La Fédération de Russie s’oppose de nouveau au renouvellement du mandat du Mécanisme d’enquête sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie
Affichant une fois de plus ses divisions sur le dossier syrien, le Conseil de sécurité n’a pas été en mesure, cet après-midi, d’adopter un projet de résolution, qui aurait renouvelé, pour une période de 30 jours, le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et de l’Organisation des Nations Unies (OIAC-ONU), arrivant à expiration ce soir.
Le texte, qui a recueilli 12 voix pour, n’a pu être adopté en raison du vote négatif de la Fédération de Russie. La Bolivie a également voté contre, tandis que la Chine s’est abstenue. La veille, le Conseil avait rejeté deux projets de résolution concurrents, l’un en raison du vote négatif de la Fédération de Russie, l’autre projet n’ayant pas reçu les neuf voix nécessaires à son adoption.
Le projet de résolution d’aujourd’hui, présenté par le Japon, demandait par ailleurs au Secrétaire général de soumettre au Conseil des propositions reflétant les vues de ses membres sur la structure du Mécanisme et la méthodologie employée.
Ce troisième veto russe en moins d’un mois sur le mandat du Mécanisme a provoqué la « détresse », la « stupéfaction » et « l’atterrement » des délégations ayant voté en faveur du texte. Ce veto, qui cherche à protéger la Syrie, entache la réputation de la Russie, a déclaré le délégué du Royaume-Uni.
C’est « honteux », a renchéri la déléguée des États-Unis. « Je présente les excuses les plus sincères au nom de ce Conseil aux victimes du régime syrien. » Le délégué de la Fédération de Russie leur a répondu qu’une prorogation du mandat du Mécanisme aurait été possible si ses lacunes systématiques avaient été comblées.
Il a regretté le rejet hier de l’un des deux textes, « en raison de trois vetos de membres permanents », qui pourtant « assainissait » le mandat du Mécanisme. Le délégué russe a invité à ne pas dramatiser la situation, ajoutant que le projet russe était toujours sur la table.
Le délégué de la Suède a demandé des consultations après cette séance afin d’examiner tous les moyens qui demeurent pour proroger le mandat du Mécanisme.
Créé par le Conseil le 7 août 2015, le Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU est « chargé d’identifier les personnes, entités, groupes ou gouvernements qui ont perpétré, organisé ou commandité l’utilisation comme armes, en République arabe syrienne, de produits chimiques, y compris le chlore ou d’autres produits toxiques ».
Le 7 novembre, le Chef du Mécanisme, M. Edmond Mulet, avait présenté devant le Conseil le septième rapport du Mécanisme, qui imputait, notamment à la Syrie l’attaque à Khan Cheïkhoun du 4 avril 2017.
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Explications de vote sur le projet de résolution présenté par le Japon
M. KORO BESSHO (Japon), dont le pays parraine le projet de résolution, a indiqué avoir proposé ce texte pour permettre davantage de délibérations entre les États Membres. Le travail du Mécanisme doit se poursuivre, a-t-il dit.
Mme NIKKI R. HALEY (États-Unis) a considéré que la Fédération de Russie faisait « perdre son temps » à ce Conseil. Comme nous le « suspections », Moscou n’a jamais souhaité faire usage du temps disponible pour s’accorder sur un texte de résolution, a-t-elle dit. En vérité, la Russie ne veut d’aucun mécanisme en mesure de faire la lumière sur les attaques à l’arme chimique perpétrées par son allié syrien. C’est « honteux », a-t-elle tranché.
Ces dernières semaines, tous les membres du Conseil avaient souligné la nécessité de présenter des éléments de preuve crédibles, a poursuivi Mme Haley. Dans leur projet de résolution, les Japonais avaient inclus une disposition identique à celle figurant dans le projet russe. En exerçant son droit de veto, la Russie a montré que, depuis le début, elle n’avait aucune intention de négocier avec l’un d’entre nous. Ce n’est pas ainsi que le Conseil doit fonctionner, a-t-elle ajouté. « Je présente les excuses les plus sincères au nom de ce Conseil pour les victimes du régime syrien. » Mais nous ne cèderons pas devant l’obstruction, a assuré la représentante.
M. AMR ABDELLATIF ABOULATTA (Égypte) a rappelé à quel point les visites de sites étaient importantes pour que le Mécanisme puisse produire les éléments de preuve en mesure d’étayer ses conclusions. Il a expliqué que sa délégation avait appuyé le projet japonais, puisqu’il aurait ouvert la voie à une reconfiguration du mandat du Mécanisme, regrettant qu’il n’ait pas été adopté.
M. FRANÇOIS DELATTRE (France) s’est dit « atterré » par le vote et a indiqué que cette accumulation de vetos posait problème. Si le Mécanisme n’est pas renouvelé, il sera dissous ce soir, occasionnant la disparition de mois d’efforts, a-t-il dit. Il a loué la neutralité du texte, avant d’insister sur les conséquences du vote. Nous allons assister à la fin du Mécanisme, a-t-il averti, avant d’ajouter que le régime de non-prolifération allait en sortir affaibli. « Si tout cela se produit, nous allons en payer le prix fort. » Il a affirmé néanmoins qu’il était impossible de se résigner. « Le vote désastreux de ce jour ne peut être le mot de la fin », a-t-il conclu.
M. MATTHEW JOHN RYCROFT (Royaume-Uni) a dit sa « stupéfaction » devant le vote. Ce troisième veto de la Russie montre le souci de ce pays de protéger la Syrie, a-t-il déclaré, ajoutant que le vote entachait la réputation de la Russie. Il a de nouveau salué la rigueur des analyses du Mécanisme.
M. OLOF SKOOG (Suède) a voulu se montrer « bref » dans sa détresse. Il a demandé des consultations après cette séance afin d’examiner tous les moyens qui demeurent pour proroger le mandat du Mécanisme.
M. VOLODYMYR YELCHENKO (Ukraine) n’a pas trouvé de mots pour exprimer sa frustration au sujet de ce vote. Il a rappelé que son pays avait appuyé le principe du mandat du Mécanisme d’enquête conjoint. Les efforts désespérés de la Russie pour mettre fin à tout prix à ce mécanisme soulèvent des questions, a-t-il déploré, accusant Moscou de l’avoir « tué ».
M. ELBIO OSCAR ROSSELLI FRIERI (Uruguay) a expliqué avoir voté en faveur du projet, demandant que l’on surmonte la polarisation croissante du Conseil autour de cette question, et apportant son soutien à la demande de la Suède.
M. KAIRAT UMAROV (Kazakhstan) a encouragé les membres du Conseil à s’entendre, proposant ses services pour jouer les médiateurs dans ce différend.
M. SACHA SERGIO LLORENTTY SOLÍZ (Bolivie) a remercié le Japon de sa proposition, mais sans la participation de tous les intervenants, il était prévisible que la situation d’hier se répète. Souscrivant à la proposition de la Suède, il a considéré que le Conseil devait continuer de s’atteler à cette tâche.
M. WU HAITAO (Chine) a noté les divergences des membres du Conseil sur le Mécanisme. Au vu de ces divergences, la mise aux voix n’était pas de nature à favoriser l’unité du Conseil et l’avancement du processus politique syrien, a-t-il conclu.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a indiqué avoir dit son opposition à ce texte avant la mise aux voix. Selon lui, toute prorogation du mandat du Mécanisme n’est possible que si l’on corrige ses lacunes. « La direction du Mécanisme s’est couverte de honte en validant une enquête mensongère à Khan Cheïkhoun », a-t-il insisté.
Le représentant a affirmé que le texte imposait en outre une tâche « herculéenne » au Secrétaire général dont il ne pouvait pas s’acquitter, au regard des divergences entre les États Membres. Il a rappelé la nature éminemment politique de la réunion d’hier. « La crédibilité du Conseil serait-elle sortie grandie en prorogeant le mandat d’un mécanisme qui ne fait que valider des enquêtes incriminant la Syrie? » a-t-il demandé.
La fin du Mécanisme n’est pas une menace au régime de non-prolifération, a-tranché M. Nebenzia. Il a indiqué que la menace la plus pressante était le terrorisme chimique. Il a regretté le rejet du texte bolivien qui pourtant assainissait le mandat du Mécanisme. Ce rejet est en réalité le résultat de trois vetos de membres permanents, a-t-il souligné. En conclusion, il a invité le Conseil à ne pas dramatiser la situation, ajoutant que le projet russe était toujours sur la table.
M. SEBASTIANO CARDI (Italie) a déclaré avoir voté en faveur du texte japonais, rappelant son attachement au régime de non-prolifération. Aussi s’est-il dit déçu du résultat du vote, en affirmant que tout serait mis en œuvre jusqu’à minuit pour sauver le Mécanisme d’enquête conjoint.