Comité de la décolonisation: les politiques fiscales américaines et britanniques inquiètent Guam, les îles Vierges américaines et les îles Turques et Caïques
Les politiques fiscales imposées à Guam, aux Îles Vierges américaines et aux Turques et Caïques ont été, vivement critiquées aujourd’hui au Comité spécial de la décolonisation qui a entendu des pétitionnaires, avant d’adopter deux projets de résolution sur l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance par les organismes de l’ONU et les activités préjudiciables aux peuples des territoires non autonomes.
Activités préjudiciables? Une pétitionnaire a fustigé la politique fiscale du Gouvernement des États-Unis à Guam qui s’est traduite par une perte de 67 millions de dollars de recettes en 2018. Une réduction de 18% du financement des territoires américains, y compris Guam, est en outre envisagée pour 2019, fragilisant davantage encore les efforts de décolonisation à Guam, a-t-elle averti.
Même son de cloche du côté d’un pétitionnaire des îles Vierges américaines qui a dénoncé l’imposition fiscale « excessive » décidée par les États-Unis, en violation de la résolution 1514 de l’Assemblée générale et du Traité signé en 1916 entre les États-Unis et le Danemark. Le pétitionnaire a également accusé les États-Unis de démanteler le système éducatif et le modèle agricole, empêchant les habitants de jouir de leurs ressources naturelles.
Le Royaume-Uni a également été critiqué par un pétitionnaire des îles Turques et Caïques en raison du décret, adopté hier « unilatéralement », qui exige que les individus et entités divulguent les investissements et les placements qu’ils font dans les îles, au nom d’une prétendue lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le trafic de stupéfiants. Le pétitionnaire s’est fermement opposé à la « criminalisation » d’une source essentielle de revenus pour des territoires qui se relèvent à peine des destructions occasionnées par les ouragans de 2017. « Au lieu de les aider, le Royaume-Uni a décidé de faire un festin des carcasses », s’est-il indigné.
« L’utilité des investissements économiques étrangers réalisés en collaboration avec les peuples des territoires non autonomes afin d’apporter une contribution valable au développement socioéconomique, en particulier en période de crise économique et financière » devrait être soulignée par l’Assemblée générale, estime le Comité spécial.* Dans son projet de résolution sur les activités préjudiciables aux intérêts des peuples de ces territoires, le Comité spécial recommande aussi à l’Assemblée de réaffirmer la préoccupation que lui inspirent toutes les activités visant à exploiter les ressources naturelles, de façon à empêcher ces peuples d’exercer leurs droits sur ces ressources.
L’Assemblée devrait aussi prier les institutions spécialisées et les autres organismes des Nations Unies intéressés de fournir des informations sur les effets qu’ont sur les territoires non autonomes, les catastrophes naturelles, telles que les ouragans et les éruptions volcaniques, et d’autres problèmes environnementaux, tels que l’érosion des plages et des côtes et la sécheresse; sur les moyens d’aider ces territoires à lutter contre le trafic de stupéfiants, le blanchiment d’argent et d’autres activités illégales et criminelles; et sur l’’exploitation illégale des ressources marines et autres ressources naturelles. Ces dispositions sont énumérées dans le projet de résolution sur l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance par les organismes de l’ONU.**
Par visioconférence, la Porte-parole du Gouverneur de Guam, qui intervenait par visioconférence, a, elle, regretté la nouvelle version du projet de résolution du Comité spécial sur son territoire qui semble remettre en question le fait que Guam est toujours un territoire non autonome dont le peuple revendique son droit à l’autodétermination.
Sans débat, le Comité spécial a également examiné les questions d’Anguilla, des Bermudes, des îles Caïmanes, de Pitcairn, des Samoa américaines et de Sainte-Hélène.
Le Comité spécial poursuivra ses travaux jeudi 21 juin à 10 heures.
*A/AC.109/2018/L.6
**A/AC.109/2018/L.9
APPLICATION DE LA DÉCLARATION SUR L’OCTROI DE L’INDÉPENDANCE AUX 10 PETITS TERRITOIRES NON AUTONOMES
Question de Guam
Intervenant par visioconférence, la Porte-parole du Gouverneur de Guam, Mme AMANDA BLAS, a rappelé que l’Assemblée générale a adopté l’an dernier une résolution, qui, à ses yeux, garde toute sa validité et son actualité. Martelant que Guam est toujours un territoire des États-Unis qui rencontre certaines difficultés, elle a contesté les changements apportés au projet de résolution de cette année, des changements, a-t-elle prévenu, qui risquent d’avoir un impact sur le processus de décolonisation, y compris le libellé sur les dispositions juridiques et la suppression d’un paragraphe. « Guam est un territoire non autonome dont le peuple revendique son droit à l’autodétermination », a-t-elle réaffirmé. Elle a jugé qu’il est plus important que jamais que le processus de décolonisation suive son cours, regrettant, une nouvelle fois, que le nouveau projet de résolution ne reflète pas la réalité de Guam.
Malgré l’appui de nombreux pays de l’Assemblée générale, Mme PIM LIMTIACO, Guahan Coalition for Peace and Justice, a rappelé que les États-Unis et leurs alliés ont voté l’année dernière contre la résolution relative à l’exercice du droit à l’autodétermination de Guam. Elle a blâmé l’Arrêt fédéral américain qui a statué qu’un plébiscite sur l’autodétermination ne peut se limiter aux autochtones. Or, d’après l’article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ces derniers ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice de leur droit d’obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l’État dans lequel ils vivent. Les peuples autochtones ont aussi « le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures ». La pétitionnaire a recommandé que l’ONU fasse pression pour que les États-Unis s’engagent dans le processus de décolonisation de Guam, conformément au droit international et aux termes de la résolution la plus récente de l’Assemblée générale.
Mme JULIA FAYE MUNOZ, Indépendant Guahan, a indiqué qu’en raison d’une loi de 2017 sur la création d’emplois et les réductions fiscales le Gouvernement de Guam devrait perdre 67 millions de dollars de recettes fiscales en 2018. Cette perte significative, qui est de 20 millions de dollars plus élevée que l’estimation initiale qui était de 47,9 millions de dollars, a des conséquences financières importantes. Les responsables élus ont essayé de les atténuer par des coupes budgétaires, y compris à la Commission de Guam sur la décolonisation. Chaque équipe spéciale de la Commission a subi une réduction de 60% de son budget pour les campagnes de sensibilisation en 2018. La faculté de la Commission à sensibiliser la population de Guam à l’importance du droit à l’autodétermination va véritablement être affectée, a-t-elle averti. Une réduction de 18% du financement des territoires américains, y compris Guam, est aussi proposée pour 2019, ce qui ne ferait que fragiliser davantage encore les efforts de décolonisation de Guam.
Compte tenu de ce contexte budgétaire, la pétitionnaire a souhaité que le Comité se contente d’une actualisation technique de la résolution de l’année dernière pour refléter fidèlement la situation. Or, les changements « substantiels » que l’on propose ne reflètent en rien cette situation. La pétitionnaire a souhaité que le libellé sur la décolonisation, les défis financiers ou les préoccupations face aux décisions de la Cour fédérale sur le plébiscite soit conservé. Elle a également dénoncé la suppression du paragraphe sur les préoccupations du territoire face à sa présence involontaire dans une zone de tensions régionales. Les changements proposés pour le projet de résolution de cette année risquent de brouiller la perception de la réalité, sans oublier qu’ils seraient « une insulte » pour le processus de décolonisation.
Question des îles Turques et Caïques
M. BENJAMIN ROBERTS, Turks and Caicos Forum, a commencé par demander au Comité spécial d’accorder 15 minutes, au lieu des 5 habituels aux pétitionnaires des territoires non autonomes qui viennent souvent de très loin pour plaider leur cause aux Nations unies. Il a annoncé qu’hier, sans consultation aucune, la Puissance administrante, le Royaume-Uni, a adopté unilatéralement un décret sur ses territoires d’outremer par lequel elle exige la divulgation des intérêts des individus et des entités qui font des investissements et des placements dans ces territoires. Comme ces individus et entités optent pour ces territoires pour échapper au régime fiscal « sévère » du Royaume-Uni, la Puissance administrante justifie sa décision, en invoquant fallacieusement la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le trafic de stupéfiants. Le pétitionnaire s’est fermement opposé à « la criminalisation » d’une source essentielle de revenus pour des territoires qui se relèvent à peine des dégâts après les ouragans de 2017.
Au lieu de les aider, le Royaume-Uni a décidé de faire « un festin des carcasses » et c’est d’autant plus « discriminatoire et hypocrite » que les îles britanniques de Jersey et de Man, bien connues pour leurs activités bancaires offshore, ne sont pas soumises à la nouvelle réglementation. Le pétitionnaire a invoqué les Conventions des Nations unies relatives aux obligations et responsabilités des puissances administrantes et plus particulièrement celles stipulant qu’elles doivent favoriser le bien-être des habitants de leurs territoires d’outremer. Dès lors le Comité spécial doit se saisir de la question et contraindre le Royaume-Uni à revenir sur sa décision. Il a également dénoncé le fait qu’à ce jour, les îles Turques et Caïques n’ont vu que 2% des fonds promis par la Puissance administrante pour les efforts de reconstruction après les ouragans.
M. ALPHA GIBBS, TC Heritage Communities, a condamné les violations des droits des autochtones perpétrées par la Puissance administrante, qui se départi de ses responsabilités et obligations en vertu de l’Article 73 de la Charte des Nations Unies relatif aux territoires non autonomes. À l’heure actuelle, s’est-il plaint, le Gouverneur du territoire est nommé par le Ministère des affaires étrangères et du Commonwealth, à Londres, sans que le Gouvernement localement élu ou le peuple des îles Turques et Caïques n’aient leur mot à dire. En revanche, ses frais de logement et autres avantages en nature sont à la charge du Trésor public des îles, ce qui n’empêche pas le Gouverneur de se placer au-dessus des lois et de la Constitution des îles.
M. Gibbs a reproché au Royaume-Uni d’aller à l’encontre des intérêts des habitants des îles. Chacun sait que les sociétés étrangères embauchent rarement les locaux à des postes de cadre moyen ou supérieur. De même, il a dénoncé « l’échec lamentable » du Gouverneur à contrôler la migration illégale et à créer les conditions sociales et économiques qui permettraient au territoire de réaliser son indépendance. Les îles Turques et Caïques supportent par ailleurs depuis neuf ans le financement de l’Équipe spéciale chargée des enquêtes et des poursuites, ce qui détourne des ressources essentielles pour les efforts de reconstruction après le passage des ouragans Irma et Maria en 2017. En conclusion, il a réclamé une évaluation indépendante et impartiale de la situation dans les îles.
Question des îles Vierges américaines
M. RUSSEL CHRISTOPHER, OWA-AIVI, a mentionné les « souffrances » des îles Vierges américaines qui découlent du fait que la Puissance administrante continue de violer la résolution 1514 de l’Assemblée générale et le Traité signé en 1916 entre les États-Unis et le Danemark. Ce Traité, a souligné le pétitionnaire, protège les peuples autochtones d’une imposition fiscale « excessive ». Il a également parlé d’une corruption répandue et demandé une action forte de l’ONU. « Si vous voulez priver un peuple de son droit à l’autodétermination, faites comme l’État qui nous contrôle », a-t-il lancé. M. Christopher a accusé les États-Unis de démanteler le système éducatif et le modèle agricole et d’empêcher les habitants de jouir de leurs ressources naturelles. Il a donc exigé le respect de toutes les résolutions de l’Assemblée.
M. CARLYLE CORBIN, du Dependency Studies Project, a rappelé que la participation des territoires non autonomes aux travaux des Nations Unies remonte à 1946, et que leur participation directe aux travaux des Commission régionales en tant que membres associés, à 1992. Il a salué les études de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CELAC) au cours des 15 dernières années qui ont facilité l’intégration des territoires non autonomes qui sont membres associés de la CELAC et permis de renforcer la capacité de l’ONU de les accompagner dans leur évolution politique et constitutionnelle. Revenant à l’étude de 2017 de la CELAC, le pétitionnaire a expliqué qu’elle a permis entres autre de cartographier les options stratégiques pour une plus grande intégration de ces territoires. Il a encouragé le Comité spécial à tenir compte de cette étude dans ses délibérations.