En cours au Siège de l'ONU

9902e séance – matin
CS/16047

Conseil de sécurité: « un point de non-retour » pratiquement atteint dans la crise sécuritaire, humanitaire et institutionnelle qui ravage Haïti

L’insécurité s’est tellement aggravée en Haïti, où les gangs criminels lancent des attaques coordonnées pour prendre le contrôle du territoire, que la situation pourrait atteindre « un point de non-retour », a mis en garde, ce matin au Conseil de sécurité, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour ce pays qui est en train de « mourir à petit feu », selon les mots de son Représentant permanent. 

« Je dois être très franche », a déclaré Mme María Isabel Salvador, qui dirige le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). « Tout effort du Gouvernement sera insuffisant sans une intensification du soutien international, notamment par le biais d’un financement et d’une capacité opérationnelle accrus pour la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS). Ce n’est pas un choix, mais une nécessité, car il n’existe aucune alternative viable. » 

La Représentante spéciale a indiqué que depuis la fin du mois de janvier, des groupes criminels organisés ont lancé des attaques coordonnées pour étendre leur contrôle territorial et saper l’autorité de l’État.  L’échelle des violences sème la panique parmi les Haïtiens, qui craignent le total effondrement de l’État, a-t-elle relaté, précisant que l’ampleur et la durée de ces violences, qui ont fait 1 086 morts rien qu’en février et mars, ont dépassé les capacités de la Police nationale d’Haïti, malgré l’appui des Forces armées d'Haïti et de la MMAS. 

Sans une aide internationale opportune, décisive et concrète, Haïti pourrait être confrontée au chaos total, et tout retard dans votre soutien pourrait être la cause directe d’une telle détérioration, a encore prévenu la haute fonctionnaire. 

« Aux grands maux les grands remèdes », a renchéri le délégué haïtien, qui a indiqué que son pays est disposé à discuter et appuyer toute initiative de ses partenaires traditionnels visant à le débarrasser des gangs qui terrorisent la population.  Les mettre hors d’état de nuire est une nécessité absolue, a-t-il souligné, après avoir averti que « la République d’Haïti est en train de mourir à petit feu sous l’action combinée des gangs armés, des narcotrafiquants et des trafiquants d’armes ». 

L’ensemble des membres du Conseil ont partagé une même appréhension devant une situation hors de contrôle, malgré le déploiement de la MMAS, une force placée sous commandement kényan et chargée depuis fin 2023 de créer les conditions de sécurité propices à la tenue d’élections présidentielle et législatives en Haïti. Conseillère à la sécurité nationale auprès du Président du Kenya, Mme Monica Juma a reconnu que les avancées réalisées par la Mission sont menacées par la coalition de gangs armés Viv Ansanm, dans la capitale Port-au-Prince comme dans plusieurs départements, assurant toutefois que « l’espoir demeure ».  Ce dont la Mission a besoin, c’est d’être pleinement déployée et dotée des moyens adéquats, a-t-elle plaidé, notant que la Mission ne dispose à l’heure actuelle que d’un millier de soldats sur les 2 500 soldats prévus. 

« Déployée à seulement 40%, la MMAS est incapable de s’acquitter efficacement de son mandat », ont déploré les A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana) par la voix du Guyana, suivis par la Fédération de Russie, la France ou encore le Panama.  Les A3+ ont donc appelé le Conseil à examiner les options retenues par le Secrétaire général pour fournir une assistance supplémentaire à Haïti, à commencer par une « transition » vers une opération de maintien de la paix de l’ONU, qui pourrait intervenir dans un second temps, une fois réduit le contrôle territorial des gangs, a précisé la France. 

Tel n’a pas été l’avis de la Chine, qui a invité la « nation souveraine » d’Haïti à former un gouvernement légitime sans délai et à cesser de compter sur l’aide systématique de l’étranger.  La délégation s’est également lancée dans un réquisitoire contre les États-Unis, qu’elle a accusés d’ingérence de longue date dans les affaires haïtiennes. Après avoir orchestré, il y a un an, l’installation d’un nouveau gouvernement, Washington « ferme aujourd’hui les yeux, malgré le chaos », en n’appliquant pas réellement l’embargo sur les armes dont ils ont pourtant accepté l’imposition.  « Le résultat, c’est que les gangs sont mieux outillés que la Police nationale d’Haïti », s’est inquiété le représentant chinois, notant que la plupart des armes arrivant en Haïti proviennent des États-Unis. 

Pour le Panama, une des priorités du Conseil devrait donc être d’incorporer au BINUH une unité spécialisée pour soutenir les autorités haïtiennes dans la mise en œuvre de l’embargo.  « Sans accès à des armes et des munitions illégales, les bandes criminelles armées n’auraient pas pu prendre en otage la quasi-totalité du pays », se sont émus les A3+, pour lequel le régime de sanctions doit être intégralement mis en œuvre. 

Assurant pour sa part que les États-Unis continueront à coopérer avec le BINUH, la MMAS et le Gouvernement haïtien, la délégation américaine a signalé qu’ils ne peuvent assumer seuls le fardeau et a encouragé les bailleurs de fonds à contribuer à ces efforts.  Elle a également estimé que même avec un renforcement sécuritaire, une mission politique spéciale n’est pas en mesure de faire face aux enjeux liés à la violence de gangs. 

De son côté, Mme Pascale Solages, cofondatrice de l’organisation NÈGÈS MAWON, a alerté sur l’ampleur des violences sexuelles perpétrées contre les Haïtiennes, mais aussi sur le « mépris total » dans lequel est tenue selon elle la Constitution haïtienne, qui exige un minimum de 30% de femmes au sein des organes gouvernementaux.  Cette représentante de la société civile a estimé que les « autorités de transition » n’avaient démontré aucune volonté politique de mettre en œuvre un plan, un programme et des ressources centrés sur les besoins de ses concitoyennes.  Elle a tout aussi vigoureusement critiqué la MMAS qui, après un an de présence, n’a apporté aucun changement positif dans la vie des Haïtiennes, « au contraire ». Cette force multinationale, a-t-elle exhorté, doit donc se rappeler de son exigence d’opérer dans le strict respect du droit international, en tenant compte de la problématique de genre. 

Dans son intervention, la France a par ailleurs confirmé son intention de poursuivre le « travail de mémoire » engagé par le Président Emmanuel Macron, qui a annoncé le 17 avril la création d’une commission mixte franco-haïtienne, une décision dont s’est réjoui le délégué haïtien, pour qui elle ouvre la voie à des « espaces de dialogue et de compréhension mutuelle, dans une logique de réparation sans revanche ».  Un sentiment auquel a fait écho la République dominicaine, seule nation limitrophe d’Haïti.  Affirmant que la crise « aux proportions dystopiques » dans ce pays fait peser une menace existentielle sur le sien, le Ministre des relations extérieures dominicain a expliqué que son Gouvernement n’avait pas eu d’autre choix que de déployer 1 500 soldats supplémentaires à la frontière avec son voisin, portant à 11 000 le nombre de ceux qui y sont stationnés. 

Il est impératif de mettre en œuvre des sanctions contre les individus et les institutions qui financent et protègent la criminalité organisée en Haïti et de renforcer l’embargo sur les armes, a réclamé la République dominicaine, jugeant « inconcevable » que seuls cinq criminels aient été punis jusqu’à présent, « sans que les facilitateurs individuels et institutionnels soient identifiés. »  Soutenant la stratégie à deux volets du Secrétaire général, le Ministre dominicain a insisté sur l’établissement d’une mission spécialisée et mandatée pour faire usage de la force contre les gangs criminels, avant d’être contraints de devoir négocier avec ces derniers: « C’est le moment décisif pour une action coordonnée et une responsabilité partagée. » 

En début de séance, le Conseil de sécurité a observé une minute de silence à la mémoire du pape François. 

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La question concernant Haïti

Exposé

Mme MARÍA ISABEL SALVADOR, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, a déclaré que la situation sécuritaire en Haïti s’était encore dégradée depuis sa dernière intervention au Conseil, avertissant du risque d’un point de non-retour dans la crise haïtienne.  Depuis fin janvier, des groupes criminels organisés mènent des attaques coordonnées pour étendre leur contrôle territorial et affaiblir l’autorité de l’État haïtien.  Ils ont ciblé Kenscoff, la dernière voie de sortie de Port-au-Prince qui ne soit pas entièrement contrôlée par les gangs, progressant simultanément vers Delmas, le centre-ville de Port-au-Prince et Pétion-Ville – des zones jusque-là épargnées – et aggravant la déstabilisation de la ville. 

Les attaques, a poursuivi la haute fonctionnaire, se sont également propagées dans les départements de l’Ouest, du Centre et de l’Artibonite.  Plus récemment, des gangs se sont emparés de Mirebalais.  Au cours de cette attaque, plus de 500 détenus ont été libérés lors de la cinquième évasion de prison en moins d’un an, dans le cadre d’une action délibérée visant à consolider leur domination, à démanteler les institutions et à instiller la peur. 

Elle a signalé que l’ampleur et la durée de ces violences ont dépassé les capacités de la Police nationale d’Haïti, malgré le soutien des forces armées nationales et de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), entravant davantage la stabilisation.  Rien qu’en février et mars, 1 086 personnes ont été tuées et 383 autres blessées, a indiqué Mme Salvador.  Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 60 000 ont été déplacées de force au cours des deux derniers mois, s’ajoutant au million de personnes déjà déplacées depuis décembre 2024.  L’échelle des violences a semé la panique parmi les Haïtiens, qui craignent le total effondrement de l’État, a-t-elle ajouté. 

Selon la Représentante spéciale, les autorités nationales ont renforcé les forces de sécurité et amélioré la coordination entre la police, les Forces armées d’Haïti et la MMAS, et le 14 avril, un budget révisé a été adopté pour soutenir les capacités de la police et de l’armée.  Cependant, a-t-elle signalé, les forces de sécurité nationales ne peuvent réussir sans une structure de commandement unifiée et stratégique, libre de toute ingérence politique et opérant sous l’autorité civile.  De plus, elles ont besoin d’unités antigangs plus spécialisées, d’un meilleur équipement et de meilleures conditions de travail. 

Affirmant que tout effort du Gouvernement haïtien ne suffira pas pour réduire significativement la violence des groupes criminels, elle a jugé plus crucial que jamais d’intensifier le soutien international à Haïti, notamment par le biais d’un financement et d’une capacité opérationnelle accrus pour la MMAS. « Ce n’est pas un choix, mais une nécessité, car il n’existe aucune alternative viable ». 

Alors que la crise sécuritaire affecte tous les aspects de la vie en Haïti, la présence de l’ONU est également mise à rude épreuve, a relevé la Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH).  Elle a indiqué que l’isolement persistant de la capitale, dû à la suspension des vols commerciaux depuis novembre 2024 et au blocage des accès routiers, demeure le principal défi opérationnel.  En réponse, le BINUH et les agences des Nations Unies ont adopté des modalités hybrides et réduit leur présence à Port-au-Prince afin de maintenir leurs opérations et d’apporter une aide vitale.  Cependant, sans financement suffisant et prévisible, même une présence minimale des Nations Unies pourrait ne plus être viable, compromettant notre capacité à répondre aux priorités de notre mandat, a encore mis en garde Mme Salvador. 

Malgré les énormes défis sécuritaires, les autorités haïtiennes, avec le soutien du BINUH, ont pris des mesures pour faire avancer le processus politique.  Le Conseil présidentiel de transition a réaffirmé l’engagement de tenir des élections pour transférer le pouvoir à des autorités élues d’ici à février 2026, conformément à l’accord conclu il y a un an.  Le Comité de pilotage de la Conférence nationale a mené de larges consultations sur la révision constitutionnelle, tandis que le Conseil électoral provisoire a avancé dans les préparatifs administratifs et logistiques. 

« Malgré ces progrès, nombreux sont ceux qui s’inquiètent de la faisabilité du calendrier, la détérioration sécuritaire compromettant les préparatifs essentiels à l’organisation d’un référendum et d’élections inclusives, participatives et crédibles », a reconnu la Représentante spéciale.  Elle a indiqué que le BINUH reste déterminé à soutenir les autorités et les parties prenantes dans leur dialogue constructif sur les préparatifs électoraux, mais que compte tenu de la détérioration de la situation, il est crucial d’aligner le champ d’action du Bureau sur les réalités du terrain. 

Après avoir appelé le Conseil de sécurité à ajouter des noms à la liste des sanctions et exhorté les États Membres à appliquer pleinement l’embargo sur les armes, la Représentante spéciale a de nouveau souligné que les efforts du Gouvernement haïtien ne suffiront pas pour réduire significativement l’intensité et la violence des groupes criminels. 

Il est crucial d’intensifier le soutien international à Haïti, notamment en augmentant le financement et la capacité opérationnelle de la MMAS, a-t-elle insisté.  Sans une aide internationale opportune, décisive et concrète, Haïti pourrait être confronté au chaos total, et tout retard dans votre soutien pourrait être la cause directe d’une telle détérioration, a-t-elle prévenu. 

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