9878e séance – matin
CS/16018

Conseil de sécurité: le Soudan, en proie à la crise humanitaire « la plus dévastatrice au monde », est aussi le théâtre d’horribles violences sexuelles

Le Soudan est aujourd’hui confronté à « la crise humanitaire la plus grave et la plus dévastatrice au monde », une « polycrise » qui a le potentiel de provoquer une « catastrophe générationnelle » non seulement pour le Soudan, mais aussi pour la région et au-delà.  Tel a été le constat accablant dressé ce matin, au Conseil de sécurité, par la Directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), lors d’une séance demandée par le Danemark et le Royaume-Uni, alarmés par la généralisation des violences sexuelles dans le pays.

Au Soudan, a relaté Mme Catherine Russell, la violence sexuelle est « omniprésente », utilisée pour « humilier, dominer, disperser, déplacer de force et terrifier toute une population ».  Elle a estimé à 12,1 millions le nombre de femmes et de filles –et de plus en plus d’hommes et de garçons– qui risquent d’être victimes de ce fléau, soit une hausse de 80% par rapport à l’année précédente.  Selon l’UNICEF et ses partenaires, 221 cas de viols d’enfants ont été signalés en 2024 dans neuf États, dont 67% de filles et 33% de garçons.  « Dans 16 des cas recensés, les enfants avaient moins de 5 ans.  Quatre étaient des bébés de moins d’un an. » 

Violences sexuelles, assaut contre les civils

Unanimes, les membres du Conseil ont condamné le recours à cette violence sexuelle, qualifiée d’« abominable » par les États-Unis et d’« horrifiante » par l’Algérie, qui a pris la parole au nom des A3+, le groupe formé par ce pays, la Sierra Leone, la Somalie et le Guyana.  Le représentant soudanais a imputé le recours à cette violence comme arme de guerre aux Forces d’appui rapide, le groupe paramilitaire en conflit avec les forces armées gouvernementales.  Elle a été encouragée par la diffusion de discours de haine fondés sur la suprématie ethnique, la création de marchés d’esclaves et la vente de filles, s’est-il indigné, avant de mettre en exergue les mesures prises par son gouvernement pour tenter d’y mette fin.

Ces violences sexuelles s’inscrivent dans le cadre plus général d’un assaut lancé contre les civils et les infrastructures civiles, dont certains membres du Conseil ont également jugé que le Gouvernement soudanais était responsable.  C’est le cas du Danemark, qui a regretté que la réponse humanitaire soit dans l’impasse « alors que les Forces armées soudanaises comme les Forces d’appui rapide instrumentalisent délibérément les opérations humanitaires ».  Pour la délégation danoise, « le voile de la bureaucratie ne devrait jamais être invoqué pour bloquer ou détourner une aide vitale », alors que les personnels de l’ONU sont victimes d’intimidations et de menaces. 

« Malgré l’urgence évidente de la situation au Soudan, l’acheminement de l’aide humanitaire au Soudan demeure extrêmement et, dans certains cas, délibérément complexe », a signalé le Secrétaire général de Médecins Sans Frontières (MSF). M. Christopher Lockyear a expliqué que l’obtention des permis de voyage reste difficile, l’accès à travers les lignes de front nécessite des négociations exténuantes et, malgré des accords préalables, les centres humanitaires vitaux de l’ONU au Darfour restent bloqués.  Et dans les zones contrôlées par les Forces d’appui rapide, le groupe armé et ses affiliés ont retardé arbitrairement les convois d’aide et imposé des péages et des taxes injustifiables par l’intermédiaire de l’Agence soudanaise pour les secours et les opérations humanitaires (SARHO). 

Les organisations humanitaires qui tentent de fournir de l’aide dans les zones contrôlées par les Forces d’appui rapide sont confrontées à un choix impossible: se conformer aux exigences de la SARHO et risquer d’être expulsées par les autorités de Port-Soudan, ou refuser et voir leurs opérations interrompues par la SARHO. 

Estimant que la crise au Soudan exige un changement fondamental par rapport aux « approches inefficaces » du passé, le patron de MSF a plaidé pour un nouveau pacte humanitaire, fondé sur un engagement commun en faveur de la protection des civils et garantissant aux organisations humanitaires l’espace opérationnel dont elles ont besoin.  Ce pacte devra également imposer un moratoire sur toutes les restrictions à l’aide humanitaire et veiller à ce que l’intervention reste indépendante de toute ingérence politique. 

Quelles mesures adopter face à cette situation?

De son côté, le représentant soudanais, qui s’est longuement épanché sur les efforts déployés par son gouvernement pour atténuer les souffrances des populations, a appelé le Conseil à prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux ingérences étrangères « flagrantes » et imposer des sanctions dissuasives à toutes les parties impliquées dans le soutien aux Forces d’appui rapide, y compris les pays et entités qui les financent et leur fournissent des mercenaires.  À la suite de l’intervention des Émirats arabes unis, qui ont rappelé avoir organisé en février une conférence humanitaire en marge du Sommet de l’Union africaine afin d’obtenir une trêve pour le ramadan, le Soudan s’est également livré à un réquisitoire virulent contre ce pays du Golfe, accusé de soutenir les Forces d’appui rapide et de violer l’embargo sur les armes. Les Émirats arabes unis, qui ont rejeté ces allégations, ont de leur côté exhorté le Conseil à faire de la violence sexuelle liée aux conflits un critère de désignation autonome dans le cadre du régime des sanctions applicable au Soudan.

Le Secrétaire d’État adjoint aux affaires étrangères du Royaume-Uni, M. Ray Collins, a estimé qu’il faut continuer à faire pression sur les parties belligérantes pour qu’elles respectent les engagements pris en matière de protection des civils dans le cadre de la Déclaration de Djedda.  La France s’est d’ailleurs dite favorable à la création d’un mécanisme de supervision et de vérification des engagements pris par les signataires de cette déclaration.  De leur côté, les États-Unis ont jugé « insuffisante » la déclaration faite à la presse la semaine dernière par la présidence du Conseil pour dénoncer la tentative des Forces d’appui rapide d’établir un gouvernement parallèle. 

Le conflit au Soudan peut et doit être résolu par des moyens politiques et diplomatiques, préalable au lancement d’un large dialogue national impliquant toutes les « forces patriotiques » poursuivant un agenda exclusivement « unificateur », a estimé la Fédération de Russie qui a jugé essentiel « d’éviter de répéter les erreurs des cinq dernières années dans la poursuite de schémas politiques étrangers à la société soudanaise ». L’ONU, et en particulier le Conseil de sécurité, devrait compléter et accompagner le processus de paix au Soudan, et non imposer des prescriptions « manifestement vouées à l’échec ».

Dans l’immédiat, la Directrice générale de l’UNICEF a demandé au Conseil qu’il fasse pression sur toutes les parties au conflit afin qu’elles garantissent une circulation rapide, sans entrave et sûre des travailleurs humanitaires et des articles de première nécessité au travers des lignes de conflit et des frontières, par tous les points d’entrée - l’accès humanitaire via le poste frontière d’Aweil pour atteindre le Darfour oriental et le Kordofan occidental est crucial, a-t-elle signalé.  La haute fonctionnaire a également demandé au Conseil d’appeler les donateurs à garantir que l’UNICEF et toutes les autres organisations humanitaires puissent rester dans le pays et intervenir auprès des enfants.  « Nous estimons à 1 milliard de dollars en 2025 le montant de l’aide vitale à apporter à 8,7 millions d’enfants vulnérables », a-t-elle indiqué. 

La délégation américaine a par ailleurs fait savoir que le Secrétaire d’État, M. Marco Rubio, est en train de réexaminer tous les programmes d’aide fournis par Washington pour veiller à leur conformité avec la politique étrangère des États-Unis.  M. Rubio, a-t-elle précisé, a approuvé une dérogation pour l’aide humanitaire vitale couvrant les vivres d’urgence, les médicaments et les abris, « notamment pour le Soudan ».

 

NOUVEAU - Suivez la couverture des réunions en direct sur notre LIVE

 

Rapports du Secrétaire général sur le Soudan et le Soudan du Sud

Exposés

Mme CATHERINE RUSSELL, Directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), a déclaré que, près de deux ans après le début du conflit, le Soudan est aujourd’hui confronté à « la crise humanitaire la plus grave et la plus dévastatrice au monde ».  Avec une économie, des services sociaux et des infrastructures au bord de l’effondrement, près des deux tiers de la population, soit plus de 30 millions de personnes, auront besoin d’une aide humanitaire cette année, a-t-elle annoncé.  Seize millions d’entre eux sont des enfants, et ils paient un lourd tribut.  La famine sévit dans au moins cinq localités, où l’on estime à 1,3 million le nombre d’enfants âgés de moins de 5 ans qui en souffrent.  « Plus de 3 millions d’enfants de moins de 5 ans sont exposés à un risque imminent d’épidémies mortelles, notamment de choléra, de paludisme et de dengue, en raison d’un système de santé défaillant », a poursuivi la haute fonctionnaire, qui a ajouté que 16,5 millions d’enfants en âge d’être scolarisés, soit près d’une génération entière, ne le sont pas.  Cette « polycrise » touche tous les secteurs, de la santé et de la nutrition à l’eau, l’éducation et la protection. 

Mais au Soudan, les enfants subissent aussi une violence effroyable, a poursuivi Mme Russell.  Entre juin et décembre 2024, plus de 900 cas de violations graves contre des enfants ont été signalés, dont 80% ont entraîné des meurtres et des mutilations, principalement dans les États du Darfour, de Khartoum et de Gazira.  « Malheureusement, nous savons que ces chiffres ne représentent qu’une fraction de la réalité », a déploré la Directrice générale qui a indiqué qu’en seulement deux jours en février, 21 enfants ont été tués et 29 autres mutilés par des bombardements à Kadougli, dans l’État du Kordofan méridional.  L’utilisation généralisée d’armes explosives continue d’avoir des conséquences dévastatrices pour les enfants, sachant qu’elles ne disparaîtront pas à la fin du conflit, a-t-elle ajouté. 

Au Soudan, la violence sexuelle est omniprésente.  « Elle est utilisée pour humilier, dominer, disperser, déplacer de force et terrifier toute une population », a décrit la Directrice générale, qui a estimé à 12,1 millions le nombre de femmes et de filles –et de plus en plus d’hommes et de garçons– qui risquent d’être victimes de violences sexuelles, soit une hausse de 80% par rapport à l’année précédente.  Selon les données analysées par l’UNICEF et recueillies par des prestataires de services au Soudan, 221 cas de viols d’enfants ont été signalés en 2024 dans neuf États.  Dans 16 des cas recensés, les enfants avaient moins de 5 ans.  Quatre étaient des bébés de moins d’un an.  Une jeune fille nous a raconté comment, seule à Khartoum après la mort de ses parents, elle a été violée par quatre hommes armés et masqués.  Même après avoir enduré tant d’autres horreurs, elle a décrit cela comme « la plus grande épreuve » qu’elle ait jamais subie.

Selon Mme Russell, l’ampleur et la gravité de cette crise exigent une désescalade urgente du conflit et un accès humanitaire sans restriction, tant au-delà des frontières que des lignes de conflit, afin de combattre et d’atténuer la famine, et de répondre aux besoins immédiats de millions de personnes vulnérables.  Malheureusement, les parties n’ont pas convenu d’itinéraires communs à travers les lignes de conflit pour l’acheminement de l’aide, en particulier dans les zones les plus touchées.  Malgré ces énormes défis, l’UNICEF continue d’intervenir partout comme il le peut.  En 2024, nous avons fourni de l’eau potable à plus de 9,8 millions d’enfants et de familles en 2024, dépisté la malnutrition chez 6,7 millions d’enfants et fourni des traitements vitaux à 422 000 enfants sévèrement malnutris.

Mme Russell a formulé quatre demandes au Conseil de sécurité.  Tout d’abord, qu’il affiche une unité pour exiger la protection des enfants et des infrastructures dont ils dépendent pour survivre, conformément au droit international humanitaire, aux droits de l’homme et aux principes fondamentaux d’humanité.  Ce Conseil doit ensuite dialoguer avec toutes les parties au conflit et faire pression sur elles afin de garantir une circulation rapide, sans entrave et sûre des travailleurs humanitaires et des articles de première nécessité au travers des lignes de conflit et des frontières, par tous les points d’entrée: par exemple, l’accès humanitaire via le poste frontière d’Aweil pour atteindre le Darfour oriental et le Kordofan occidental est crucial.  La haute fonctionnaire a également appelé le Conseil à rétablir et à faciliter la présence permanente de l’ONU et de ses partenaires dans les zones où les besoins sont les plus critiques. 

Elle a ensuite appelé à la cessation, « de toute urgence », de tout soutien militaire aux parties pour empêcher une nouvelle escalade de la violence, avant de demander au Conseil d’appeler les donateurs à garantir que l’UNICEF et toutes les autres organisations humanitaires puissent rester dans le pays et intervenir auprès des enfants.  « Nous estimons à 1 milliard de dollars en 2025 le montant de l’aide vitale à apporter à 8,7 millions d’enfants vulnérables », a-t-elle indiqué.  Sans ces actions urgentes, cette crise accablera davantage la société soudanaise et les souffrances augmenteront de manière exponentielle, provoquant une catastrophe générationnelle qui menacera l’avenir du Soudan, de la région et au-delà.

M. CHRISTOPHER LOCKYEAR, Secrétaire général de Médecins Sans Frontières (MSF), a déclaré que la guerre au Soudan est une guerre contre les populations: les Forces d’appui rapide, les Forces armées soudanaises et les autres parties au conflit ne se contentent pas de ne pas protéger les civils, elles aggravent activement leurs souffrances.  Les Forces armées soudanaises ont bombardé à plusieurs reprises et sans discernement des zones densément peuplées, tandis que les Forces d’appui rapide et les milices alliées ont lancé une campagne de brutalité, marquée par des violences sexuelles systématiques, des enlèvements, des massacres, le pillage de l’aide humanitaire et l’occupation d’installations médicales.  Les deux camps ont assiégé des villes, détruit des infrastructures civiles vitales et bloqué l’aide humanitaire, s’est indigné le Secrétaire général de MSF apportant le témoignage de sa récente visite, il y a six semaines, dans l’État de Khartoum, à l’hôpital al-Nao d’Omdurman, soutenu par MSF, juste après le bombardement du marché de Sabreen par les Forces d’appui rapide.  « L’hôpital était le théâtre d’un véritable carnage. » 

Il a indiqué que les équipes de MSF, qui gère des programmes médicaux dans plus de 22 hôpitaux et 42 centres de soins de santé primaires dans 11 des 18 États du Soudan, constatent des niveaux critiques de malnutrition sévère et une recrudescence de maladies évitables par la vaccination, notamment la rougeole, le choléra et la diphtérie.  Les effets dévastateurs de cette guerre « alimentée de l’extérieur » sont aggravés par les restrictions imposées à l’accès humanitaire, qu’elles soient délibérées ou le résultat d’une paralysie bureaucratique, de l’insécurité ou de l’effondrement de la gouvernance et de la coordination. 

Il a néanmoins fait état de progrès sur certains fronts: l’accès transfrontalier au Darfour via l’Égypte; l’amélioration du traitement des visas pour le personnel international; et l’ouverture de pistes d’atterrissage spécifiques pour les vols humanitaires à Dongola et Kassala.  Mais malgré l’urgence évidente de la situation, l’acheminement de l’aide humanitaire au Soudan demeure extrêmement et, dans certains cas, délibérément complexe. 

Il a indiqué que l’obtention des permis de voyage reste difficile, l’accès à travers les lignes de front nécessite des négociations exténuantes et, malgré des accords préalables, les centres humanitaires vitaux de l’ONU au Darfour restent bloqués.  Dans les zones contrôlées par les Forces d’appui rapide, le groupe armé et ses affiliés ont retardé arbitrairement les convois d’aide et imposé des péages et des taxes injustifiables par l’intermédiaire de l’Agence soudanaise pour les secours et les opérations humanitaires (SARHO). 

Illustrant son propos, il a indiqué que le transport d’une cargaison de 60 tonnes d’aide humanitaire de N’Djamena, au Tchad, à Tawila, au Darfour septentrional, coûte la somme exorbitante de 18 000 dollars, dont plus d’un tiers doit être payé sur la route.

Les organisations humanitaires qui tentent de fournir de l’aide dans les zones contrôlées par les Forces d’appui rapide sont confrontées à un choix impossible: se conformer aux exigences de la SARHO et risquer d’être expulsées par les autorités de Port-Soudan, ou refuser et voir leurs opérations interrompues par la SARHO.  Dans tous les cas, l’aide vitale est en jeu, a-t-il averti, soulignant en outre que les affirmations de souveraineté ne peuvent continuer d’être utilisées comme une arme pour restreindre le flux de l’aide. 

« Vos appels restent creux », a-t-il lancé à l’intention des membres du Conseil de sécurité, et la réponse humanitaire vacille, paralysée par la bureaucratie, l’insécurité, l’hésitation au risque de devenir « le plus grand désinvestissement de l’histoire de l’aide humanitaire ». 

Le patron de MSF a donc plaidé pour un nouveau pacte humanitaire, fondé sur un engagement commun en faveur de la protection des civils et garantissant aux organisations humanitaires l’espace opérationnel dont elles ont besoin.  Il devra également imposer un moratoire sur toutes les restrictions à l’aide humanitaire et veiller à ce que l’intervention reste indépendante de toute ingérence politique.  Ce pacte devra également remplacer le système actuel de contrôle par un système qui préserve la survie et la dignité du peuple soudanais. Un tel accord, a-t-il ajouté, nécessite à la fois une volonté politique et un leadership capables d’amener les parties belligérantes à s’aligner sur les impératifs humanitaires. 

Cependant, même l’accord le plus solide est voué à l’échec sans l’engagement des donateurs à augmenter les financements et une approche plus proactive du Secrétariat des Nations Unies afin de mandater le plein redéploiement des agences humanitaires au Darfour et dans l’ensemble du Soudan.  « La crise au Soudan exige un changement fondamental par rapport aux approches inefficaces du passé. »

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.