Conseil de sécurité: pas de retour possible de la stabilité en Libye sans une relance du processus politique, prévient la nouvelle Représentante spéciale
Deux mois après sa prise de fonction, la nouvelle Représentante spéciale du Secrétaire général pour la Libye et Cheffe de la Mission d’appui des Nations Unies dans ce pays (MANUL) a brossé, ce matin, un tableau de la situation sans concession devant le Conseil de sécurité. Alors que la Libye reste engluée dans une crise politique, économique, sécuritaire et humanitaire, elle a averti qu’un rétablissement de la stabilité ne pourra être envisagé sans une relance du processus politique et la formation d’un gouvernement unifié.
Faisant état de ses consultations avec les acteurs libyens, qu’il s’agisse de dirigeants politiques et militaires, de responsables d’institutions de contrôle et de partis politiques ou encore de représentants de la société civile, Mme Hanna Serwaa Tetteh a indiqué que, si certains de ses interlocuteurs conviennent qu’il est urgent d’unifier les institutions, d’autres considèrent qu’une telle évolution prolongerait la période de transition qui dure depuis près de 15 ans.
De même, alors que toutes les parties s’accordent sur la tenue d’élections nationales, les avis divergent quant à la nécessité d’un cadre constitutionnel préalable au scrutin, a-t-elle constaté, précisant que la MANUL s’emploie à dépasser ces divisions en appuyant les travaux du Comité consultatif chargé d’élaborer des options pour résoudre les questions électorales controversées. Le rapport que le Comité consultatif doit soumettre à la fin du mois servira de base pour « forger un consensus sur les prochaines étapes du processus politique mené et pris en charge par les Libyens », a-t-elle assuré.
Mme Tetteh a ajouté que, parallèlement à ces travaux, la MANUL a mobilisé des experts économiques pour identifier des réformes visant à améliorer la gestion financière et la viabilité du pays. En l’absence d’un budget national concerté, l’utilisation excessive des vastes ressources de la Libye pourrait entraîner un effondrement économique si rien n’est fait, a prévenu la Représentante spéciale, qui s’est déclarée favorable à un audit des principales institutions de l’État libyen par l’un des plus grands cabinets internationaux spécialisés. Cela apporterait, selon elle, de la clarté sur la gestion des finances publiques et contribuerait à remédier aux défaillances et aux lacunes de ces institutions.
Qualifiant par ailleurs d’« instable » la situation sécuritaire intérieure, bien que l’accord de cessez-le-feu de 2020 tienne largement, la Cheffe de la MANUL a dit craindre une nouvelle flambée de violence à Tripoli, la capitale et ses environs étant le théâtre de mobilisations armées. Même inquiétude dans la région sud, où la consolidation du contrôle des forces de l’Armée nationale libyenne (ANL) continue d’alimenter les tensions avec les parties prenantes locales et ont entraîné de violents combats. De fait, a souligné Mme Tetteh, « la situation restera fragile tant qu’il n’y aura pas une volonté politique d’unifier les forces de sécurité et militaires autour d’une vision commune ».
Divisions profondes et concurrence féroce autour de la rente pétrolière
L’absence d’unification des institutions politiques et des forces militaires a été pointée par les membres du Conseil, la plupart imputant l’impasse persistante aux luttes entre parties libyennes pour le contrôle des ressources de l’État, notamment pétrolières. Ces divisions soumettent les institutions du pays à des graves pressions et nourrissent les risques d’un conflit renouvelé, s’est ému le Royaume-Uni, appelant les dirigeants du pays à mettre de côté leurs intérêts personnels et à agréer un cadre économique unifié. Les parties doivent impérativement s’entendre sur un budget unifié pour préserver la stabilité économique, défendre le dinar libyen et mettre fin au conflit sur le partage des recettes, ont renchéri les États-Unis.
Cette préoccupation a été partagée par les A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), qui, par la voix de l’Algérie, ont constaté que l’absence d’un budget unifié, conjuguée à un manque de transparence et de responsabilité, n’a fait qu’exacerber la crise économique en Libye. Ils ont, par conséquent, invité la MANUL à fournir au pays une assistance technique pour l’aider à relever ce grave défi. Sur la même ligne, la Chine et la Fédération de Russie ont en outre insisté sur le déblocage des avoirs libyens gelés et leur utilisation au redressement national.
Au-delà du marasme économique, les délégations ont surtout souligné l’urgence de dépasser les blocages et de parvenir à la formation d’un nouveau gouvernement unifié à même d’organiser des élections nationales. Saluant l’achèvement de la deuxième phase des élections municipales, les A3+ ont exhorté les différentes parties libyennes à collaborer avec la MANUL pour résoudre les questions litigieuses liées aux lois électorales, en vue de trouver des solutions pratiques pour sortir le pays de l’impasse politique. La Grèce et la Slovénie ont, pour leur part, applaudi la création du Comité consultatif, y voyant l’opportunité de relancer un processus politique inclusif, dirigé et pris en charge par les Libyens.
À l’unisson, la France a appelé tous les acteurs libyens et internationaux à coopérer avec la Représentante spéciale pour surmonter les luttes politiques concernant le contrôle des institutions. Elle a notamment jugé nécessaire de mettre un terme à la crise à la tête du Haut Conseil d’État, qui reste non résolue. Le pays a besoin d’un processus politique revitalisé, a résumé la Chine en se félicitant des récentes discussions intralibyennes au Caire. Le Pakistan a quant à lui plaidé en faveur d’une réconciliation politique menée et contrôlée par les Libyens, qui se concentre sur une répartition équitable des ressources nationales.
Sur le plan sécuritaire, les membres du Conseil ont constaté la recrudescence des tensions ces dernières semaines et appelé à la réunification des institutions militaires et de sécurité pour y faire face. Ces efforts d’intégration militaire sont essentiels pour éviter que le pays ne devienne un « centre de conflit régional », ont souligné les États-Unis, pour qui le renforcement de la sécurité est également nécessaire pour acheminer l’aide humanitaire et contrôler les migrations illégales, exacerbées par les conflits au Soudan et au Soudan du Sud. Il importe aussi d’appuyer la MANUL dans la mise en œuvre du plan de retrait de toutes les forces étrangères du territoire libyen, a ajouté la France, rejointe par le Royaume-Uni qui s’est alarmé des activités de déstabilisation de milices et d’autres acteurs sécuritaires.
Violations du régime de sanctions
La question des sanctions a également été abordée par plusieurs membres, à commencer par les États-Unis, qui se sont dits favorables au renouvellement du mandat du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1970 (2011) concernant la Libye, notamment en raison des violations de l’embargo sur les armes et des exportations illicites de pétrole libyen. La délégation américaine a demandé au Groupe d’experts de travailler sur ces violations et d’identifier les individus et entités qui « déstabilisent la Libye ». De son côté, la Fédération de Russie a estimé que les sanctions doivent tenir compte des « réalités du pays ».
Le respect de l’embargo sur les armes est impératif pour aider la Libye à retrouver sa souveraineté et la maîtrise de ses frontières, a insisté la France, non sans rappeler que les autorisations mises en place par le Conseil depuis 2016 pour permettre à des États Membres et organisations régionales d’inspecter des navires suspectés de violations contribuent à cet objectif, en particulier via l’opération IRINI de l’Union européenne. Face aux refus répétés et persistants opposés à l’inspection de navires soupçonnés de violer l’embargo sur les armes, la Grèce a indiqué qu’elle appuierait le renouvellement du mandat de l’opération, qui expire en mai. Il est crucial pour préserver la paix et la stabilité en Libye et en Méditerranée, a-t-elle souligné.
Prenant acte des efforts du Comité consultatif et de ses propositions pour sortir de l’impasse, le représentant de la Libye a demandé à la nouvelle Représentante spéciale de soutenir le processus politique afin de permettre la tenue d’élections. Il a cependant dit attendre « des actes, pas de simples paroles », affirmant que si son pays a besoin d’un véritable partenariat international, il ne doit pas pour autant se faire dicter des conditions. Compte tenu de la gravité de la crise économique, il a appelé à « des arrangements budgétaires et financiers au service du peuple libyen ». Le délégué a également averti qu’il ne pourra pas y avoir de stabilité tant que l’État n’aura pas le contrôle des armes qui circulent dans le pays. Quant au fait que la Libye est un pays de transit pour les migrants, il a jugé qu’elle ne peut endosser seule la responsabilité de ce phénomène, dénonçant les « leçons de tolérance » données par les pays européens.
En conclusion, il a appelé à soutenir le processus de réconciliation libyen en vue de la tenue d’élections et souhaité l’arrêt des ingérences. « Nous en avons assez des solutions imposées de l’extérieur qui ne font que nourrir l’instabilité. »
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La situation en Libye S/2025/223
Exposé
Mme HANNA SERWAA TETTEH, Représentante spéciale du Secrétaire général pour la Libye et Cheffe de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL), a indiqué avoir mené, depuis sa prise de fonction en février, de vastes consultations avec les acteurs politiques, militaires, sécuritaires et judiciaires libyens, les institutions de contrôle, les partis politiques, la société civile, les leaders féministes et la communauté diplomatique. Elle a noté que la plupart des dirigeants libyens appellent à un processus politique inclusif et soulignent l’urgence d’unifier les institutions et de rétablir la stabilité. Certains estiment qu’un nouveau gouvernement unifié est la seule solution, tandis que d’autres affirment qu’il prolongera la période de transition qui dure depuis près de 15 ans, a-t-elle rapporté, précisant toutefois que toutes les parties s’accordent sur la tenue d’élections, même si les avis divergent quant à la nécessité d’un cadre constitutionnel préalable au scrutin. Pour sa part, la MANUL soutient les travaux du Comité consultatif visant à élaborer des options pour résoudre les questions électorales controversées, a expliqué la Représentante spéciale, selon laquelle cet organe a tenu des sessions à Benghazi et à Tripoli, notamment avec le Comité « 6+6 » et la Haute Commission électorale nationale, pour discuter de ces défis. Il poursuit actuellement ses délibérations et devrait soumettre son rapport sur la voie à suivre d’ici à la fin du mois, ce document devant servir de base pour forger un consensus sur les prochaines étapes du processus politique mené et pris en charge par les Libyens.
Constatant que la crise politique libyenne persiste en raison de la concurrence pour les ressources économiques, Mme Tetteh a ajouté que, parallèlement aux travaux du Comité consultatif, la MANUL a mobilisé des experts économiques pour identifier des réformes visant à améliorer la gestion financière et la viabilité du pays. Dans ce contexte, elle a prévenu qu’en l’absence d’un budget national concerté, l’utilisation excessive des vastes ressources de la Libye pourrait entraîner un effondrement économique si rien n’est fait. Elle a néanmoins qualifié d’évolution positive l’interruption des transactions « pétrole brut contre carburant » de la National Oil Corporation à compter du 1er mars, estimant qu’elle favorise une plus grande transparence des ventes de pétrole. Elle a par ailleurs jugé qu’un audit des principales institutions de l’État libyen par l’un des cinq plus grands cabinets internationaux spécialisés apporterait de la clarté sur la gestion des finances publiques et contribuerait à remédier aux défaillances et aux lacunes de ces institutions.
Sur le plan sécuritaire, elle a noté que, si l’accord de cessez-le-feu de 2020 tient largement, la situation reste instable. Dans un contexte de renforcement militaire continu, les récentes mobilisations armées à Tripoli et dans ses environs ont ravivé les inquiétudes quant à une éventuelle flambée de violence dans la capitale, a-t-elle averti, ajoutant que, dans la région Sud, la consolidation du contrôle des forces de l’Armée nationale libyenne continue d’alimenter les tensions avec les parties prenantes locales et ont entraîné de violents combats et des pertes en vies humaines à Qatroun. Selon elle, « la situation restera fragile tant qu’il n’y aura pas une volonté politique d’unifier les forces de sécurité et militaires autour d’une vision commune ».
Pour la Représentante spéciale, l’une des conséquences tragiques de la division des institutions en Libye est « le vide dans lequel les acteurs armés commettent des violations des droits humains en toute impunité ». Alors que des discours de haine, xénophobes et racistes, incitent à la violence contre les migrants, les demandeurs d’asile, les réfugiés et les organisations humanitaires, elle a pris acte des récentes discussions entre le Gouvernement et l’ONU pour remédier à la situation et a encouragé tous les acteurs politiques à adopter une approche plus globale pour lutter contre le trafic de migrants et sécuriser l’espace humanitaire. Dénonçant d’autre part les détentions arbitraires de professionnels du droit et d’opposants politiques, elle a exhorté les autorités à garantir que les arrestations soient menées conformément à la loi et que les personnes privées de liberté bénéficient de leur droit à un procès équitable. Elle a également invité la Chambre des députés à accélérer l’adoption de la loi sur la protection des femmes contre la violence, avant de réitérer l’engagement de la MANUL à collaborer avec toutes les parties prenantes libyennes et l’Union africaine pour soutenir un processus de réconciliation fondé sur les droits, centré sur les victimes et inclusif.
S’agissant de la deuxième phase des élections locales dans 62 municipalités, dont Tripoli, Benghazi et Sabha, Mme Tetteh a confirmé que l’inscription des électeurs s’est achevée le 15 avril. Réaffirmant l’importance de ces élections pour l’établissement d’une « gouvernance démocratique à la base », elle s’est félicitée que, dans l’ensemble, la première phase des élections municipales ait été un succès. Au niveau national, elle a observé que le litige concernant les élections à la présidence du Haut Conseil d’État reste non résolu, ce qui fragilise l’institution. Elle a exhorté ses membres à trouver une solution de compromis.