Vingt-quatrième session,
5e & 6e séances plénières – matin & après-midi
DH/5491

Autochtones: les droits de ces peuples doivent être respectés dans le contexte d’une transition énergétique s’appuyant sur les minéraux essentiels

Aujourd’hui, l’Instance permanente sur les questions autochtones a commencé sa discussion sur le thème du financement des travaux et de la participation des peuples autochtones dans l’ensemble du système multilatéral et régional, en organisant deux tables rondes.  La première portait spécifiquement sur les droits des peuples autochtones dans le contexte des minéraux essentiels à une transition juste, la seconde, sur l’architecture financière internationale et les droits des peuples autochtones.

De la discussion de ce matin, placée sous la présidence de Mme Aluki Kotierk (Canada), il est ressorti que toute exploitation minière des terres de peuples autochtones ne peut se faire sans leur consentement libre, préalable et éclairé, ni intéressement aux bénéfices d’une telle extraction.  En effet, les minéraux tels que le cuivre, le lithium, le nickel ou le cobalt, essentiels à la transition énergétique, sont des composants essentiels de nombreuses technologies propres en plein essor – éoliennes, panneaux solaires, véhicules électriques ou batteries.  Leur demande devrait tripler d’ici à 2030, dans le cadre de la transition des combustibles fossiles aux énergies renouvelables nécessaire pour réduire les émissions mondiales de dioxyde de carbone à zéro d’ici à 2050.

Les débats s’appuyaient sur les recommandations issues de l’étude (E/C.19/2025/6) réalisée par Mmes Hindou Oumarou Ibrahim et Hannah McGlade, membres de l’Instance permanente.  La première a expliqué que ce rapport intervient alors que l’abandon des combustibles fossiles, le développement des énergies renouvelables ainsi que la transformation numérique et l’électrification de diverses activités vont accroître les besoins en minéraux essentiels à la transition énergétique.  Dans ce contexte, leur extraction et leur traitement peuvent entraîner des répercussions environnementales et sociales importantes pour les communautés concernées. 

Tout en se félicitant de la place prise par les énergies de substitution « propres », l’Instance permanente ainsi que les peuples autochtones des sept régions socioculturelles autochtones soulignent les effets négatifs de l’extraction, qui entraîne des violations de leurs droits, notamment au consentement préalable, libre et éclairé, ou encore celui de vivre en isolement volontaire sous la protection de la communauté internationale et des Nations Unies, notamment. 

Initiatives multinationales sur les minéraux essentiels

Parmi ces initiatives, figure le Groupe du Secrétaire général chargé de la question des minéraux essentiels à la transition énergétique, lancé le 26 avril 2024.  Publié le 11 septembre, son premier rapport présente sept principes directeurs et cinq recommandations pour intégrer l’équité et la justice dans la course aux émissions nettes nulles.  Mme Sara Olsvig, la Présidente du Conseil circumpolaire inuit, a insisté sur le consentement préalable et sur le partage des bénéfices.  Le Groupe a en effet constaté que de nombreux minéraux critiques se trouvent sur les sols des peuples autochtones ou à proximité, les exposant au risque de déplacements, de dégradation de l’environnement et d’effacement culturel.  D’où la nécessité de respecter leur droit à l’autodétermination et leur consentement préalable, libre et éclairé, qui est un élément essentiel de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.

M. Scott Sellwood a ensuite présenté l’Initiative for Responsible Mining Assurance (IRMA), qui vise à promouvoir une exploitation minière responsable, notamment en définissant les pratiques optimales en relation avec ses dimensions sociales et environnementales.  Le panéliste a expliqué que les normes promues par IRMA sont volontaires et viennent compléter les législations nationales, en accentuant la redevabilité des entreprises minières et en insistant sur le consentement libre et volontaire des populations locales.

Des initiatives similaires mises en place depuis le Canada ont ensuite été présentées.  Mme Haajarah Ahmed a parlé d’ICMM, une organisation dont le but est d’améliorer la contribution des compagnies minières au développement durable.  Mme Tara Shea a aussi présenté les actions de MAC Mining Group, une organisation qui veille au respect des droits des peuples autochtones dans l’exploitation minière au Canada.  « Il faut d’abord revoir la définition du concept de peuple autochtone afin que l’on sache qui l’est véritablement », a suggéré pour sa part M. Dan Benoit, de The Copper Mark.

De nombreux défis sur le terrain du droit

Plusieurs États et organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits des peuples autochtones ont ensuite présenté les défis, mesures prises ou à prendre et propositions à mettre en œuvre sur les plans national et international.  Le représentant de la République démocratique du Congo (RDC) a évoqué les conflits dans l’Est de son pays en raison des minéraux critiques –or, cuivre, coltan, étain-, convoités par des groupes armés rebelles et des pays étrangers et dont l’exploitation ne bénéficient pas au Gouvernement et encore moins aux peuples autochtones congolais.  Les actes de violence provoquent le déplacement des populations locales, ouvrant ainsi la voie à l’extraction minière illégale.

Le représentant de l’Organisation internationale du Travail (OIT) a rappelé l’importance pour tous les acteurs du secteur à respecter la Convention no 169 de l’OIT « relative aux peuples indigènes et tribaux ».  Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a de son côté décrié l’acharnement contre les peuples autochtones, dont des activistes subissent des violences partout à travers le monde.  « S’assurer que les droits fondamentaux de ces peuples soient au centre du processus de transition énergétique est crucial », a plaidé le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.  La protection des défenseurs des droits autochtones est également primordiale selon l’agence onusienne, qui a insisté sur la nécessité de mettre fin aux inégalités. 

Une autochtone de la région du Sahel a déploré l’absence des femmes dans tous les processus de prise de décisions les concernant. Même son de cloche du côté des femmes autochtones d’Asie, qui ont réclamé un statut d’actrices du développement et non plus de sujets passifs pour ce groupe spécifique.  La représentante a demandé un financement et un accès direct des autochtones aux technologies pour l’exploitation minière.  Un représentant en provenance de Sibérie a dénoncé l’exploitation de leurs terres qui conduit à la destruction des taïgas.  Il s’est dit estomaqué du décalage entre les discours des États devant l’Instance permanente et la réalité sur le terrain, caractérisée par les violences à l’encontre des peuples autochtones.  La Fédération de Russie a expliqué avoir limité l’exploitation minière dans certaines zones, y compris dans 17 millions d’hectares considérés comme des aires protégées, où vivent des peuples autochtones.

Le Conseil aborigène de Nouvelle-Galles du Sud a appelé l’Australie à investir dans les organisations aborigènes, là où le Brésil a relevé que la défense des terres autochtones n’est pas chose aisée quand les frontières restent floues.  Il est par exemple question ici de délimiter l’espace de vie des 114 peuples isolés dans la forêt amazonienne.  « Nous ne sommes pas opposés au développement, nous voulons au contraire l’accompagner, mais dans le respect de nos droits », a clamé une parlementaire autochtone de Bolivie en résumant les demandes de ses pairs.

Architecture financière internationale et droits des peuples autochtones

La table ronde de l’après-midi a mis l’accent sur l’accès des peuples autochtones aux financements.  À cette occasion, il a été rappelé que, lors de sa vingt-troisième session, l’Instance permanente sur les questions autochtones avait chargé l’un de ses membres, M. Darío José Mejía Montalvo, de réaliser une étude sur les réformes des institutions financières mondiales et les droits des peuples autochtones, et de la lui présenter à la présente session.  L’étude avait pour objectif de faciliter le débat et l’action en faveur des peuples autochtones en matière de réforme de l’architecture financière internationale, en promouvant une plus grande inclusion et davantage de justice dans la prise de décisions à l’échelle mondiale. 

Présentant un résumé de cette étude, M. Montalvo a fait observer que les peuples autochtones ne perçoivent qu’une part minimale des flux financiers internationaux et sont même en grande partie ignorés dans les travaux des institutions financières internationales. Pourtant, a-t-il relevé, ils font face de manière disproportionnée aux effets des changements climatiques et sont touchés de plein fouet par les répercussions de l’exploitation des énergies fossiles.  Malgré cet état de fait, les systèmes financiers actuels continuent de faire pression sur les pays en développement pour qu’ils poursuivent leurs activités fossiles, y compris sur les territoires autochtones et sans le consentement des peuples concernés. 

Dans ses recommandations, M. Montalvo propose que les institutions composant l’architecture financière internationale permettent la participation à leurs travaux de réforme d’une délégation de l’Instance permanente et de représentants des peuples autochtones afin de leur donner voix au chapitre.  Une telle participation devrait viser l’inclusion des peuples autochtones dans la gouvernance de l’architecture financière internationale, y compris par la mise en place de mécanismes spéciaux permettant un dialogue permanent, a-t-il argué. 

Principal intervenant de cette table ronde, M. Benoit Bosquet, Directeur régional du développement durable pour la région Amérique latine et Caraïbes à la Banque mondiale, a assuré que son institution ne considère plus les peuples autochtones comme des « facteurs de risque », mais voit en eux des « alliés » et des « partenaires stratégiques » des banques multilatérales de développement.  « Nous avons besoin les uns des autres », a-t-il expliqué, encourageant les partenariats tripartites entre les gouvernements, les autorités autochtones et les institutions financières pour garantir des flux directs vers les projets mis en œuvre par les peuples autochtones. 

Dans cette perspective, M. Bosquet a fait état d’une évolution de la Banque mondiale, notamment avec l’intégration du principe de consentement libre, préalable et éclairé dans son cadre environnemental et social de 2018 et l’établissement d’une norme spécifique sur les peuples autochtones, qui s’applique désormais à un tiers des projets financés par l’institution. 

Évoquant les projets sur lesquels la Banque mondiale travaille avec les peuples autochtones, il a mentionné le Fonds de partenariat pour le carbone forestier et un mécanisme de dons qui vise à permettre un accès direct au financement de l’action climatique au niveau local.  Il a aussi cité le nouveau Groupe Pérou, dont le but est de trouver des possibilités pour un projet de réduction des émissions causées par le déboisement et la dégradation des forêts (REDD+). 

Il a par ailleurs annoncé que la Banque mondiale, en association avec les sept principales fédérations de peuples autochtones de Colombie et le Ministère des finances de ce pays, œuvre à un projet de « banque des peuples autochtones », destiné à offrir à ces peuples un accès à des ressources financières.  L’objectif, a-t-il dit, est de créer un lien entre le secteur financier et les peuples autochtones afin d’aider ces derniers à financer leur développement, ainsi que la lutte contre les changements climatiques et la perte de biodiversité. 

Dans le même esprit, l’organisation Naw Ei Ei Min a insisté sur le besoin d’une évaluation et d’une meilleure gestion des flux financiers directs vers les peuples autochtones.  Elle a formé l’espoir que la question du financement direct des peuples autochtones sera mentionnée dans le document final de la prochaine conférence internationale sur le financement durable. 

D’autres organisations autochtones ont souligné que l’allocation des ressources financières aux peuples autochtones reste très sélective et ne promeut pas toujours leurs intérêts.  Des appels à plus de transparence ont été lancés et l’un des intervenants a même demandé à l’Instance de procéder à une étude spéciale sur le thème « financements publics et privés comme outils de manipulation des peuples autochtones ». 

En effet, comme l’a rappelé Mme Hindou Oumaru Ibrahim, Présidente sortante de l’Instance permanente, des milliards de dollars sont générés grâce à l’exploitation des ressources naturelles des territoires autochtones.  Mais force est de constater qu’il n’y a toujours pas de mécanismes d’indemnisation qui favoriseraient des financements directs en vue de permettre aux peuples autochtones d’investir dans leur développement socioéconomique et dans l’action climatique.  « Le financement direct des peuples autochtones n’est pas un acte de charité, c’est un paiement pour les services rendus par la Terre nourricière », a-t-elle fait valoir. 

M. Ali Hajilari, membre de l’Instance permanente, a soulevé, pour sa part, la question des sanctions unilatérales qui empêchent souvent les communautés autochtones d’obtenir les financements et prêts qui leurs sont destinés. 

Cette discussion a également été l’occasion pour différents territoires et peuples autochtones de faire part de leurs propres expériences, en particulier ceux qui sont aux prises avec des entreprises pétrolières et extractives.  Un grand nombre d’entre eux ont présenté leurs revendications en termes de droits, d’autodétermination et de disposition de leurs ressources. 

 

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