Conseil de sécurité: 14 ans après son « printemps arabe », la Libye reste profondément affaiblie par les rivalités politiques, l’insécurité et la gabegie
Alors qu’il y a à peine deux jours, la Libye célébrait le quatorzième anniversaire de la révolution du 17 février, son rêve d’une société civile, démocratique et prospère reste inachevé, a déploré, ce matin au Conseil de sécurité, la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, qui a blâmé les profondes divisions régnant dans ce pays, ainsi que sa mauvaise gestion économique et la concurrence des intérêts nationaux et étrangers.
Mme Rosemary DiCarlo était venue présenter aux membres du Conseil la situation en Libye au cours du mois écoulé, un jour avant l’entrée en fonctions de Mme Hanna Serwaa Tetteh en tant que nouvelle Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe de la Mission d’appui des Nations Unies dans ce pays (MANUL). En attendant, la direction intérimaire de la MANUL a pris des mesures pour relancer un processus politique dans l’impasse, dont la plus notable a été, le 4 février, la création d’un comité consultatif chargé de faire des recommandations en vue de résoudre les questions relatives à la législation électorale, qui ont empêché jusqu’à présent la tenue d’élections nationales.
« Il ne s’agit pas d’un organe de prise de décisions, mais ses propositions appuieront les efforts visant à éliminer les obstacles à la tenue d’élections nationales en Libye », a assuré Mme DiCarlo, en précisant que ce comité serait composé de 20 personnalités libyennes, dont des experts juridiques et constitutionnels, parmi eux, 35% de femmes. Les 9 et 10 février, la Mission a convoqué à Tripoli la réunion inaugurale de ce comité consultatif, dont la création a été saluée par de nombreux acteurs libyens, et une réunion se tient maintenant sur trois jours pour réfléchir à des options sur la façon de surmonter l’impasse.
Alors que le Royaume-Uni, les États-Unis et la France, entre autres, saluaient cette « étape positive », la Fédération de Russie a vivement critiqué la création du « prétendu comité consultatif », arguant que les expériences passées s’agissant de ce type de format n’avaient pas toujours été couronnées de succès, « faute d’une inclusivité suffisante ». Pour la délégation russe, cette nouvelle structure, aux fonctions purement « techniques », devra convenir au préalable avec les acteurs libyens de tout développement, avant que les résultats de ses délibérations ne soient transmis aux membres du Conseil de sécurité. Sinon, a mis en garde le représentant russe, « nous serons à nouveau confrontés à une tentative d’imposer aux Libyens quelque chose d’inacceptable ».
La Libye a renchéri, espérant que la MANUL répondrait bientôt aux questions soulevées par la création de ce comité. Quels sont les résultats attendus? Quelle est sa feuille de route? Et comment les parties prenantes libyennes seront-elles impliquées dans ses travaux? Autant de questions qui ont également incité la Chine à recommander à la MANUL de faire preuve de coopération. Si le Guyana, qui s’est exprimé au nom du groupe A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), a pris note de la création du comité consultatif, il a également promu le rôle crucial du Comité 6+6 dans les efforts pour sortir de l’impasse actuelle, notamment concernant les lois électorales.
Cette impasse politique a pour conséquence directe une mauvaise gouvernance économique, a souligné la Secrétaire générale adjointe, et ce, malgré les efforts de la MANUL pour faciliter les consultations entre experts économiques libyens indépendants. Dans un contexte où des rivalités pour le contrôle des institutions de l’État continuent de dominer le paysage libyen, aucun progrès n’a été réalisé dans l’élaboration d’un budget unifié ou d’un cadre de dépenses convenu. Or, a expliqué la haute fonctionnaire, qui a été suivie sur ce point par les États-Unis, il est essentiel de s’attaquer à ce problème afin de soutenir les efforts de la Banque centrale de Libye pour stabiliser la situation financière du pays.
La délégation américaine s’est d’ailleurs félicitée que le Conseil de sécurité ait mis à jour les critères de désignation des individus et des entités qui déstabilisent la Libye par l’exploitation et l’exportation illicites de pétrole, une corruption qui provoque un transfert massif de richesses hors du pays.
La situation sécuritaire dans le pays reste pareillement préoccupante, en raison de la persistance des activités d’acteurs armés non étatiques et quasi étatiques, a relevé Mme DiCarlo. Plusieurs incidents l’ont illustré au cours de la période à l’examen, dont une attaque, perpétrée à Tripoli le 12 février, contre le Ministre d’État chargé des affaires ministérielles, M. Adel Juma, qui a été blessé.
Aussi la Secrétaire générale adjointe a-t-elle encouragé les autorités libyennes à mettre pleinement en œuvre l’accord de cessez-le-feu, afin de créer les conditions de la réunification et de la réforme des institutions sécuritaires, plus que jamais nécessaires devant la multiplication des arrestations arbitraires et des disparitions forcées à travers tout le pays. Les A3+ ont cependant mis en garde contre toute « action unilatérale » susceptible d’aggraver la discorde entre Libyens et d’exacerber les divisions institutionnelles.
Alarmé de l’impact négatif du conflit au Soudan et de la crise syrienne sur l’appareil sécuritaire libyen, ce groupe a réitéré son appel au retrait « immédiat et inconditionnel » de tous les combattants étrangers, forces étrangères et mercenaires présents dans le pays. Aussi a-t-il salué l’accord récent visant à établir un centre commun de communication et d’échange d’informations pour l’équipe conjointe de coordination technique et les institutions militaires et sécuritaires de l’est et de l’ouest de la Libye, pour mieux lutter contre le terrorisme et la migration irrégulière.
La Secrétaire générale adjointe s’est quant à elle félicitée qu’en décembre, une mission conjointe de la MANUL et de l’équipe de pays des Nations Unies à Koufra ait collaboré avec les autorités locales, les partenaires, les réfugiés et les communautés d’accueil, pour renforcer les réponses humanitaires aux réfugiés soudanais en Libye. « Le chapitre libyen du plan régional d’aide aux réfugiés soudanais pour 2025 ambitionne d’aider 446 000 personnes et nécessite 106 millions de dollars, soit le double de l’aide fournie en 2024, alors que ces réfugiés continuent d’affluer », a-t-elle alerté, en exhortant les bailleurs de fonds à se mobiliser.
Plusieurs membres du Conseil se sont émus de la découverte récente de fosses communes dans le pays, où auraient été inhumés des corps de migrants. Le représentant libyen a considéré que l’établissement des responsabilités pour ces crimes consiste aussi à demander des comptes aux réseaux internationaux de traite des êtres humains, aussi bien dans les pays d’origine que de destination.
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LA SITUATION EN LIBYE
Exposé
Alors qu’elle célébrait le quatorzième anniversaire de la révolution du 17 février il y a à peine deux jours, le rêve d’une Libye civile, démocratique et prospère reste inachevé, a déclaré Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix. Des divisions profondes, une mauvaise gestion économique, des violations continuelles des droits humains et des intérêts nationaux et extérieurs concurrents continuent d’éroder l’unité et la stabilité de ce pays, a-t-elle constaté. Dans ce contexte, la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) prend des mesures pour relancer un processus politique ancré dans les principes d’inclusion et d’appropriation nationale, a assuré la haute fonctionnaire.
Ainsi, le 4 février, un comité consultatif a été créé par la MANUL pour formuler des recommandations en vue de résoudre les questions controversées relatives à la législation électorale, qui ont empêché la tenue d’élections nationales. « Il ne s’agit pas d’un organe de prise de décision, mais ses propositions appuieront les efforts visant à éliminer les obstacles à la tenue d’élections nationales en Libye », a précisé Mme DiCarlo, en ajoutant qu’il serait composé de 20 personnalités libyennes, dont des experts juridiques et constitutionnels, avec 35% de femmes. Les 9 et 10 février, la MANUL a convoqué à Tripoli la réunion inaugurale de ce comité consultatif, dont la création a été saluée par de nombreux acteurs libyens, et une réunion se tient maintenant sur trois jours pour réfléchir à des options sur la façon de surmonter l’impasse.
Parallèlement, la MANUL facilite les consultations entre experts économiques libyens indépendants pour identifier les priorités, obstacles et solutions à une bonne gouvernance économique. Reste que les divisions et la concurrence pour le contrôle des institutions de l’État continuent de dominer le paysage politique et économique libyen, a reconnu la Secrétaire générale adjointe, qui a dit qu’en dépit de l’engagement de la MANUL auprès de toutes les parties prenantes, aucun progrès n’avait été réalisé en ce qui concerne l’élaboration d’un budget unifié ou d’un cadre de dépenses convenu. « Il est essentiel de s’attaquer à ce problème afin de soutenir les efforts de la Banque centrale de Libye pour stabiliser la situation financière du pays et permettre des dépenses publiques transparentes et équitables », a-t-elle insisté. Elle a aussi fait part d’un désaccord croissant sur la nomination de la direction du bureau d’audit libyen, qui menace l’intégrité de cet organisme. Elle a exhorté toutes les parties à respecter l’indépendance du bureau et à maintenir les organes de surveillance libyens à l’abri de toute ingérence et de toute politisation.
Poursuivant, la Secrétaire générale adjointe a indiqué qu’après six mois de litiges et de décisions judiciaires contradictoires, le différend sur le poste de président du Haut Conseil d’État n’est toujours pas résolu. Et malgré un accord facilité par la MANUL en décembre entre le Conseil présidentiel, la Chambre des députés et le Haut Conseil d’État sur un projet de loi pour la réconciliation nationale, les amendements ultérieurs apportés au projet de loi par les parlementaires ont suscité des inquiétudes quant à l’indépendance d’une future commission de réconciliation nationale. Au début du mois, dans le cadre d’un processus mené par l’Union africaine, une charte de réconciliation a été convenue à Zintan et adoptée le 14 février à Addis-Abeba, en marge du sommet de l’Union africaine. Si certaines parties prenantes libyennes ont soutenu la charte, d’autres ne l’ont pas fait, a relevé Mme DiCarlo.
Après le succès des élections locales dans 56 municipalités en novembre 2024, la Haute Commission électorale nationale a commencé les préparatifs du prochain groupe de 63 élections municipales, a signalé Mme DiCarlo en précisant que plus de 4 900 candidats ont été nommés, dont 1 345 femmes. Elle a insisté sur l’importance d’un financement adéquat par le Gouvernement pour procéder à la prochaine phase des élections municipales qui est l’inscription des électeurs.
Sur le plan sécuritaire, les activités des acteurs armés non étatiques et quasi étatiques demeurent une menace pour la fragile stabilité de la Libye. Mme DiCarlo a relaté divers incidents, tels que l’attaque armée à Tripoli du 12 février qui a blessé le Ministre d’État chargé des affaires ministérielles, M. Adel Juma. Mme DiCarlo a encouragé les efforts des autorités libyennes pour mettre en œuvre les dispositions restantes de l’accord de cessez-le-feu, afin d’améliorer la situation sécuritaire fragile et de créer les conditions de la réunification et de la réforme des institutions sécuritaires, en particulier devant la tendance persistante aux arrestations arbitraires et aux disparitions forcées dans tout le pays.
Après avoir rappelé la nécessité urgente de protéger les migrants et de lutter contre la traite des êtres humains, la Secrétaire générale adjointe a indiqué qu’en décembre, une mission conjointe de la MANUL et de l’équipe de pays des Nations Unies à Koufra avait collaboré avec les autorités locales, les partenaires, les réfugiés et les communautés d’accueil pour renforcer les réponses humanitaires aux réfugiés soudanais. « Le chapitre libyen du plan régional d’aide aux réfugiés soudanais pour 2025 ambitionne d’aider 446 000 personnes et nécessite 106 millions de dollars, soit le double de l’aide de 2024, alors que les réfugiés continuent d’arriver en Libye », a-t-elle précisé, en demandant le soutien des bailleurs de fonds.
En conclusion, Mme DiCarlo a regretté que les dirigeants de la Libye et les acteurs de la sécurité ne parviennent pas à faire passer l’intérêt national avant leur rivalité pour des gains politiques et personnels.