Comité des droits palestiniens: Noam Chomsky décrit « le tableau qui se déroule sous nos yeux » pour expliquer pourquoi la solution à deux États est malheureusement l’option la moins réaliste
L’Américain Noam Chomsky, professeur de linguistique et intellectuel engagé de renommée mondiale a déclaré aujourd’hui que la solution à « deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivant côte à côte en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues »*, était malheureusement l’option la moins réaliste. Le professeur était l’invité d’une réunion spéciale du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, organisée dans le cadre de l’Année internationale du peuple palestinien.
D’après Noam Chomsky « le tableau qui se déroule sous nos yeux est le suivant »: Israël poursuit sa politique et ses visées avec le soutien des États-Unis. Il prend le contrôle de la Cisjordanie. Il s’empare de Jérusalem et d’une zone cinq fois plus large et établit des couloirs dans le but évident de scinder en deux la Cisjordanie. Israël s’empare également de la vallée du Jourdain, soit environ un tiers des terres arables.
Les obstacles au règlement du conflit sont tout à fait clairs, a estimé le professeur: « le double veto » des États-Unis qui empêche à la fois la mise en œuvre de la résolution sur la solution à deux États et « l’entrée de cet évènement dans l’histoire ».
« Notre Comité ne pouvait trouver meilleur esprit pour nous entretenir des perspectives de règlement du conflit israélo-palestinien qui n’a que trop duré et qui se trouve dans une impasse grosse de périls pour le Moyen-Orient, en particulier, et pour le monde en général », a déclaré le Président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, M. Fodé Seck, du Sénégal, après avoir salué l’humanisme de Noam Chomsky.
Mme Amy Goodman, journaliste et présentatrice du programme audiovisuel « Democracy Now! » a, en tant que modératrice, présidé à un échange de vues avec les représentants des États et de la société civile.
Les mots « responsabilité » et « intellectuel » définissent Noam Chomsky, a dit la modératrice. « Il ne renonce jamais; c’est sa force. » Elle a fait allusion au « combat passionné » de l’intellectuel américain pour l’accès du public à l’information.
Depuis 1976, il y a un consensus écrasant au sein de la communauté internationale autour de la logique de créer deux États, vivant côte à côte, a déclaré M. Chomsky à la tribune de l’Assemblée. Mais Israël s’y oppose « avec l’appui décisif et acharné des États-Unis ».
Noam Chomsky a évoqué les raisons géostratégiques qui font qu’Israël insiste pour séparer Gaza et la Cisjordanie, en violation des Accords d’Oslo et d’une série d’accords conclus depuis novembre 2005. Israël, a-t-il dénoncé, s’est efforcé de geler le processus de paix pour empêcher la création d’un État palestinien et de veiller à ce que la diplomatie soit écartée indéfiniment de l’ordre du jour international.
La conclusion du cessez-le-feu du 26 août dernier, après deux mois d’opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza, a été suivie par une vaste opération d’Israël pour s’emparer des terres dans « le grand Jérusalem », en violation des décisions prises par le Conseil de sécurité depuis 1968 et de l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ), a accusé M. Chomsky.
Le professeur a jugé « trompeuse » la comparaison avec l’Afrique du Sud. Alors que ce pays dépendait de sa population noire, Israël « ne veut pas de Palestiniens en Israël ». C’est dans un esprit néocolonialiste qu’un centre pour les élites palestiniennes est créé à Ramallah. De façon générale, la population juive augmentera dans « le grand Israël », a prédit Noam Chomsky.
À la question de la présentatrice de « Democracy Now » sur la mesure la plus importante que l’ONU pourrait prendre pour favoriser un règlement du conflit, M. Chomsky a rappelé que « l’éventail des mesures que peut prendre l’ONU est limité par les grandes puissances ».
Il a toutefois salué comme « un pas en avant » la reconnaissance de l’État de Palestine par plus de 130 États Membres, dont, tout récemment, la Suède. L’ONU pourrait aller au-delà de ce qui a déjà été fait. Par exemple, l’Union européenne a établi des directives demandant à ses États membres d’éviter de traiter avec les sociétés européennes impliquées dans l’occupation. Des groupes religieux aux États-Unis ont pris des positions analogues.
Quant aux États-Unis, « ils pourraient être à la hauteur de leurs propres lois et respecter le droit international », a fait valoir Noam Chomsky. Ainsi, l’envoi d’armes en Israël est-il en violation du droit américain. De même, il faudrait revoir le statut d’exemption fiscale accordé aux organisations qui participent directement à l’occupation. Le professeur a recommandé des pressions sur les États-Unis aux niveaux national et international, pour qu’ils renoncent à leur rôle unilatéral qui empêche un règlement depuis leur premier veto.
Noam Chomsky a constaté « une lente évolution » chez les médias américains bien moins rapide qu’en Europe. « Le niveau d’endoctrinement et de propagande » reste élevé. Israël est présenté comme un État attaqué par le Hamas et qui a droit à la légitime défense, même si, en réalité il n’a pas épuisé tous les moyens pacifiques.
De même, les États-Unis sont perçus « comme honnêtes et travaillant durement pour trouver une solution », alors que ce n’est pas le cas et que, comme certains négociateurs le reconnaissent, « on devrait avoir des négociateurs de pays neutres ». M. Chomsky a tout de même reconnu que « la solidarité avec la Palestine » est maintenant un sujet très présent dans les campus universitaires américains.
L’Observateur de l’État de Palestine s’est dit convaincu que le peuple palestinien, qui sort d’une agression sanglante de 50 jours dans la bande de Gaza, apprécie le soutien international. « Le peuple palestinien est un acteur clef de cette équation », a-t-il souligné, en appelant ce peuple à relever le défi d’un gouvernement d’unité et à reconstruire Gaza « pour parvenir à notre indépendance ».
S’il était le représentant de l’Autorité palestinienne, a répondu M. Chomsky, il s’attacherait en effet à surmonter la division entre Gaza et la Cisjordanie. Il s’efforcerait en outre de « maintenir la résistance en Palestine pour lutter contre la tentative de réduire les territoires palestiniens à l’état de cantons ». Avec le Sahara occidental, a-t-il souligné, la Palestine est le dernier territoire à ne pas avoir été décolonisé.
L’effort visant la solution n’est pas fini. « Les États-Unis peuvent le faire. » Il a fallu très longtemps, s’est-il expliqué, pour que l’opinion publique et les États-Unis acceptent la fin de l’apartheid. Les forces progressistes du monde peuvent obtenir beaucoup, en sachant que la solution à deux États « n’est pas la fin du parcours », car les frontières ont été imposées par « les puissances impériales ».
*Résolution du Conseil de sécurité 1387 (2002)