Darfour: la CPI se heurte toujours au manque de volonté politique pour exécuter les mandats d’arrêt, constate sa procureure devant le Conseil de sécurité
L’exécution des mandats d’arrêt pour les crimes graves commis au Darfour demeure un défi considérable pour lequel une coopération renforcée est « douloureusement » nécessaire, a estimé, ce matin, devant le Conseil de sécurité, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Mme Fatou Bensouda.
Venue présenter le vingt-sixième rapport de son bureau sur la situation au Darfour, que le Conseil a déférée devant cette juridiction internationale en mars 2005, Mme Bensouda a constaté que « l’appareil judiciaire de la Cour » est « enrayé » par l’échec de plusieurs États Membres des Nations Unies –parfois des États parties au Statut de Rome de la Cour–, à s’acquitter de leurs obligations internationales d’appréhender et de remettre à la CPI le Président soudanais, M. Omar Al-Bashir, et quatre autres suspects.
« L’accueil de suspects ne peut devenir la routine habituelle », a-t-elle dénoncé, en rappelant que, de la lutte contre l’impunité au Darfour, dépend le retour de la paix et de la stabilité dans une région toujours émaillée d’incidents violents. Le représentant du Soudan, M. Omer Dabah Fadl Mohamed, a, quant à lui, vu dans « l’obstination de la CPI » « un des rares obstacles » au rétablissement de la paix dans son pays.
S’ils ont reconnu l’amélioration de la situation sécuritaire sur le terrain, notamment en raison de l’arrêt des affrontements entre forces gouvernementales et groupes rebelles, plusieurs membres du Conseil ont en effet noté que le Darfour est toujours le théâtre de rivalités intercommunautaires et de violences perpétrées par des milices armées.
La France a demandé aux autorités soudanaises de permettre à l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) de s’acquitter de son mandat. « N’oublions pas que 2,1 millions de personnes au Darfour restent déplacées », a rappelé la représentante, rejointe par son homologue britannique, qui a regretté que Khartoum n’ait pas encore approuvé l’ouverture d’une base aérienne pour la mission.
Mme Bensouda a longuement évoqué aujourd’hui les manquements d’États Membres qui, en accueillant le Chef d’État soudanais lors de visites officielles, ne se sont pas seulement livrés à une violation flagrante du Statut de Rome, mais ont terni la « réputation même » du Conseil de sécurité et lancé un « affront » à ses résolutions pertinentes, dont la résolution 1593 (2005).
« Pas plus tard qu’hier », a dit la Procureure, la Chambre préliminaire de la Cour a conclu que la Jordanie avait failli à ses obligations en vertu du Statut en refusant d’exécuter le mandat d’arrêt émis contre le Président Omar Al-Bashir, lorsque celui-ci se trouvait sur le territoire du Royaume hachémite.
« La Chambre a également décidé que cette situation devrait être examinée par l’Assemblée des États parties et le Conseil de sécurité », a relevé Mme Bensouda, en rappelant une décision « sans équivoque » de la même Chambre, qui avait conclu, le 6 juillet dernier, que l’échec de l’Afrique du Sud à appréhender M. Al-Bashir et à le remettre à la Cour était « contraire » au Statut de Rome.
La France s’est, à cet égard, déclarée résolue à examiner les « modalités d’action » du Conseil sur la base des propositions faites par la Nouvelle-Zélande en décembre dernier, et a réitéré sa propre proposition visant à ce que « les États dont la Cour a constaté qu’ils manquent à leur obligation de coopération soient invités à s’exprimer devant le Conseil de sécurité ». Il reviendra au Conseil de déterminer sur la base de cet échange des suites à donner, a ajouté la délégation.
Pour sa part, le représentant du Soudan a considéré que le Conseil devrait organiser une séance pour examiner les « dysfonctionnements » de la CPI, qu’il a accusée de « corruption ». Il a en outre appelé ses membres à « fermement réprimander » la Cour pour l’usage qu’elle fait de « références inappropriées à son impuissance ».
Après avoir rappelé que sa position était conforme à celle de l’Union africaine, le délégué de l’Éthiopie a plaidé pour une suspension des poursuites contre le Président soudanais et le retrait du renvoi de la situation au Soudan à la CPI. « Le brouillard est en train de se dissiper autour d’une affaire qui a du mal à tenir debout et se révèle de plus en plus embarrassante », a-t-il poursuivi, en balayant l’insuffisance des éléments à charge contre le Président Al-Bashir.
Le délégué éthiopien a ajouté que la levée par les États-Unis des sanctions unilatérales qui frappaient le Soudan venait récompenser l’« engagement positif » du Soudan au Darfour, ce que la déléguée américaine a confirmé.
Cette dernière a toutefois demandé à Khartoum de ménager un accès à la MINUAD dans les zones où des incidents violents continuent d’être signalés. La représentante a en outre regretté que le Président Omar Al-Bashir n’ait pu, jusqu’à présent, rendre des comptes comme « Charles Taylor ou Laurent Gbagbo ».
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Déclarations
Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré que l’exécution des mandats d’arrêt s’agissant des crimes graves commis au Darfour demeurait un défi considérable pour lequel une coopération renforcée est « douloureusement » nécessaire. « L’appareil judiciaire de la Cour est enrayé à moins que les personnes recherchées par la CPI lui soient déférées », a-t-elle déclaré. L’accueil, par les États parties au Statut de Rome, de suspects ne peut devenir la « routine habituelle », ne serait-ce que par égard pour les victimes et l’importance de lutter contre l’impunité, a-t-elle dénoncé.
Son bureau est convaincu que l’échec à appréhender le Président du Soudan, M. Omar Al-Bashir, n’est pas seulement une violation flagrante du Statut de Rome, mais remet en cause la réputation du Conseil de sécurité et constitue un « affront » à ses résolutions pertinentes. La Procureure a tenu à rappeler la décision de la Chambre préliminaire en date du 6 juillet dernier, laquelle a conclu que l’échec de l’Afrique du Sud à arrêter M. Al-Bashir et à le renvoyer devant la Cour est « contraire » au Statut de Rome, une décision qui n’a été contestée jusqu’à présent par aucune partie.
Par ailleurs, « pas plus tard qu’hier », la Chambre préliminaire de la Cour a conclu que la Jordanie a failli à ses obligations en vertu du Statut en refusant d’exécuter le mandat d’arrêt émis contre le Chef d’État soudanais, lorsque ce dernier se trouvait sur le territoire du Royaume hachémite. « La Chambre a également décidé que cette situation devrait être examinée par l’Assemblée des États parties et ce Conseil », a relevé Mme Bensouda, qui a rappelé que la décision « sans équivoque » concernant l’Afrique du Sud était antérieure.
« En bref, depuis mon dernier rapport en date au Conseil de sécurité, M. Al-Bashir a pu se rendre dans un certain nombre de pays, dont des États parties, tous États Membres des Nations Unies », s’est désolée la Procureure. C’est le cas de l’Ouganda, où le Président soudanais a été invité à se rendre en novembre dernier, après y être déjà venu en mai 2016.
En dépit d’une demande de mandat d’arrêt déposée par des organisations de la société civile, les tribunaux ougandais ont refusé d’y donner suite, notamment en raison du fait que l’Ouganda est déjà visé par des sanctions de ce Conseil pour avoir précédemment échoué à appréhender M. Al-Bashir lors de sa précédente visite. Mme Bensouda a également regretté que le Tchad ait accueilli le Président soudanais au mois de décembre.
Elle s’est toutefois félicitée du soutien reçu par son bureau de la part d’autres États parties. Mais elle a regretté de constater que le Soudan continue de se poser en « antagoniste » de la Cour en lui déniant toute coopération. La Procureure a rappelé que M. Al-Bashir bénéficie de la présomption d’innocence jusqu’à ce que la preuve de la culpabilité pour les crimes graves dont lui et les autres prévenus sont accusés soit établie.
Pour elle, le travail de la CPI est indispensable pour la lutte contre l’impunité au Darfour, et ramener, à terme, la paix et la stabilité dans cette région.
Mme SUSAN JANE DICKSON (Royaume-Uni) a salué le rôle précieux de la CPI dans la lutte contre l’impunité. La situation relative aux droits de l’homme reste précaire au Darfour, a-t-elle dit. Elle a plaidé pour une solution politique au Darfour et salué le lancement d’une campagne de désarmement lancé par le Gouvernement. La déléguée a jugé regrettable que le Soudan n’ait pas encore approuvé l’ouverture d’une base aérienne pour l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD).
Dans son vingt-sixième rapport, la Procureure rappelle la nécessité d’une coopération des États pour la bonne exécution du mandat de son bureau, a-t-elle poursuivi. Elle a invité le Conseil à réfléchir aux moyens permettant d’appuyer le Bureau de la Procureure. Elle a dit sa « frustration » devant les déplacements du Président soudanais, ajoutant que l’immunité de M. Omar Al-Bashir ne peut être invoquée pour contrecarrer les efforts de la Cour.
Elle a encouragé les États membres à s’acquitter de leurs obligations au regard du Statut de Rome et de coopérer avec la Cour. Enfin, la représentante a salué l’utilisation rigoureuse par le Bureau de la Procureure des ressources mises à sa disposition, tout en admettant que celles-ci étaient insuffisantes.
M. TEKEDA ALEMU (Éthiopie) a indiqué que la position de son pays sur la question examinée aujourd’hui reflétait celle de l’Union africaine. « Nous demandons une suspension des poursuites et souhaitons que le Conseil procède au retrait du renvoi de la situation au Soudan à la CPI », a-t-il dit. Le délégué a estimé qu’il n’y avait en effet pas suffisamment d’arguments pour justifier le jugement du Président Omar Al-Bashir. Le brouillard est en train de se lever sur une affaire qui a du mal à tenir debout et se révèle de plus en plus embarrassante, a-t-il poursuivi.
M. Alemu a estimé que cette affaire était « une farce de lutte contre l’impunité ». Il a déploré un « manque de sérieux » sur ce dossier, alors que le Conseil doit par ailleurs s’acquitter d’obligations pressantes. Le Soudan a joué un rôle constructif dans la lutte internationale contre le terrorisme, a-t-il dit. Le délégué éthiopien a ajouté que la levée par les États-Unis des sanctions unilatérales qui frappaient le Soudan venait récompenser l’engagement positif du Soudan.
Alors qu’il est souvent inactif sur certains dossiers, dans le cas du Soudan, le Conseil a péché par son hyperactivité, a tranché M. Alemu. Il a jugé que la situation au Darfour s’améliorait et exhorté le Conseil à faire pression sur les mouvements armés pour qu’ils reviennent à la table des négociations. Il est temps que la communauté revoit son approche sur la question soudanaise, a-t-il conclu.
Mme ANNE GUEGUEN (France) a constaté à regret que, plus de 12 ans après l’adoption de la résolution 1593 (2005), les objectifs de ce texte, notamment le déferrement du Président soudanais, M. Omar Al-Bashir, devant la CPI, ne soient toujours pas atteints et que l’impunité continue de prévaloir au Darfour.
Sa délégation a appelé l’ensemble des États concernés, au premier chef le Soudan, à s’acquitter de leurs obligations et à exécuter le mandat d’arrêt visant le Président de ce pays. Si les rapports du Secrétaire général ont fait état d’évolutions encourageantes sur le terrain, en particulier l’arrêt des hostilités entre forces gouvernementales et forces rebelles, les rivalités intercommunautaires et les activités des milices se poursuivent et continuent de faire de nombreuses victimes, a relevé Mme Gueguen.
Il faut, a-t-elle dit, que les autorités soudanaises permettent à l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) de mettre en œuvre son mandat, notamment pour accéder à toutes les zones où les Casques bleus sont censés être déployés. « N’oublions pas que 2,1 millions de personnes au Darfour sont toujours déplacées », a rappelé la représentante.
Briser la spirale de la violence implique selon elle de tenir pour responsables de leurs actes ceux qui l’ont perpétrée. La France a ensuite rappelé l’obligation de coopération de tous les États Membres avec la Cour. « Cela vaut pour Omar Al-Bashir et les autres suspects recherchés par la Cour », a-t-elle souligné. Cette obligation, a-t-elle dit, incombe avant toute chose au Soudan, qui doit exécuter les mandats d’arrêt visant ses ressortissants.
Soulignant aussi la responsabilité du Conseil de sécurité, la délégation a rappelé que, pour rendre plus effective la coopération avec la CPI, la France est résolue à examiner les « modalités d’action » de ce Conseil sur la base de la proposition faite par la Nouvelle-Zélande en 2016.
Elle a enfin réitéré sa propre proposition, à savoir que les États ayant failli à s’acquitter de leurs obligations au titre du Statut de Rome devraient être invités à s’en expliquer devant ce Conseil.
Mme IRINA SCHOULGIN NYONI (Suède) a affirmé que le moment était venu pour le Conseil de remédier aux difficultés du Bureau de la Procureure de la CPI. Le succès du renvoi à la Cour dépend de la bonne coopération des membres de ce Conseil, a affirmé la déléguée. Elle a dit sa déception devant le manque d’avancées s’agissant de la coopération avec la Cour.
Le Président soudanais continue de se déplacer, notamment en Ouganda, a-t-elle déploré. Elle a affirmé que l’immunité du Président soudanais ne saurait être invoquée pour contrecarrer les efforts de la Cour. La CPI a besoin de la coopération des États, a-t-elle affirmé. Elle a invité le Conseil à traiter des cas de non-respect de l’autorité de la Cour « de manière structurée », avant de prendre note des divisions des États africains sur la CPI.
La déléguée de la Suède a exhorté les États à consulter la Cour pour remédier aux difficultés rencontrées dans leur coopération avec elle. La violence sexuelle reste un défi grave au Darfour, a conclu la représentante.
M. FODÉ SECK (Sénégal) a exhorté le Gouvernement soudanais à prendre les mesures nécessaires pour apporter rapidement des réponses aux allégations de violation des droits de l’homme et à veiller à ce que les responsables des crimes allégués répondent de leurs actes. Le représentant a ajouté qu’il était essentiel de passer par le dialogue et la réconciliation pour parvenir à une paix durable et définitive, et, en même temps, trouver une solution durable, appropriée et décente au problème des réfugiés et des personnes déplacées dans cette partie du Soudan.
Il a appelé la communauté internationale à « soutenir l’initiative de paix en cours, en particulier le processus de paix de Doha dont la mise en œuvre reste lente ».
Il importe aussi de soutenir les activités du Groupe de mise en œuvre de haut niveau de l’Union africaine qui ne cesse de déployer des efforts inlassables au service de la paix au Darfour, a poursuivi le représentant qui a regretté que la Procureure soit contrainte d’opérer dans un contexte budgétaire restreint, limitant ainsi ses activités d’enquête et de poursuite. La Procureure doit disposer des moyens lui permettant d’exercer son mandat de rendre justice aux victimes des crimes graves au Darfour et ailleurs, a plaidé le délégué.
Il a aussi déploré la passivité du Conseil de sécurité face aux appels répétés du Procureur. « Voilà 13 ans que le Procureur fait rapport au Conseil deux fois par an, soit 26 rapports aujourd’hui, et jamais une quelconque recommandation stratégique ne lui a été fournie en retour », a dénoncé le délégué.
M. BARLYBAY SADYKOV (Kazakhstan) s’est félicité de la baisse des incidents violents au Darfour, une tendance encourageante selon lui. Il a cependant appelé Khartoum à garantir des solutions dignes pour les plus de deux millions de personnes déplacées dans la région.
Le représentant s’est dit convaincu que la mise en œuvre de l’accord signé à Doha est le seul moyen de parvenir à la paix et la stabilité au Darfour. Il a donc plaidé pour que la communauté internationale s’abstienne de toute mesure susceptible d’empêcher la réalisation de cet objectif et s’emploie à renforcer les capacités du Soudan pour l’aider à poursuivre les efforts qu’il a entrepris.
M. EVGENY T. ZAGAYNOV (Fédération de Russie) a insisté sur les « heurts résiduels » au Darfour et la diminution des affrontements. Le rapport de la Procureure passe néanmoins sous silence cet état de fait, ainsi que les efforts du Gouvernement soudanais pour mettre en œuvre le Document de Doha, a-t-il déploré. Il a salué les avancées dans la coopération entre l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) et le Soudan. Là encore, les auteurs du rapport n’ont pas jugé bon de les mentionner, a-t-il regretté.
Le délégué russe a accusé le Bureau de la Procureure de constamment soulever la question de l’immunité du Président soudanais en vue de rejeter la faute sur ce dernier. Il a déclaré que la résolution 1593 (2005) ne saurait supplanter les normes juridiques relatives à l’immunité des chefs d’États non parties au Statut de Rome.
« La visite du Président soudanais en Russie n’est en rien de la compétence de la CPI et nous n’avons aucunement l’intention de rendre des comptes sur nos contacts avec le Gouvernement soudanais », a-t-il conclu.
M. SEBASTIANO CARDI (Italie) a rappelé que la visite du Groupe de travail sur les enfants dans les conflits armés du Conseil de sécurité avait confirmé la persistance de conflits intercommunautaires et d’incidents violents au Darfour, y compris de violences sexuelles commises par des milices. Il s’est ensuite élevé contre l’« impasse prolongée » dans laquelle se trouve ce Conseil s’agissant de la lutte contre l’impunité au Soudan. L’inaction en ce domaine ne peut pas être reprochée à la Cour, « c’est aux États de s’acquitter de leurs obligations internationales et de faire preuve de volonté politique », a tranché le représentant.
Pour lui, il faut que le Conseil de sécurité travaille davantage sur des processus plus vigoureux pour répondre aux situations dans lesquelles règne l’impunité, « au Darfour et ailleurs ». Cela permettrait de créer des dynamiques et de trouver des solutions créatives, au lieu de « répéter les mêmes arguments tous les six mois », a estimé la délégation.
M. AMR ABDELLATIF ABOULATTA (Égypte) a rappelé la position africaine unifiée sur la question examinée ce jour par le Conseil. L’Afrique est attachée à la lutte contre l’impunité, a-t-il affirmé. Toujours selon cette position, la Cour doit respecter les immunités conférées aux chefs d’État et hauts fonctionnaires pendant leur mandat, a poursuivi M. Aboulatta.
Le délégué a ensuite mis en garde contre toute mesure susceptible de saper la souveraineté d’États, au prétexte que ces États n’auraient pas coopéré avec la Cour. Cela vaut d’autant plus si lesdits États ont émis des réserves sur la compétence de la Cour ou ne sont pas parties au Statut de Rome, a conclu le représentant de l’Égypte.
Mme MICHELE J. SISON (États-Unis) a rappelé que cela fait 12 ans que la situation au Darfour a été renvoyée par le Conseil de sécurité devant la CPI. L’accent mis sur la sécurité et la sûreté des civils de cette région, a-t-elle expliqué, a été l’un des points essentiels du plan d’action mis en place par les États-Unis et dont la mise en œuvre conditionne la levée progressive des sanctions imposées par Washington au Soudan.
Or, selon elle, en dépit d’améliorations notables sur le terrain, la situation demeure préoccupante, comme l’illustre la force excessive dont les forces gouvernementales font preuve à l’encontre de la population civile, laquelle est visée aussi par des attaques de milices, en particulier les femmes et les enfants.
C’est la raison pour laquelle la délégation américaine a appelé Khartoum à ménager un accès à l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) dans les zones où les incidents ont été signalés. Mme Sison s’est dite déçue de constater que le Président soudanais Omar Al-Bashir puisse se rendre à l’étranger sans être inquiété. « D’autres dirigeants qui ont ciblé leurs propres citoyens, Charles Taylor et Laurent Gbagbo, ont dû répondre de leurs actes », a-t-elle relevé.
En conclusion, la représentante a réitéré la position des États-Unis concernant l’Afghanistan: « Comme nous l’avons indiqué en novembre dernier, nous avons une “objection de principe” de longue date contre toute compétence juridictionnelle de la CPI sur des personnels américains. »
M. VOLODYMYR YELCHENKO (Ukraine) a réitéré le plein soutien de son pays à la Cour pénale internationale (CPI) en tant qu’outil de promotion de la justice internationale et de lutte contre l’impunité. L’Ukraine, qui préside le Comité de sanctions sur le Soudan, se félicite de la stabilité de la situation sécuritaire au Darfour, même si elle est inquiète de sa fragilité et des violations continues des droits de l’homme comme le mentionne le rapport, notamment des cas d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de pressions politiques sur les opposants et membres de la société civile, ou encore des cas de viols et autres abus sexuels. Les auteurs de ces actes doivent être tenus responsables de leurs comportements, a-t-il dit.
Revenant à la situation au Darfour, le représentant a expliqué que sans la coopération de tous les États, tous les suspects impliqués continueront de fuir et leur statut continuera d’être utilisé comme excuse par des États qui ne veulent pas respecter leurs obligations internationales. Ce manque de coopération frappe aussi le Conseil de sécurité, qui n’est toujours pas prêt à prendre des mesures pour mettre en œuvre les décisions de la CPI sur la non-coopération. Or, toute tentative d’empêcher la mise en œuvre de ces décisions, non seulement creuse le fossé entre crime et responsabilité, mais récompense l’impunité, en plus de provoquer d’autres abus.
La délégation ukrainienne appelle donc tous les États Membres des Nations Unies à mettre en œuvre la résolution 1593 (2005). Car de son point de vue, la non-application des décisions et demandes de la CPI mine les fondations du système de justice pénale internationale. Elle estime que la consolidation des efforts visant à lutter contre l’impunité devrait prévaloir sur toute autre considération, et permettre l’arrestation des suspects désignés par la CPI, a-t-elle conclu.
Constatant avec regret l’immobilisme de la situation au Soudan depuis juin dernier, M. LUIS HOMERO BERMÚDEZ ÁLVAREZ (Uruguay) a fait part de sa « consternation » face au manque de coopération des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) sur la question soudanaise. Il a notamment dénoncé les enfreintes répétées à la résolution 1593 (2003) du Conseil de sécurité, qui exhorte non seulement les parties au conflit au Darfour, mais également l’ensemble des États et organisations régionales et internationales compétentes à coopérer pleinement avec la CPI.
Ces États qui refusent de coopérer avec la Cour ne sont toutefois pas les seuls responsables, a nuancé M. Bermúdez Álvarez, pointant également du doigt le Conseil, dont il a critiqué le manque d’efficacité et l’inaction. M. Bermúdez Álvarez a appelé le Conseil à s’impliquer davantage dans l’examen des cas où des États ne coopéreraient pas avec la CPI et à veiller à ce que les mandats d’arrêt émis par la Cour soient pleinement mis à exécution.
À l’instar des propositions formulées l’an dernier par la Nouvelle-Zélande, le représentant a donc exhorté le Conseil à prendre des « mesures concrètes » pour remédier aux cas de non-coopération avec la Cour.
M. SACHA SERGIO LLORENTTY SOLÍZ (Bolivie) a rappelé que lorsque le Conseil de sécurité a, par la résolution 1593 (2005), déféré au Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) la situation au Darfour, il a également encouragé la Cour à soutenir la coopération internationale à l’appui des efforts visant à promouvoir l’état de droit, défendre les droits de l’homme et combattre l’impunité. L’accent a été mis sur la paix, la réconciliation et la création d’institutions. À cet égard, le représentant a jugé fondamentale la coopération avec l’Union africaine.
Actuellement, a considéré M. Llorentty Solíz, « nous sommes témoins d’une évolution positive de la situation au Soudan, grâce aux efforts conjoints de l’Union africaine, du Gouvernement et des Nations Unies ». Selon lui, « le développement et l’avenir de la justice pénale internationale sont étroitement liés aux concepts de coopération et de complémentarité des États ».
Après plus d’une décennie de conflit au Darfour, il faut rétablir les capacités locales, a-t-il insisté, avant d’appeler tous les États qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le Statut de Rome en vue de son universalisation. « Nous ne pouvons pas avoir un dialogue sincère alors que certains pays exigent toute la rigueur de la justice tout en ne respectant pas leurs obligations internationales », a déploré le représentant.
M. LI YONGSHENG (Chine) s’est félicité de constater que la situation au Darfour ait été généralement calme, même si des difficultés continuent de se poser sur le terrain en raison des agissements de certains groupes armés dans la région.
Dans ce contexte, a estimé le représentant, la communauté internationale devrait faire preuve de neutralité et soutenir Khartoum dans ses efforts pour rétablir la paix et la stabilité au Darfour.
M. YASUHISA KAWAMURA (Japon) a redit le plein soutien du Japon au Bureau de la Procureure. « Nous avions appuyé la résolution 1593 (2005) en raison de la gravité des faits commis au Darfour », a-t-il dit, avant de juger fondamentale la coopération avec la Cour. Il a exhorté les États Membres à appliquer la résolution, ajoutant que l’inexécution de cette résolution ne ferait que miner la crédibilité du Conseil.
Le délégué a noté les évolutions positives s’agissant de la situation au Darfour et de la coopération du Soudan avec la communauté internationale. « Ces efforts doivent se poursuivre. » Le représentant a, en revanche, regretté le manque de progrès s’agissant de la coopération avec la Cour, avant de réitérer le soutien résolu du Japon aux activités de la CPI.
M. OMER DAHAB FADL MOHAMED (Soudan) a commencé par rappeler que son pays n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) et s’est étonné que la résolution 1593 (2005), qui renvoie la situation au Darfour à la CPI, précise que la juridiction de la Cour ne s’applique pas aux pays qui n’y sont pas parties. Cette « contradiction flagrante » avec les règles directrices du droit international résulte des « incohérences » inhérentes au Statut de la CPI et en particulier aux larges pouvoirs accordés au Procureur général de la Cour, a-t-il fait valoir.
Évoquant le vingt-sixième rapport de la Procureure de la CPI, le représentant a estimé que, comme les précédents, il n’a qu’un « objectif prédéterminé » qui est de servir d’« outil politique » à la CPI. Il en a voulu pour preuve que, dans le paragraphe 36 du présent rapport, le Bureau de la Procureure se félicite de l’adoption par le Conseil de la résolution 2363 (2017), laquelle proroge le mandat de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) jusqu’au 30 juin 2018.
Cette résolution, a-t-il souligné, ne met pas fin au mandat de la MINUAD parce que la CPI ne veut pas voir s’arrêter la guerre au Darfour. Il s’agit là, a poursuivi le délégué, d’un « objectif politique » que la CPI entend atteindre en appliquant sa juridiction au Soudan sans tenir compte de la réalité sur le terrain et du fait que tout prolongement de la mission pourrait provoquer de nouveaux bains de sang. C’est pourquoi, a-t-il dit, « nous considérons que l’obstination de la CPI est un des rares obstacles à éliminer pour parvenir à la paix au Soudan ».
Réaffirmant que la simple création de la CPI contrevient aux principes du droit international et que les conventions et accords internationaux ne concernent que les États parties, le représentant a également relevé que, dans ses paragraphes 7 et 8 sur les audiences préliminaires de la Cour, le rapport rejette un principe reconnu relatif à l’immunité. « Au vu des échecs enregistrés par cette Cour, nous ne sommes pas surpris par cette position », a-t-il déclaré, assurant ne se faire aucune illusion sur les objectifs de la CPI en la matière.
Pour le représentant, l’accueil réservé par des pays du monde, à l’occasion de rencontres bilatérales ou régionales, au Président soudanais M. Omar Al-Bashir, vient conforter les principes qui gouvernent les relations entre États, à savoir « les principes de paix, de souveraineté et d’égalité entre États, et d’échanges d’intérêts mutuels ». Le ciblage du Président soudanais, « sans raison et contre toute évidence », va donc à l’encontre de la stabilité politique et sécuritaire du pays et vise, au contraire, à le « démembrer » en le poussant dans une « guerre désastreuse », a-t-il accusé.
Soulignant d’autre part que l’Afrique du Sud n’aurait pu atteindre la paix et se débarrasser du régime d’apartheid sans recourir à l’amnistie et à la création d’une commission de justice et de réconciliation, le représentant a estimé que la CPI a totalement échoué dans son objectif de contribuer à la réalisation de la justice et de la paix, notamment parce que le coût d’un seul procès s’élève à plus de 1,3 milliard d’euros, contre 43,5 millions de dollars pour un procès devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
Le représentant a encore accusé la CPI de se transformer en « organe de contrôle », jugeant que le rapport présenté au Conseil contient des « informations fabriquées » sur la situation actuelle au Darfour, notamment sur le nombre des personnes déplacées et les violations commises, lesquelles « sortent du champ de compétence de la Procureure de la CPI ».
Avant de conclure, il a appelé le Conseil à « fermement réprimander » cette dernière pour l’usage qu’elle fait de « références inappropriées à son impuissance ».