En cours au Siège de l'ONU

AG/J/325

LA NOTION DE ½VIOLATION GRAVEE D'UNE OBLIGATION INTERNATIONALE CONTROVERSEE EN SIXIEME COMMISSION

24 octobre 2000


Communiqué de Presse
AG/J/325


LA NOTION DE «VIOLATION GRAVE» D’UNE OBLIGATION INTERNATIONALE CONTROVERSEE EN SIXIEME COMMISSION

20001024

La Commission juridique (Sixième Commission) a poursuivi ce matin l’examen du rapport de la Commission du droit international (CDI), et plus spécialement du chapitre consacré à la responsabilité des Etats.

Les débats ont de nouveau porté sur les contre-mesures et sur le bien- fondé d’une distinction juridique en fonction de la gravité de la violation de l’obligation internationale. Le représentant des Pays–Bas a ainsi estimé que la nouvelle notion de «violation grave» constituait un possible compromis après la suppression de celle de «crime international», alors que le représentant de la France s’est réjoui au contraire de l’abandon de cette notion de crime et de tout concept impliquant une pénalisation de la responsabilité en droit international. Cette dernière, a affirmé le représentant de la France, n’a rien à voir ni avec le droit civil ni avec le droit pénal interne. Elle est sui generis. Les Etats ne commettent pas de crime; en outre, la création de la Cour pénale internationale chargée de connaître de crimes particulièrement graves commis par des individus rend encore plus inutile toute tentative de pénaliser le comportement des Etats. Au contraire, le représentant de la République tchèque a suggéré l’incorporation d’un concept de droit pénal et de circonstances atténuantes, à propos de la responsabilité des Etats.

Concernant les contre-mesures, le représentant du Botswana a rappelé que, dans notre monde imparfait, on ne pouvait empêcher un Etat lésé de prendre des mesures pour se défendre. En revanche, les contre-mesures doivent être limitées et encadrées car elles peuvent avoir des effets très variables selon la puissance de l’Etat qui les prend et celle de l’Etat qui les subit. Il a estimé que l’adoption d’une liste de contre-mesures interdites serait préférable. Le représentant de la République islamique d'Iran a lui aussi estimé que les contre-mesures doivent rester exceptionnelles et ne doivent être utilisées par les Etats puissants comme des moyens de coercition ou de répression des petits Etats. D’autres délégations se sont, elles, réjouies de la disparition des dispositions qui obligeaient l’Etat lésé à proposer une négociation, avant de prendre des contre-mesures ou encore lui interdisaient d’en prendre pendant la négociation ou pendant un arbitrage, toutes dispositions qui avaient été considérées comme favorisant l’Etat responsable. Certains représentants ont également posé la question de l’étendue des contre-mesures que pouvaient prendre des Etats non directement lésés, notamment au regard de celles prises par l’Etat

lésé. Le représentant de la France a même exprimé des doutes quant à l’opportunité de traiter de contre-mesures dans un projet d’articles sur la responsabilité des Etats

Enfin, la question de la forme juridique définitive du projet d’article a été posée. Le représentant du Botswana a estimé que cette forme devrait être contraignante, car la CDI a une fonction de codification, donc normative. Le représentant de la République islamique s’est prononcé pour une convention. Le représentant de la France a souhaité qu’une conférence diplomatique en décide, tout en estimant qu’on ne pouvait pas exclure la forme d’une convention, à la fois en raison de l’importance de certaines questions traitées, qui méritent de prendre une forme normative, mais aussi du caractère novateur de dispositions. Or, la proposition concernant l’adoption des articles en annexe à une déclaration de l’Assemblée générale aurait pour conséquence d’en faire une référence alors même que certaines dispositions ne sont pas étayées par la pratique des Etats.

Lors du débat, les représentants des pays suivants ont pris la parole sur le thème de la responsabilité des Etats: France, République islamique d’Iran, Israël, Inde, Guatemala, République tchèque, Pays Bas, Danemark (au nom des pays nordiques), Botswana et Argentine. Le représentant de l’Afrique du Sud s’est par ailleurs exprimé, au nom des Etats membres de la Communauté de développement économique de l’Afrique australe, sur les autres chapitres du rapport.

La Sixième Commission poursuivra son examen du chapitre du rapport de la CDI sur la responsabilité des Etats demain, le mercredi 25 octobre, à 10 heures.

DOCUMENTATION

Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante- deuxième session (A/55/10)

La Commission du droit international (CDI) a tenu sa cinquante-deuxième session à Genève, du 1er mai au 9 juin 2000 pour la première partie, et du 10 juillet au 18 août 2000 pour la seconde partie, sous la présidence de M. Chusei Yamada (Japon).

La Commission a examiné le troisième rapport du Rapporteur spécial sur la "Responsabilité des Etats", contenant ses propositions pour la deuxième partie (Conséquences juridiques d'un fait internationalement illicite d'un Etat), ainsi que pour une nouvelle deuxième partie bis (Mise en œuvre de la responsabilité des Etats) et la quatrième partie (Dispositions générales), du projet d'articles. La Commission a décidé de renvoyer les projets d'articles des chapitres I (Principes généraux), II (Les formes de la réparation) et III (Violations graves des obligations envers la communauté internationale dans son ensemble) de la deuxième partie, des chapitres I (Invocation de la responsabilité d'un État) et II (Contre-mesures) de la deuxième partie bis et de la quatrième partie au Comité de rédaction (chap. IV). La Commission a pris note du rapport du Comité de rédaction. La CDI a examiné le premier rapport du Rapporteur spécial sur le sujet intitulé "Protection diplomatique". Ce rapport porte sur les questions de définition et de champ d'application, la nature de la protection diplomatique et les conditions auxquelles est subordonné son exercice, en particulier l'exigence de nationalité et les modalités de la protection diplomatique (articles 1 à 8). Après débat et suggestions en séance plénière, la Commission a renvoyé les articles 1, 3 et 6 aux consultations officieuses à participation non limitée. Compte tenu du rapport sur celles-ci, la Commission a renvoyé les projets d'articles 1, 3 et 5 à 8 au Comité de rédaction.

La Commission a examiné le troisième rapport du Rapporteur spécial sur le thème des "Actes unilatéraux des États". Le Rapporteur spécial a proposé de nouveaux projets d'articles 1 à 5 et la suppression du projet précédent d'article 6. La CDI a décidé de renvoyer les nouveaux projets d'articles 1 à 4 au Comité de rédaction et le nouveau projet d'article 5 au Groupe de travail sur les actes unilatéraux des États.

La Commission a examiné le cinquième rapport du Rapporteur spécial sur les "Réserves aux traités", rapport qui concerne les alternatives aux réserves et aux déclarations interprétatives, ainsi que la formulation, la modification et le retrait des réserves et des déclarations interprétatives. La Commission a adopté cinq projets de directives concernant les réserves formulées en vertu de clauses d'exclusion, les déclarations unilatérales formulées en vertu d'une clause facultative, les déclarations unilatérales opérant un choix entre les dispositions d'un traité et les alternatives aux réserves et aux déclarations interprétatives.

Sur le sujet "Responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d'activités qui ne sont pas interdites par le droit international (prévention des dommages transfrontières résultant d'activités dangereuses)", la Commission a chargé un groupe de travail d'examiner les commentaires et les observations des Etats sur les projets d'articles

relatifs au sous-thème de la prévention qu'elle avait adoptés en première lecture en 1998. Sur la base des discussions au sein du Groupe de travail, le Rapporteur spécial a présenté son troisième rapport. Celui-ci contient un projet de préambule et un projet d'articles révisé sur la prévention, et recommande que ces articles soient adoptés en tant que convention-cadre. Le troisième rapport traitait en outre de questions telles que la portée du sujet, le lien avec la responsabilité internationale, la relation entre le juste équilibre des intérêts des Etats concernés et le devoir de prévention, ainsi que la dualité des régimes de la responsabilité internationale (liability) et de la responsabilité des Etats (responsibility). Après avoir examiné le rapport, la Commission a décidé de renvoyer le projet de préambule et le projet d'articles qu'il contenait au Comité de rédaction.

La Commission a également adopté le rapport du Groupe de planification sur le programme de travail à long terme, qui énumérait les sujets suivants à inscrire au programme: a) la responsabilité des organisations internationales; b) les effets des conflits armés sur les traités; c) les ressources naturelles partagées des États; d) l'expulsion des étrangers; e) les risques que pose la fragmentation du droit international. Le rapport présente en annexe un plan d'étude de chacun de ses sujets.

La CDI a en outre poursuivi ses échanges traditionnels d'informations avec la Cour internationale de Justice, le Comité consultatif juridique afro-asiatique, le Comité juridique interaméricain et le Comité des conseillers juridiques sur le droit international public du Conseil de l'Europe.

La Commission a décidé de tenir sa session suivante à l'Office des Nations Unies à Genève, en deux temps, du 23 avril au 1er juin et du 2 juillet au 10 août 2001.

SUITE DU DEBAT

M. RONNY ABRAHAM (France) a regretté que le rapport de la Commission du droit international (CDI) ait été cette année communiqué aux Etats avec beaucoup de retard. Cette situation n’est pas du tout satisfaisante, surtout quand on souhaite, comme la France, faire des observations détaillées sur chacun des thèmes abordés. La diffusion des documents sur Internet, bien que pratique, ne doit pas être considérée par le Secrétariat comme un substitut à la publication des documents dans toutes les langues officielles de l’Organisation. Ces documents doivent parvenir le plus tôt possible aux Etats si on souhaite que ceux-ci fassent des commentaires judicieux en Sixième Commission, a-t-il déclaré.

Le représentant a accueilli favorablement les différentes évolutions du projet d’articles et l’amélioration sensible de leur qualité rédactionnelle. Il s’est félicité en particulier de l’abandon de la logique pénaliste, que la France avait critiqué à de nombreuses reprises. Il s’est félicité en particulier de la disparition de l’article 19 et de la notion de crime international et de la notion d’obligations primaires. La France souscrit également à l’approche consistant à distinguer l’Etat directement lésé par le fait internationalement illicite et l’Etat qui a simplement un intérêt juridique dans l’exécution de l’obligation. La France se félicite également de l’introduction – même si elle simplement implicite – d’une référence au dommage dans la définition de l’Etat lésé. Quant à la structure générale du projet, elle est acceptable, bien que perfectible. Concernant la notion d’Etat lésé, M. Abraham a estimé qu’il ne serait pas approprié de permettre à un Etat tiers d’intervenir en cas de violation d’une obligation bilatérale dans l’hypothèse où l’Etat directement lésé ne souhaiterait pas réagir. Le représentant a également estimé que la définition de «l’Etat ayant un intérêt juridique» dans l’exécution d’une obligation» devrait se limiter au paragraphe 1 de l’article 49, à savoir la situation où l’obligation violée est due à un groupe d’Etats dont il fait partie, et où l’obligation est établie aux fins de la protection d’un intérêt collectif. En fait, a estimé M. Abraham, ce qui doit vraiment distinguer l’Etat lésé de l’Etat ayant un intérêt juridique, c’est l’accomplissement de l’obligation de réparation. Fondamentalement, l’Etat ayant seulement un intérêt juridique ne peut que demander la cessation de la violation dont un autre Etat s’est rendu coupable. Il ne peut pas chercher à obtenir réparation du dommage causé par le fait internationalement illicite, qui ne l’a pas directement atteint.

M. Abraham a rappelé que, pour la France, la CDI était allée bien au-delà de la codification du droit en incluant, dans l’article 19 du premier projet d’articles, la notion de crime international, sans d’ailleurs la développer ou en tirer les conséquences. Même s’il est difficile de nier qu’il existe des actes illicites qui sont plus graves que d’autres, la dichotomie à laquelle s’était livrée la CDI dans sa distinction entre crimes et délits était très critiquable, vague et inopérante, a affirmé le représentant. Il a estimé que la création de la Cour pénale internationale, qui permet de juger des individus responsables de crimes particulièrement graves, fait perdre toute justification à une logique de répression pénale de l’Etat. Elle n’interdit pas d’engager la responsabilité de l’Etat, mais ce dernier n’est pas coupable de crime, a ajouté M. Abraham. La responsabilité de l’Etat en droit international, a-t-il ajouté, n’est ni civile ni pénale, elle est sui generis. Il est donc inopérant de transposer des notions de droit internes. La France se félicite de l’évolution de la CDI sur cette question. M. Abraham a exprimé des doutes sur l’intérêt des articles 41 et 42, relatifs aux «violations graves d’une obligation essentielle due à la communauté internationale dans son ensemble et essentielle pour la protection de ses intérêts fondamentaux» et aux conséquences de cette violation grave. Cela risque, a-t-il estimé, d’encourager les Etats à avoir recours parfois de façon abusive – aux contre-mesures, ce qui n’est guère opportun.

Concernant les contre-mesures, le représentant s'est félicité de la suppression du lien entre l'adoption de contre-mesures et l’arbitrage obligatoire qui revenait à donner au seul Etat fautif le droit de prendre l’initiative de l’arbitrage, ce qui était particulièrement inopportun. Il a exprimé des doutes sur l’intérêt de parler des contre-mesures dans un projet portant sur la responsabilité des Etats. Un projet sur la responsabilité des Etats ne devrait pas intégrer de mesures autres que celles qui visent à la réparation du dommage subi et à la cessation du fait internationalement illicite et ne devrait pas comprendre de dispositions à connotation punitive telles que les contre-mesures, individuelles ou collectives, a-t-il estimé. Néanmoins, la France souscrit à l’approche générale retenue par le Rapporteur spécial en ce qui concerne ces contre-mesures.

M. Abraham s’est félicité de la disparition des dispositions relatives au règlement des différends, qui étaient, a—t-il estimé, irréalistes et inopportunes. C’est un point sur lequel il vaut mieux s’en remettre au droit international général, a-t-il ajouté.

Le représentant a, par ailleurs, estimé qu’il était temps de réfléchir sérieusement sur la forme définitive que devrait prendre le projet d’articles. Il a fait part de sa réticence à l’idée de le voir adopter sous forme d’une déclaration de l’Assemblée générale. On ne peut rejeter la forme conventionnelle, a-t-il estimé, car on n’atteindrait pas alors l’objectif principal de la codification, à savoir la création de textes normatifs. La CDI, a-t-il précisé, n’a pas été créée pour élaborer seulement des lignes directrices, alors même que le projet d’articles tend à imposer un certain nombre de règles particulièrement importantes aux Etats. En outre, certaines des règles dégagées sont novatrices. Or, adoptées sous la forme d’une déclaration, elle pourraient servir de référence alors même que les principes qu’elles posent ne sont pas tous étayés par la pratique des Etats. M. Abraham a estimé que les Etats pourraient être appelés à apprécier les règles envisagées dans le projet à l’occasion d’une conférence.

M. SAEID MIRZAEE-YENGEJEH (République islamique d’Iran) s’est félicité que la notion de crime d’Etat ait été remplacée par d’autres dispositions sur les violations graves d’obligations envers la communauté internationale et a exprimé l’espoir qu’un consensus serait réalisé sur cette question. Il a indiqué n’avoir aucune objection majeure concernant la structure du projet, mais les questions de contre-mesures et de règlement pacifique des conflits lui inspirent les commentaires suivants:

S’agissant des contre-mesures, il a estimé qu’elles ne peuvent être qu’exceptionnelles et ne doivent pas être utilisées par des Etats puissants comme moyen de coercition ou de répression des petits Etats. Leur caractère bilatéral, expliqué au paragraphe 2 de l’article 50, implique le rejet des mesures prises par un Etat lésé contre un Etat tiers dans le but d’obliger l’Etat responsable à remplir une obligation. En ce qui concerne l’article 51(b), il a indiqué sa préférence pour la formulation de la première lecture: “coercition économique ou politique extrême, destinée à menacer l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Etat qui a commis l’acte internationalement illicite”, qui est plus conforme aux termes utilisés par l’Assemblée générale et aux principes du droit international. Il a expliqué qu’à son avis, les expressions “indépendance politique” et “intégrité territoriale” ne peuvent pas être substituées l’une à l’autre. S’agissant toujours du paragraphe 2 de l’article 51, il a indiqué que sa rédaction implique que l’application des contre-mesures pourrait précéder les mécanismes de règlement pacifique des conflits et il a proposé d’inverser l’ordre des choses. En ce qui concerne la proportionnalité, l’article 52 devrait être maintenu mais sous le libellé de la CIJ qui stipulait que les contre-mesures doivent être à la mesure du préjudice subi, en tenant compte des “droits en question”. L’article 53, dans ses paragraphes 1 et 2, a trouvé un équilibre pour que les contre- mesures ne soient décidées que si l’Etat lésé a averti l’autre Etat de sa plainte, celle-ci devant être corroborée par des preuves sérieuses. Il a estimé que, s’agissant des “mesures provisoires de protection”, le paragraphe 3 est inutile et a donc proposé qu’il soit supprimé. L’article 54 sur les “contre- mesures prises par un Etat autre que l’Etat lésé” est une nouvelle disposition et il a estimé qu’il mérite d’être affiné. Il a indiqué que le paragraphe 2 relatif aux contre-mesures en cas de violations graves devrait faire l’objet d’un article séparé rédigé en termes clairs et sans équivoque. Il a proposé que dans le cas de ces violations graves, les contre-mesures soient prises en coordination avec les Nations Unies.

Sur la forme du futur instrument, il a estimé qu’il serait idéal que ces articles fassent l’objet d’une convention qui serait signée et ratifiée par les Etats. Cependant, il serait alors nécessaire de convoquer une conférence internationale et tous les articles seraient discutés. Il y aurait donc un risque qu’il n’y ait pas une adhésion universelle. Il a relevé qu’une autre forme serait possible, celle de la déclaration de l’Assemblée générale, qui serait plus rapide mais qui nécessiterait cependant un travail préparatoire. Un tel instrument serait utile pour guider les Etats dans leurs relations avec les autres Etats, a-t-il conclu, rappelant enfin que le travail de la Commission doit être achevé au cours du présent quinquennat.

M. ALAN BAKER (Israël) a déclaré qu’il était important de mettre l’accent sur la codification plutôt que sur le développement progressif du droit international. Il a fait part de ses réserves concernant l’article 16-b, qui pourrait, selon lui, impliquer que l’Etat qui aide à la violation d’une obligation par un autre Etat ne commet pas lui-même un acte illicite si cette obligation n’est pas contraignante à son égard. Il semble inapproprié d’adopter un tel langage si l’on veut encourager le respect du droit international, a déclaré le représentant. Dans la même optique, il a également fait des réserves concernant les articles 17 et 18. Concernant les formes de réparation, il a estimé que la gamme des options disponibles pour la satisfaction n’est pas assez large.

Concernant l’invocation de la responsabilité par des Etats autres que l’Etat lésé, M. Baker s’est félicité de la suppression de la distinction entre les crimes et les délits et des précisions apportées à la distinction entre Etat directement lésé par une violation et Etats qui ont un simple intérêt au respect d’une obligation. Toutefois, cette distinction ne va pas encore assez loin, a- t-il estimé. La définition de violations graves dans l’article 41 est trop générale et ouvre la porte à des abus dangereux. De même, les obligations prévues à l’article 42 sont trop vastes et ne trouvent pas de fondement dans le droit international. Le droit coutumier actuel permet aux Etats intéressés de demander la cessation d’une conduite illicite et qu’une réparation soit faite à l’Etat lésé, mais ne va pas plus loin, a rappelé le représentant. Israël n’appuiera pas des dispositions donnant une plus large marge de manœuvres aux Etats intéressés en allant au-delà du droit existant, car cela n’est pas justifié. Pour M. Baker, de telles dispositions, comme celles de l’article 54 qui permettraient aux Etats seulement intéressés de prendre des contre–mesures, auraient un effet déstabilisateur en créant un mécanisme parallèle pour répondre aux violations graves, en dehors des mécanismes existants qui, eux, sont équilibrés.

M. PREM GUPTA (Inde) a remarqué tout d’abord que des questions telles que la responsabilité des Etats pour violation d’obligations erga omnes méritent un examen approfondi. Il a souhaité qu’une distinction soit faite entre cette question et celle de la violation d’obligations multilatérales. Il a déclaré que la nouvelle rédaction du projet est en grande partie acceptable. S’agissant des contre-mesures, il a toutefois exprimé des réserves sur le droit des Etats de recourir à des contre-mesures. Ce sujet, a-t-il estimé, aurait dû être laissé en dehors de la question de la responsabilité des Etats. Il a reconnu toutefois que la Commission a essayé de définir des limites et des conditions bien spécifiques. Il a apprécié l’article 51 qui traite des limites au recours aux contre-mesures, ayant toujours en vue la protection des populations civiles.

Il a ensuite relevé l’importance des articles 52 et 53, mais a estimé que le paragraphe 5 de l’article 53 n’est pas clair car il ne contient pas de dispositions qui assurent que les contre-mesures n’auront pas de conséquences pour les Etats autres que ceux visés par ces mesures.

L’article 43 définit l’Etat lésé, mail il a fait remarquer que la distinction doit être faite entre l’Etat lésé, défini à l’article 43, et un Etat autre que l’Etat lésé, défini par l’article 49, afin d’éviter une confusion et des abus éventuels. Il a rappelé que le préjudice est défini par l’article 31 (2) comme tout dommage matériel ou moral produit par un acte délictueux d’un Etat et que ce concept est directement lié à la question du lien de causalité entre l’infraction et le préjudice. Il a aussi noté que le concept d’obligation erga omnes, c’est-à-dire envers la communauté internationale, n’est pas non plus déterminé et que tous ces concepts relèvent encore d’un débat d’école. Il a indiqué que, même lorsque plusieurs Etats souhaitent invoquer la responsabilité d’un Etat du fait d’un acte qui ne les affecte pas directement, une disposition générale de cette nature pourrait conduire à des abus graves s’il n’y a pas de consensus sur la définition des “intérêts collectifs” et sur les méthodes de protéger et défendre de tels intérêts. Le même problème se pose à propos des nouvelles dispositions de l’article 41 et en ce qui concerne le concept de “crime international” en référence aux “obligations fondamentales envers la communauté internationale”. En outre, c’est la communauté internationale qui doit déterminer ces obligations fondamentales pour la protection des droits fondamentaux. Dans le cas de violations graves prévues par l’article 41 en remplacement de l’article 19, il a estimé que la commission ne devrait pas remplacer cet article, mais plutôt l’abandonner puisqu’il ne recueille pas de consensus depuis toutes ces années.

Il a expliqué qu’en cas de violation grave, les Etats sont tenus en vertu de l’article 42, de ne pas reconnaître comme légale la situation créée par la violation, de ne pas apporter aide ou assistance à l’Etat responsable du maintien de ladite situation et de coopérer autant que possible à la cessation de la violation. Par ailleurs, il a abordé la question de l’Etat qui n’est pas directement lésé mais qui demande réparation pour un préjudice concernant les “intérêts collectifs”, prévue par les articles 49 (2) et 30. Il a examiné les différents moyens de déterminer ces intérêts et a conclu qu’il faut clarifier ces dispositions. En ce qui concerne les différentes formes de réparation prévues dans le chapitre II, il a estimé qu’elles étaient acceptables. Il a conclu en exprimant l’espoir que le projet final précisera les questions qui le méritent, comme les différentes formes de réparation et le principe des obligations fondamentales pour la protection des intérêts fondamentaux.

M. ROBERTO LAVALLE-VALDES (Guatemala) a proposé des amendements aux articles 2 et 10. Il a exprimé des doutes sur les mouvements à caractère non insurrectionnel mentionnés à l’article 10 (comportement d’un mouvement insurrectionnel ou autre). Il a estimé que les articles 16, mais aussi 17 et 18 contenaient des dispositions aberrantes dans la mesure où ils semblent envisager des cas où un Etat qui aiderait un autre Etat à commettre un acte internationalement illicite pourrait ne pas être considéré comme commettant lui- même un acte illicite.

Le représentant s’est interrogé sur la portée de l’article 39 qui semble créer une nouvelle forme de réparation, "les intérêts". Or, ceux-ci sont étroitement liés à l’indemnisation prévue à l’article 37 et y être inclus.

Concernant les contre-mesures, le représentant a rappelé que celles-ci risquaient d’avoir des effets très variables selon la puissance économique et le poids respectif des Etats. L’influence des contre-mesures variera grandement selon l’auteur des contre-mesures et selon l’Etat qui est visé, a-t-il estimé. Cela risque d’accroître encore les inégalités entre Etats. En outre, l’imposition des contre-mesures risque d’introduire des tensions dans les relations entre Etats et entraîner une spirale de contre-mesures réciproques. Le représentant a rappelé la position de la République-Unie de Tanzanie, qui souhaite limiter fortement les contre-mesures.

M. IVO JANDA (République tchèque) s’est déclaré satisfait de la suppression de l’article 19. En ce qui concerne la “non-répétition”, il a appuyé l’incorporation de ce principe dans les articles sur la responsabilité des Etats, car il a sa place dans la pratique diplomatique quotidienne. Les assurances de non-répétition sont liées à l’obligation de cesser l’acte illicite, l’Etat responsable reconnaissant alors sa conduite. Il a reconnu que le comité de rédaction avait tenu compte des observations de sa délégation à ce sujet d’où l’addition de l’expression “si les circonstances l’exigent” au paragraphe relatif à la non- répétition·

En ce qui concerne la réparation, il a posé la question de savoir s’il était réaliste de viser une réparation complète. Il a rappelé qu’il faut décider du montant de la réparation en fonction du contexte spécifique de chaque cas. Même si ce principe a des insuffisances, il ne faut pas l’abandonner. Il faut aussi éviter de priver les populations civiles de ses propres moyens de subsistance, a-t-il déclaré. Les deux approches ne sont pas incompatibles, à son avis. Il a ensuite abordé les différentes formes de la réparation, en indiquant qu’aujourd’hui la restitution est plus rare quand les différends sont relatifs à des expropriations. Les indemnisations monétaires sont donc importantes, mais la restitution devrait rester cependant la solution idéale. Quand elle n’est pas possible, il faut envisager la réparation monétaire. Il a considéré que cela est bien exprimé dans le projet d’article.

En ce qui concerne la satisfaction, troisième forme de réparation, il a exprimé sa préoccupation quant aux termes “dommage moral et non matériel” qui laisse trop de latitude. Il s’est dit cependant convaincu que cette forme de réparation est utile à défaut de réparation matérielle possible. Enfin, sur l’atténuation de la responsabilité, il a déclaré ne pas avoir d’objection au projet, mais a rappelé qu’en droit pénal les “circonstances atténuantes” atténuent seulement les conséquences de l’acte juridique et que, dès lors, il conviendrait plutôt de parler d’“atténuation des conséquences légales d’un acte internationalement illicite” que de reprendre l’expression “atténuation de responsabilité”.

M. JOHAN LAMMERS (Pays-Bas) a accepté la suppression du concept de crime international retenu dans la version première du projet d’articles. Les Pays- Bas n’étaient pas opposés au maintien du concept, a-t-il expliqué, mais ils sont conscients qu’il s’agissait là d’une question très controversée entre les membres de la CDI et entre les gouvernements. En outre, le remplacement du concept par celui de «violations graves» peut constituer un compromis acceptable pour préserver ce qui a été acquis à ce jour dans le processus nécessaire de codification et de développement progressif du droit international sur la responsabilité des Etats. Il reste néanmoins un problème de définition, a estimé M. Lammers. L’introduction du concept de «violations graves» dans l’article 41, en remplacement de l’ancien concept de «crime international» doit amener la CDI à un examen plus approfondi pour trouver la rédaction la plus précises que possible. Il faut à tout le moins harmoniser les chapeaux du Chapitre III de la Partie II et l’article 42.

En outre, la question de la définition des «violations graves» a une incidence sur nombre d’autres articles, a rappelé le représentant. Les Pays-Bas doutent de l’opportunité de distinguer, comme dans l’article 42 en relation avec l’article 49, entre «l’Etat lésé» et «les Etats autres que l'Etat lésé». On peut estimer qu’en cas de violation grave d’obligations essentielles pour la communauté internationale dans son ensemble, tous les Etats sont des Etats lésés, même si certains sont plus particulièrement affectés que d’autres. Or, avec la suppression du concept de crime international, les conséquences juridiques spécifiques liées à celui-ci ont été elles aussi supprimées. Que reste-t-il alors des conséquences juridiques particulières pour les Etats responsables de «violations graves», au titre de ce nouveau concept, s’est-il demandé. M. Lammers a donc souhaité que le texte soit plus précis sur ce point. Dans le libellé du texte ou dans les commentaires associés, il doit y avoir une disposition prévoyant qu’une «violation grave» entraîne des dommages excédant les dommages matériels subis, a-t-il déclaré.

M. HANS KLINGENBERG (Danemark), au nom des pays nordiques, a indiqué que le projet d’articles présentait des améliorations considérables par rapport à celui adopté en 1996, et qu’il serait bon d’adopter car il est temps d’adopter un instrument sur la responsabilité des Etats. Il a exprimé son accord avec la nouvelle structure du projet en quatre parties. Evoquant la responsabilité de l’Etat, lorsqu’il s’agit de l’acte d’un autre Etat, il a expliqué qu’il faut en connaître les circonstances. Les chapitres I et II sont très clairs, concis et bien structurés, a-t-il relevé. Le chapitre III est un compromis acceptable, selon lui, pour régler la question de la différence entre les délits et les crimes. L’essentiel est que des violations telles que le génocide, qui sont de tels affronts à la communauté internationale, soient distinguées des autres violations. Il s’est félicité de la nouvelle partie 2 bis sur la responsabilité des Etats qui est une amélioration nette par rapport au projet de 1996. Quant à l’article 49, objet de controverse, les pays nordiques n’ont aucune objection contre son libellé.

S’agissant des contre-mesures, le chapitre II contient tous les éléments essentiels pour traiter de la question, a-t-il estimé. Il a rappelé que le seul objectif des ces mesures doit être d’amener l’Etat à cesser son action illicite, mais pas de le punir. Il a estimé que les Etats puissants sont en général les seuls qui peuvent recourir à ces mesures et le projet semble leur être favorable. Il a souhaité que l’article 53 (5) concernant les effets des procédures de règlement des conflits sur l’application de contre-mesures soit déplacé pour être transféré dans un article distinct et faisant directement suite à l’article 50. Il a estimé qu’il n’est pas possible d’avoir recours à des contre-mesures lorsqu’existent des possibilités de règlement pacifique du conflit. Enfin, concernant l’article 52 relatif à la proportionnalité, il a indiqué sa préférence pour la rédaction négative “ne soit pas disproportionné”. Il a aussi indiqué que les pays nordiques acceptent les quatre clauses de sauvegarde de la quatrième et dernière partie. Il a conclu en souhaitant que le projet soit achevé lors de la prochaine session

M. PHANDU SKELEMANI (Botswana) a estimé que la réaction de la plupart des Etats montre qu’il est nécessaire de tirer au clair ce domaine du droit international qu’est la responsabilité des Etats. Il serait honteux qu’après tout le travail réalisé par la CDI, on n’adopte pas les articles sous une forme qui montre clairement que, pour les Nations Unies, ce travail constitue un bon compromis devant régir à l’avenir le comportement de toutes les nations, a-t-il déclaré. Le document final doit être un document contraignant, accepté comme codification du droit international établi.

Le représentant a rappelé que, dans un monde parfait, on n’aurait pas besoin de règles régissant les relations entre personnes ou entre Etats. Mais, puisque notre monde n’est pas parfait, nous devons établir des règles. Quand un Etat est lésé, il faut s’attendre à ce que cet Etat veuille et puisse protéger ses intérêts. Les articles 51 à 55 (contre-mesures) essaient de limiter les droits à la légitime défense. On ne peut empêcher un Etat de prendre des contre-mesures mais la CDI a raison de vouloir les limiter et les réglementer. A cette fin, une liste de contre-mesures interdites serait très utile. En revanche, peut-on permettre à un Etat indirectement lésé de prendre des mesures unilatérales sans même consulter les Etats lésés, a demandé M. Skelemani. Aucun Etat ne devrait avoir le droit de procéder ainsi car cela peut conduire à des abus de la part d’Etats puissants aux dépens d’Etats plus faibles, a-t-il estimé. Un Etat ne devrait prendre de contre-mesures qu’avec l’assentiment de l’Etat directement lésé.

M. HORACIO BASABE (Argentine) s’est félicité des progrès accomplis par la CDI et s’est prononcé en faveur de l’adoption de ce projet d’articles sous forme d’une Convention et, à défaut de consensus, sous la forme d’une déclaration de l’Assemblée générale qui serait sans doute plus facile à obtenir. Il a estimé que les travaux ont progressé sur les questions les plus controversées (crimes d’Etat et contre-mesures). En ce qui concerne la première question, il s’est déclaré partisan de la définition des infractions les plus graves contre les Etats, sans tenir spécialement au terme “crime” qui n’emporte pas le consensus. Il a insisté sur la distinction à faire entre les Etats directement lésés et les autres et s’est félicité de ce que cette distinction ait été faite dans le projet. S’agissant des contre-mesures, il a insisté sur leur caractère exceptionnel, ce moyen étant seulement toléré et les abus soigneusement évités. A son avis, le projet définit bien leur domaine et précise que les contre- mesures collectives sont encore plus exceptionnelles. Il n’a pas voulu donner ici des commentaires plus détaillés pour épargner le temps de la Sixième Commission, et s’est proposé de les développer ultérieurement par écrit.

M. ALBERT HOFFMAN (Afrique du Sud, au nom de la Communauté de développement de l’Afrique australe, SADC) intervenant sur les autres chapitres du rapport de la CDI a estimé que la Commission avait eu raison de refuser d’inclure dans le point relatif à la protection diplomatique l’utilisation de la force par un Etat pour protéger ses nationaux et d’estimer que la protection diplomatique se limite à des moyens pacifiques. De même, la CDI a bien fait de décider que la pratique des Etats n’est pas en faveur d’une règle obligeant les Etats à exercer la protection diplomatique de leurs nationaux. Concernant les personnes disposant de nationalités multiples, il a estimé que le jugement de la CIJ dans l’affaire Nottenbohm allait trop loin en estimant qu’il devait toujours y avoir un lien véritable et effectif entre le national et l’Etat qui exerce sa protection. La double nationalité pose des problèmes particuliers, a remarqué M. Hoffman, surtout quand un Etat entend exercer sa protection diplomatique en faveur d’un de ses ressortissants pour un acte commis à son encontre par un autre Etat dont il est aussi ressortissant. La protection diplomatique est un sujet lié à la responsabilité des Etats, a-t-il estimé. En outre, la jurisprudence a évolué depuis l’affaire Nottenbohm. Il faut donc lui accorder une grande importance.

Le thème des actes unilatéraux des Etats est un sujet difficile, a estimé M. Hoffman. C’est peut-être aussi un domaine ou le développement progressif du droit est sans doute plus utile qu’une codification tenant compte de la pratique des Etats.

Sur le chapitre VII du rapport, concernant les réserves aux traités, la SADC estime que, dans l’état actuel du droit des traités, de nombreuses questions restent sans réponse. Les directives que prépare la CDI aideront donc grandement les Etats et la forme juridique de la directive semble adaptée. En particulier, les travaux de la CDI concernant les différences entre réserves et déclaration interprétatives seront très utiles.

Sur le Chapitre VIII du rapport (prévention des dommages transfrontières importants), M. Hoffman a rappelé le projet d’articles adopté en première lecture en 1998. Il s’est dit d’accord avec l’approche suivie par le Rapporteur spécial pour qui le projet d’articles ne devrait pas être révisé quant au fond en deuxième lecture.

Concernant le programme de travail à long terme, le représentant a estimé que, si la CDI pouvait achever comme on l’espère sa seconde lecture du projet d’articles sur la responsabilité des Etats en 2001, cela créera de la place pour de nouveaux thèmes d’études. Il s’est prononcé pour étudier les thèmes proposés par la CDI dans l’ordre suivant: responsabilité des organisations internationales; effets des conflits armés sur les traités; expulsion des étrangers. Il a estimé qu’on pourrait ajouter à la liste un thème sur les aspects juridiques de la corruption et pratiques associées.

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