En cours au Siège de l'ONU

9869e séance – matin  
CS/16008

Soudan: le Conseil de sécurité appelé à agir face à une crise humanitaire d’une gravité sans précédent, alors que le conflit continue de s’étendre

Près de deux ans après le déclenchement du conflit entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, la situation humanitaire au Soudan atteint désormais un niveau « sans précédent par son ampleur et sa gravité », a alerté, ce matin devant le Conseil de sécurité, la Directrice de la Division des opérations et de la communication du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), appelant à des mesures immédiates pour protéger les civils et faciliter l’accès de l’aide.  Alors que les combats continuent de s’intensifier, les membres du Conseil ont mis en garde contre le risque de fragmentation du pays que fait courir la formation d’un « gouvernement parallèle » par les Forces d’appui rapide. 

Dans son exposé, destiné à faire un point trimestriel de la situation conformément à la résolution 2715 (2023), Mme Edem Wosornu a rappelé que le conflit a entraîné le déplacement de plus de 12 millions de personnes, dont 3,4 millions qui ont fui au-delà des frontières du pays, et que plus de la moitié de la population soudanaise souffre de faim aiguë.  Faisant état d’une détérioration constante des conditions de sécurité des civils, avec notamment des violences sexuelles incessantes, elle a averti que des combats à l’arme lourde font rage depuis plusieurs semaines dans et autour du camp de déplacés de Zamzam, dans l’État du Darfour septentrional.  La dégradation de la situation sécuritaire a contraint l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF) de cesser ses opérations dans la zone, a-t-elle précisé, ajoutant que la famine est à présent « avérée » dans le camp.

Venir en aide à 26 millions de personnes de toute urgence 

Mme Wosornu a également signalé des combats affectant gravement les civils dans certaines parties de Khartoum, ainsi dans le sud du pays, principalement dans les États du Kordofan septentrional, du Kordofan méridional et du Nil-Blanc.  Au vu de cette évolution, elle a salué la décision des autorités soudanaises de prolonger l’autorisation d’utilisation du point de passage d’Adré, à la frontière avec le Tchad, pour les mouvements humanitaires.  Toutefois, « ce qui parvient à destination ne représente qu’une fraction de ce qui est nécessaire », a-t-elle reconnu, avant de rappeler que M. Thomas Fletcher, Coordonnateur des secours d’urgence, et M. Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, viennent de lancer des plans d’intervention pour le Soudan et la région d’un montant total de 6 milliards de dollars.  Une somme « colossale » et « supérieure à tout appel coordonné par l’ONU dans l’histoire du Soudan », qui vise à venir en aide à près de 21 millions de personnes au Soudan même et à 5 millions, dans les pays voisins, principalement des réfugiés. 

Face à cette « catastrophe devenue réalité », comme l’a résumé le Danemark, les membres du Conseil ont tous appelé à l’arrêt des hostilités et à l’intensification de l’aide humanitaire.  Plusieurs pays, notamment la Chine, la France et le Pakistan, ont soutenu l’appel de l’Union africaine (UA) et du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en faveur d’un cessez-le-feu durant le mois de ramadan qui débute fin février.  Un grand nombre de délégations, en particulier l’Algérie, au nom des A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), et la Slovénie, ont également exhorté les parties au conflit à participer à la seconde session de pourparlers facilités par l’ONU et à honorer les engagements pris en mai 2023 dans le cadre de la Déclaration d’engagement de Djedda en faveur de la protection des civils du Soudan.

Une solution politique est la seule voie possible 

Sur le plan sécuritaire, les États-Unis ont appelé à ne pas laisser le Soudan devenir « une fois encore » un territoire propice au terrorisme et à la criminalité transnationale organisée, sous peine de saper plus avant la sécurité en mer Rouge et d’accroître la pression sur les pays voisins accueillant des réfugiés.  La délégation américaine s’est félicitée, à cet égard, de la prorogation du mandat du Groupe d’experts chargé de surveiller l’application des sanctions imposées au Soudan par le Conseil, tandis que le Panama exigeait de toutes les parties prenantes à ce conflit, « y compris celles qui fournissent des armes de gros calibre », qu’elles mettent fin aux attaques contre la population civile, notamment à El-Fasher, la capitale du Darfour septentrional assiégée par les Forces d’appui rapide.

Le représentant du Soudan a, pour sa part, dénoncé l’appui qu’apportent selon lui les Émirats arabes unis aux « milices génocidaires » des Forces d’appui rapide, ce qui a pour effet de freiner les initiatives de paix. Assurant que son gouvernement s’emploie à protéger les civils depuis le début de l’agression, il a dit craindre que les Forces d’appui rapide profitent d’une pause pour reconstituer leurs forces.  Il a cependant ajouté que Khartoum n’est pas défavorable au principe d’une telle pause, « pour autant que ce qui a été conclu précédemment soit respecté ». 

Pour l’ensemble des membres du Conseil, la situation humanitaire au Soudan impose de mettre fin à ce conflit rapidement par le biais de négociations. « Une solution politique est la seule voie possible », a insisté la Grèce.  Sur ce point, la France a pris note de la feuille de route présentée ce mois par les autorités soudanaises pour restaurer une transition politique à l’issue du conflit, soulignant l’impératif d’une participation effective de tous les acteurs politiques et sociaux soudanais dans un processus unique.  La Fédération de Russie s’est déclarée convaincue que ce dialogue intersoudanais permettra d’assurer la transition vers la paix.  « Il conviendra ensuite d’élaborer les contours des futurs organes de gouvernement du pays, dont la configuration devra tenir compte des raisons de l’émergence de la crise », a-t-elle avancé, invitant le Conseil à accompagner ce processus, « plutôt qu’imposer des prescriptions inacceptables ». 

Un gouvernement parallèle synonyme de fragmentation 

À l’instar d’une large majorité des délégations, le Soudan s’est élevé contre la décision des Forces d’appui rapide d’établir un « gouvernement parallèle » dans les territoires qu’elles contrôlent, sur la base d’une charte politique qu’elles ont signée à Nairobi le 22 février avec des groupes armés affiliés et d’autres acteurs politiques.  Le délégué soudanais a accusé le Kenya de reconnaître cette structure, qui, à ses yeux, vise au démantèlement du pays.  Son homologue kényan s’est inscrit en faux, assurant que Nairobi « ne reconnaît aucune entité indépendante quelle qu’elle soit ».  Il a dit voir dans cette « charte pour la paix » un engagement historique d’un large éventail d’acteurs civils, politiques et militaires soudanais en faveur des idéaux démocratiques, « y compris une éventuelle transition vers un régime civil ». 

Réaffirmant l’importance du respect de l’unité, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Soudan pour mettre fin durablement à cette guerre, la plupart des membres du Conseil ont exprimé leur préoccupation face à ce risque de fragmentation.  Inquiète de la volonté affichée par différents acteurs politiques, sociaux et armés de « former des gouvernements de manière unilatérale », la France a invité l’ensemble des acteurs à s’engager de bonne foi dans le dialogue politique intersoudanais facilité par l’UA et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD).  La République de Corée a, elle, exhorté les pays concernés par cette crise et les organisations régionales à tout faire pour prévenir ce « scénario catastrophe ». 

Invitée à cette séance, comme l’Angola et le Kenya, l’Égypte a préféré appeler à la préservation des institutions de l’État soudanais pour empêcher leur effondrement. « Nous avons tous la responsabilité de soutenir le Soudan afin que sa crise ne se transforme pas en crise régionale », a-t-elle lancé, non sans rejeter toute forme d’ingérence étrangère dans les affaires intérieures du pays.  Réitérant son appui aux efforts de l’Envoyé personnel du Secrétaire général pour le Soudan, M. Ramtane Lamamra, pour soutenir le règlement politique et apporter la paix au Soudan, elle a appelé à coordonner les initiatives régionales et internationales plutôt que de les disperser. 

Sur la même ligne, l’Angola a rappelé que l’UA multiplie les initiatives diplomatiques et stratégiques visant à faciliter un engagement constructif entre les parties belligérantes afin de trouver une solution politique à ce « conflit odieux ».  Le Royaume-Uni a, quant à lui, annoncé qu’il invitera au mois d’avril une vingtaine d’États et d’organisations internationales à Londres pour des discussions axées sur le soutien à une voie pacifique pour le peuple soudanais. 

 

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Rapports du Secrétaire général sur le Soudan et le Soudan du Sud

Exposé

Mme EDEM WOSORNU, Directrice de la Division des opérations et de la communication du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a rappelé qu’en près de deux ans de conflit au Soudan, plus de 12 millions de personnes ont été déplacées, dont 3,4 millions qui ont fui au-delà des frontières du pays.  Elle a ajouté que 24,6 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population soudanaise, souffrent de faim aiguë et que les services de santé se sont effondrés. Dans ce contexte de dégradation de la situation des civils, des millions d’enfants traumatisés sont privés d’éducation formelle et la violence sexuelle est incessante, a-t-elle constaté, avant de faire le point sur les derniers développements au Darfour septentrional. 

Huit mois après l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 2736 (2024), les civils continuent d’être attaqués, a précisé Mme Wosornu, faisant état d’une intensification des violences dans le camp de déplacés de Zamzam et aux alentours, « où la famine est avérée ».  Selon elle, des images satellite confirment l’utilisation d’armes lourdes ces dernières semaines, ainsi que la destruction des principales installations commerciales du camp.

En raison des combats dans cette zone, qui ont coûté la vie à de nombreux civils, dont au moins deux travailleurs humanitaires, l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF), principal fournisseur de services de santé et de nutrition à Zamzam, a annoncé lundi qu’elle était contrainte de cesser ses opérations dans le camp, a rapporté la responsable de l’OCHA.  Parallèlement, les civils continuent d’être touchés par les combats acharnés qui se poursuivent dans certaines parties de Khartoum, où des exécutions sommaires sont signalées dans les zones qui ont changé de mains, tandis que, dans le sud du pays, les affrontements se propagent dans le Kordofan septentrional et du Kordofan méridional.  Mme Wosornu a également fait état de nouvelles atrocités dans l’État du Nil-Blanc, notamment une vague d’attaques au début du mois qui aurait tué des dizaines de civils. 

Au vu de cette situation, l’intervenante a salué la décision des autorités soudanaises de prolonger l’autorisation d’utilisation du point de passage d’Adré pour les mouvements humanitaires.  Notant que les partenaires humanitaires ont poursuivi leurs efforts pour accroître l’aide via les itinéraires transfrontaliers, elle a indiqué que, l’an dernier, quelque 15,6 millions de personnes ont bénéficié d’une forme d’aide humanitaire dans tout le pays.  Elle a toutefois reconnu que tout ce qui parvient à destination ne représente qu’une fraction de ce qui est nécessaire.  « L’insécurité et les hostilités actives, les obstacles bureaucratiques persistants et les interférences plus larges continuent de saper nos efforts pour atteindre les personnes dans le besoin », a-t-elle déploré.

Mme Wosornu a rappelé que, la semaine dernière, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, M. Tom Fletcher, et le Haut-Commissaire des Nations Unies aux réfugiés, M. Filippo Grandi, ont lancé les plans d’intervention pour le Soudan et la région à l’horizon 2025, lesquels nécessitent 6 milliards de dollars pour venir en aide à près de 21 millions de personnes au Soudan et jusqu’à 5 millions d’autres, principalement des réfugiés, dans les pays voisins.  Cette somme colossale, « supérieure à tout appel coordonné par l’ONU dans l’histoire du Soudan », vise à répondre à une crise humanitaire « sans précédent par son ampleur et sa gravité », a-t-elle souligné, appelant la communauté internationale à ne ménager aucun effort pour tenter d’atténuer cette situation. 

Avant de conclure, elle a demandé au Conseil de prendre des mesures immédiates pour garantir que tous les acteurs respectent le droit international humanitaire et protègent les civils ainsi que les infrastructures et les services dont ils dépendent.  Elle a aussi exigé la mise en œuvre des engagements visant à faciliter et à permettre un accès humanitaire sans entrave aux civils dans le besoin.  Enfin, elle a réclamé une mobilisation sans précédent de l’aide internationale, notamment un financement flexible, remerciant les donateurs qui ont déjà annoncé des engagements financiers. 

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