant à se rendre librement à l’étranger. La question de l’absence de coopération avec la CPI reste donc un défi, la Cour, privée de mécanisme de mise en œuvre, étant tributaire de la volonté des États pour s’acquitter de son mandat, a-t-elle constaté. Aussi la représentante a-t-elle soutenu la proposition faite par la France lors de la précédente réunion à ce sujet, pour permettre aux États Membres qui n’ont pas respecté les demandes de la Cour de venir s’expliquer au Conseil.
Après avoir pris note du déclin des violences à l’encontre des civils au Darfour, la représentante a toutefois fait part de sa préoccupation devant les allégations de violences sexuelles et sexistes, qui demeurent un sérieux problème. Alors que le vingtième anniversaire de l’adoption du statut de Rome vient d’être célébré, Mme Schoulgin Nyoni a regretté que les juridictions internationales comme la CPI se retrouvent sous une « pression accrue » et visées par une « rhétorique hostile ». Elle a réitéré la position de sa délégation, selon laquelle la Cour a un impact réel.
Mme JOANNA WRONECKA (Pologne) a souligné que la paix et la stabilité peuvent revenir au Soudan une fois les causes profondes du conflit établies. Cela inclut de mettre un terme à l’impunité et de rendre la justice afin que des comptes soient rendus aux victimes de ces crimes graves. À cette fin, la représentante a appelé tous les États à coopérer en facilitant la collecte de preuves, le gel des avoirs et l’assistance pour retrouver les fugitifs.
Tout en reconnaissant que la violence signalée contre les civils a diminué, la représentante s’est dite préoccupée par les violents heurts survenus entre les forces gouvernementales et la faction dissidente de l’Armée de libération du Soudan-faction Abdul Wahid (ALS-AW) dans le Jebel Marra. Elle a aussi déclaré partager les inquiétudes du Bureau de la Procureure concernant le nombre élevé des personnes déplacées et les risques de violences, notamment sexuelles, en cas de retour dans leurs régions d’origine. Sans traiter les causes profondes du conflit, une paix durable peut être difficile à atteindre, a-t-elle insisté.
Prenant acte du rapport du Bureau de la Procureure sur les voyages de suspects dans plusieurs États, dont certains siègent au Conseil de sécurité, la représentante a aussi déploré que des États Parties au Statut de Rome n’aient pas arrêté et remis des fugitifs à la Cour. En conséquence, elle a appelé les membres du Conseil à prendre les mesures adéquates pour y répondre. Enfin, Mme Wronecka a souhaité que le Conseil rappelle au Soudan qu’il a l’obligation légale d’arrêter et de remettre les suspects du Darfour à la CPI et a réitéré la proposition visant à inviter les États visés par la Cour à coopérer avec le Conseil.
M. WU HAITAO (Chine) a mentionné le nouvel élan politique en vue de la pleine mise en œuvre du Document de Doha et a appuyé le Gouvernement soudanais, le jugeant pleinement capable de restaurer une paix durable au Darfour. La position de la Chine sur le dossier de la CPI et du Soudan est inchangée, a-t-il ensuite indiqué, en appelant au plein respect de la « souveraineté judiciaire » du Soudan. Enfin, le délégué chinois a tenu à rappeler que les chefs d’État jouissent de privilèges et d’immunités, et que le renvoi d’une situation à la CPI ne signifie pas nécessairement qu’ils en soient privés.
Mme LISE GREGOIRE-VAN HAAREN (Pays-Bas) s’est félicitée de la baisse des combats et du niveau de violences contre les civils ces derniers mois au Darfour. Elle a néanmoins dit être restée très préoccupée par la poursuite des violations des droits de l’homme par plusieurs parties au conflit, dont le Gouvernement du Soudan, citant notamment les violences fondées sur le genre, les arrestations arbitraires et les exécutions extrajudiciaires. Dans le même temps, la situation des 2,1 millions de personnes déplacées reste inchangée, s’est-elle encore inquiétée.
S’agissant de la reddition de comptes pour les crimes internationaux et les violations massives des droits de l’homme, Mme Gregoire Van Haaren a considéré que c’est la seule manière de parvenir à une paix durable. Si cette question n’est pas traitée sérieusement, a-t-elle averti, l’opportunisme prévaudra et l’état de droit continuera à être sapé. Il en va de la responsabilité du Conseil de faire respecter les décisions qu’il a prises par le passé, a-t-elle lancé.
En venant ensuite à la coopération, Mme Gregoire Van Haaren a rappelé que la résolution 1593 (2005) implique que le Gouvernement du Soudan et toutes les autres parties au conflit coopèrent pleinement avec la Cour, de même que tous les États et les organisations régionales et internationales. Elle a jugé inacceptable que des fugitifs continuent à voyager sans entrave et, à l’instar de la Procureure, a prié les États qui les invitent et les accueillent à en référer à la Cour.
M. DIDAR TEMENOV (Kazakhstan) a salué l’engagement de Khartoum à assurer la stabilité au Soudan ainsi que sa coopération renforcée avec l’Union africaine et les Nations Unies. Ces efforts ont, selon lui, contribué à l’amélioration de la situation sécuritaire au Darfour et à la réduction des heurts intercommunautaires, des activités criminelles et des incidents en matière de droits humains. Ces résultats positifs n’auraient pu être atteints sans le respect de la souveraineté et de l’indépendance du Soudan, a-t-il assuré.
À cette aune, le Kazakhstan est convaincu qu’un dialogue constructif et inclusif, conformément au Document de Doha pour la paix au Darfour, est le seul moyen de ramener la paix, la stabilité et la justice au Darfour, a souligné le représentant. Il a également salué la signature d’un accord entre le Gouvernement soudanais, l’Armée de libération du Soudan-faction Minni Minawi (ALS-MM) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), le 6 décembre dernier, encourageant les autorités de Khartoum à poursuivre ce mouvement positif. Il s’est par ailleurs félicité des mesures prises par le Gouvernement dans les domaines de la paix et de la sécurité, s’agissant notamment du traitement du terrorisme et de la traite d’êtres humains. Enfin, le délégué a encouragé la CPI à se joindre aux efforts régionaux et internationaux visant à renforcer les capacités du Soudan en matière de promotion de l’état de droit et de protection des droits de l’homme.
Mme SHERAZ GASRI (France) a souligné que la responsabilité du Conseil demeure de mener une action résolue pour lutter contre l’impunité au Soudan et de mettre un terme aux crimes commis au Darfour. Pour elle, la CPI est incontournable à cet égard. Elle s’est dite encouragée par l’amélioration globale de la situation sécuritaire, qui ouvre un espace pour une stabilisation.
Il reste néanmoins de nombreux défis à relever, a-t-elle nuancé, au premier rang desquels la protection des civils, notamment dans le Jebel Marra, où les affrontements continuent. Elle s’est dite préoccupée par les violences sexuelles et sexistes dont les femmes sont victimes, en toute impunité, et a dit rester attentive au sort des populations déplacées, pour lesquelles des solutions doivent être trouvées. Les autorités soudanaises et les groupes armés doivent impérativement avancer dans le processus de paix, a-t-elle souligné.
Au-delà de la cessation des hostilités, il importe de traiter les causes profondes du conflit, notamment la question foncière, celle de l’accès aux ressources naturelles et le rétablissement de l’État de droit, a fait valoir la délégation, pour qui la lutte contre l’impunité et le respect des droits de l’homme en sont indissociables. Dans tous ces domaines, la MINUAD doit jouer pleinement son rôle, a-t-elle ajouté, jugeant par ailleurs indispensable de préparer, dès maintenant, le retrait, à terme, de la MINUAD, notamment en renforçant l’équipe de pays.
La France a rappelé une fois de plus l’obligation qui incombe aux États de coopérer avec la Cour, en conformité avec les résolutions adoptées par le Conseil. Cette obligation incombe au premier chef au Soudan, qui doit mettre à exécution les mandats d’arrêt contre ses ressortissants pour des faits commis sur son territoire, comme l’exige la résolution 1593 (2005). La délégation a dit refuser de voir se banaliser les refus de coopération de la part d’États Membres des Nations Unies, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’États parties.
La représentante s’est par ailleurs félicitée de voir la Procureure évoquer dans son rapport la proposition de la France visant à inviter les États dont la Cour a constaté qu’ils manquaient à leur obligation de coopération à s’exprimer devant le Conseil. Nous réitérons notre proposition, a ajouté Mme Gasri.
M. GENNADY V. KUZMIN (Fédération de Russie) a jugé « énigmatique » la notion de « progrès significatif » qui figure dans le rapport à l’examen, alors que le travail de la Procureure a consisté à assurer le « traçage » des déplacements du Président soudanais. « Cela est bien sûr moins lourd que d’interroger les victimes et les témoins, n’est-ce pas? » a-t-il lancé. Le délégué a insisté sur l’immunité dont jouit le Président soudanais, avant de rappeler la « position » inchangée de son pays sur le sujet de ce jour. Enfin, le représentant a exhorté la CPI à se concentrer sur ses tâches prioritaires et à mener une enquête rigoureuse et objective au Darfour.
M. VICTOR MANUEL ELÉ ELA (Guinée équatoriale) s’est dit conscient de l’amélioration de la situation sécuritaire au Darfour, encore que les affrontements dans le Jebel Marra aient donné lieu à de nouveaux mouvements de population. S’agissant des fugitifs recherchés par la Cour, le rapport indique que la Guinée équatoriale est l’un des pays dans lesquels le Président Omar el-Béchir s’est rendu, ce qui est exact, a précisé le représentant, en rappelant toutefois que son pays n’est pas partie au Statut de Rome et ne reconnaît pas la politique « sélective » de la CPI.
Mme SUSAN JANE DICKSON (Royaume-Uni) a exhorté le Gouvernement à renforcer les capacités de ses forces de sécurité et à dialoguer avec l’ONU et l’UA pour assurer le succès de la transition en cours au Darfour. Le Gouvernement doit assurer un accès humanitaire sans entraves au Darfour, a déclaré la déléguée. « Le peuple du Darfour attend la paix depuis bien trop longtemps. »
La déléguée a ensuite exhorté les États Parties au Statut de Rome à respecter la CPI et à s’acquitter de leurs obligations en vertu de ce texte. Elle a regretté le « mépris total » du Soudan pour la CPI, avant d’exhorter ce pays à coopérer avec la Cour. Elle s’est dite « frustrée » par les déplacements du Président soudanais, y compris pour se rendre dans des pays qui sont parties au Statut de Rome. Mon pays continuera de soutenir la Cour, en tant que Partie au Statut de Rome et membre de ce Conseil, a conclu la déléguée.
M. BADER ABDULLAH N. M. ALMUNAYEKH (Koweït) a estimé que la question de la situation au Darfour devrait être appréhendée à l’aune des progrès accomplis jusqu’à présent, notamment de la part du Gouvernement soudanais. Pour sa délégation, les procédures de la Cour sont contraires à l’immunité du Président Omar el-Béchir. Elle a cité la résolution du vingt-deuxième Sommet de la Ligue des États arabes, qui dénonce la « politisation des principes de la justice internationale » et l’attaque contre la souveraineté du Soudan que constitue l’enquête en cours.
Mme MAHLET HAILU GUADEY (Éthiopie) a confirmé sa position selon laquelle le renvoi par le Conseil de sécurité de la situation au Darfour devant la CPI et les conséquences qui en découleraient concernant le Président du Soudan feraient plus de mal que de bien. C’est aussi la position de l’Union africaine, a-t-elle rappelé, en remémorant que les méthodes de la CPI avaient laissé une très mauvaise impression en Afrique. Elle a néanmoins souligné que de nombreux États membres de l’UA avaient été les premiers pays à ratifier le Statut de Rome, évoquant aussi l’engagement de l’Afrique à lutter contre l’impunité et à promouvoir la démocratie, l’état de droit et la bonne gouvernance. La recherche de la justice ne doit pas se faire de façon préjudiciable à la cause de la paix, a-t-elle ajouté, en exprimant ses regrets que le Conseil de sécurité n’ait pas retiré sa demande de renvoi devant la CPI.
Concernant la situation au Darfour, Mme Guadey s’est dite satisfaite des progrès et a constaté que, désormais, le problème principal est le manque de développement. Elle a salué les efforts déployés par le Gouvernement du Soudan pour alléger les souffrances du peuple du Darfour et les récents progrès réalisés dans le processus politique. Elle a appelé les groupes réfractaires à rejoindre le processus de paix sans conditions. Enfin, Elle a fait remarquer le rôle constructif du Soudan dans les questions de paix et sécurité dans la région. « En fait, le Soudan devient de plus en plus important et indispensable dans la région et au-delà », a-t-elle conclu en appelant le Conseil de sécurité et la communauté internationale à revoir leur approche à l’égard du pays.
M. PAUL DUCLOS (Pérou) a souligné la nécessité pour les États de coopérer avec la CPI et sa Procureure pour lutter contre l’impunité et restaurer une paix durable au Darfour. Certains États, qui sont parties au Statut de Rome, ne se sont pas acquittés de leurs obligations, notamment s’agissant des mandats d’arrêt délivrés par la CPI, a regretté le délégué. Les États qui ne coopèrent pas doivent rendre des comptes, a-t-il déclaré, en se ralliant en ce sens à l’initiative de la France. Enfin, le délégué du Pérou a insisté sur les objectifs convergents des mandats attribués à la Cour et au Conseil de sécurité.
M. KACOU HOUADJA LÉON ADOM (Côte d’Ivoire) a noté avec satisfaction l’amélioration progressive des conditions sécuritaires au Darfour et la baisse des violences contre les civils. Pour lui, cette amélioration est le résultat de la bonne collaboration entre la MINUAD et le Gouvernement soudanais, qu’il a encouragé à consolider ces acquis et à s’engager résolument dans la recherche de solutions aux causes profondes de la crise afin de ramener la paix et la stabilité dans la région.
Malgré cela, M. Adom a noté avec inquiétude les allégations de violences sexuelles et sexistes à l’encontre des femmes ainsi que celles se rapportant aux violations des droits de l’homme au Darfour. Forte de sa récente expérience, la Côte d’Ivoire soutient que la lutte contre l’impunité est un levier important du processus de réconciliation nationale. Aussi est-elle d’avis que l’instauration d’une paix durable au Darfour reste tributaire d’une reddition de comptes pour les personnes coupables de crimes graves et de violation des droits de l’homme. C’est pourquoi le représentant a invité les autorités soudanaises à s’inscrire dans une dynamique de coopération constructive avec le Bureau de la Procureure.
Par ailleurs, la délégation a relevé qu’en dépit des efforts du Gouvernement soudanais pour rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du Darfour, la faiblesse des capacités institutionnelles et le manque de ressources financières affectent négativement la mise en place d’institutions garantes de l’État de droit, de la justice et de la sécurité. La priorité étant dorénavant à la transition d’une Mission de maintien à une Mission de consolidation de la paix au Darfour, le représentant a dit qu’il s’avère primordial pour le Gouvernement soudanais, la communauté internationale et les différents organes des Nations Unies de collaborer étroitement et de façon constructive pour conduire cette transition avec succès.
M. OMER DAHAB FADL MOHAMED (Soudan) a affirmé que ce nouveau rapport de la Procureure « noircit » une page supplémentaire de la CPI, en s’attardant sur une visite officielle à l’étranger du Président Omar el-Béchir. Selon lui, la Cour s’est « transformée en organe de suivi » de la situation dans son pays. Il s’est désolé de constater que ce rapport trouve difficile de distinguer paix et justice, regrettant aussi les attaques lancées contre la Jordanie. Il a appelé à réexaminer l’Article 53 du Statut de Rome, estimant qu’il aurait été instrumentalisé et l’objet de chantages de la part de certains États, « qui ont créé la CPI ». Il a aussi mentionné les accusations de corruption qui ont pesé sur le Bureau de la Procureure, s’offusquant également du fait que la Procureure en fonctions aurait déclaré qu’il n’y avait pas de « valeur ajoutée » à une « enquête indépendante ».
Pour sa délégation, une contradiction découle du fait que la Cour ne puisse pas accuser « un soldat quelconque » ressortissant de certains États, tout en n’ayant aucun problème à s’en prendre à un Président africain en exercice. Le plus important, selon lui, c’est de prouver la « corruption institutionnelle » de la CPI qui, a-t-il affirmé, dépasse les simples individus, avec à sa base un « marchandage des voix ». M. Mohamed a rappelé que, plus tôt ce mois-ci, le Président ivoirien, M. Alassane Ouattara, avait expliqué au Conseil de sécurité que l’adoption de « mesures d’amnistie qui réparent la conscience nationale » avait conduit à la situation qui prévaut aujourd’hui dans son pays.
Le rapport dont le Conseil de sécurité est saisi aujourd’hui « n’a aucun intérêt », multiplie les « erreurs et contradictions » sur la situation au Darfour et ne fait qu’accroître les divisions au sein de la communauté internationale, a dénoncé le représentant du Soudan. Il a réitéré qu’aucune entité ne peut contraindre un État Membre de l’ONU à respecter des instruments internationaux auxquels il a choisi de ne pas être partie. Le Soudan, a assuré le délégué, est attaché à la répression des crimes graves, en vertu du droit international, et cela inclut la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, les Conventions de Genève et les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977. Mais rien dans ces protocoles ne saurait être invoqué pour remettre en cause la souveraineté d’un État, a-t-il martelé.