ECOSOC: multiplication d’inquiétudes face à la contraction de l’aide internationale dans le cadre de la coopération pour le développement
Le Conseil économique et social (ECOSOC) a, ce matin, entamé son Forum pour la coopération en matière de développement, qui intervient à un moment crucial. En effet, près de 600 millions de personnes seront confrontées à l’extrême pauvreté d’ici à 2030 et les pays en développement à des déficits annuels de financement des objectifs de développement durable (ODD) pouvant atteindre 4 000 milliards de dollars.
Alors que le système de coopération internationale pour le développement vacille, précisément au moment où les besoins sont les plus considérables et les priorités urgentes, le Président du Conseil économique et social, M. Bob Rae, du Canada, a rappelé l’importance d’accroître son efficacité, mais aussi de renforcer les capacités et les ressources nationales pour que les gouvernements puissent soutenir leur développement économique de manière durable, en tirant le meilleur parti des nouveaux modèles et technologies de financement innovants.
Des objectifs d’autant plus nécessaires pour le Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, M. Li Junhua, que le contexte actuel sur le plan international est marqué par le recul des principaux bailleurs de fonds, qui menace de compromettre la réalisation des ODD. Dès lors, les pays en développement, étranglés par le service de la dette, ne sont plus en mesure de fournir à leurs populations des services de base ou d’opérer une transition énergétique juste. Mais tout effort de réforme devra se faire dans le respect de l’appropriation nationale des pays en développement, a insisté le haut fonctionnaire, qui a également plaidé pour un système fiscal plus juste prévoyant une action internationale robuste contre les flux financiers illicites.
Dans son rapport sur les tendances et progrès en matière de coopération internationale pour le développement, présenté ce matin par le Sous-Secrétaire général chargé du développement économique, M. Navid Hanif, le Secrétaire général de l’ONU confirme que les tendances en matière de flux d’aide publique au développement (APD) doivent être inversées notamment en ce qui concerne la proportion d’APD versée aux pays en développement, la coopération pour le développement recentrée sur la qualité, l’utilité et l’efficacité, et l’architecture réformée, tant au niveau mondial qu’au niveau national. À cet égard, « le rôle moteur des pays doit être renforcé afin de dépasser la notion traditionnelle de prise en main, notamment au moyen d’une éventuelle consolidation ou d’une meilleure adéquation des stratégies de développement durable, des contributions déterminées au niveau national et des cadres de financement nationaux intégrés », préconise le Chef de l’Organisation.
Le multilatéralisme doit corriger les excès de la mondialisation -source de déséquilibres et d’inégalités entre les peuples- en mettant fin à la dérégulation qui la caractérise, a recommandé pour sa part la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour l’Afrique.
Mme Cristina Duarte a décrié la « faible supervision » à l’origine de fraudes et d’une évasion fiscale « massives », qui ont donné lieu à des pertes de recettes s’élevant à plusieurs milliards de dollars à travers le monde. À de tels « méfaits » s’ajoute le manque de reddition de comptes, les institutions financières internationales n’ayant pas de mécanisme adéquat pour répondre à une crise comme celle des subprimes (prêts à risque) en 2008, s’est-elle inquiétée.
À la suite de ce processus, on a vu l’affaiblissement des États en tant que garants de la coopération internationale, a constaté Mme Duarte, qui a regretté la disparition d’un monde construit sur un contrat social fort il y a 60 ans, dans lequel les pays jouaient un rôle important dans la redistribution des richesses. Mais la Conseillère a également identifié un affaiblissement de la capacité des États récipiendaires de l’aide, alors que la coopération bilatérale et multilatérale est de plus en plus dictée par les forces du marché. Aussi lui est-il apparu nécessaire d’œuvrer à la mise en place d’une « gouvernance mondiale axée sur les peuples » si l’on veut mettre en œuvre les ODD.
« Dans cette dynamique opposant mondialisation et multilatéralisme, il nous faut forger notre espace et le préserver coûte que coûte », a-t-elle insisté.
Le Forum pour la coopération en matière de développement, dont le thème cette année est « Transformer la coopération internationale pour le développement: passer d’un dialogue à l’échelle mondiale à l’action », organisera en tout cinq dialogues interactifs d’ici à la fin de ses travaux demain.
Au cours de cette séance, la Slovénie a par ailleurs été élue au Comité d’organisation de la Commission de consolidation de la paix pour un mandat prenant effet aujourd’hui et s’achevant le 31 décembre 2026 ou avant si elle cessait d’être membre de l’ECOSOC.
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Forum pour la coopération en matière de développement
Table ronde 1: Faire en sorte que la coopération en matière de développement fonctionne dans le monde actuel
Les vulnérabilités des pays en développement et la baisse alarmante de l’aide publique au développement (APD) ont été au cœur de cette première table ronde du Forum. Les intervenants ont par ailleurs souligné l’importance de la prochaine Conférence internationale sur le financement du développement, prévue en Espagne fin juin, pour revitaliser la coopération en matière de développement, « une occasion en or » pour plusieurs pays.
Les conséquences lourdes d’une diminution de l’APD cette année et en 2026 ont été soulignées par le Président du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), M. CARSTEN STAUR. L’Europe doit désormais renforcer ses capacités de défense, a-t-il avancé comme l’une des explications. Et cette aide devra en conséquence être plus ciblée.
Notant que l’APD est un élément essentiel pour de nombreux pays vulnérables, il a invité à « repenser l’APD » en vue de la concentrer sur les pays les plus pauvres et la transformer en catalyseur d’autres moyens de financement, notamment une meilleure mobilisation des ressources nationales. L’APD ne permettra pas de relever tous les défis, même si les pays développés honoraient leurs engagements, a-t-il toutefois fait observer, tout en appelant à éviter les doublons et les rivalités inutiles.
Ce qu’il nous faut c’est un changement de paradigme, a opiné la Directrice exécutive de l’Agence péruvienne pour la coopération internationale (APCI), Mme NOELA PANTOJA CRESPO, en prônant une plus grande flexibilité du système mondial de coopération et des échanges accrus de connaissances. Notant que l’APD ne tient compte que du revenu par habitant, alors qu’une approche multidimensionnelle est nécessaire, elle a estimé que le revenu ne doit pas être le seul critère de calcul. En prévision de la conférence de Séville, elle a plaidé pour une rénovation des critères, prenant notamment en compte la mobilité sociale et donc les inégalités. Ce doit être un critère d’admissibilité à l’APD. « Nous devons innover et la gravité de la situation est peut-être une occasion à saisir. »
Il faut effectivement repenser l’APD pour la rendre plus efficace, a estimé à son tour M. HÅVARD MOKLEIV NYGÅRD, de l’Agence norvégienne de coopération pour le développement (NORAD) qui a rappelé que seuls 17% des ODD sont en passe d’être atteints, dans un contexte de baisse « sans précédent » des flux d’APD qui ont diminué de 25%. Selon lui, des attentes excessives sont placées dans les pays bailleurs de fonds, lesquels sont confrontés à des défis tels que la guerre d’agression russe ou les catastrophes humanitaires de plus en plus nombreuses. Aujourd’hui, l’APD est utilisée pour éteindre des incendies, non pas pour le long terme, s’est-il inquiété.
Lors du débat interactif qui a suivi, les pays en développement ont été exhortés à plusieurs reprises à honorer leurs engagements au titre de l’APD. Ce fut notamment l’appel de l’Iraq, au nom du Groupe des 77 et de la Chine, qui s’est également inquiété de l’insuffisance du financement climatique alors que la crise climatique touche de plein fouet les pays en développement. La conférence de Séville doit être l’occasion de repenser la gouvernance dans ce domaine. Le Népal, au nom des pays les moins avancés (PMA), n’a pu que constater le niveau alarmant de l’APD, qui n’est pas à la hauteur de l’urgence. Une position reprise par de nombreux orateurs, notamment la Guinée équatoriale qui, au nom du Groupe des États d’Afrique, a appelé à inverser cette tendance préoccupante, l’Indonésie plaidant pour sa part en faveur d’une plus grande appropriation nationale de l’APD. L’accès aux biens publics mondiaux est un défi majeur pour les pays en développement, a constaté la République dominicaine.
« Nous avons besoin de plus d’aide, et non pas moins », a déclaré Oxfam, y voyant un « impératif moral ». « L’aide diminue les risques de guerre, c’est un outil pour la paix. » « Cette baisse de l’APD est inacceptable », a soutenu Cuba. La Colombie, appuyée par le Costa Rica, a espéré que la conférence de Séville permettra l’adoption de mesures concrètes permettant d’inverser les tendances préoccupantes en matière de développement.
L’Espagne a souligné la nécessité de mieux prendre en compte les vulnérabilités des pays en développement, tandis que la Slovénie a souhaité un meilleur ciblage de l’aide et une reddition de comptes, ainsi qu’une rénovation des critères d’octroi de l’APD. Séville sera l’occasion de renforcer l’architecture mondiale en matière de coopération pour le développement, a dit la déléguée slovène. La Fédération de Russie a indiqué que le but de l’APD doit être la réduction de la pauvreté, avant de dénoncer les sanctions imposées par les pays développés et les réticences de ces derniers à transférer leurs technologies. La Russie est un bailleur de fonds fiable, a dit le délégué, en indiquant que son APD est d’un milliard de dollars par an.
Le Royaume-Uni a appelé de son côté à renforcer la coopération dans les domaines où son impact sera le plus important, avant de plaider pour une réforme des banques de développement et une augmentation des financements privés. « Notre volume d’APD n’a cessé d’augmenter », ont déclaré à leur tour la Croatie et la République de Corée. La Chine a souligné la centralité de l’ONU en matière de développement et appelé à lutter contre l’unilatéralisme. Les pays développés doivent accroître leur APD, a tranché la Chine, en rappelant qu’elle n’impose aucun droit de douane aux PMA.
Table ronde 2: Améliorer les modalités pour mieux répondre à l’évolution des besoins, des vulnérabilités et des priorités
Modérée par M. PAUL SMOKE, Professeur de finances publiques et de planification à l’Université de New York, cette table ronde a été l’occasion de faire le point sur les différentes modalités de coopération pour le développement et la façon dont elles peuvent répondre à l’évolution des besoins et des vulnérabilités. À travers des exemples concrets et des discussions approfondies, les participants ont abordé les conditions et les contextes dans lesquels différents instruments – subventions, prêts, appui budgétaire, financements mixtes – peuvent contribuer efficacement à la réalisation des objectifs de développement durable.
Présentant les grands enjeux de cette table ronde, Mme RABAB FATIMA, Secrétaire générale adjointe et Haute-Représentante pour les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits États insulaires en développement, a rappelé que la dette publique dans les pays les moins avancés (PMA) avait augmenté de 50% depuis la pandémie, et que 40% des petits États insulaires en développement (PEID) connaissent des difficultés semblables. Dans ce contexte, il est essentiel d’élargir l’accès de ces pays au financement à des conditions avantageuses pour garantir la stabilité économique, la résilience climatique, le développement humain et de veiller à ce que la coopération pour le développement soit prévisible et alignée sur les priorités nationales des États bénéficiaires.
Elle a également appelé à améliorer la qualité, l’efficacité et l’impact de la coopération au développement, en particulier pour les pays en situation particulière.
Quand on parle de modalités, on veut parler d’approches, de politiques, et d’efficacité des interventions qui doivent être en fonction du contexte, en particulier dans les pays vulnérables, a renchéri le Directeur de l’Agence italienne de coopération pour le développement (AICS). Outre les prêts à condition avantageuse, M. MARCO RICCARDO RUSCONI a cité les échanges de dettes, un instrument important de financement qui s’est avéré très efficace pour soutenir le développement. Par ailleurs, l’Italie a passé 16 accords avec des partenaires, dans le cadre desquels nous partageons nos pratiques optimales dans des domaines aussi variés que la sensibilisation aux initiatives climatiques. Nous avons également mis en place un fonds italien pour le climat, doté de 4,4 millions d’euros, consacré au financement de mesures d’atténuation mais aussi d’adaptation, s’est-il encore félicité.
Conseiller spécial du Ministre de la santé publique et de la population d’Haïti, M. Paul Ruddy Mentor a dressé pour sa part un bilan des actions à entreprendre. À court terme, il faudrait que les États mettent en place des groupes d’intervention rapide, comme le Rapport d’Évaluation Rapide de l’Impact de la Crise (Rapid Crisis Impact Assessment - RCIA), créé par le Gouvernement haïtien avec l’appui des organisations internationales, et renforcer les mécanismes de coordination interagences. À moyen terme, M. Mentor a préconisé d’investir dans l’analyse des données pour améliorer les prévisions et de développer les initiatives communautaires, et à long terme, d’institutionnaliser les processus d’élaboration de politiques adaptatives et de concevoir des infrastructures résilientes et des filets de sécurité sociale.
À son tour, la Directrice de la coopération pour le développement au Ministère des finances et de la planification nationale de la Zambie, Mme PAMELA KAUSENI, a indiqué que son pays finançait le soutien aux projets, soit par des prêts, soit par des subventions. L’appui budgétaire sectoriel a été utilisé principalement dans les domaines de la santé et de l’éducation, et l’appui budgétaire général l’a été pendant la période suivant l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), à laquelle, a-t-elle précisé, la plupart des partenaires de développement ont cessé de souscrire vers 2013. Toutefois, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement se sont montrées disposées à assurer l’appui budgétaire général, principalement pour soutenir les réformes macroéconomiques dans les pays qui en ont besoin.
À l’issue de ces interventions, l’Inde a expliqué que son modèle de développement inclut différents instruments et formes d’aide, considérant que ce panachage doit être conforme aux priorités nationales du pays bénéficiaire. Le meilleur moyen de compenser le déclin de l’Aide publique au développement (APD) est encore de mettre en place des financements mixtes public-privé, a estimé le Réseau européen sur la dette et le développement. Les Philippines ont souligné que la réforme de l’architecture financière internationale est indispensable pour renforcer l’intégration des plans de développement et éviter l’exclusion des pays à revenus intermédiaires des processus de prise de décision.
Table ronde 3: Quels sont les moteurs de la qualité, de l’impact et d’un véritable leadership national dans la coopération internationale en matière de développement?
Fragmentation de l’aide, manque de moyens, lassitude – panélistes et délégations ont dressé une longue liste des défis à relever avant de pouvoir véritablement renforcer la coopération internationale en matière de développement.
Insistant sur l’importance de la responsabilité mutuelle dans les cadres de coopération internationale, le Directeur général par intérim de la National Development Agency d’Afrique du Sud, M. THABANI BUTHELEZI, a estimé que les relations traditionnelles donateur-bénéficiaire doivent évoluer vers des partenariats équitables privilégiant les bénéfices mutuels.
Illustrant son propos, M. Buthelezi a indiqué que l’Afrique du Sud a mené des programmes vitaux dans le cadre de la coopération internationale pour le développement. Mais le bailleur de fonds a annulé ses promesses de contribution sans préavis et sans tenir compte des conséquences sur le terrain, a-t-il déploré. S’il s’était agi d’un partenariat équitable, le retrait des financements aurait été géré différemment.
De son côté, le Représentant permanent des Maldives a signalé que la fragmentation de la coopération pour le développement pousse les PEID à confier la conception de leur plan de développement à des entités plus importantes. Or, les procédures de candidature de ces dernières sont complexes et les PEID ont du mal à respecter les critères en raison de leurs capacités institutionnelles limitées. On passe plus de temps à respecter ces critères qu’à appliquer les programmes, a regretté M. ALI NASEER MOHAMED.
Selon lui, une mutualisation des ressources permettrait aux PEID de se concentrer sur la mise en œuvre. Il conviendrait également de renforcer les capacités à tous les échelons afin de pérenniser l’aide au-delà des bailleurs de fonds.
Lui emboîtant le pas, le Conseiller économique en financement du développement à la Banque mondiale, M. FRANCISCO CARNEIRO, a indiqué que le nombre de bailleurs de fonds a plus que doublé au cours de la dernière décennie, passant de 64% à 117%, accompagné d’une explosion du nombre d’entités qui fournissent de l’aide. En Éthiopie, leur nombre est ainsi passé de 118 à 258 en 20 ans. Rendez-vous compte à quel point il est difficile de dialoguer avec plus de 200 agences, a-t-il interpellé. En outre, le montant moyen des subventions a baissé de 40%, et de moins en moins de fonds sont versés vers les budgets publics, de plus en plus de projets étant exécutés par d’autres entités.
Experte économique à la Banque interaméricaine de développement, Mme MARIA VICTORIA DEL CAMPO a insisté pour sa part sur l’importance d’engager des réformes pour renforcer l’appropriation nationale, en coordination avec les bailleurs de fonds pour éviter les doublons. Il faut aussi tenir compte des différentes perceptions quant à l’efficacité du développement, renforcer les capacités d’apprentissage et d’adaptation et établir des mécanismes pour tenir les dirigeants responsables de l’efficacité des politiques de développement.
Au cours du dialogue interactif, la Norvège s’est intéressée au rôle du coordonnateur résident, constatant que cette fonction a été rarement évoquée durant le Forum. Il faudrait une volonté de États Membres pour mieux utiliser le mécanisme des coordonnateurs résidents, a renchéri le Représentant permanent des Maldives, qui a par ailleurs déploré l’impact des rapports de pouvoir entre bailleurs de fonds et récipiendaires sur les négociations en rapport avec l’octroi de fonds. Les partenaires sont à même de dicter les termes de l’aide, même si elle ne correspond pas aux attentes des pays en développement, a-t-il déploré.
Il faut intégrer l’aide au système national, ce qui n’est pas chose aisée, a commenté M. JÜRGEN KARL ZATTLER, du Centre for Global Development (CGD), qui modérait cette table ronde.