7963e séance – après-midi
CS/12863

Darfour: la Procureure de la Cour pénale internationale demande une nouvelle fois le soutien du Conseil de sécurité

Il est impératif de travailler ensemble pour redonner foi et espoir en la justice au Darfour, car la reddition de comptes est une condition préalable à la paix dans cette région, a déclaré aujourd’hui devant le Conseil de sécurité la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI).  Mme Fatou Bensouda a donc demandé au Conseil d’« assumer pleinement ses responsabilités aux termes de la résolution 1593 (2005) » par laquelle, il y 12 ans, le Conseil avait déféré à la CPI la situation au Darfour.

En présentant au Conseil son vingt-cinquième rapport au titre de la résolution 1593, Mme Bensouda a rappelé que cette dernière avait suscité l’espoir mais aussi des attentes de la part des milliers de victimes du Darfour.  Or, a-t-elle regretté, cet espoir a progressivement laissé la place à la déception, la frustration, voire la colère face à la lenteur du processus, puisqu’à ce jour aucune des personnes contre lesquelles des mandats d’arrêt ont été lancés n’a été arrêtée et transférée à la CPI, alors même que les personnes mises en cause, parmi lesquelles le Président soudanais Al-Bashir, sont accusées de certains des crimes les plus graves aux termes du Statut de Rome de la CPI.

Si elle s’est dite « aussi déterminée que jamais » à poursuivre sa quête de justice au Darfour « sans peur ni faveur », la Procureure s’est surtout attachée à mettre le Conseil devant ses responsabilités.  Elle a notamment rappelé qu’aucune des 13 décisions par lesquelles la chambre préliminaire de la CPI avait constaté le non-respect par des États de leurs obligations au titre du Statut de Rome ou de la résolution 1593 n’avait été suivie du moindre effet au Conseil.  « Pour le moins, ce Conseil devrait démontrer son appui au travail de mes services en prenant des mesures concrètes face aux décisions de non-respect », a-t-elle lancé.

Mme Bensouda faisait notamment référence aux nombreux déplacements dans des pays étrangers, dont certains sont parties au Statut de Rome, du Président Al-Bashir.  « Inviter, faciliter ou soutenir un déplacement international de toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI est incompatible avec un engagement en faveur de la justice internationale et constitue un affront à l’encontre des victimes du Darfour », a asséné Mme Bensouda, qui a rappelé que les membres du Conseil avaient le pouvoir, individuellement ou collectivement, d’influencer les États fautifs, qu’ils soient ou non parties au Statut de Rome.

Consciente de l’impasse actuelle entre le Gouvernement soudanais et le Conseil de sécurité, Mme Bensouda a invité ce dernier à étudier sérieusement les propositions présentées par la Nouvelle-Zélande il y a quelque temps pour y remédier.

Lors du débat, la Procureure a reçu le plein appui de la Suède, qui a rappelé que le Conseil était tenu de respecter sa propre décision de renvoyer la situation au Darfour devant la CPI.  De même, l’Italie a jugé obligatoire la coopération des États avec la CPI sur le dossier du Darfour, ajoutant qu’il n’y avait aucune raison valable pouvant justifier que les auteurs des exactions dans cette région ne soient pas traduits en justice ou que les États puissent se soustraire à leurs obligations, même si on peut discuter des processus de cette coopération.

La France a elle aussi rappelé l’obligation de coopération de tous les États Membres des Nations Unies avec la CPI, obligation qui « incombe au premier chef au Soudan, qui doit mettre à exécution les mandats d’arrêt contre ses ressortissants ».  Elle a en outre souligné la responsabilité du Conseil de sécurité de rendre effective la coopération avec la CPI et de veiller à l’exécution des mandats d’arrêt. 

En revanche, l’Éthiopie et l’Égypte ont rappelé que l’Afrique avait adopté une position commune pour réclamer la fin des poursuites contre le Président soudanais et ont regretté que le Conseil n’ait pas donné suite à cette requête.  Ces deux pays ont dénoncé un comportement « politisé » de la CPI à l’égard de l’Afrique.  Le représentant de l’Éthiopie s’est dit « convaincu que le renvoi de la situation au Darfour devant la CPI causerait plus de mal que de bien » et son homologue de l’Égypte a ajouté que la CPI ne devait prendre aucune mesure susceptible de porter atteinte à la souveraineté, l’indépendance ou la sécurité des États du continent.

De son côté, le Sénégal, troisième État africain membre du Conseil, a renouvelé son soutien à la Procureure et à la lutte contre l’impunité dans le monde et en Afrique en particulier.

Si l’Uruguay a souhaité un rôle plus actif du Conseil, la Fédération de Russie a estimé que les manquements signalés par la Procureure relevaient plus de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome que du Conseil de sécurité.  Vouloir faire passer ces questions par le Conseil lui semble « contre-productif ».  Le représentant russe a en revanche noté la baisse du niveau de violence au Darfour, ce dont plusieurs autres membres du Conseil se sont également félicités.

Toutefois, pour les États-Unis, on ne saurait oublier les victimes et les exactions commises, car il ne peut y avoir de paix durable et stable sans justice.  Il existe d’ailleurs de nombreux autres cas où des chefs d’État qui s’en sont pris à leurs concitoyens ont eu à rendre des comptes et le Darfour ne doit pas constituer une exception.  Il est notamment inacceptable de voir le Président Al-Bashir voyager impunément et être reçu à bras ouverts dans le monde alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt.

En fin de séance, le représentant du Soudan, qui a rappelé que le renvoi de la situation au Darfour à la CPI n’avait pas fait l’objet d’un consensus au Conseil de sécurité, s’en est vivement pris à la Procureure et à la CPI en général, qualifiée de « tribunal fantoche » qu’il a décrit comme « en piteux état ».  Il s’est cependant félicité de la « position ferme du Conseil de sécurité », estimant que celui-ci avait contribué à la fin du conflit au Darfour en appuyant un règlement politique.

RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD

Déclarations

Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), qui présentait au Conseil son vingt-cinquième rapport sur la situation au Darfour, a rappelé que le déferrement par le Conseil de la situation dans cette région par la résolution 1593 (2005) avait représenté un jalon dans les efforts de la communauté internationale en faveur de la justice internationale et de la redevabilité pour les crimes les plus atroces. 

La décision du Conseil avait alors suscité l’espoir mais aussi des attentes de la part des milliers de victimes du Darfour, a fait observer la Procureure.  Certaines de ces victimes, qui ont eu foi dans la communauté internationale et le Conseil de sécurité, sont courageusement venues relater au Bureau du Procureur les événements horribles qu’elles avaient vécus.  Les éléments de preuve apportés ont permis de lancer des mandats d’arrêt contre de nombreuses personnes, y compris Omar Al-Bashir, Ahmad Haroun, Abdel Raheem Hussein, Ali Kushayb et Abdallah Banda, a rappelé Mme Bensouda.

C’est pourquoi la Procureure a jugé regrettable que cet espoir ait progressivement laissé la place à la déception, la frustration, voire la colère face à la lenteur du processus.  En effet, aucune des personnes contre lesquelles des mandats d’arrêt ont été lancés n’a été arrêtée et transférée à la CPI, a constaté Mme Bensouda, qui a rappelé que les hommes en question étaient accusés de certains des crimes les plus graves aux termes du Statut de Rome de la CPI.

Mme Bensouda a toutefois tenu à dire aux victimes et à leurs familles: « ne désespérerez pas, ne perdez pas espoir », malgré toutes les difficultés.  Elle a estimé que le temps était favorable à la justice, citant en exemple les tribunaux ad hoc pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, qui ont permis l’arrestation de suspects parfois plusieurs années après la publication des mandats d’arrêt.

Mme Bensouda s’est néanmoins dite « aussi déterminée que jamais » à poursuivre sa quête de justice au Darfour, affirmant sa volonté de poursuivre son travail « sans peur ni faveur ».  Elle a alors expliqué que, malgré les contraintes budgétaires, de nouveaux enquêteurs avaient été recrutés.  Elle a rendu hommage au professionnalisme de ses équipes dans des temps difficiles et malgré « l’absence totale de coopération du Gouvernement soudanais », qui empêche d’enquêter sur le terrain.

Mme Bensouda a d’ailleurs relevé une amélioration de la situation sur le terrain, ce qui peut ouvrir la voie à des progrès.  Elle a notamment cité les informations fournies par l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD), et le fait que cette mission ait désormais accès à certaines parties du Djebel Marra.  Pour qu’il y ait progrès, il faudra toutefois que cet accès soit maintenu, a-t-elle averti.

La Procureure a en même temps rappelé que son rapport fait aussi état de nombreux problèmes persistants au Darfour, y compris des affrontements entre l’opposition armée et les forces soudanaises, les multiples exactions dont continuent d’être victimes les personnes déplacées et réfugiées ou encore l’augmentation du nombre des arrestations arbitraires et détentions prolongées de militants des droits de l’homme.

Mme Bensouda a également rappelé que, d’ici à juillet, la chambre préliminaire de la CPI devrait décider si l’Afrique du Sud, État partie au Statut de Rome, a agi en violation de ce dernier en n’arrêtant pas le Président Al-Bashir lorsqu’il s’est rendu dans le pays en juin 2015 et si cet État doit être déféré devant l’Assemblée des États parties au Statut de Rome ou au Conseil de sécurité.  

Elle a également rappelé que M. Al-Bashir s’était récemment rendu en Jordanie, autre État partie au Statut de Rome, et que, là encore, le pays n’avait pas arrêté le suspect, malgré un rappel du greffier de la CPI.  C’est pourquoi Mme Bensouda a demandé à la Jordanie  de s’expliquer, afin que la chambre préliminaire détermine là aussi s’il y avait eu non-respect des obligations au titre du Statut de Rome.  La Procureure a également regretté que se poursuivent les déplacements du Président Al-Bashir vers d’autres pays non parties au Statut de Rome et a noté que, sous la pression diplomatique, ce dernier avait finalement renoncé à se rendre en mai dernier à un Sommet en Arabie saoudite. 

« Inviter, faciliter ou soutenir un déplacement international de toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI est incompatible avec un engagement en faveur de la justice internationale et constitue un affront à l’encontre des victimes du Darfour », a déclaré Mme Bensouda, qui a ensuite mis le Conseil de sécurité devant ses responsabilités.  Elle a ainsi rappelé que les membres du Conseil avaient  le pouvoir, individuellement ou collectivement, d’influencer les États fautifs, qu’ils soient ou non parties au Statut de Rome.

« Pour le moins, ce Conseil devrait démontrer son appui au travail de mes services en prenant des mesures concrètes face aux décisions de non-respect », a-t-elle ajouté, avant de faire observer qu’à ce jour, aucune des 13 décisions de ce type n’a fait l’objet d’une prise en compte par le Conseil.  En n’agissant pas pour répondre aux décisions de la Cour, le Conseil abandonne et sape les responsabilités qui sont les siennes en vertu du Statut de Rome et en vertu de la résolution 1593, a affirmé la Procureure. 

C’est pourquoi Mme Bensouda a pressé le Conseil d’étudier sérieusement les propositions présentées il y a quelque temps au Conseil par la Nouvelle-Zélande et d’autres pays, qui portent sur la manière de traiter ces rapports de la CPI sur le non-respect des obligations.  Ces propositions, a-t-elle rappelé, mettaient en évidence la nécessité de sortir de l’impasse actuelle dans les relations entre le Conseil et le Gouvernement du Soudan.  La Procureure a rappelé son soutien à de telles propositions.

Enfin, Mme Bensouda a rappelé que le Conseil, dans sa résolution 2340 (2017) adoptée en février dernier, avait invité le Gouvernement soudanais à consentir des efforts efficaces pour lutter contre l’impunité et les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire.  Pour la Procureure, il est évident que de tels efforts incluent une pleine coopération entre le Soudan et la CPI, ce qu’impose aussi la résolution 1593 (2005).  Mme Bensouda a donc demandé au Conseil de sécurité de renouveler son soutien à ses services, notamment en ce qui concerne l’arrestation et le déferrement des suspects à la Cour.  Il est impératif de travailler ensemble pour redonner foi et espoir en la justice au Darfour, car la reddition de comptes est une condition préalable à la paix dans cette région, a insisté Mme Bensouda, qui a donc demandé au Conseil d’« assumer pleinement ses responsabilités aux termes de la résolution 1593 » et d’appuyer ses efforts, dans l’intérêt de la justice, de la stabilité et d’une paix durable au Darfour.  « Ne l’oublions pas: la branche d’olivier de la paix est stérile sans le tronc d’une justice impartiale », a-t-elle conclu. 

Mme HELEN MULVEIN (Royaume-Uni) a exprimé son plein appui à la CPI, en soulignant qu’elle joue un rôle important dans des conditions parfois très difficiles sur le terrain, comme c’est le cas au Darfour.  Si elle s’est félicitée de la réduction des violences et de l’annonce d’une cessation unilatérale des hostilités ces derniers mois, elle s’est toutefois dite préoccupée par les nouvelles qui font état de nouveaux affrontements et par le recours à la violence sexuelle dans ce conflit.

La représentante s’est félicitée d’un meilleur accès pour la MINUAD et les acteurs humanitaires.  Comme la Procureure, elle a déploré les attaques perpétrées contre les personnes déplacées.  Selon elle, toute modification du mandat de la MINUAD doit se faire de manière graduelle et en veillant à assurer la protection des civils.

Elle a aussi estimé que la CPI devait bénéficier de l’appui qu’elle mérite dans l’application de la résolution 1593 (2005), alors que des fugitifs comme M. Al-Bashir continuent de se déplacer sans problème.  Elle a également exhorté tous les États à consulter la CPI avant de prendre des mesures concernant cette situation. 

M. TEKEDA ALEMU (Éthiopie) a condamné l’attaque perpétrée récemment contre un groupe de Casques bleus de la MINUAD au Darfour.  « En Afrique, à maintes reprises, nous avons affirmé notre attachement sans faille à la lutte contre l’impunité et pour la primauté du droit », a-t-il ensuite assuré.  S’agissant de la CPI, nombre d’États africains ont ratifié le Statut de Rome, a-t-il rappelé.  Malheureusement, la façon dont la CPI s’est mise à fonctionner a constitué un grave motif de déception pour l’Afrique qui a dû exprimer de nombreuses réserves par rapport à la CPI, a-t-il expliqué.

Sur le dossier soudanais, il a précisé que son pays en particulier était « convaincu que le renvoi de la situation au Darfour devant la CPI causerait plus de mal que de bien » et que cela entraverait le règlement du conflit.  C’est pour cela qu’il avait demandé au Conseil de sécurité de reporter ce renvoi, « compte tenu du rôle indispensable joué par le Président soudanais en faveur de la paix ».  Il a aussi critiqué « une vision étriquée de la paix dans la région ».  Selon lui, il y a lieu d’établir un équilibre dans les situations d’après conflit et de trouver des solutions locales. 

« La politisation excessive dont est victime le Président du Soudan doit cesser », a insisté le représentant, arguant que la situation au Darfour avait continué de s’améliorer de façon notable.

M. AMR ABDELLATIF ABOULATTA (Égypte) a rappelé que l’Afrique avait adopté une position unifiée sur la manière dont la CPI doit traiter de questions qui concernent le continent.  Cette position se retrouve dans des résolutions de l’Union africaine, a rappelé le représentant.  En vertu de celles-ci, les poursuites contre le Président Al-Bashir doivent cesser.  L’Union africaine, qui a demandé au Conseil de sécurité de revenir sur son déferrement de la situation au Darfour devant la CPI, regrette que le Conseil de sécurité n’ait pas répondu à cette demande.

Pour les États d’Afrique, la CPI ne doit prendre aucune mesure susceptible de porter atteinte à la souveraineté, l’indépendance ou la sécurité des États du continent.  Elle doit aussi respecter le droit international et notamment les immunités dont jouissent les chefs d’État en exercice.  L’Union africaine refuse toute mesure qui serait prise à l’encontre d’un pays au motif qu’il ne collaborerait pas avec la CPI ou n’aurait pas respecté ses obligations aux termes du Statut de Rome, a encore déclaré le représentant.

Mme BEATRIZ NÚÑEZ (Uruguay) a rappelé l’attachement de son pays au rôle de la CPI, créée pour renforcer l’état de droit au niveau international.  Déplorant le manque de coopération entre les États parties, elle leur a rappelé leurs obligations au titre de la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité, et celles résultant du Statut de Rome.

L’Uruguay, a indiqué la représentante, est disposé à œuvrer pour que le Conseil ait un rôle plus actif dans les cas où les États ne coopèrent pas pour exécuter les mandats d’arrêt délivrés par la CPI.  Elle a appuyé les propositions faites en ce sens par la Nouvelle-Zélande en décembre dernier, notamment pour sortir de l’impasse actuelle avec le Soudan, tout en respectant le processus politique au Darfour. 

Pour Mme MICHELE J. SISON (États-Unis), la nécessité de rendre justice aux victimes du Darfour est « une évidence » alors que le nom de Darfour est, depuis 10 ans, synonyme de souffrances et d’exactions.  La représentante a rappelé à cet égard les premiers rapports qui dressaient la longue liste des exactions commises par les milices janjaouid.  Durant toutes ces années, nous avons essayé de faire cesser les exactions et l’impunité, mais aussi de faire cesser le conflit, a-t-elle poursuivi, avant de souligner qu’il y avait eu des résultats.  En effet, si la violence continue, elle n’est plus au niveau des années précédentes, a expliqué Mme Sison qui a jugé ces progrès « prometteurs » tout en reconnaissant qu’on pouvait faire mieux.

En même temps, on ne peut oublier les victimes et les exactions commises, a poursuivi la représentante, pour laquelle il n’y aura pas de paix durable et stable pour les victimes si on ne s’intéresse pas aux exactions.  La représentante a cité d’autres cas dans le monde où des chefs d’État qui s’en sont pris à leurs concitoyens ont eu à rendre des comptes, citant les cas de l’Ivoirien Laurent Gbagbo, des Khmers rouges au Cambodge ou de Charles Taylor au Libéria, entre autres.  Pour les États-Unis, le Darfour ne doit pas être une exception et il est inacceptable de voir voyager le Président Al-Bashir, qui est reçu à bras ouverts dans le monde alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt.

Partageant la déception et la frustration de la Procureure, M. TAKESHI AKAHORI (Japon) a rappelé que le Gouvernement du Soudan et toutes les autres parties au conflit au Darfour devaient coopérer pleinement avec la CPI. 

Il faut un cessez-le-feu permanent fondé sur la feuille de route du Groupe de haut niveau de l’Union africaine, a considéré le représentant.  Il a également souligné qu’il y avait encore 2,7 millions de personnes déplacées au Darfour, qui sont vulnérables et exposées à différents types de violence, notamment la violence sexuelle et sexiste.

Alarmé par le peu de progrès enregistrés depuis le renvoi de la situation au Darfour devant la CPI, il y plus de 10 ans, M. VOLODYMYR YELCHENKO (Ukraine) a condamné les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme auxquelles le Conseil de sécurité devrait prêter une attention particulière. « Ce n’est pas à la CPI qu’il faut jeter la pierre », a-t-il lancé en soulignant que ses capacités sont limitées du fait que la Cour est entièrement tributaire de la coopération des États.

Le représentant a demandé à tous les acteurs de la région et au-delà de respecter leurs engagements.  À cet égard, il a félicité la Gambie d’avoir annulé son retrait du Statut de Rome.  « Si nous ne traduisons pas en justice les responsables de crimes les plus graves, d’autres crimes surviendront », a-t-il prévenu.

M. INIGO LAMBERTINI (Italie) a rappelé que le Conseil de sécurité avait discuté, hier, de la stratégie de fermeture des tribunaux pénaux internationaux et que son pays avait alors rappelé que la quête de justice et la lutte contre l’impunité ne sauraient prendre fin avec la fermeture de ces tribunaux.  Il s’est aussi souvenu que, il y a 12 ans, le Conseil de sécurité avait demandé à la CPI de traiter de la situation au Darfour en adoptant la résolution 1593 (2005).  Pour l’Italie, la coopération des États avec la CPI sur le Darfour est obligatoire au regard de ce texte.  Il n’y a en outre aucune raison valable pouvant justifier que les auteurs des exactions au Darfour ne soient pas traduits en justice, ni que les États puissent se soustraire à leurs obligations, même si on peut discuter des processus de cette coopération, a insisté le représentant.

Pour que la justice puisse assumer son rôle de prévention, le représentant a recommandé d’intégrer la dimension reddition de comptes dans les stratégies.  À défaut, non seulement on ne respectera pas la justice mais, de façon pragmatique, on renoncera à un outil permettant de faire respecter la paix et la sécurité internationales.  Il est également nécessaire que les systèmes de justice nationaux participent à la lutte contre l’impunité, a-t-il ajouté.

Le représentant a par ailleurs reconnu que la situation au Darfour s’était améliorée.  Il a estimé que le Soudan avait la volonté de coopérer dans plusieurs domaines, mais a constaté que le sentiment d’impunité continuait de prévaloir.  Il faut donc une coopération plus large et plus collective de chacun pour lutter contre l’impunité, a-t-il conclu en suggérant au Conseil de sécurité de faire front de manière unie.

M. ZHANG DIANBIN (Chine) a souligné que la situation au Darfour s’était améliorée.  Selon lui, la communauté internationale devrait continuer à assurer la médiation par le biais du Groupe africain de mise en œuvre.  Il a encouragé les parties à résoudre les différends par le dialogue.  La communauté internationale, a-t-il insisté, doit adopter une approche objective en respectant la souveraineté et l’intégrité territoriale du Soudan.  

M. EVGENY T. ZAGAYNOV (Fédération de Russie) a salué la cessation des hostilités prolongée par les autorités soudanaises, ainsi que la baisse de la criminalité et des affrontements communautaires.  Il s’est aussi félicité des mesures prises par le Gouvernement soudanais pour faciliter l’accès humanitaire au Darfour et des avancées dans le règlement de certaines questions liées à la MINUAD, comme l’octroi de visas.

Mais, a déploré le représentant, les insurgés ont toujours plus d’exigences en ce qui concerne la poursuite des négociations.  Selon lui, « leurs alliés devraient les engager à poursuivre un dialogue plus constructif ».  Il a dit ne pas comprendre pourquoi on appelle les parties au Statut de Rome à coopérer de cette manière, alors qu’il n’y a pas d’unité sur le renvoi de la question devant la CPI.  « Essayer de faire passer cela par le Conseil de sécurité » lui a semblé « contre-productif ».  Le fait que ces procédures soient alimentées par le budget de l’ONU suscite également des interrogations.

Mme IRINA SCHOULGIN NYONI (Suède) a regretté que, 12 ans après le renvoi de la situation au Darfour devant la Cour pénale internationale (CPI), le Gouvernement du Soudan ait encore des mesures à prendre pour assurer la justice à tous ceux qui ont subi les crimes les plus horribles pendant le conflit au Darfour.  Le Conseil de sécurité a l’obligation de respecter sa décision de renvoyer la situation au Darfour à la CPI, a-t-elle dit avant d’exprimer le plein appui de la Suède aux efforts de la Procureure.  Elle a souhaité que l’appel lancé par celle-ci au Conseil de sécurité et aux États Membres pour leur demander leur plein soutien soit pris en compte, notamment en octroyant à la Cour des ressources suffisantes. 

La représentante a souligné que tous les suspects concernés par les enquêtes de la CPI étaient en liberté.  Elle a donc appelé le Gouvernement du Soudan à coopérer pleinement avec la CPI, notamment en arrêtant les individus frappés de mandat d’arrêt.  Elle a en particulier jugé préoccupant que le Président Al-Bashir et d’autres personnes inculpées par la CPI continuent de voyager internationalement, y compris dans des États parties au Statut de Rome.  Cela envoie le message que les décisions de la CPI peuvent être ignorées sans aucune conséquence, a-t-elle regretté en soulignant que cela sape l’autorité de la Cour.  La Suède partage ainsi l’opinion selon laquelle la CPI devrait aborder les cas de non-coopération de manière structurée et discuter des moyens disponibles pour apporter à ce problème une réponse appropriée.      

Mme SHERAZ GASRI (France) a déclaré que 12 ans après l’adoption de la résolution 1593 (2005) visant à prévenir les atrocités au Darfour, 2,7 millions de personnes, soit un tiers de la population, étaient toujours déplacées au Darfour.  Face à ce constat, elle a jugé essentiel que les autorités soudanaises permettent à la MINUAD de remplir son mandat, que les auteurs des crimes soient poursuivis et que la justice soit rendue.  Elle a rappelé l’obligation de coopération de tous les États Membres des Nations Unies avec la CPI, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité.  « Cette obligation incombe au premier chef au Soudan, qui doit mettre à exécution les mandats d’arrêt contre ses ressortissants », a insisté Mme Gasri. 

La représentante a dit que les États parties au Statut de Rome avaient aussi un rôle particulier à jouer au regard de leur obligation statutaire de coopérer avec la CPI et d’exécuter les mandats d’arrêt lorsque les personnes qui en font l’objet se trouvent sur leur territoire.  « Nous regrettons que cette obligation n’ait jamais été respectée par certains États et nous sommes reconnaissants à la Procureure du suivi qu’elle opère sur cet enjeu majeur », a insisté la représentante de la France.  Elle a souligné la responsabilité du Conseil de sécurité de rendre effective la coopération avec la CPI et de veiller à l’exécution des mandats d’arrêt. 

La France, a-t-elle ajouté, est prête à examiner les modalités d’action du Conseil de sécurité sur les bases des propositions faites par la Nouvelle-Zélande en décembre 2016.  Elle a proposé que les États dont la Cour a constaté qu’ils manquent à leur obligation de coopération soient invités à s’exprimer devant le Conseil de sécurité afin que celui-ci détermine les suites à donner.  Elle a souhaité que tous les États Membres de l’ONU et toutes les organisations internationales soient mobilisés sur ce dossier, avant de rappeler qu’il fallait continuer à limiter les contacts avec les personnes visées par un mandat d’arrêt de la Cour.

M. GORGUI CISS (Sénégal) a renouvelé le soutien de son pays à la Procureure et à la lutte contre l’impunité dans le monde, en Afrique en particulier.  Le Sénégal, a-t-il dit, reconnaît le rôle joué dans ce domaine par la CPI et attache une valeur particulière au respect universel des droits de l’homme.  Le Sénégal soutient le dialogue en faveur de la paix en même temps que la quête de justice pour les victimes, un exercice « difficile mais nécessaire », qui est une condition de la réconciliation et d’une paix globale.  Les victimes attendent avec impatience que justice leur soit rendue, a déclaré M. Ciss.  Le représentant a par ailleurs rappelé la nécessité de fournir au Bureau du Procureur de la CPI les ressources nécessaires à son travail.

Le représentant sénégalais a en outre condamné toutes les formes de violences à l’égard des populations civiles au Darfour.  Il s’est en même temps félicité de la plus grande liberté de mouvement dont jouit la MINUAD depuis quelque temps.

M. DIDAR TEMENOV (Kazakhstan), prenant note des progrès dans la situation sécuritaire et humanitaire au Darfour, a encouragé tous les efforts entrepris pour maintenir cette tendance à désamorcer des tensions.  Il a salué l’amélioration de l’accès humanitaire vers certaines parties du Darfour, la MINUAD étant aujourd’hui en mesure de se rendre dans certaines zones du Djebel Marra.

Selon le représentant, un dialogue qui inclue tout le monde est la seule solution pour résoudre la crise au Darfour.  Il a encouragé toutes les parties à mettre en œuvre la feuille de route de l’Union africaine.  Il a également estimé que la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale du Soudan devaient être respectées.   

Il faut appuyer le Soudan pour qu’il soit en mesure de promouvoir l’état de droit, a estimé M. Temenov.  Le pays progresse, comme il l’a démontré ces derniers temps, dans le respect des normes internationales, a-t-il reconnu.  D’après lui, la position de l’Union africaine doit être prise en considération.

Pour M. SACHA SERGIO LLORENTTY SOLÍZ (Bolivie), tout auteur de violations graves du droit international humanitaire et des droits de l’homme doit rendre des comptes devant la justice.  Certaines difficultés rencontrées par la Procureure ont mis en relief des conflits d’ordre juridique en ce qui concerne les immunités.  « Certaines divergences de vues peuvent entraîner des difficultés en matière de coopération », a-t-il en effet remarqué. 

Il ne faut pas oublier que lorsque le Conseil de sécurité a renvoyé la situation au Darfour devant la CPI, il visait non seulement à lutter contre l’impunité et à protéger les victimes, mais aussi à prévenir les problèmes en mettant l’accent sur la paix, le dialogue et la réconciliation.  C’est pour cela que le représentant a jugé fondamentale la coopération avec l’Union africaine et qu’il a souhaité qu’il y ait un dialogue constructif entre cette organisation et la CPI.

Nous sommes témoins de l’évolution positive de la situation au Soudan ces derniers mois, a souligné M. Llorentty Solíz.  Il faut bien comprendre que l’avenir de la justice pénale internationale est étroitement lié à la complémentarité des États, qui s’ajoute à leurs compétences souveraines.  Enfin, il a souhaité l’universalisation du Statut de Rome.

M. OMER DAHAB FADL MOHAMED (Soudan) a rappelé que le renvoi de la situation au Darfour à la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité n’avait pas été une décision de consensus prise à l’unanimité de ses membres.  Il a réaffirmé qu’il n’y avait pas eu de génocide au Darfour, invoquant de nombreux témoignages de personnes éminentes, dont l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan; l’ancien Président du Nigéria, Olusegun Obasanjo; ou encore l’ONG Médecins sans frontières, prix Nobel de la paix.  Il a estimé que la Procureure, dans son rapport, usait de termes injurieux à l’égard du Président du Soudan comme du Conseil de sécurité, ajoutant que le Président du Soudan était le symbole du pays et ne saurait à ce titre être insulté par qui que ce soit « y compris ce tribunal fantoche ». 

Le représentant s’en est longuement pris à la Procureure et plus largement à la CPI, estimant que la Cour était dans « un état piteux ».  Il a notamment demandé combien d’affaires la Cour avait tranchées après 15 années d’existence.  « Si on divise le budget de la CPI par le nombre d’affaires tranchées en 15 ans, quel est le résultat? » s’est-il interrogé, en défiant la Procureure d’apporter une réponse.

Il a aussi accusé la CPI de créer une séparation entre les principes de paix et de justice et a préconisé des accords de paix négociés, comme celui déjà conclu en 2011.  Pour M. Mohamed, le rapport de la Procureure contient de nombreuses incohérences.  Il a aussi accusé Mme Bensouda de ne pouvoir travailler qu’en politisant son travail, en oubliant son mandat principal. 

M. Mohamed a également accusé la CPI de se focaliser sur l’Afrique au motif que ce serait plus facile pour elle.  Nous voulons avoir un système international solide qui donne la priorité à la Charte des Nations Unies, a encore affirmé le représentant, qui a rappelé le principe de l’immunité des représentants de l’État.  Il a également rappelé le principe d’égalité souveraine des États et ajouté qu’un traité ne saurait engager que les États qui y sont parties.  Le représentant a encore déclaré que quelque 60% de la population de la planète vivaient dans des pays qui ne reconnaissent pas la compétence de la CPI.

Le représentant s’est félicité de la « position ferme du Conseil de sécurité » qui a contribué à la fin du conflit au Darfour en appuyant un règlement politique, affirmant en conclusion sa certitude que, par cette voie, il sera possible de parvenir à la paix et la sécurité au Darfour.

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