9904e séance – matin
CS/16049

Conseil de sécurité: à un « tournant critique », la transition politique en Syrie a besoin de davantage d’inclusion, estime l’Envoyé spécial

Réuni ce matin pour examiner la situation politique et humanitaire en Syrie, le Conseil de sécurité a entendu l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour ce pays plaider pour davantage d’inclusion dans la transition politique en cours, faute de quoi ce processus historique pourrait échouer, avec à la clef de « graves conséquences ».  Un avertissement lancé en présence du Ministre des affaires étrangères et des expatriés des nouvelles autorités intérimaires syriennes, premier haut responsable de la Syrie à se rendre au Siège de l’ONU à New York depuis la chute du régime de Bachar el-Assad, en décembre 2024.

Quatre mois et demi après l’ouverture de ce « nouveau chapitre de l’histoire syrienne », la situation demeure extrêmement fragile et la transition politique se trouve à un « tournant critique », a constaté M. Geir Otto Pedersen, avant de faire part du résultat de ses rencontres avec le Président syrien, M. Ahmed Al-Sharaa, et d’autres hauts responsables du pays. 

Alors que de nombreux Syriens s’interrogent sur leur place dans la « nouvelle Syrie émergente », M. Pedersen a observé une concentration du pouvoir et une certaine lenteur dans la mise en place de l’état de droit, l’instauration d’un nouveau contrat social et, à terme, l’organisations d’élections libres et équitables.  De plus, l’autorité de l’État est loin d’être établie, divers groupes armés étant toujours actifs, et des niveaux de pauvreté sans précédent persistent dans un pays toujours lourdement soumis à des sanctions et à de graves tensions sous-jacentes. 

Une transition politique encore balbutiante et fragile 

La prochaine étape cruciale de la transition politique est, à ses yeux, l’installation de l’Assemblée populaire provisoire nouvellement créée, qui aura un programme urgent de réformes législatives dans de nombreux domaines qui touchent tous les Syriens.  Il importe également que le futur processus constitutionnel ne soit pas « un exercice purement technique ou d’expertise », mais implique toutes les composantes sociétales et politiques syriennes. 

Ces mesures sont toutefois tributaires de la situation sécuritaire, qui reste alarmante dans la région côtière du pays, théâtre de massacres en mars, notamment au sein de la communauté alaouite, a souligné l’Envoyé spécial, invitant les victimes à saisir la commission nationale indépendante d’enquête et d’établissement des faits, dont le mandat a été prolongé de trois mois.  Il a également souligné la nécessité d’une réintégration pacifique du nord-est de la Syrie, région où Daech reste actif, où une force militaire importante opère toujours en dehors des structures de commandement de Damas et où se font entendre des revendications politiques concernant les droits des Kurdes. 

Prenant acte de la volonté de M. Al-Sharaa de veiller à ce qu’aucune arme ne soit détenue en dehors du contrôle de l’État, l’Envoyé spécial a exhorté les nouvelles autorités syriennes à progresser sur la question de combattants étrangers.  Il s’est par ailleurs déclaré préoccupé par les violations continues de l’intégrité territoriale de la Syrie par Israël, M. Pedersen a appelé au plein respect de l’Accord sur le dégagement des forces de 1974.  Le Conseil doit selon lui veiller à ce qu’Israël respecte son engagement de ne « pas chercher à obtenir des gains territoriaux en Syrie ». 

S’agissant de la situation économique, le haut fonctionnaire s’est fait l’écho des appels lancés par les Syriens, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, en faveur d’un assouplissement plus large et plus rapide des sanctions.  Il y a vu une mesure essentielle pour relancer l’économie syrienne et l’effort national de reconstruction.  De même, il a jugé crucial de garantir aux États qui souhaitent apporter leur aide qu’ils puissent le faire sans crainte de sanctions secondaires. 

La réponse humanitaire menacée par la raréfaction des financements

Dans ce contexte, l’aide humanitaire a tendance à se réduire.  C’est ce qu’a rapporté la Sous-Secrétaire générale par intérim aux affaires humanitaires et Coordinatrice adjointe des secours d’urgence, Mme Joyce Cleopa Msuya Mpanju, qui a appelé à davantage de financements pour permettre à l’ONU et à ses partenaires de maintenir l’assistance vitale qu’ils fournissent chaque mois à des millions de personnes en Syrie.  À ce jour, a précisé Mme Msuya, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) n’a reçu que 186 millions de dollars dans le cadre du plan de réponse, soit moins de 10% des besoins pour le premier semestre de 2025. 

Faute de financements supplémentaires, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) prévoit une réduction de 30% de son équipe en Syrie et risque de devoir fermer près de la moitié de ses 122 centres communautaires d’ici à l’été, a-t-elle prévenu, ajoutant que le Programme alimentaire mondial (PAM) a, lui, besoin de 100 millions de dollars pour éviter une interruption de son aide en août, tandis que de nombreuses ONG, notamment dans le nord-est, sont confrontées à des déficits alarmants. 

Mme Msuya a aussi appelé à soutenir la dynamique d’investissement dans le redressement et le développement de la Syrie.  « Sans cela, l’ampleur des besoins humanitaires dépassera largement notre capacité à y répondre », ce qui dissuadera les millions de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur du pays de rentrer chez eux, a-t-elle mis en garde. 

L’actuel Chef de la diplomatie syrienne s’est néanmoins montré confiant à ce sujet.  Après avoir hissé le nouveau drapeau de son pays au Siège de l’ONU, M. Asaad Hasan Al-Shaibani a assuré devant le Conseil qu’un nombre croissant de Syriens explorent la possibilité de regagner le pays et leur domicile, dans l’espoir de contribuer à la reconstruction. 

« Nos actions sont conformes à nos paroles », assure la Syrie 

Pour la première fois, de grandes organisations internationales et les institutions des Nations Unies chargées des droits humains se sont vu accorder un accès tangible à notre territoire, a relevé le Ministre.  Selon lui, l’époque des effusions de sang systématiques, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées et de l’impunité est « révolue ».  Faisant également état de succès dans la lutte contre l’exportation de drogues, il a souligné la coopération constructive de son gouvernement avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), ce qui « montre que nos actions sont conformes à nos paroles ». 

Aujourd’hui, « nous avons réussi à intégrer la compétence, l’habileté et la diversité syriennes dans un gouvernement de transition », a affirmé le Ministre, avant de s’enorgueillir de la fin du factionnalisme et du lancement d’un dialogue national pour discuter des questions affectant l’avenir de la Syrie.  S’agissant des événements tragiques survenus sur les côtes syriennes en mars, il a annoncé la création d’un comité civil pour la paix et d’un comité d’établissement des faits pour demander des comptes aux contrevenants, promettant en outre une commission de justice transitionnelle et une autre pour les personnes disparues. 

Concernant les sanctions, M. Al-Shaibani a jugé que ces mesures prises contre l’ancien régime menacent la stabilité du pays.  Leur suppression pourrait faire de la Syrie un partenaire actif et puissant pour la paix, pour l’économie internationale et pour la stabilité régionale, a-t-il insisté.  Une stabilité menacée, selon lui, par les frappes israéliennes, opérées en violation du droit international et de la souveraineté de la Syrie.  L’agression en cours déstabilise les efforts de reconstruction et sape la paix et la sécurité, a-t-il accusé, invitant le Conseil et la communauté internationale à « soutenir l’avenir de la Syrie ». 

Les membres du Conseil oscillent entre appui conditionnel et méfiance 

Les membres du Conseil ont tous salué la présence de M. Al-Shaibani, à l’instar du Royaume-Uni qui a pris note des progrès de la transition politique avant de rappeler la décision de son gouvernement de lever les sanctions contre Damas dans des secteurs tels que le commerce, la production d’énergie et la finance.  Pour le Danemark, la priorité des autorités syriennes doit être d’améliorer l’accès aux services sociaux de base et aux moyens de subsistances.  À cet égard, la délégation a promis une aide de 95 millions de dollars pour le Syrie, la Jordanie et le Liban.  La Türkiye a, de son côté, salué l’engagement constructif établi entre l’administration syrienne, l’ONU, l’OIAC et le Fonds monétaire international (FMI), qui illustre une réelle volonté d’ouvrir un nouveau chapitre par la transparence et la coopération. 

À l’exception des États-Unis, toutes les délégations, à commencer par la Fédération de Russie et la France, ont appelé Israël à stopper ses activités militaires sur le territoire syrien et à se retirer de la zone de séparation établie par l’Accord de dégagement de 1974.  La délégation américaine a quant à elle appelé les autorités syriennes à réprimer le terrorisme, à adopter une politique de non-agression avec les États voisins et à aider à retrouver les citoyens américains qui ont disparu en Syrie.  Elle a d’autre part annoncé que son pays consoliderait les bases américaines en Syrie et continuerait à prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre Daech. 

Les A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana) ont, pour leur part, estimé qu’en cette période critique, le rôle des Nations Unies demeure essentiel.  Une paix durable nécessite l’engagement de toutes les composantes de la société syrienne, dont les femmes et les jeunes.  Sur le plan humanitaire, ils ont appelé les donateurs à honorer leurs engagements financiers en faveur des opérations humanitaires en Syrie, plaidant également pour une levée des sanctions unilatérales. 

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La situation au Moyen-Orient

Exposé

M. GEIR OTTO PEDERSEN, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, a salué la présence de M. Asaad Hasan Al-Shaibani, Ministre des affaires étrangères et des expatriés par intérim de la Syrie à cette réunion du Conseil de sécurité, et l’a félicité pour son engagement en faveur de la stabilité régionale.  Quatre mois et demi après la chute de l’ancien régime, la situation demeure extrêmement fragile, a constaté le haut fonctionnaire.  Il faut selon lui une véritable inclusion politique afin que tous les Syriens puissent participer de manière significative à l’avenir politique du pays, parallèlement à la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. 

Cette transition politique, a insisté M. Pedersen, se trouve à « un tournant critique ». Alors que de nombreux Syriens s’interrogent sur leur place dans la nouvelle Syrie émergente, on observe une concentration du pouvoir et les plans visant à établir l’état de droit, à instaurer un nouveau contrat social et, à terme, à organiser des élections libres et équitables restent au stade de projets, a-t-il constaté.  De plus, l’autorité de l’État est loin d’être assurée, divers groupes armés étant toujours actifs, et des niveaux de pauvreté sans précédent persistent dans un pays toujours lourdement soumis à des sanctions et à de graves tensions sous-jacentes. 

La prochaine étape cruciale de la transition politique est la mise en place de l’Assemblée populaire provisoire, a rappelé l’Envoyé spécial, indiquant que le Président intérimaire Al-Sharaa lui a expliqué en détail sa vision au cours de leur récente rencontre.  Après avoir réitéré l’importance de l’inclusivité, de la transparence et de l’ouverture, l’Envoyé spécial a plaidé en faveur d’une intégration de toutes les composantes sociales et politiques de la Syrie au futur processus constitutionnel. 

Il a cependant noté que la situation dans les régions côtières reste alarmante, notamment pour la communauté alaouite.  Face aux allégations de violations, il a appelé les Syriens concernés à coopérer avec la commission nationale indépendante d’enquête et d’établissement des faits qui examine tous les incidents depuis le 6 mars. 

Les autorités intérimaires doivent veiller à ce que tous les segments de la société syrienne soient protégés et aient le sentiment de pouvoir pleinement participer à la vie politique et aux structures de l’État, y compris en matière de sécurité. Dans le même temps, chaque mesure prise pour instaurer l’état de droit et faire progresser la justice transitionnelle permettra de rassurer l’ensemble des composantes de la société syrienne, réduisant ainsi le risque que des individus ou des groupes se fassent justice eux-mêmes ou commettent des actes de vengeance. 

Poursuivant, l’Envoyé spécial a rappelé la nécessité d’une réintégration pacifique du nord-est de la Syrie saluant au passage l’accord conclu le 10 mars avec M. Mazloum Abdi, ainsi que la mise sur pied d’une approche de négociation commune impliquant un éventail de parties kurdes, ainsi que l’accord sur des arrangements de sécurité mutuelle dans les zones à majorité kurde de la ville d’Alep. 

La question du nord-est représente cependant d’importants défis, dont la présence de Daech, une force militaire importante qui opère en dehors des structures de commandement de Damas ainsi que les revendications politiques des Kurdes.  Il a appelé les parties à faire preuve de la volonté politique nécessaire pour parvenir à un compromis afin que le nord-est de la Syrie puisse être intégré dans le cadre d’un processus intersyrien afin de rétablir la souveraineté et l’unité de la Syrie. 

Après avoir appelé à redoubler d’efforts pour garantir qu’aucune arme ne puisse être détenue en dehors du contrôle de l’État et réintégrer les différentes factions, M. Pedersen a appelé la cessation des attaques israéliennes contre la Syrie.  Il a réclamé le plein respect de l’Accord sur le dégagement de 1974 et demandé au Conseil de veiller à ce qu’Israël respecte son engagement de ne pas chercher à obtenir des gains territoriaux en Syrie. Cette approche très conflictuelle n’est pas justifiée, d’autant qu’il existe clairement une marge de manœuvre pour la diplomatie, a-t-il estimé. 

M. Pedersen s’est ensuite inquiété de la situation économique « désastreuse » en Syrie, notant qu’il ne peut y avoir de stabilité politique et de transition réussie sans une véritable reprise économique.  L’allègement des sanctions sera essentiel pour relancer l’économie syrienne, a-t-il dit.  Il a appelé à une plus grande inclusion politique et davantage d’efforts sur le plan économique, affirmant qu’avec un changement « radical » sur ces deux points, la transition politique en Syrie peut réussir.  Sans ces deux éléments, la transition politique en Syrie risque d’échouer, et les conséquences seraient graves. 

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