Conseil de sécurité: en Libye, la « fragile trêve » à Tripoli dure, mais le statu quo dans ce pays, lui, est « intenable », selon la Représentante spéciale
Alors que l’insécurité et l’instabilité sont devenus le lot commun des Libyens, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la Libye a fait preuve ce matin d’un prudent optimisme devant le Conseil de sécurité, en évoquant quelques avancées depuis sa dernière intervention le 16 mai, au lendemain d’affrontements d’armés dans la capitale Tripoli.
S’exprimant par visioconférence, Mme Hanna Tetteh a expliqué qu’après la fragile trêve instaurée le 14 mai, la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), qu’elle dirige, avait étroitement collaboré avec le Gouvernement d’unité nationale ainsi qu’une multitude d’acteurs, aboutissant à la mise en place d’un « Comité de la trêve » dont le mandat est de faciliter un cessez-le-feu permanent et d’assurer la protection des civils. Et le 4 juin, un « Comité temporaire des dispositions sécuritaires et militaires » a été formé, également placé sous l’égide du Conseil présidentiel, pour mettre en œuvre des mesures structurelles de maintien de la paix et réorganiser les forces en présence dans la capitale.
La désescalade a conduit au retrait, le 11 juin, des principales forces en présence, lourdement armées, des axes routiers de Tripoli, remplacées par la police et la gendarmerie, s’est félicitée la haute fonctionnaire. « La trêve demeure toutefois fragile et la situation sécuritaire globale imprévisible », a-t-elle tempéré.
Une première depuis quatre ans
Autre motif de satisfaction pour la Représentante spéciale, la toute première réunion depuis quatre ans du Comité international de suivi du Processus de Berlin sur la Libye (CIF-L), qui s’est tenue le 20 juin en Allemagne, en présence de 19 États Membres et de 3 organisations régionales. Cette réunion a marqué un tournant important pour relancer la coordination internationale à propos de la Libye et consolider le soutien aux efforts de l’ONU pour promouvoir le processus politique, a expliqué la Représentante spéciale. Les participants à cette réunion ont salué le travail mené par le Comité consultatif d’experts libyens pour résoudre les contentieux susceptibles d’entraver l’élaboration d’une nouvelle feuille de route politique. Cette feuille de route est nécessaire en vue de la tenue d’élections, qu’a appelé de ses vœux le Royaume-Uni.
La Fédération de Russie s’est félicitée de cette réunion, espérant qu’à l’avenir, la pratique « néfaste » consistant à tenir des réunions « restreintes » des coprésidents des groupes de travail au sein du « format de Berlin » sans inviter ni même informer correctement les autres membres « cessera ». La délégation a blâmé les pays occidentaux d’avoir remplacé cette configuration par des « rencontres » « opaques », sans valeur réelle pour les objectifs de règlement recherchés. Aussi a-t-elle jugé encourageant de constater que cette tendance s’était enfin inversée.
Cette réunion du Comité international de suivi a également été saluée par les États-Unis qui ont souligné l’importance cruciale de la progression vers l’intégration militaire en Libye afin de pouvoir rétablir la souveraineté libyenne et d’éviter que le conflit ne s’étende et se régionalise. « La Libye doit pouvoir renforcer sa sécurité aux frontières et être davantage responsable de sa propre sécurité. »
Soulignant l’urgence de la réforme attendue du secteur de la sécurité, la Représentante spéciale a pris pour preuve la découverte récentes de fosses communes dans la région d’Abou Salim. Si des comités nationaux ont été annoncés pour gérer cette question, elle a souhaité également des mécanismes d’enquête indépendants afin de garantir la vérité, la justice et l’établissement des responsabilités pour les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture et les disparitions forcées qui auraient été commises par des acteurs de la sécurité de l’État, notamment l’Autorité de soutien à la stabilité (SSA).
« La présence de restes calcinés, de corps non identifiés dans les morgues et d’un site de détention présumé non officiel au zoo d’Abou Salim souligne l’ampleur et la gravité de ces abus », s’est alarmée la Représentante spéciale.
Impatience de la Libye
Le représentant de la Libye a toutefois exprimé son impatience devant la succession de ces réunions du Conseil sur la situation dans son pays « qui ne donnent rien de concret ». Depuis la nomination de la nouvelle Représentante spéciale en février dernier, il n’y a toujours pas eu de proposition de processus politique, s’est-il agacé. Et en comptant depuis la date de démission de son prédécesseur, cela fait 18 mois que ce processus est à l’arrêt. « Les Libyens attendent davantage de la MANUL et veulent savoir qui fait obstacle au processus politique », a lancé le délégué.
« Je sais que de nombreux Libyens attendaient avec impatience l’annonce d’une feuille de route aujourd’hui, compte tenu des tensions politiques », a reconnu Mme Tetteh. Elle a assuré avoir pleinement l’intention d’agir avec le soutien de toutes les parties prenantes concernées « dans le cadre d’un processus consultatif ». À cet effet, la MANUL intensifiera son engagement dans les semaines à venir, en s’appuyant sur la dynamique générée par la réunion de Berlin du 20 juin.
La stabilité de la Libye est également cruciale pour le contrôle des flux migratoires, a fait remarquer la Grèce, en particulier pour les États membres de l’Union européenne ayant des frontières maritimes en Méditerranée. En 2025, une hausse importante des flux illégaux en provenance de l’est de la Libye vers la Grèce a été constatée, principalement de Tobrouk vers la Crète, a noté la délégation. La Grèce s’est en outre plainte de la mise en œuvre insuffisante de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité, faisant état de « cas de refus répétés et persistants, voire agressifs, d’autoriser l’inspection de navires soupçonnés » de le violer. Il est indispensable de mettre fin à l’infiltration des milices, à la corruption et aux trafics, qui prolifèrent au mépris des résolutions de ce Conseil, a renchéri la France.
L’« insinuation » de la Grèce n’a pas été du goût du représentant libyen, qui a assuré que les autorités libyennes n’ont jamais versé dans la « provocation ». « Les Libyens en ont assez et demandent qu’il soit mis un terme aux activités des groupes armés et autres milices », a-t-il lancé, en contestant la pertinence de cet embargo. Les forces de sécurité devraient pouvoir détenir des armes à feu dans le cadre de leur mission de maintien de l’ordre, a-t-il argumenté.
Simultanément, il faut apaiser les tensions dans le pays, notamment dans la capitale Tripoli où la population vit dans l’anxiété constante, a-t-il reconnu. De vastes manifestations ont eu lieu après les affrontements de mai, a confirmé la Représentante spéciale, en faisant part « d’une profonde méfiance et frustration de la population ». Pour la MANUA, a déclaré Mme Tetteh, le statu quo est intenable, ce qui démontre l’urgence de faire progresser le processus politique qu’elle facilite.
Des sanctions à revoir
L’attention de l’Algérie, qui s’est exprimée au nom des A3+ (Algérie, Somalie, Guyana et Sierra Leone), s’est portée sur l’aggravation de la crise économique, en l’absence de budget unifié et dans le contexte d’une mauvaise gouvernance. « Nous notons que la Libye prévoit d’ouvrir 22 zones à l’exploration et à l’exploitation pétrolières pour la première fois depuis près de 20 ans. Il est essentiel que ce processus soit mené de manière transparente et bénéfique pour le peuple libyen, a exhorté le représentant.
Le groupe des A3+ a en outre exprimé sa vive préoccupation face à l’érosion continue des avoirs gelés de la Libye, à cause d’une mauvaise gestion et d’un régime de sanctions « obsolète ». Aussi le groupe a-t-il souligné l’urgence pour le Conseil d’adopter des réformes calibrées, favorisant la croissance du fonds souverain libyen. Le groupe a également appelé à la mise en œuvre intégrale et rapide du paragraphe 14 de la résolution 2769 (2025), qui autorise l’Autorité libyenne à réinvestir ses réserves de liquidités gelées. « Ces actifs doivent être préservés au bénéfice du peuple libyen ultérieurement. »
La MANUL, a annoncé la Représentante spéciale, a l’intention de présenter une feuille de route politiquement pragmatique et assortie d’échéances, reflétant la demande de changement tangible du peuple libyen, afin de mettre un terme aux processus de transition. « J’espère pouvoir soumettre cette feuille de route au Conseil de sécurité pour approbation lors de ma prochaine réunion d’information en août », a-t-elle dit. En attendant, elle a exhorté toutes les parties à s’engager de bonne foi et à se tenir prêtes à forger un consensus sur cette feuille de route.
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