La Commission du développement social a entamé sa session annuelle en écoutant des plaidoyers en faveur d’un pilier social plus solide pour l’après-2015
Lors d’une table ronde, la Commission note que le développement social est un défi qui se pose à tous les pays, développés ou en développement
La Commission du développement social du Conseil économique et social (ECOSOC) a entamé, aujourd’hui, sa session annuelle placée sous le thème: « repenser et renforcer le développement social dans le monde contemporain ».
Les participants à cette session, qui représentent les États Membres, le monde universitaire, la société civile et les entités des Nations Unies ont relevé que le programme de développement pour l’après-2015 devra, pour être couronné de succès, avoir un solide pilier social.
M. Lenni Montiel, Sous-Secrétaire général chargé du développement économique, qui s’exprimait au nom du Secrétaire général adjoint chargé du Département des affaires économiques et sociales, M. Wu Hongbo, a notamment déclaré qu’un pilier social solide est crucial afin de s’assurer que la mise en œuvre du programme de développement pour l’après-2015 ne produira pas des laissés-pour-compte et n’oubliera personne au bord de la route.
Il a relevé que depuis l’adoption du Programme d’action de Copenhague en 1995, de nombreuses avancées ont été rendues possibles en matière de développement social, notamment la réduction de moitié de l’extrême pauvreté à travers le monde, qui est intervenue dans le cadre de la mise en œuvre des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Il a en revanche regretté que des inégalités persistent entre États et à l’intérieur des États, et qu’à travers le monde un milliard de personnes vivent toujours dans l’extrême pauvreté.
La Présidente de la Commission du développement social, Mme Simona-Mirela Miculescu (Roumanie), a souligné pour sa part que cette session de travaux de la Commission, qui prendra fin le 13 février prochain, intervient 20 ans après le Sommet mondial pour le développement social qui s’était tenu à Copenhague, au Danemark, en 1995. Elle a aussi rappelé qu’à Copenhague, les gouvernements s’étaient engagés à éliminer la pauvreté, à promouvoir le plein emploi et à encourager l’intégration sociale, sur la base du renforcement et de la protection de tous les droits de l’homme. Le Sommet avait notamment adopté le Programme d’action de Copenhague qui recensait les trois piliers du développement social: l’élimination de la pauvreté; le plein emploi productif et un travail pour tous; et l’intégration sociale.
Mme Miculescu a en outre déclaré que le développement, quand il ne s’accompagne pas de progrès sociaux patents, n’entraine pas une meilleure qualité de vie pour tous. Elle a ajouté qu’une croissance économique qui ne s’accompagne pas de politiques sociales appropriées creuse parfois le fossé entre les riches et les pauvres, menaçant de ce fait la cohésion sociale.
Mme Margaret Mayce, Présidente du Comité du développement social, a rendu compte aux participants des conclusions du Forum de la société civile, qui a eu lieu hier. Elle a indiqué que 70 ans après la création de l’Organisation des Nations Unies, le monde n’a jamais regorgé d’autant d’inégalités depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Elle a relevé que les inégalités et la pauvreté sont les plus grands obstacles au bien-être mondial, ajoutant que les changements climatiques et les grands défis environnementaux auxquels fait face le monde ont des impacts négatifs sur la sécurité alimentaire, la disponibilité de l’eau potable pour les populations humaines et les déplacements massifs de populations vers des écosystèmes plus résilients.
Mme Mayce a par ailleurs souligné qu’il est important que la communauté internationale mobilise davantage de ressources financières, et qu’elle fasse en sorte que les ressources ainsi rassemblées soient à la fois prévisibles et adéquates afin de soutenir le développement durable. Elle a de ce fait appelé à plus de solidarité internationale, avertissant qu’en fin de compte, la pauvreté nous affecte tous, et qu’il en est de même des changements climatiques. Ces deux phénomènes sont des catalyseurs de l’insécurité mondiale et des conflits armés, a-t-elle averti.
Elle a ensuite préconisé l’exploration de nouvelles formes de financement du développement durable, et a notamment suggéré que cela est possible en taxant les transactions financières internationales et en réduisant les dépenses militaires pour les réaffecter à la cause des plus démunis et de la préservation de la planète. Mme Mayce a enfin souhaité que la personne humaine soit placée au centre des politiques de développement, notamment par la conception et l’adoption de politique incluant la mise en place de filets de sécurité sociale, et le choix d’une approche de développement basée sur les droits de l’homme et qui respecte les ressources fragiles et limitées de la planète Terre.
L’ouverture des travaux de la Commission du développement social a vu la participation de M. Aashish Khullar, représentant de Pax Romana, qui a fait le compte-rendu des débats qui se sont tenus au cours des deux jours qu’ont duré les travaux du Forum de la jeunesse de l’ECOSOC. Il a notamment rappelé que les jeunes doivent être au centre des politiques de développement, précisant que sans leur implication, il sera difficile de mettre en œuvre avec succès le programme de développement pour l’après-2015.
M. Khullar a également indiqué que le chômage inquiète au premier chef les jeunes, et que ces derniers ont plaidé en faveur de la création de système de stages professionnels payants en leur faveur, ainsi que pour la mise en œuvre de politiques d’éducation et de formation qui leur permettraient de mieux s’intégrer dans le monde de l’emploi d’aujourd’hui. Il a enfin déclaré que les jeunes souhaitent être amplement impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre du futur programme de développement.
Le débat général de cette session de la Commission du développement social était centré sur le thème prioritaire: « Repenser et renforcer le développement social dans le monde contemporain », et a vu la participation de représentants des États Membres à un niveau élevé. Un certain nombre de ministres ont pris la parole pour faire part de la vision qu’ils ont des engagements sociaux qui doivent figurer en bonne place dans le futur programme de développement pour l’après-2015.
Avant que les délégations ne prennent la parole, le représentant de l’Afrique du Sud, s’exprimant au nom du Groupe des 77 de et la Chine (G77), a indiqué que les engagements pris il y a 20 ans à Copenhague n’ont malheureusement pas donné les résultats escomptés. Si nous voulons lutter contre la pauvreté, a-t-il averti, les politiques macroéconomiques doivent se concentrer sur la création d’emplois et la mise en place d’infrastructures. Il a en outre plaidé auprès des gouvernements des États Membres pour qu’ils renforcent les politiques de protection des groupes sociaux marginalisés. Il a aussi souligné le besoin d’éliminer les obstacles qui se posent à l’exercice du droit à l’autodétermination pour les peuples qui vivent encore sous domination étrangère, et il a enfin plaidé pour que les questions sociales soient placées au cœur du programme de développement pour l’après-2015.
Le représentant de la Lettonie, qui s’exprimait au nom de l’Union européenne (UE), a relevé quant à lui que l’Union européenne a placé les politiques sociales au centre de sa stratégie économique à l’horizon 2020, ce qui est une première dans son histoire, a-t-il précisé. Il a expliqué que cette orientation vise à réduire les inégalités existant entre les pays de l’Union européenne et à l’intérieur de ces pays. Il a ensuite souligné que le budget d’investissement de l’Union européenne, qui s’élève à 300 milliards d’euros, vise entre autres à promouvoir une économie capable de créer des emplois et à soutenir la modernisation des systèmes de protection sociale.
Les plénipotentiaires des États Membres, au rang desquels figurait la deuxième Vice-Présidente du Costa Rica, ont relevé que les inégalités continuent d’étouffer toutes les chances et opportunités qui pourraient être offertes à des millions de personnes à travers le monde. Ils ont plaidé afin que les programmes de développement placent la personne humaine au centre des priorités, et ils ont prôné une approche intégrée et transformative du développement qui placerait l’élimination de la pauvreté au cœur des politiques économiques nationales et mondiales.
De nombreux délégués ont également appelé à ce que soit mené un examen du Programme d’action de Copenhague, 20 après son adoption, afin d’en tirer les leçons qui s’imposent. Certains intervenants ont estimé qu’il est judicieux d’œuvrer en faveur de l’inclusion sociale des personnes et des groupes marginalisés, notamment les jeunes, les handicapés et les personnes âgées. Ils ont également appelé de tout leur vœu l’avènement du plein emploi productif. Certaines délégations ont souligné que tous les programmes de développement ne seraient pas efficaces et ne connaitraient pas de succès sans que ne soit au préalable exprimée une définition claire du concept de « pauvreté » dans le contexte de changements permanents que vit le monde actuel.
À l’ouverture des travaux, Mme Daniela Bas, Directrice de la Division des politiques sociales et du développement social au Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, a pris la parole pour présenter des rapports* du Secrétaire général concernant la situation de certains groupes sociaux. Ces rapports traitent du Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées; des règles pour l’égalisation des chances des handicapés; du Programme d’action mondial pour la jeunesse; du Plan d’action international de Madrid de 2002 sur le vieillissement; et des questions, politiques et des programmes relatifs à la famille.
Dans l’après-midi, la Commission a tenu une table ronde au cours de laquelle les participants ont souligné que les progrès accomplis dans la réduction de la pauvreté ne l’ont pas été au même rythme à travers le monde. Ils ont également relevé que le développement social est un défi qui se pose à tous les pays, qu’ils soient en développement ou développés.
Le débat général de la Commission du développement social se poursuivra demain, jeudi 5 février, à 15 heures. En matinée, à 10 heures, aura lieu une cérémonie commémorative du vingtième anniversaire du Sommet mondial pour le développement social, qui s’était tenu à Copenhague au Danemark.
* A/70/61–E/2015/3, E/CN.5/2015/4 et E/CN.5/2015/5
SUITE DONNÉE AU SOMMET MONDIAL POUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET À LA VINGT-QUATRIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE (E/CN.5/2015/2)
Thème prioritaire de la table ronde: « promotion de l’autonomisation dans les domaines de l’élimination de la pauvreté, de l’intégration sociale, du plein emploi et du travail décent pour tous »
En ouvrant la table ronde, la Présidente de la Commission du développement social, Mme SIMONA-MIRELA MICULESCU (Roumanie) a regretté que les progrès accomplis en matière de réduction de la pauvreté n’aient pas été également répartis à travers le monde. Elle a aussi souhaité que des experts puissent évaluer ce qui a été fait depuis le Sommet mondial pour le développement social tenu en 1995 à Copenhague, au Danemark.
M. MICHAL BONI, Membre du Parlement européen et animateur de la table ronde, a déploré les inégalités qui persistent entre les diverses régions du monde et à l’intérieur de celles-ci. Il a noté que les jeunes ont de plus en plus de difficultés à s’insérer dans le monde professionnel, et il a en outre estimé que les régimes démocratiques ont connu plus d’avancées en matière d’inclusion sociale que ceux dits autocratiques. Il a ajouté que cet état de fait pourrait « s’expliquer par le fait que la démocratie donne davantage la possibilité aux gouvernés de demander des comptes à leurs dirigeants ». Il a déclaré qu’à l’ère du numérique, il faudrait renforcer la connectivité des citoyens afin qu’ils s’impliquent davantage dans la vie politique. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont de puissants outils de participation citoyenne, a-t-il indiqué, plaidant en outre pour plus d’équité et d’égalité des chances pour tous partout dans le monde.
Pour M. CALEB OTTO (Palaos), son pays a aujourd’hui plus de richesses qu’en 1994 quand il a acquis son indépendance. Il a indiqué que les Palaos sont désormais un pays à revenu intermédiaire, et que le quart de la population y vit avec moins de 1,25 dollar par jour. Cet indicateur est cependant trompeur, a-t-il déclaré en notant que le bien-être n’a rien à voir avec le produit intérieur brut (PIB). Il a par ailleurs souligné que la République des Palaos est désormais confrontée à d’énormes tensions sociales à cause des nombreux étrangers qui viennent s’installer, en quête d’un mieux-être.
M. RICHARD JOLLY, Professeur honoraire à l’Institut des études de développement à l’Université de Sussex au Royaume Uni, a salué le fait que la société civile et les organisations non gouvernementales (ONG) sont devenues parties prenantes de nombreux processus en cours aux Nations Unies. Il a indiqué que les ONG font pression sur leurs gouvernements afin que ces derniers soient plus actifs dans les fora internationaux en matière de développement social. Il a en outre noté que les progrès accomplis en matière d’inclusion sociale sont des avancées qu’il faut défendre et améliorer, de peur de voir la situation sociale se détériorer. Il a, à cet égard, pris pour exemple le Zimbabwe « qui vit une crise politique et sociale depuis quelques années ». M. Jolly a estimé que le développement social est un défi aussi bien pour les pays en développement que pour les pays développés, regrettant que certains pays européens touchés par la crise, comme la Grèce, l’Espagne et le Royaume-Uni, aient mis en place des politiques d’austérité qui ont entrainé une réduction de l’accès des populations à certains services sociaux.
Mme ASUNCION LERA ST CLAIR, Scientifique principale au programme sur les changements climatiques de l’institut « DNV GL-Strategic Research and Innovation » de la Norvège, a estimé que l’intégration des questions sociales au centre du développement durable était cruciale. Elle a ajouté que le succès du programme de développement à mettre en place à la fin de 2015, à l’horizon de l’année 2030, sera tributaire de la prise en compte qui aura été faite des préoccupations socio-écologiques, des principes des droits de l’homme, et du renforcement des partenariats public-privé.
Mme PRITI DAROOKA, fondatrice et Directrice exécutive du « Programme for Women’s Economic, Social and Cultural Rights », a, quant à elle, regretté que le développement social, tel qu’il est envisagé à travers le monde, ne prenne pas assez en considération l’héritage des savoirs autochtones, alors même que ces peuples ont été au centre des progrès que le monde a connus au cours des précédents siècles. Elle a également invité la communauté internationale à considérer la nature comme une alliée et une partenaire au développement, et non plus seulement comme un moyen d’y parvenir. Mme Darooka a, par ailleurs, appelé les participants aux travaux de la Commission du développement social à valoriser davantage le travail des femmes, qui intervient parfois dans un cadre familial et communautaire, mais qui devrait néanmoins être rémunéré. Elle a déclaré que les femmes sont plus affectées par le phénomène d’exclusion sociale que les hommes, et elle a souhaité que le futur programme de développement pour l’après-2015 tienne compte du rôle des femmes en tant qu’agents du développement économique.
Débat interactif
Le débat interactif suivant les interventions des panélistes s’est ouvert par un appel lancé par une représentante de la société civile qui a dit que depuis le Sommet de Copenhague, il y a de cela 20 ans, on ressasse sans cesse les mêmes choses sur les mêmes questions, mais que personne ne s’inquiète face à l’inertie ambiante.
M. Otto des Palaos, a indiqué que le statu quo se justifie par le manque de volonté politique des dirigeants du monde, et il a ajouté que si de bonnes décisions sont pourtant adoptées par ces derniers, elles restent cependant le plus souvent lettre morte et ne sont jamais appliquées.
Une représentante d’ONG de bénévoles, des États-Unis, regrettant ce manque de volonté politique, a déclaré que la pauvreté ne cesse de croître aux États-Unis à un rythme inquiétant. Elle a estimé que les pays les plus riches du monde ne semblent pas vouloir œuvrer à la promotion de l’inclusion sociale, citant en le déplorant le cas des milliers de familles de la ville de Détroit qui n’ont même pas accès à l’eau courante.
Le représentant d’une ONG basée en Inde a demandé comment le développement social peut être possible dans un contexte où les riches s’enrichissent davantage et sont toujours plus riches, alors que les plus pauvres s’appauvrissent encore plus sans l’espoir d’un changement à l’horizon.
Le représentant des Philippines a parlé des effets dévastateurs qu’ont les changements climatiques sur le tissu social des pays affectés, comme les Philippines. Il a aussi mis en garde contre la disparition annoncée de certains petits États insulaires en développement (PEID) qui sont confrontés à la montée du niveau de la mer qui menace d’engloutir leurs territoires sous les eaux.
Mme Laura St Clair de « DNV GL-Strategic Research and Innovation » a relevé que les pays qui ont accordé des mesures de protection sociale à tous leurs citoyens connaissent pour la plupart une cohésion sociale forte et une diminution de la pauvreté comme cela se voit dans les pays nordiques.
La représentante du Brésil a, de son côté, regretté que les décisions concernant le développement soient constamment prises à Washington, où se trouvent les sièges de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), au lieu de l’être à New York, qui abrite le Siège de l’ONU. Elle a estimé que cette situation fait que les questions relatives au développement social sont très souvent passées sous silence.
M. Jolly, de l’Université de Sussex a réagi en notant que depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les principales puissances économiques du monde ont pris le contrôle de l’économie de la planète en s’assurant le contrôle des institutions de Bretton Woods dont elles ont écrit, à leur propre avantage, les règles de fonctionnement. Il a dit souhaiter que les économies émergentes actuelles, notamment les membres du groupe de BRICS (Brésil, Fédération de Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), prennent désormais le relais en faisant entendre leur voix pour promouvoir un développement à visage humain et mettre en avant la lutte contre les inégalités. Il a appelé de tous ses vœux l’émergence d’un « consensus de New York » venant de l’ONU, qui s’imposerait contre le « consensus de Washington », tissé par les institutions de Bretton Woods, présentes dans cette ville.
En concluant la table ronde, son animateur, M. Boni, a déclaré qu’il fallait que le prochain programme de développement mondial tienne compte de la place désormais prépondérante du numérique, secteur qui pourrait notamment contribuer au développement social. Concernant le débat relatif au rôle des institutions de Bretton Woods et à celui de l’ONU, il a prôné le renforcement de la coopération entre ces institutions, justifiant son approche par le fait qu’« on parle, après tout, du développement de l’humanité », que ce soit à Washington ou à New York.