En cours au Siège de l'ONU

Soixante-neuvième session,
14e et 15e séances plénières – matin et après-midi
FEM/2246

La Commission de la condition de la femme poursuit sa réflexion sur la violence fondée sur le genre, la représentation féminine et sa propre revitalisation

La Commission de la condition de la femme a poursuivi, aujourd’hui, ses dialogues interactifs avec des expertes de la société civile.  Les deux premiers, programmés dans la matinée, ont porté sur la protection contre la violence, la stigmatisation et les stéréotypes, puis sur la participation, la responsabilité et les institutions sensibles au genre.  Dans l’après-midi, les échanges se sont à nouveau concentrés sur le rôle que doit jouer la Commission pour contribuer à l’accélération de la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing. 

Table ronde 1 - Protection contre la violence, la stigmatisation et les stéréotypes

Modératrice du premier dialogue, Mme DELPHINE SCHANTZ, Représentante du Bureau de liaison de New York de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), a donné le ton de la discussion en rappelant qu’en 2023, une femme est morte toutes les deux minutes sous les coups de son conjoint ou d’un membre de sa famille, et que seules 7% de ces violences ont fait l’objet de poursuites ou d’enquêtes.  Un tiers seulement des victimes ont fait un signalement de ces faits lorsqu’ils ont été perpétrés par leurs partenaires, a-t-elle ajouté. 

Dans la région Pacifique, ce sont 60% des femmes et des filles qui subissent de telles violences intrafamiliales, a alerté Mme LAISA BULATALE, Directrice de programme au Fiji Women’s Rights Movement, selon laquelle les auteurs sont des hommes à plus de 90%. 

Constatant que ces violences sont renforcées par l’acceptation communautaire, les stéréotypes de genre, les normes et pratiques sociales néfastes et l’impunité des auteurs, l’intervenante a plaidé pour une implication des hommes et des garçons dans la prévention de ce fléau, et ce par différents biais: sensibilisation, éducation, formations, pratique sportive, collaboration avec des organisations confessionnelles et interventions législatives et financières.  « Il est essentiel de bien comprendre la cause profonde de la violence, à savoir les valeurs patriarcales négatives qui la perpétuent », a-t-elle fait valoir. 

Face à ces violences, Mme EMMA FULU, Directrice de l’Equality Institute, a dit compter sur les plans d’action nationaux, qui, s’ils sont « ambitieux, intersectionnels, dotés de ressources suffisantes et responsables », constituent des outils de prévention efficaces. 

Pour cela, a-t-elle affirmé, ces plans doivent reposer sur la coordination et la responsabilisation, avec des structures décisionnelles et des mécanismes de responsabilisation clairs.  Mme Fulu a cité en exemples le plan national australien pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des enfants (2022-2032) et le plan stratégique national de l’Afrique du Sud sur la violence fondée sur le genre et le féminicide (2020-2030), qui s’appuient sur une collaboration pangouvernementale. 

Pour gagner en efficacité, les plans d’action nationaux doivent en outre bénéficier d’un financement soutenu et à long terme, garantir la responsabilisation et mesurer l’impact des violences grâce à des données ventilées, placer les femmes marginalisées en leur centre et faire des organisations féministes des partenaires essentiels, a-t-elle plaidé. 

À sa suite, Mme SELMA HADŽIHALILOVIĆ, Coordonnatrice à la Fondation CURE de Bosnie-Herzégovine, a fait le point sur les consultations menées tout au long de l’année par le comité de pilotage de la société civile pour la région Europe et Asie centrale, auxquelles ont participé près de 450 représentants de la société civile. Elle a indiqué que les retombées de la pandémie de COVID-19, de la guerre en Ukraine et de la crise économique ont touché les femmes de cette région de manière disproportionnée. 

Mme Hadžihalilović a notamment fait état d’une hausse des féminicides et de la violence fondée sur le genre, ainsi que d’un grand nombre d’attaques perpétrées par des groupes fondamentalistes contre des personnes marginalisées.  S’inquiétant du peu de législations et de programmes criminalisant la violence, de l’absence de définition du viol conformément à la Convention d’Istanbul, ainsi que du manque de ressources et d’accès à la justice pour les victimes, elle a appelé à renforcer les institutions et à soutenir les organisations de la société civile. 

Les organisations féministes demandent une application intégrale des lois en vigueur et un financement adéquat des plans de lutte contre les violences à l’égard des femmes, a insisté Mme JOY WATSON, chercheuse et membre de la Coalition of Feminists for Social Change.  Pami les autres exigences de la société civile, elle a cité l’augmentation de l’aide publique au développement destinée à mettre fin à la violence fondée sur le genre, des plans d’action nationaux clairs, chiffrés et financés, et des systèmes de budgétisation sensible au genre. 

La violence en ligne touche également les femmes de manière disproportionnée, a souligné Mme CLARICE TAVARES, chercheuse en anthropologie à l’Université de São Paulo, au Brésil, et Directrice de recherche à InternetLab.  Centrant son propos sur les femmes politiques, qui, lors de campagnes électorales, sont attaquées sur leur corps ou leur vie personnelle, elle a indiqué que, dans son pays, la diffusion en ligne d’images intimes a conduit à l’abandon de carrières politiques voire au suicide de candidates. 

Pour Mme Tavares, cette situation impose de réfléchir à la responsabilité des plateformes numériques.  Si elles ont recouru à des politiques de modération interdisant les discours de haine contre les femmes, les personnes LGBT et les groupes marginalisés, ces plateformes font aujourd’hui preuve de laxisme en la matière, ce qui exacerbe la violence en ligne.  Il faut donc aller au-delà de la simple modification des législations pénales et parler de la redevabilité pour garantir la liberté d’expression pour tous, a plaidé la chercheuse. 

À la suite de ces interventions, de nombreuses délégations ont énuméré les mesures prises au niveau national pour promouvoir les droits des femmes et lutter contre la violence à leur encontre.  L’Italie a ainsi évoqué le versement d’aides financières aux victimes de violences.  Malgré la guerre d’agression qu’elle subit depuis trois ans, l’Ukraine a dit mettre en œuvre la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.  Des services spécialisés sont en outre fournis aux femmes victimes du conflit.  Le Brésil a, lui, mis en avant la multiplication des canaux d’information dans le cadre de l’initiative gouvernementale « zéro féminicide. » 

L’Espagne a, pour sa part, rappelé qu’elle a adopté en 2004 une loi de lutte contre la violence à l’égard des femmes.  Ciblée sur les survivantes, cette législation prévoit un budget spécifique pour faire reculer les violences patriarcales, économiques et sociales infligées aux femmes.  De plus, quelque 700 000 femmes bénéficient d’un système de détection des violences afin, notamment, d’éviter qu’elles ne redeviennent victimes.  Cet exemple positif n’a pas empêché une représentante de la société civile de déplorer le manque de suivi de ces actes de violence dans de nombreux pays. 

Le Mexique a lui aussi annoncé l’adoption d’une loi sur le droit des femmes de vivre à l’abri de la violence, avant d’appeler à lutter contre la « croisade culturelle de la droite internationale » qui défend un nouveau récit de la liberté des femmes.  Dans le même ordre d’idées, l’ONG américaine Catholics for Choice a désapprouvé l’opposition de l’Église catholique à l’avortement, estimant que cela ne contribue pas à mettre un terme à ces pratiques mais oblige les femmes concernées à rester dans la clandestinité. De son côté, le Venezuela s’est insurgé contre les sanctions « illégitimes » qui frappent particulièrement les femmes, les privant de soins, de médicaments et de prises en charge. 

Table ronde 2 - Participation, redevabilité et institutions sensibles à la dimension de genre

Partant du constat que les progrès restent lents pour accroître la participation des femmes à la vie politique et rendre les institutions de l’État plus sensibles à la dimension de genre, les intervenants se sont largement accordés pour dire que sans une action délibérée et ambitieuse, la parité ne sera pas atteinte dans cette génération. 

« Il est urgent de passer des concepts à des processus concrets », a notamment déclaré la modératrice, Mme Nicole Ameline, ancienne membre du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui s’est inquiétée de la sous-représentation systémique des femmes dans la vie politique et publique, « une conséquence du patriarcat à laquelle il faut mettre un terme avec la parité et des approches radicales ».  La participation des femmes à la prise de décision est essentielle pour changer les législations et pour mettre en place des politiques inclusives afin de créer des sociétés où l’égalité des genres est une réalité, a-t-elle ajouté. 

Directrice adjointe des politiques et du plaidoyer à l’International Center for Research on Women), Mme Foteini Papagioti a constaté que les institutions restent dominées par les hommes.  La parité dans la prise de décisions politiques ne pourra devenir une réalité avant la seconde moitié de ce siècle, a-t-elle averti.  De plus, les mécanismes institutionnels de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes ne disposent toujours pas du mandat, des ressources et du pouvoir de décision nécessaires pour mettre en œuvre efficacement la parité.  Quant à la redevabilité relative aux engagements en matière d’égalité des genres, elle reste insaisissable, souvent en raison d’un manque de données pertinentes ou de volonté politique.  Pour progresser, il faudra accélérer les efforts afin de combler les lacunes en matière de politique, d’investissement et de redevabilité, a-t-elle dit. 

Apportant un aperçu chiffré, Mme Karolina Gilas, professeure à l’Université nationale autonome du Mexique, a précisé que si 27% des parlementaires dans le monde sont des femmes, ce pourcentage cache une situation inégale avec 35% dans les pays nordiques et moins de 5% dans certains autres États.  Pour ce qui est de l’Amérique latine, des principes constitutionnels de parité ont été mis en place dès 1991, en Argentine, puis au Mexique et au Costa Rica où on peut observer une forte participation des femmes à la vie politique.  Toutefois, a-t-elle constaté, « si elles ont les titres, elles n’ont pas toujours le pouvoir ».  Alors que la représentation des femmes augmente, la résistance à leur présence dans la sphère politique s’intensifie, a signalé l’intervenante, qui s’est inquiétée des cas de violence physique et de harcèlement en ligne contre les femmes occupant une fonction publique. 

Et face à cette violence qui traduit en fait une discrimination culturelle et structurelle, beaucoup de femmes décident de ne pas se lancer en politique, a renchéri Mme Memory Kachambwa, Directrice exécutive du Réseau de développement et de communication de la femme africaine.  Elle a enjoint les décideurs politiques à « joindre le geste à la parole » en institutionnalisant la participation des femmes à la vie publique et politique et en pénalisant la violence dont elles sont la cible.  Cela suppose d’établir des systèmes de suivi et des réseaux d’appui pour remédier à ce type de violence, a souligné Mme Gilas, qui a appelé en outre à promouvoir une gouvernance féministe pour démanteler les barrières à la représentation des femmes. 

Rebondissant sur cette idée, la Directrice adjointe des politiques et du plaidoyer à l’ICRW a pointé les lacunes persistantes dans la diplomatie et la gouvernance mondiale, notant qu’en 2024, seuls 20% des ambassadeurs dans le monde et 7% aux Nations Unies étaient des femmes.  Il est vrai que certains cadres de politique étrangère sensibles au genre ont donné la priorité aux efforts visant à améliorer la représentation des femmes dans la diplomatie nationale et les affaires étrangères, mais il reste encore beaucoup à faire et la reddition de comptes fait défaut, a-t-elle constaté. 

De son côté, la Directrice exécutive du Réseau de développement et de communication de la femme africaine a signalé que les mécanismes nationaux de promotion de l’égalité des genres manquent de ressources, s’inquiétant en outre d’une tendance au définancement de ces activités.  Les organisations de défense des droits des femmes ont reçu moins de 1% du volume total de l’aide publique au développement en faveur de l’égalité des genres au cours des 10 dernières années, a déploré la représentante de la République de Moldova

Faisant fond sur ce tableau, nombre de délégations ont mis en exergue les cadres, mécanismes et législations élaborés par leur gouvernement respectif pour façonner la participation des femmes dans la sphère publique.  Si le Guyana, le Kenya et la Finlande ont misé sur la budgétisation sensible au genre, la République de Moldova a dit avoir obtenu des résultats probants en introduisant un système de quota pour la représentation des femmes au sein des instances politiques.  Au Mexique, la réforme du processus électoral de 2009, qui exige qu’il y ait au moins 50% de femmes candidates sur les listes électorales, se heurte toujours à des difficultés dans les communautés rurales et autochtones, a concédé sa représentante, mais le système de parité au niveau des tribunaux et de la Cour suprême fonctionne. 

Pour sa part, l’Ukraine a expliqué que malgré une volonté politique affichée en faveur de la représentation des femmes dans la vie publique, des croyances sociales et des stéréotypes de genre profondément enracinés ont refait surface et ont même été renforcés pendant la guerre, s’est désolée la représentante ukrainienne en expliquant que les femmes dirigeantes en Ukraine continuent de se heurter à des obstacles et restent sous-représentées au niveau national, au sein du Gouvernement, des partis politiques et du parlement, un constat partagé par la plupart de ses homologues. 

Table ronde 3 - Accélérer la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing: le rôle de la Commission de la condition de la femme (suite)

Après l’entame de la discussion du 13 mars dernier, la Commission de la condition de la femme a poursuivi, cet après-midi, son débat sur la revitalisation de son rôle et ses responsabilités afin d’accélérer la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing, adopté il y a 30 ans. 

En ouverture de ce dialogue, le Président de la soixante-neuvième session de la Commission a constaté que les femmes continuent d’être sous-représentées aux postes à responsabilité, sous-estimées dans des économies qui dépendent de leur travail non rémunéré, exclues des opportunités de la révolution numérique et disproportionnellement frappées par la crise climatique et les conflits armés. 

Pour répondre à ces défis et accélérer la mise en œuvre des engagements de Beijing, la Commission doit être « une force qui relie l’ambition mondiale à la transformation locale », a plaidé M. Abdulaziz M. Alwasil, estimant que le pouvoir de cet organe réside non seulement dans ses résolutions mais aussi dans sa capacité à refléter les expériences réelles et vécues des femmes et des filles « dans chaque village, chaque ville et chaque société ». 

De fait, revitaliser la Commission ne se limite pas à renforcer un processus, a fait valoir le Président.  Cela implique de bâtir des systèmes plus solides et plus inclusifs, où les organisations de femmes, les mouvements populaires et toutes les parties prenantes œuvrent ensemble pour impulser un changement significatif.

« Il faut montrer que les politiques d’inclusion, de diversité et d’équité sont essentielles pour la réalisation de ce but », a souligné pour sa part le Président du Conseil économique et social (ECOSOC), M. Bob Rae.  L’égalité de genre est un aspect essentiel de la dignité humaine de chacune et de chacun et « personne ne devrait craindre d’utiliser ces mots pour décrire et définir la vision que nous avons », a-t-il appuyé. 

Renforcer la participation des femmes du monde entier

Face aux lacunes dans la mise en œuvre des engagements des États Membres, la Tunisie et Plan International ont proposé l’établissement d’un mécanisme universel d’examen par les pairs à l’instar de l’examen périodique du Conseil des droits de l’homme.  Un tel examen obligerait les États Membres à rendre compte de leurs politiques en matière d’autonomisation des femmes, a souligné le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme.

Le Canada a insisté sur la participation de la société civile, plus particulièrement des femmes autochtones.  À ce propos, la représentante du Réseau des femmes autochtones des Amériques a appelé à la levée des barrières administratives et consulaires qui freinent la participation de ces dernières.  Elle a aussi appelé l’ECOSOC à leur accorder un statut particulier afin de faciliter leur implication aux travaux de la Commission. 

À sa suite, plusieurs oratrices, notamment les ONG, ont dénoncé un processus de sélection excluant de facto certaines catégories de femmes.  Il faut notamment revoir la méthodologie de sélection des expertes invitées aux travaux annuels de la Commission, ont plaidé plusieurs voix.  La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences n’a pas pu prendre part aux travaux du fait de la non-obtention de visa, a dénoncé une autre ONG. 

« Nous tournons en rond et nous devons redéfinir ce que nous entendons par inclusion et participation », a avancé une jeune de la société civile qui a relevé que les jeunes femmes, les femmes autochtones et les femmes venant du Sud sont peu représentées dans les délibérations de la Commission.  Les femmes qui effectuent le travail sur le terrain ne sont pas là, a-t-elle dénoncé en faisant valoir que pour de nombreuses femmes du monde, « le coût d’une journée à New York représente leur pitance pour des mois dans leur pays d’origine ». 

Pour résoudre ce problème, l’Afrique du Sud a suggéré d’établir une rotation des sessions dans toutes les régions du monde, tandis que le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) a proposé de faire parvenir les messages de la Commission aux femmes du Sud par l’entremise des influenceuses.  Le FNUAP a également recommandé de renforcer l’utilisation des plateformes numériques, de l’intelligence artificielle et des outils en ligne afin d’améliorer l’accessibilité et l’inclusivité des sessions de la Commission.  Cela permettrait une participation et un engagement plus larges, a estimé la représentante.  Pour sa part, la représentante du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) s’est fait l’écho des nombreuses délégations qui ont plaidé pour que les filles aient également voix au chapitre. 

Demain, mercredi 19 mars, la Commission tiendra deux dialogues interactifs dans l’après-midi, portant respectivement sur la « préservation de l’environnement » et sur les « sociétés pacifiques et inclusives ».

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