Syrie: le Conseil fait le point sur les avancées, les obstacles et les enjeux sur la voie d’une transition politique inclusive
Quatre mois après la chute du régime Al-Assad, les énormes espoirs et craintes du peuple syrien ont été mis au jour ce mois-ci, a révélé ce matin l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie. M. Geir Pedersen a décrit des avancées substantielles sur le plan politique qui ont cependant été assombries par une flambée de violence dans les zones côtières, en particulier à Lattaquié et à Tartous, où de nombreux civils alaouites, chrétiens et d’autres minorités ethniques et religieuses ont été tués et blessés.
Comme l’a expliqué M. Pedersen, le jeudi 6 mars, des groupes armés associés à l’ancien régime ont attaqué des forces de l’autorité intérimaire syrienne dans toute la région côtière. De graves affrontements armés ont suivi, faisant un nombre important de victimes non seulement au sein des factions belligérantes, mais également parmi les civils. Certains membres du Conseil n’ont pas hésité à parler de « carnage » et de « massacre » à propos de ces incidents, alors que la Türkiye a mis en garde contre toute tentation de décrire ces attaques, que le Conseil a unanimement condamnées dans une déclaration présidentielle le 14 mars, comme un conflit sectaire entre Damas et la communauté alaouite, y voyant plutôt l’intervention d’acteurs étrangers.
Selon M. Pedersen, les autorités intérimaires syriennes ont confirmé que les civils avaient été tués par les forces des deux camps, y compris par ce qu’elles ont décrit comme « des factions de volontaires et d’autres factions associées ». Elles ont annoncé la création d’une commission d’enquête indépendante chargée d’examiner les violations commises par toutes les parties, qui doit présenter ses conclusions dans un délai de 30 jours. Afin de clairement faire passer le message que « l’ère de l’impunité en Syrie est révolue », l’Envoyé spécial a insisté pour que les conclusions de l’enquête soient rendues publiques et pour que les responsables des attaques rendent des comptes, un appel répété par les membres du Conseil.
Enquêtes, justice et inclusion: éléments essentiels d’une transition crédible
À l’instar de la Fédération de Russie, la plupart des membres du Conseil ont émis l’espoir que les mesures prises par Damas, dont la mise en place de cette commission d’enquête et la création du haut comité pour la protection de la paix civile, contribueront à stabiliser la situation dans les zones côtières. Il s’agit là d’une priorité absolue pour jeter les bases solides d’une nouvelle Syrie dans laquelle les droits de toutes les minorités ethno-religieuses seront garantis, a estimé la délégation russe. L’avenir de la Syrie dépend de la réconciliation et de la justice rendues, a renchéri la Slovénie, pour laquelle il s’agit des pierres angulaires d’une transition politique crédible et inclusive.
La plupart des intervenants de ce matin ont reconnu que la phase de transition qui s’est ouverte suscite de nombreux espoirs, interpellant la communauté internationale pour qu’elle se tienne aux côtés du peuple syrien. Il ne s’agit pas uniquement d’un impératif moral, a souligné la Jordanie, qui parlait au nom du Groupe des États arabes, mais aussi d’un investissement dans la paix et la sécurité en Syrie et dans la région.
La feuille de route à laquelle les autorités de Damas se sont engagées est claire, a relevé la France: une transition politique pacifique et représentative de toutes les composantes du peuple syrien, dans l’esprit des principes de la résolution 2254 (2015). Pour cela, les appels à la poursuite du dialogue national ont été quasi-unanimes en vue de relever le pari de former un gouvernement représentatif et reconnu comme légitime par l’ensemble des Syriens.
Sur ce point, la cofondatrice du Syrian Women’s Political Movement a tenu à signaler que le dialogue national et la déclaration constitutionnelle temporaire du 13 mars 2025 n’ont pas prévu d’instances de délibération. L’exécutif dirigé par le Président Al-Sharaa détient d’immenses pouvoirs alors que les branches législatives et judiciaires lui sont subordonnées et ne sont donc pas en mesure de le rendre redevable, a relevé Mme Joumana Seif.
D’autres intervenants, comme le Royaume-Uni et le Danemark, ont estimé que, pour que cette transition politique soit réellement inclusive, elle devra donner la priorité à la participation et au leadership des femmes.
M. Pedersen a également signalé que, le 10 mars, M. Ahmed al-Sharaa et le commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS), M. Mazloum Abdi, ont signé un accord en huit points qui prévoit notamment l’intégration de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie dans l’administration de l’État syrien. La délégation syrienne a expliqué que cet accord rejette toute division territoriale de la Syrie et affirme les droits de tous les Syriens à la représentation et à la participation au processus politique, quelle que soit leur origine ethnique ou religieuse.
Cet accord, que la Türkiye a accueilli avec un « optimisme prudent », reconnaît en outre la communauté kurde et garantit son droit à la citoyenneté et à tous les autres droits constitutionnels. Résumant les enjeux, la France a décrit cet accord comme une première étape vers une solution négociée pour l’unification de la Syrie et la garantie des droits et des intérêts des Kurdes.
Le volet humanitaire et la levée des sanctions
Pour soutenir le processus politique, il faut garantir l’accès et le travail humanitaire sans entrave et accompagner le relèvement du pays, ont argué la plupart des intervenants. Tout en saluant les engagements humanitaires pris lors de la neuvième conférence de Bruxelles la semaine dernière pour soutenir le redressement de la Syrie et les communautés d’accueil dans les pays voisins, l’Envoyé spécial Pedersen a estimé qu’il faudra bien plus de ressources que les 5,8 milliards mobilisés, dont 2,5 milliards d’euros de l’Union européenne pour 2025 et 2026.
L’amélioration de la situation humanitaire et le redressement économique passent aussi par un assouplissement rapide et général des sanctions visant l’ancien régime syrien, a soutenu M. Pedersen, suggérant des suspensions ciblées et sectorielles, notamment dans les domaines de l’énergie, des investissements, de la finance, de la santé et de l’éducation. « Maintenant qu’Assad n’est plus au pouvoir, rien ne justifie le maintien de ces sanctions », a abondé en son sens le Ministre des affaires étrangères du Danemark qui présidait cette séance. De leur côté, les pays de l’Union européenne ont préconisé une levée graduelle des sanctions alors que l’Algérie, au nom des A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), le Pakistan, le Panama, la République de Corée, la Russie, le Qatar et l’Iran ont privilégié une levée totale de ces mesures unilatérales pour faciliter le redressement, le développement économique et les investissements en Syrie.
Abordant plus en détail les opérations humanitaires en Syrie, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence (OCHA) a fait état de nouvelles encourageantes pour une action humanitaire ambitieuse et renforcée. Depuis le début de l’année, l’OCHA a augmenté les livraisons transfrontalières depuis la Türkiye, a indiqué M. Thomas Fletcher en se félicitant du dialogue pragmatique et constructif qui a été engagé avec les autorités intérimaires afin de résoudre les problèmes de liquidités et de simplifier davantage les procédures.
Toutefois, avec 355 000 réfugiés syriens de retour en Syrie depuis décembre, l’OCHA a besoin de plus de financement, a-t-il mis en garde. Il a rappelé que l’appel humanitaire de l’année dernière n’avait été financé qu’à hauteur de 35%, ce qui avait forcé l’agence à réduire sa réponse humanitaire de plus de moitié. Aujourd’hui les perspectives sont encore plus sombres, s’est-il inquiété expliquant en partie cela par le fait que près de la moitié des organisations financées par les États-Unis ont reçu des ordres de suspension totale ou partielle de leurs activités. De plus, l’appel humanitaire de l’ONU de 2 milliards de dollars pour venir en aide à 8 millions de Syriens d’ici à juin n’a reçu qu’environ 155 millions de dollars, ce qui couvre à peine 13% des besoins.
La menace des groupes terroristes à surveiller
Parmi les autres points soulevés ce matin, les nouvelles autorités de Damas ont été appelées à empêcher que Daech et d’autres groupes terroristes ne s’implantent sur le sol syrien. Les États-Unis leur ont concrètement demandé de veiller à ce que les combattants de Daech restent en prison et de faire en sorte que les 8200 combattants étrangers ne s’échappent pas. Au nom de la stabilité et de la sécurité du pays, le Danemark, le Qatar et d’autres membres du Conseil ont souhaité que l’État syrien monopolise le contrôle des armes au sein d’une seule armée nationale représentant toutes les composantes de la société syrienne, quelles que soient leur appartenance religieuse ou leur origine.
La représentante de la société civile a résumé les enjeux ainsi: les nouvelles autorités syriennes doivent s’émanciper de la tyrannie, de la corruption, de la monopolisation du pouvoir, du terrorisme et du sectarisme.
La situation au Moyen-Orient
Exposé
L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, M. GEIR PEDERSEN, a dépeint la Syrie, quatre mois après la chute du régime Al-Assad, comme un pays où les énormes espoirs et craintes du peuple syrien ont été mis au jour ce mois-ci. Si beaucoup se sont réjouis de pouvoir se rassembler sans crainte et de célébrer ouvertement Nowruz, d’autres ont été confrontés à un épisode de violence dévastatrice dans les zones côtières, qui a fait un grand nombre de victimes civiles et renforcé la peur et l’anxiété quant à l’avenir. Il a expliqué en détail ce qui s’est passé le jeudi 6 mars, lorsque des groupes armés associés à l’ancien régime ont embusqué et attaqué des forces de l’autorité intérimaire dans toute la région côtière. L’ampleur et la sophistication des attaques ont été frappantes, nombre d’entre elles ayant été revendiquées par des groupes d’officiers de l’ancien régime, et les autorités intérimaires ont constaté, en plus, l’influence d’acteurs extérieurs.
Le même jour, des forces ont afflué sur la côte depuis d’autres régions syriennes. De graves affrontements armés ont suivi, faisant un nombre important de victimes parmi les factions belligérantes, mais le plus alarmant a été le nombre « effroyable » de victimes civiles, y compris des exécutions sommaires de civils et d’individus non armés, a relaté M. Pedersen, citant des récits de familles entières exécutées à bout portant. Il a parlé de représailles et de violations graves de nature manifestement sectaire visant particulièrement les Alaouites. Même si la situation s’est relativement calmée après plusieurs jours, on rapporte toujours des harcèlements et intimidations, notamment à forte connotation sectaire.
L’Envoyé spécial a salué la condamnation claire de ces développements par le Conseil de sécurité en insistant sur la nécessité d’une enquête plus approfondie afin de déterminer avec précision les responsables de ces violences choquantes à l’encontre des civils. Pour leur part, les autorités intérimaires ont déclaré que les civils avaient été tués par les forces des deux camps, y compris par ce qu’elles ont reconnu être « certaines factions de volontaires et d’autres factions associées ». Elles ont annoncé la création d’une commission d’enquête indépendante chargée d’examiner les violations commises par toutes les parties. Cette commission doit présenter ses conclusions dans un délai de 30 jours.
Pour sa part, l’Envoyé spécial a insisté sur l’importance de mener des enquêtes efficaces, transparentes, indépendantes et exhaustives, conformément aux normes internationales, et de veiller à ce que les témoins soient protégés et ne soient pas intimidés. Les conclusions de ces enquêtes doivent être rendues publiques et les responsables tenus de rendre des comptes, afin de faire passer clairement le message que l’ère de l’impunité en Syrie est révolue, a-t-il exigé. M. Pedersen a également indiqué que les autorités intérimaires ont annoncé la création d’une haute commission pour la paix civile dans les zones côtières.
Sur un autre volet, M. Pedersen est revenu sur la signature, le 10 mars, par M. Ahmed Al-Sharaa et M. Mazloum Abdi, d’un accord en huit points qui prévoit notamment l’intégration de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie dans l’administration de l’État syrien. L’accord prévoit la mise en place de comités, qui auront jusqu’à la fin de l’année 2025 au plus tard pour travailler et chercher à mettre en œuvre ces accords. Saluant cet accord sur des objectifs communs, l’Envoyé spécial a annoncé poursuivre et approfondir son engagement en faveur de ce processus d’autant plus qu’il y a toujours des échanges de tirs dans cette région.
Les mois de février et mars ont également été marqués par plusieurs incidents de frappes aériennes israéliennes dans le sud-ouest de la Syrie, à Damas, à Homs et sur la côte alors qu’Israël a annoncé son intention de rester en Syrie « dans un avenir prévisible » et demandé la « démilitarisation complète du sud de la Syrie ». M. Pedersen a exhorté le Conseil de sécurité d’exiger d’Israël qu’il respecte son engagement à ne rester que temporairement sur le territoire syrien, de se retirer et de respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’unité et l’indépendance de la Syrie. L’ONU continue de dialoguer avec Israël et les autorités intérimaires à cette fin.
En ce qui concerne la question essentielle de la transition politique, une conférence de dialogue national s’est tenue en février à Damas, après deux semaines de consultations itinérantes dans les régions. Elle a abouti à une déclaration finale contenant des recommandations non contraignantes. Certains participants syriens ont salué le pluralisme des participants et le fait que les discussions aient été ouvertes et dénuées de toute interférence de la part des autorités, a précisé M. Pedersen. En mars, les autorités intérimaires ont également publié une déclaration constitutionnelle qui, a espéré l’Envoyé spécial, permettra à la Syrie de rétablir l’état de droit et de promouvoir une transition ordonnée et inclusive. Son bureau a été consulté de manière informelle, puis de manière formelle vers la fin de ce processus.
L’Envoyé spécial a souligné que les Syriens attendent l’annonce prochaine d’un gouvernement de transition, qui sera nommé par M. Al-Sharaa, et d’un conseil législatif de transition qui sera en partie nommé par lui et en partie élu, selon un processus à déterminer par les personnes qu’il nommera. Le Ministre des affaires étrangères intérimaire, M. Al-Shaibani, lui aurait dit qu’un comité constitutionnel serait formé pour préparer une constitution permanente. Ce processus, puis l’obtention de l’approbation populaire et la préparation d’élections libres et équitables, sont des entreprises extrêmement importantes, a insisté l’Envoyé spécial, soulignant que les Nations Unies ont un rôle crucial à jouer sur ces questions en soutenant un processus dirigé et pris en charge par les Syriens, conformément à leur mandat et aux principes fondamentaux de la résolution 2254 (2015).
Il convient, en outre, d’élaborer une marche à suivre plus claire sur les questions de sécurité dans un paysage d’une complexité et d’une fragmentation considérables. Avec des groupes armés qui échappent au contrôle de l’État, ces questions ne peuvent être réglée du jour au lendemain ou par des déclarations, a estimé M. Pedersen. De plus, la question de la présence de combattants étrangers dans les rangs des nouvelles forces armées, ainsi que d’individus associés à des violations, reste une autre préoccupation majeure pour les Syriens et au niveau international, a reconnu l’Envoyé spécial en encourageant les autorités intérimaires à s’attaquer résolument à ce problème.
D’autre part, les Syriens ont besoin d’un avenir économique, ce qui demande un soutien international sérieux, a plaidé l’Envoyé spécial. Tout en saluant les engagements humanitaires pris lors de la neuvième conférence de Bruxelles la semaine dernière pour soutenir le redressement de la Syrie et les communautés d’accueil dans les pays voisins, M. Pedersen a martelé qu’il faudra davantage de ressources. Il a appelé à un assouplissement rapide et général des sanctions, avec des suspensions ciblées et sectorielles, notamment dans les domaines de l’énergie, des investissements, de la finance, de la santé et de l’éducation.
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